CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 2 février 2017, n° 2013-13058
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GEA Group (Sté), Gaches Chimie (SAS) , Solvadis France (EURL), Solvadis GmbH (Sté), Solvadis Holding (SARL) , Autorité de la concurrence , Ministre de l'Economie
Défendeur :
Brenntag (SA), Brenntag France Holding (SAS) , Brachem France Holding (SAS) , Brenntag Foreign Holding GmbH (Sté), Brenntag Beteiligung GmbH (Sté), Brenntag Holding GmbH (Sté), DB Mobility Logistics AG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel-Amsellem
Conseillers :
M. Douvreleur, Mme Faivre
Avocats :
Mes Baechlin, Buhart, Bricogne, Guyonnet, Gransard, Boccon-Gibod, Mendelsohn, Hay, Tardif, Thill-Tayara, Guidoni, Selarl 2H Avocats, SCP Bolling Durand Lallement
Faits et procédure
On appelle commodités chimiques les matières premières de base issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie telles que les solvants, les alcools, les acides, les éthers, la javel, la soude.
Elles sont produites par les grands groupes de chimie (Exxon, Shell, BP, Solvay, Rhodia, BASF...) et sont utilisées dans de très nombreux secteurs : industrie chimique, agro-alimentaire, automobile, blanchisseries hospitalières et privées, traitement des eaux, armement, industries mécanique et aéronautique, industrie textile, notamment.
Les commodités chimiques sont soit vendues directement par les producteurs, pour les grands volumes, soit commercialisées par des intermédiaires distributeurs, pour les petits volumes. Les sociétés concernées par l'affaire sont des distributeurs.
Le 20 septembre 2006, le rapporteur général du Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, a reçu une demande de clémence présentée par les sociétés Solvadis France et Quaron, qui portaient à sa connaissance des pratiques d'entente prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE (devenu 101 du TFUE), impliquant également les sociétés Brenntag et Univar, dans le secteur de la distribution des commodités chimiques, sur la région du " grand ouest ". Par des pièces complémentaires, ces sociétés ont étendu le champ des pratiques dénoncées. Au total, selon la décision de l'Autorité, cette demande de clémence a porté sur des pratiques commises entre 1999 et 2005 sur les grandes régions Ouest, Rhône-Alpes, et le Nord.
Le 26 octobre 2006, le rapporteur général a reçu une autre demande de clémence présentée au bénéfice de la société BC Partners et de ses filiales, en particulier les sociétés Brenntag Holding GmbH et Brenntag SA, qui portaient à sa connaissance des informations établissant l'existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE (devenu 101 du TFUE) et impliquant, notamment, outre la société Brenntag, les sociétés Quaron, Solvadis, Univar, et Caldic dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France.
Ces sociétés ont, elles aussi, complété les éléments apportés initialement et, au total, les pratiques dénoncées se sont révélées être :
- une entente générale sur la fixation des prix pour les consignes et les frais techniques ;
- des ententes régionales ou locales pour la répartition des clients et des marchés, ainsi que sur le niveau des prix lors de la passation des marchés par des utilisateurs de commodités chimiques, en particulier au travers d'offres de couverture et d'échanges d'informations préalables au dépôt des offres.
Les zones concernées par ces pratiques étaient : la zone nord (Ile-de-France, Picardie, Lorraine, Ardennes), la zone centre-ouest (Maine-et-Loire, Loire, Bretagne, Normandie et Val de Loire), la zone grand sud (Bourgogne, Dauphiné, Rhône-Alpes, Aquitaine, Midi-Pyrénées, et Provence-Méditerranée) ;
- des échanges d'informations entre concurrents portant sur le niveau des marges, la structure de prix, les volumes et les calendriers de commandes des clients.
Enfin, le 13 décembre 2006, le rapporteur général a reçu une demande de clémence présentée par la société Univar portant sur des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 et 81 du Traité CE (devenu 101 du TFUE) concernant les sociétés Brenntag, Platret, Caldic et APC dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France, en particulier dans la région Rhône-Alpes.
Ces sociétés ont été admises au bénéfice de la clémence par trois avis de clémence :
- le 7 février 2007 pour les sociétés Solvadis France et Quaron - accordant à la société Solvadis France une exonération totale des sanctions encourues et à la société Quaron, dans le cas où elle serait tenue pour responsable des faits, la même exonération ;
- le 23 mars 2007 pour la société Brenntag - lui accordant une exonération pouvant aller de 13 à 35 % des sanctions encourues ;
- le 7 mai 2007 pour la société Univar - lui accordant une exonération pouvant aller de 10 à 20 % des sanctions encourues.
Après que le Conseil de la concurrence se fût saisi d'office des pratiques par une décision du 5 avril 2007, l'affaire a fait l'objet d'actes de visites et saisies qui se sont révélés pour la plupart infructueux, puis d'une instruction, à la suite de laquelle la rapporteure générale de l'Autorité a, le 12 juin 2012, notifié aux sociétés :
- Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL,
- GEA Group Aktiengesellschaft,
- Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH,
- Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV et,
- Caldic Est,
le grief consistant à avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché de la distribution des commodités chimiques en France, en mettant en œuvre, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, des accords et pratiques concertées participant au même objectif global visant,
- d'une part, à fixer en commun les prix de vente de l'ensemble des commodités chimiques en répercutant simultanément les hausses tarifaires de leurs fournisseurs respectifs en matière de solvants et de chimie minérale et,
- d'autre part, à la stabilisation de leurs parts de marché par le biais de pratiques de répartition de clientèle (attribution des clients, répartition des commandes par volumes ou par périodes, offres de couverture). Cette notification précisait qu'en poursuivant cet objectif anticoncurrentiel, les destinataires des griefs ont imposé sur le marché français de la distribution des commodités chimiques, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et l'incertitude, une collusion généralisée entre distributeurs de commodités chimiques portant atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché et en organisant une répartition des marchés.
Elle ajoutait que ces accords et pratiques ont eu pour objet et étaient de nature à avoir eu, notamment, pour effet un maintien des prix de vente artificiellement élevés et à avoir fait obstacle au libre choix des consommateurs de commodités chimiques quant à leur fournisseur.
Il était encore précisé que ces accords et pratiques avaient été mis en œuvre depuis au moins le 17 décembre 1997 et jusqu'à juin 2005. Les griefs étaient notifiés aux sociétés selon les périodes pour lesquelles elles étaient concernées.
Par un second courrier du même jour, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié un second grief aux sociétés :
- Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, et Chemco France consistant à avoir : " de janvier 2000 à mars 2007, période non couverte par la prescription, participé à une entente unique et continue, en mettant en œuvre une pratique concertée visant à se répartir les livraisons des commandes de la commodité chimique méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix pratiqués à l'égard de ce client, ayant pour conséquence de tromper le client sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ".
A la suite de ces notifications de griefs, les sociétés :
- Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL,
- GEA Group Aktiengesellschaft,
- Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV ;
- Caldic Est,
ont sollicité le bénéfice de la procédure dite de non-contestation des griefs prévue par les dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
Par une décision du 28 mai 2013 portant le numéro 13-D-12, l'Autorité de la concurrence a :
- considéré que les pratiques objet du premier grief constituaient une pratique unique complexe et continue ;
- qu'elles avaient eu un objet anticoncurrentiel ;
- qu'elles avaient duré de décembre 1997 à juin 2005, et a détaillé pour chaque entreprise, la participation prise ainsi que les dates de l'infraction. Elle a aussi considéré que les pratiques objet du second grief étaient établies, que les sociétés Chemco et Brenntag y avaient participé et qu'elles avaient duré de janvier 2000 à mars 2007.
Elle a encore considéré que les sociétés Deutsche Bahn AG et E. ON AG devaient être mises hors de cause. Au titre du premier grief elle a infligé les sanctions suivantes :
47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec DB Mobility Logistics AG ;
5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG ;
1 335 036 euros à la société Caldic Est SASU ;
9 405 279 euros à la société GEA Group AG ;
15 180 461 euros à la société Univar SAS.
Au titre de la clémence, la société Solvadis et ses sociétés mères ont été exonérées de sanction pécuniaire. La société Brenntag a obtenu une réduction de sanction de 25 %. L'Autorité a relevé sur ce point que cette société avait apporté des pièces qui ont permis de vérifier l'existence des pratiques dénoncées par la société Solvadis France et des éléments complémentaires portant sur leur contexte qui ont permis de mieux appréhender les pratiques. Toutefois, elle a considéré qu'elle avait remis en cause plusieurs informations qu'elle avait communiquées elle-même dans sa demande de clémence, ce qui démontrait qu'elle n'avait pas eu " un esprit de coopération totale, permanente et véritable ".
La société Univar a, quant à elle, bénéficié d'une réduction de 20 % qui était la borne maximale de la fourchette fixée dans l'avis de clémence. Au titre du second grief, l'Autorité a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
10 000 euros à la société Chemco France SARL ;
50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG.
Elle a exonéré la société Brenntag SA de sanction pécuniaire car elle était à l'origine de la découverte de l'infraction et avait seule apporté les pièces probantes.
Pour les deux griefs, la société DB Mobility Logistics AG a été sanctionnée en qualité de société mère à 100 % de la société Brenntag du 1er janvier 1998 au 31 janvier 2004. Pour le premier grief, la société GEA a été sanctionnée en sa qualité de société mère à 100 % de la société Solvadis du 6 octobre 1998 au 30 septembre 2003.
L'Autorité a considéré que ces deux sociétés ne pouvaient bénéficier de la clémence initiée par leurs filiales. Par ailleurs l'Autorité a ordonné la publication d'un texte dans les journaux Les Echos et l'Usine nouvelle.
Vu le recours en annulation et en réformation de cette décision déposé au greffe de la cour le 28 juin 2013 par la société DB Mobility Logistics AG, complété par ses conclusions du 31 juillet 2013 et ses conclusions récapitulatives du 11 février 2016 ;
Vu le recours en réformation déposé au greffe de la cour le 28 juin 2013 par la société GEA Group, complété par ses conclusions du 29 juillet 2013 et ses conclusions récapitulatives du 11 février 2016 ;
Vu le recours en annulation et en réformation déposé au greffe de la cour le 1er juillet 2013 par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Holding GmbH, Brenntag Beteiligung GmbH, Brenntag Holding GmbH (les sociétés Brenntag), complété par leurs conclusions du 30 juillet 2013 et du 8 octobre 2015, ainsi que leurs conclusions récapitulatives du 11 février 2016 et leurs conclusions additionnelles du 2 mai 2016 ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe de la cour par la société Gaches Chimie le 19 juillet 2013 et le 25 novembre 2013, complétées par leurs conclusions des 12 novembre 2015 et 11 février 2016 ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe de la cour par les sociétés Solvadis France, Solvadis Holding SARL et Solvadis GmbH le 23 juillet 2013, complétée par leurs conclusions déposées le 12 novembre 2015, le 4 avril 2016 et leurs conclusions récapitulatives et responsives déposées le 1er juin 2016 ;
Vu la lettre déposée au greffe de la cour le 20 novembre 2015, par laquelle le conseil des sociétés Solvadis a fait savoir que la société Solvadis France était en liquidation judiciaire et que son mandataire à la procédure renonçait à l'intervention volontaire ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par l'Autorité de la concurrence le 12 janvier 2016 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par le ministre de l'Economie le 13 janvier 2016 ;
Vu l'avis du Ministère public, déposé au greffe de la cour le 8 juin 2016 et concluant au rejet des demandes tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-12 du 28 mai 2013 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 9 juin 2016, les conseils des sociétés Brenntag, DB Mobility Logistics, GEA, qui ont été mises en mesure de répliquer et eu la parole en dernier, les conseils des sociétés Solvadis, et Gaches Chimie, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre de l'Economie et le Ministère public ;
Sur ce,
1. À titre liminaire, la cour relève que, par lettre du 20 novembre 2015, le liquidateur de la société Solvadis France a fait savoir qu'il n'entendait pas poursuivre la procédure et renonçait à l'intervention volontaire au recours formée par cette société. Il convient donc de lui en donner acte.
I - Sur la procédure
A. Sur les irrecevabilités invoquées par les parties
1. Irrecevabilité du recours des sociétés Brenntag, soutenue par les sociétés Solvadis et la société Gaches Chimie
2. Les sociétés Solvadis Holding SARL et Solvadis GmbH, soutenues par la société Gaches Chimie, soutiennent que le recours des sociétés Brenntag est irrecevable faute pour elles d'avoir adressé une copie de leur déclaration d'appel à l'ensemble des parties auxquelles la décision n° 13-D-12 de l'ADLC a été notifiée.
3. Elles affirment que les pièces produites par les sociétés Brenntag (jeux de courriers, envois adressés aux conseils et à la société Solvadis GmbH) sont dépourvues de pertinence ou de valeur probante. Elles ajoutent que leur jonction à l'instance ne peut compenser le défaut de notification.
4. En application de l'article R. 464-14 du Code de commerce " Dans les cinq jours qui suivent le dépôt de la déclaration, le demandeur au recours doit, à peine d'irrecevabilité de ce dernier, prononcée d'office, en adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception une copie aux parties auxquelles la décision de l'Autorité de la concurrence a été notifiée, ainsi qu'il ressort de la lettre de notification prévue au deuxième alinéa de l'article R. 464-30 ". Cette notification a pour objectif de permettre à toutes les parties devant l'Autorité de la concurrence de former un recours incident à la suite d'un premier recours.
5. En l'espèce, la lettre de notification mentionnait, notamment, les sociétés Solvadis France, Solvadis GmbH et Solvadis Holding SARL, toutes les trois représentées par le cabinet Fidal à Rennes. La seule adresse mentionnée était celle de ce cabinet.
6. Les sociétés Brenntag produisent la lettre par laquelle elles ont notifié leur recours à l'avocat commun des trois sociétés Solvadis, dont la société Solvadis France. Elles ont ensuite notifié le recours de façon individuelle aux sociétés Solvadis Holding et Solvadis GmbH.
7. Le fait qu'elles ne produisent pas d'élément permettant de constater qu'elles ont aussi notifié leur recours directement à la société Solvadis France ne saurait entraîner l'irrecevabilité de leur recours, dès lors que celui-ci a été notifié à l'avocat commun des trois sociétés Solvadis, auprès duquel celles-ci avaient élu domicile devant l'Autorité, dont la lettre de notification mentionnait cette seule adresse.
8. L'exception d'irrecevabilité du recours formé par les sociétés Brenntag doit en conséquence être rejetée.
2. Irrecevabilité de l'intervention volontaire de la société Gaches Chimie " au soutien de l'Autorité de la concurrence " soutenue par les sociétés Brenntag
9. Les sociétés Brenntag opposent qu'elles ont formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu par cette cour le 22 octobre 2015, déclarant recevable l'intervention de la société Gaches Chimie au recours formé par les sociétés Brenntag contre la décision attaquée et que cette recevabilité pourrait ne pas être maintenue.
10. Elles n'ont toutefois pas produit d'arrêt rendu par la Cour de cassation sur ce pourvoi et il n'y a pas lieu sur ce point de revenir sur ce qui a déjà été jugé par la cour.
3. Sur l'irrecevabilité de l'intervention des sociétés Solvadis, soutenue par les sociétés Brenntag
11. Les sociétés Brenntag soutiennent dans leurs observations du 2 mai 2016 que les sociétés Solvadis France, Solvadis Holding et Solvadis GmbH (les sociétés Solvadis) sont irrecevables dans leur intervention commune.
12. S'agissant de la société Solvadis France, il est, par le présent arrêt, donné acte à son liquidateur de sa renonciation à l'intervention et la demande des sociétés Brenntag est en conséquence sans objet.
13. Pour la société Solvadis Holding, qui est une société de droit luxembourgeois, les sociétés Brenntag soutiennent que cette société a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés du Luxembourg postérieurement à la commission des faits et que, dans cette circonstance, cette société, qui ne vient aux droits d'aucune société partie en cause, n'a pas intérêt à agir.
14. Cependant, la décision attaquée a retenu dans son article premier que la société Solvadis Holding a, en sa qualité de société mère de la société Solvadis France, enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ainsi que celles de l'article 101 du TFUE en mettant en œuvre, avec les autres sociétés mises en cause, une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires. L'article 5 de la décision précise ensuite que la société Solvadis France et ses sociétés mères sont exonérées de sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l'article 1er, par application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
15. Il s'en déduit que la société Solvadis Holding qui a été retenue par la décision comme étant responsable des pratiques relevées, est recevable à intervenir dans la cause, sans qu'importe, à ce stade, de savoir si elle était réellement société mère de la société Solvadis France.
16. S'agissant de la société Solvadis GmbH, de droit allemand, les sociétés Brenntag font valoir que l'intervention volontaire précise qu'elle agit " poursuite et diligences de Mrs. Andreas Weimann et Rolf Wichert, co-présidents CEO (Chief executive officer)", mentions qui figurent également sur les dernières écritures des sociétés Solvadis. Or il résulte du registre du commerce allemand, produit par les sociétés Brenntag, que M. Rolf Wichert n'est plus représentant social de la société Solvadis GmbH, que M. Weimann n'apparaît pas non plus l'être, ou même l'avoir été, et que cette société est représentée, depuis décembre 2011, par M. Butzelaar et l'était, entre juin 2011 et septembre 2014, par M. Steinbach.
17. Il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 117 du Code de procédure civile que le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice, constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte concerné.
18. En l'espèce, la société Solvadis GmbH, de droit allemand, n'a pas contesté que MM. Andreas Weimann et Rolf Wichert, co-présidents CEO (Chief executive officer), mentionnés dans l'acte d'intervention des sociétés Solvadis n'étaient pas, à l'époque à laquelle cet acte a été délivré, ni à la date à laquelle la cour statue, représentants sociaux de la société Solvadis GmbH, tel que cela ressort des pièces produites par les sociétés Brenntag.
19. Il se déduit de ce défaut de pouvoir, qui n'a pas été régularisé, qu'en ce qu'il mentionne être formé au nom de la société Solvadis GmbH " poursuite et diligences de Mrs. Andreas Weimann et Rolf Wichert, co-présidents CEO (Chief executive officer)", l'acte d'intervention entaché d'une irrégularité de fond doit être annulé.
20. En conséquence, l'intervention est nulle en ce qu'elle est formée au nom de la société Solvadis GmbH, mais elle est recevable en ce qu'elle est formée au nom de la société Solvadis Holding.
4. Sur l'irrecevabilité des sociétés Brenntag à contester l'avis de clémence et le premier rang obtenu à ce titre par la société Solvadis France
21. La société Solvadis Holding soutient que les sociétés Brenntag sont irrecevables à contester la validité du procès-verbal de réception de la demande de clémence présentée par la société Solvadis France le 20 septembre 2006, de même que l'avis de clémence, faute d'intérêt à agir. Elle explique que, quand bien même la cour annulerait l'avis de clémence, les sociétés Brenntag ne pourraient bénéficier du premier rang de clémence, dès lors qu'au moment où elles ont déposé leur demande, l'Autorité disposait déjà d'éléments sur les pratiques dénoncées. L'Autorité de la concurrence soutient cette analyse. Le ministre de l'Economie et le Ministère public opposent que l'avis de clémence ne fait pas grief aux autres sociétés visées dans celui-ci, qu'il est conditionnel et ne peut être considéré comme une forme anticipée de décision. Ils soutiennent en conséquence l'irrecevabilité des moyens et arguments invoqués contre l'avis de clémence.
22. L'article L. 464-2, IV du Code de commerce, dans sa version applicable aux faits de la cause, précise qu'" Une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'informations dont le Conseil ou l'administration ne disposait pas antérieurement. À la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, le Conseil de la concurrence adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et n'est pas publié. Lors de la décision prise en application du I du présent article, le Conseil peut, si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées, accorder une exonération des sanctions pécuniaires proportionnées à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction ".
23. Cette disposition est complétée par l'article R. 464-5 du même Code qui énonce que " L'entreprise ou l'organisme qui effectue la démarche mentionnée au IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce s'adresse soit au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, soit au rapporteur général du Conseil de la concurrence. (...). La déclaration du représentant de l'entreprise ou de l'organisme est recueillie dans les délais les plus brefs par procès-verbal de déclaration par un enquêteur de la DGCCRF ou un rapporteur du Conseil de la concurrence. Un rapporteur du Conseil de la concurrence élabore des propositions d'exonération de sanctions et précise les conditions auxquelles le Conseil de la concurrence pourrait soumettre cette exonération dans son avis de clémence. (...) "
24. Le Communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français, applicable en l'espèce, a précisé comment le Conseil de la concurrence mettait en œuvre les dispositions précitées.
25. Il a notamment indiqué au point 9 que " Afin d'encourager les entreprises à coopérer avec les autorités de concurrence, dans le cadre défini au point 6, le Conseil de la concurrence accordera une exonération totale des sanctions pécuniaires encourues en cas de violation des articles L. 420-1 du Code de commerce et, le cas échéant, de l'article 81 du traité CE, à toute entreprise qui, la première, formule une demande de clémence et qui satisfait aux conditions énoncées aux III.1, A ou B, et IV ci-dessous ". Puis au point 10, qu'il " (...) accordera une exonération totale des sanctions pécuniaires à toute entreprise qui fournit, la première, aux autorités de concurrence françaises (Conseil de la concurrence ou DGCCRF) des informations et preuves de l'existence d'une entente prohibée sur un marché, lorsque ces autorités n'en disposaient pas antérieurement, et que, du point de vue du Conseil de la concurrence, ces informations et preuves lui permettent de procéder ou de faire procéder aux mesures d'enquête visées à l'article L. 450-4 du Code de commerce, sous réserve que les conditions énoncées ci-dessous soient satisfaites ".
26. Le même communiqué précise encore aux points 14, 15 et 16 que d'autres entreprises peuvent, après le dépôt d'une première demande de clémence, bénéficier, sous certaines conditions, d'une exonération partielle des sanctions pécuniaires et qu'elles doivent pour cela fournir au Conseil de la concurrence des éléments de preuve de l'infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve dont le Conseil ou l'administration dispose déjà. La notion de valeur ajoutée conduit à examiner la mesure dans laquelle les pièces apportées renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité du Conseil ou de l'administration d'établir l'infraction présumée.
27. Il se déduit de ces dispositions et précisions que le procès-verbal consignant une demande de clémence, puis l'avis de clémence délivré au bénéfice d'une partie à la procédure qui se déroulera ensuite, détermine à tout le moins le positionnement de cette partie dans l'ordre de celles qui peuvent ensuite accomplir la même démarche. Le procès-verbal de réception des pièces communiquées fait, par ailleurs, entrer l'Autorité en possession de celles-ci, qui permettront ensuite d'apprécier la valeur ajoutée d'autres pièces qui seraient déposées par des demandeurs de clémence ultérieurs.
28. En tant que tels, ces actes ont donc un impact sur la place des demandeurs de clémence ultérieurs dans l'ordre d'entrée dans cette procédure et, s'ils ne peuvent faire l'objet d'un recours immédiat, leur irrégularité procédurale doit pouvoir être contestée par ceux-ci, dans le cadre du recours formé contre la décision de sanction, dès lors qu'ils remplissent les conditions de qualité et d'intérêt à agir.
29. Il revient en conséquence à la cour d'examiner l'intérêt à agir des sociétés Brenntag contre le procès-verbal de réception de la demande de clémence de la société Solvadis France et contre l'avis de clémence délivré au bénéfice de cette société, qui est contesté.
30. Or en l'espèce, quel que soit le bien ou le mal-fondé des moyens développés par les sociétés Brenntag à l'encontre de la demande de clémence de la société Solvadis France, la cour observe que cette demande a été faite conjointement par la société Solvadis France et par la société Quaron, cessionnaire du fonds de commerce de la société Solvadis France, sans que soit présenté aucun moyen de contestation relatif à la démarche de clémence en ce qu'elle est formée par la société Quaron.
31. Ainsi, quand bien même la validité des actes relatifs à cette démarche serait-elle remise en cause concernant la société Solvadis France, ils demeureraient valables en ce qu'ils ont été présentés conjointement par la société Quaron et ni la position des sociétés demanderesses de clémence, ni la possession des pièces par l'Autorité n'en serait modifiée. En effet, le caractère de demandeur de clémence de second rang des sociétés Brenntag s'appréciant au regard de la connaissance qu'avait déjà l'Autorité des faits dénoncés, l'annulation de la demande de clémence de la société Solvadis ne changerait rien au fait que l'Autorité avait déjà été informée des pratiques par la demande de clémence et par les pièces produites par la société Quaron, lorsque les sociétés Brenntag ont présenté leur propre demande de clémence.
32. Il s'en déduit que les sociétés Brenntag dont la situation juridique demeurerait inchangée en cas d'annulation de la demande de clémence de la société Solvadis France, ainsi que de l'avis de clémence délivré au bénéfice de cette société, n'ont pas intérêt à agir contre ces actes et que leur demande d'annulation est en conséquence irrecevable.
5. Sur l'irrecevabilité des observations de l'Autorité de la concurrence du 12 janvier 2016 et du ministre du 13 janvier 2016 soutenue par les sociétés Brenntag
33. Rappelant les termes d'un arrêt rendu le 10 septembre 2015 (pourvoi n° 14-10.111) par la première Chambre civile de la Cour de cassation, les sociétés Brenntag opposent que l'Autorité de la concurrence, en tant que juridiction au sens de l'article 6 de la CEDH, ne doit pas intervenir devant la cour d'appel contrôlant sa décision. Invoquant l'application de la charte des droits fondamentaux de l'UE, elles font valoir que cette intervention, de même que celles du ministre chargé de l'Economie et du Ministère public, constituent une violation des principes commandant le procès équitable, en particulier celui de l'impartialité du juge chargé d'apprécier la décision rendue en toute impartialité.
34. Elles ajoutent qu'elles n'ont disposé que d'un mois pour répondre aux observations de l'Autorité et du ministre, alors que l'Autorité a disposé de deux ans et demi pour répondre à leurs propres observations déposées le 31 juillet 2013. Même s'il fallait retenir la date du 8 octobre 2015 fixée par la cour pour permettre aux sociétés Brenntag de compléter ou modifier le texte de leur recours à la suite de l'examen des QPC, elles font valoir que le ministre et l'Autorité ont bénéficié de plus de trois mois, alors qu'elles même n'ont bénéficié que d'un mois.
35. L'arrêt rendu le 10 septembre 2015 par la première Chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 14-10111) énonce que " l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions (...) " et casse en conséquence, au visa de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, un arrêt d'appel rendu sur un recours contre une décision du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, après que cette commission qui, prononçant une sanction disciplinaire " constitue une telle juridiction ", eût déposé des observations devant la cour d'appel.
36. Cependant, cet arrêt n'est pas transposable à la situation particulière de l'Autorité de la concurrence.
37. En effet, force est de constater que si cette Autorité, lorsqu'elle prononce des sanctions pécuniaires à l'encontre d'entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles, statue en " matière pénale " au sens de l'article 6 précité, avec les conséquences qui s'y attachent, et si, comme le Conseil des ventes volontaires, elle est partie à l'instance devant la cour d'appel, elle n'a toutefois pas la nature d'une juridiction, mais d'une autorité administrative, ainsi que le prévoit expressément l'article L. 461-1 du Code de commerce.
38. Par ailleurs, la cour rappelle qu'ainsi que l'a précisé la Cour de justice dans son arrêt du 7 décembre 2010 (Aff. Vebic, C-439/08 P, point 59) l'obligation incombant à une autorité de concurrence nationale d'assurer l'application effective des articles 101 et 102 TFUE exige que celle-ci dispose de la faculté de participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure devant une juridiction nationale dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a d'ailleurs à plusieurs reprises rappelé ce statut de l'Autorité (Cass. com., 17 janvier 2012, n° 11-13.067, Bull. IV, n° 7, et du 20 mars 2012, n° 11-16.128, Bull. IV, n° 58).
39. La cour relève au surplus que les observations écrites de l'Autorité ont été déposées dans des conditions pleinement contradictoires et conformes aux règles du procès équitable, les sociétés auteurs du recours ayant, en particulier, eu la possibilité d'y répliquer par écrit, puis oralement le jour de l'audience.
40. Concernant les délais dans lesquels les sociétés Brenntag ont pu répondre aux observations de l'Autorité et du ministre, la cour relève que, si ces sociétés ont déposé les moyens développés au soutien de leur recours le 30 juillet 2013, l'instruction du recours a été suspendue par le dépôt par ces sociétés de sept questions prioritaires de constitutionnalité, dont cinq ont été transmises à la Cour de cassation par arrêt du 27 novembre 2014 rendu par cette chambre de la cour d'appel. À la suite de l'arrêt rejetant la demande de transmission des QPC par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 mars 2015 (pourvoi n° 14-40.052), la mise en état du recours a été reprise. Par une ordonnance du 26 mai 2015, la déléguée du Premier Président a fixé le calendrier de procédure prévoyant que les sociétés Brenntag pourraient présenter un nouveau mémoire le 8 octobre 2015, que les sociétés Gaches Chimie et Solvadis présenteraient leurs mémoires le 12 novembre 2015, que l'Autorité et le ministre présenteraient leurs observations le 14 janvier 2016 et que tous mémoires en réplique seraient présentés le 11 février 2016.
41. Ce calendrier a été établi lors d'une audience de procédure, en présence des parties et sans que les sociétés Brenntag contestent la longueur du délai accordé à l'Autorité au regard du délai de réplique qui leur était proposé. Par ailleurs, la cour observe que les sociétés Brenntag n'ont pas saisi le délégué du Premier président d'une difficulté qu'elles auraient rencontrée pour déposer leurs conclusions en réplique, qui comptent 464 pages ainsi qu'une annexe spécifique de réponses aux seules observations de l'Autorité de la concurrence, ce qui démontre qu'elles ont disposé du temps nécessaire pour étudier et répondre aux 50 pages d'observations de l'Autorité et 25 pages d'observations du ministre de l'Economie, ces observations traitant tant des moyens des sociétés Brenntag que ceux des autres requérants, les sociétés DB Mobility Logistics AG et GEA Group. La cour rappelle encore que les sociétés Brenntag ont, de plus, pu déposer des conclusions additionnelles le 2 mai 2016 par lesquelles elles soutiennent l'irrecevabilité de l'intervention des sociétés Solvadis, répliquent à leurs conclusions déposées le 4 avril 2016, demandent le rejet de la demande de liquidation de l'astreinte et sollicitent le retrait de certains passages des écritures des sociétés Solvadis, mais aussi de celles de l'Autorité et du ministre chargé de l'Economie.
42. Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité des observations de l'Autorité de la concurrence du 12 janvier 2016 et du ministre du 13 janvier 2016 soutenue par les sociétés Brenntag doit être rejetée.
B - Sur les atteintes aux droits de la défense
1. Atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag du fait de la mise en cause personnelle de leur avocat par M. Prouteau mandaté par les sociétés Solvadis
43. Les sociétés Brenntag soutiennent qu'une atteinte irrémédiable à leur droit de la défense a résulté de la jonction à la notification de griefs et au rapport, transmis aux parties à la procédure et au collège de l'Autorité, de documents ou de procès-verbaux par lesquels M. Prouteau a énoncé des accusations outrageantes à l'égard de leur avocat, le mettant gravement en cause. Elles font valoir que ces documents ont été joints à la notification de griefs, puis au rapport des rapporteurs, sans que ces derniers émettent la moindre réserve et sans aucune considération pour un avis public du délégué du Bâtonnier, secrétaire des commissions de déontologie, indiquant qu'à la suite de la plainte ordinale engagée par M. Prouteau, aucun manquement n'avait été reproché à cet avocat, puis d'une lettre adressée, le 21 février 2013, par Mme le Bâtonnier de Paris au Président de l'Autorité de la concurrence, laquelle faisait valoir l'atteinte aux droits de la défense de la société Brenntag.
44. Elles font aussi valoir que contrairement à ce qu'a soutenu l'Autorité, certains des documents litigieux ont été utilisés par les services d'instruction pour établir les griefs, que certains documents couverts par le secret avocat-client n'ont pas été spontanément écartés et sont au contraire mentionnés dans des procès-verbaux de réception signés par les rapporteurs et que, contrairement encore à ce que soutient l'Autorité, les services d'instruction ne se sont pas abstenus de toute investigation sur le comportement des conseils de Solvadis et Brenntag puisque l'Autorité indique elle-même, au point 110 de ses observations, que " les éléments d'informations transmis dans ces pièces ont tous, sans exception, été vérifiés par les services d'instruction ".
45. Elles exposent que les propos calomnieux de M. Prouteau contre le conseil de la société Brenntag n'auraient pas dû être admis au dossier, ni être consignés sur procès-verbaux sans aucune réserve des rapporteurs, ni être diffusés. Elles estiment que les rapporteurs auraient dû, à tout le moins, émettre des réserves sur les déclarations en cause, d'autant qu'ils ne pouvaient ignorer que les faits allégués étaient faux. Elles précisent que les rapporteurs avaient, contrairement à ce que soutient l'Autorité, le pouvoir d'écarter les pièces en cause et qu'en tout état de cause, les actes calomnieux devaient être exclus du dossier, au plus tard par le collège qui pourtant les a cités dans sa décision.
46. Les requérantes indiquent encore que les documents en cause sont cités dans l'avis de clémence de la société Solvadis France ainsi que dans la décision à plusieurs reprises et que, dans ces conditions, la phase d'instruction toute entière, ainsi que la décision sont viciées par une atteinte irrémédiable aux droits de la défense. Elles ajoutent que le fait qu'elles aient maintenu leur confiance à leur avocat n'est pas de nature à remédier à cette atteinte.
47. En conséquence, les sociétés Brenntag demandent que soit prononcée à leur endroit la nullité, d'abord, des procès-verbaux de réception de documents signés du rapporteur, calomnieux à l'égard d'un auxiliaire de justice, établis lors du dépôt du dossier de clémence par la société Solvadis France, ainsi que de l'avis de clémence délivré à cette société, ensuite, des procès-verbaux consignant, sans contre-question ni réserve, des faits faux et calomnieux à l'égard de l'avocat d'une des parties en connaissance de leur fausseté, enfin, de la notification de griefs et du rapport ainsi que de la décision.
48. L'Autorité de la concurrence a rejeté dans sa décision les griefs relatifs à la communication des pièces et procès-verbaux mettant en cause personnellement l'avocat de la société Brenntag. Elle a retenu à ce sujet aux paragraphes 546 et suivants que : " (...) conformément aux dispositions du IV de l'article L. 464-4 du Code de commerce relatif à la procédure de clémence, un demandeur de clémence apporte des éléments d'information dont l'Autorité ne disposait pas antérieurement. Le communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français précise que [l]'entreprise transmet aux autorités de concurrence françaises les informations et preuves relatives à l'entente présumée nécessaires à l'examen de sa demande de clémence (point 27).
Les éléments matériels remis aux rapporteurs par le demandeur à la clémence dans le cadre de l'instruction de sa demande le sont sous son entière responsabilité. Le procès-verbal, rédigé conformément aux dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce, qui liste les documents remis et qui est signé par le rapporteur, atteste seulement du fait que l'entreprise détentrice des documents les a remis au rapporteur. Ce dernier ne dispose d'aucune compétence pour écarter telle ou telle pièce transmise par l'entreprise ou décider de leur nullité.
En l'espèce, les pièces remises comportent à la fois des informations intéressant directement la procédure pendante et d'autres indissociables concernant un avocat. Par ailleurs, les propos dénoncés n'ont jamais été utilisés dans le cadre de la procédure. Il apparaît dès lors que les rapporteurs ont suivi les règles de procédure s'imposant à eux. L'accusation formulée à cet égard constitue une simple allégation dépourvue de toute justification.
49. Dans ses observations, l'Autorité a exposé que ni les services d'instruction, ni elle-même ne sont habilités à écarter des pièces qu'une entreprise dépose, sous sa seule responsabilité, à l'appui de sa demande de clémence, dès lors qu'elles ne portent atteinte à aucun secret protégé. Elle précise qu'en l'espèce, nul ne conteste qu'aucun des 23 documents incriminés ne relève de la confidentialité protégée par la loi.
50. Par ailleurs, selon l'Autorité, l'impératif d'impartialité et d'objectivité auquel les rapporteurs sont tenus dans la conduite de leur instruction leur interdit de censurer les propos des personnes qu'ils entendent et qu'ils doivent consigner fidèlement par procès-verbal. Elle estime qu'il n'est pas concevable d'admettre que les rapporteurs auraient dû, sur la foi des seules allégations de l'une des parties, avant toute instruction et en dehors de tout secret légalement protégé, écarter des pièces du dossier versées par une partie adverse.
51. Elle ajoute que les services d'instruction n'ont procédé à aucune exploitation injustifiée des documents incriminés et que, pour fonder son constat d'infraction, la décision ne se réfère à aucun des propos incriminés sans rapport avec les pratiques sanctionnées. Enfin, elle fait observer qu'aucune atteinte au droit des sociétés Brenntag de se défendre en recourant au conseil de son choix ne peut être constatée, puisqu'elle a conservé sa confiance à son avocat et que, de plus, il est exact que dès le 10 décembre 2012, le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris a fait savoir que le conseil de la société Brenntag ne s'était vu reprocher " aucun manquement de quelque nature que ce soit " par les instances ordinales.
52. Le Ministère public reprend cette argumentation à son compte.
53. Le ministre chargé de l'Economie oppose au surplus que les arguments des sociétés Brenntag tendent en réalité à remettre en cause la valeur probante des éléments de preuve fournis par la société Solvadis.
54. Ainsi que le soutiennent les sociétés Brenntag, la garantie des droits de la défense implique que soit respecté le principe de la libre défense, qui commande de permettre à un avocat d'exercer en toute indépendance et sans pression les droits de la défense de son client.
55. Il s'en déduit que si au cours d'une procédure, sont exprimées des accusations contre l'avocat d'une partie, celles-ci doivent être recueillies de façon prudente et de manière à ce que soit assuré un juste équilibre entre les nécessités de la procédure et le respect dû à cet avocat tant en ce qui concerne sa personne qu'en ce qui concerne sa qualité de défenseur d'une partie.
56. Les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence sont investis du pouvoir de conduire les investigations qu'ils estiment nécessaires à l'instruction des dossiers qui leur est confiée et apprécient librement l'opportunité des mesures à mettre en œuvre. S'ils n'ont, dans ce cadre, et ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence dans la décision attaquée, pas le pouvoir d'annuler une pièce ou de la retirer du dossier, ils peuvent néanmoins émettre en toute objectivité un avis sur la validité des preuves qui leur sont soumises et doivent, dans le cadre de leur mission, assurer le respect des droits de la défense des parties, de même que celui de leur vie privée.
57. Les éléments dénoncés par M. Prouteau à l'égard du conseil de la société Brenntag se trouvent dans diverses notes écrites qui sont des retranscriptions de témoignages recueillis par lui, ou des notes de synthèses qu'il a personnellement établies. Ces documents mentionnent à plusieurs reprises, à l'encontre de l'avocat de la société Brenntag SA, aujourd'hui l'avocat des sociétés Brenntag, des accusations personnelles formulées de manière directe ou indirecte. Dans un mémoire du 27 juin 2008, M. Prouteau fait savoir qu'il est, avec d'autres personnes, pénalement poursuivi par cet avocat, révélant au passage un élément de sa vie privée, et indiquant que la société Solvadis France avait précédemment porté plainte contre lui devant le conseil de l'ordre pour des manquements à la déontologie (Cote 14045 saisine 07 0032 F), ce qu'il a répété dans le cadre d'une audition le 19 septembre 2008 (Cote14 71, saisine 07 0032 F) puis dans un mémoire adressé aux rapporteurs le 6 mai 2010 (Cote 33026 saisine 07 0032 F) et encore dans un mémoire du 7 avril 2011 (Cote 36085 saisine 07 0032 F) et un mémoire du 18 novembre 2011 (Cote 36988 saisine 07 0032 F). Il ne ressort pas de la notification de griefs ou du rapport que leur auteur aurait assorti ses dires d'éléments de preuve. Par ailleurs, deux procès-verbaux de remise de pièces, signés par l'un des rapporteurs, reprend dans l'intitulé de certaines d'entre elles, des termes des accusations formulées par le déposant.
58. Si, ainsi que le précise l'Autorité de la concurrence, ces déclarations et imputations n'ont pas été reprises dans la décision, celle-ci ainsi que la notification de griefs et le rapport mentionnent toutefois, à plusieurs reprises, les documents dans lesquels elles figurent parmi d'autres informations. La cour rappelle sur ce point qu'à la suite de la notification de griefs, les parties ont, en application de l'article L. 463-2 du Code de commerce, accès aux pièces de la procédure qu'elles peuvent consulter dans les services de l'Autorité, puis que le rapporteur doit joindre à son rapport la copie des documents sur lesquels il se fonde.
59. Le reproche des sociétés Brenntag de ne pas avoir d'emblée rejeté ces pièces n'est pas fondé. En effet, saisi d'une demande de clémence, le rapporteur général de l'Autorité ne peut, lors du dépôt, n'en contrôler que sommairement le contenu et il ne se trouve pas en mesure de rejeter tel ou tel élément avant que le rapporteur chargé du dossier puisse débuter un examen approfondi et des investigations. De même, il ne peut en soi être reproché au rapporteur du dossier, d'une part, d'avoir reçu des déclarations ou des pièces contenant des accusations contre une personne physique, quel que soit son titre, si celles-ci pouvaient être en lien avec les infractions, d'autre part, d'en avoir consigné la réception dans un procès-verbal et, enfin, s'agissant de pièces comportant des indications utiles à la manifestation de la vérité, de les avoir maintenues au dossier. Il en est de même de la reprise dans les procès-verbaux de remise de pièces des intitulés tels qu'ils ont été énoncés par le remettant. Mais il lui appartient néanmoins de veiller aussi à la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes, ainsi qu'il a été rappelé au paragraphe 55 ci-dessus.
60. Par ailleurs, le fait que les notes de synthèse et autres documents rédigés par M. Prouteau contiennent des accusations contre une personne précisément dénommée, qui est de surcroît l'avocat des sociétés Brenntag, ne rend pas l'intégralité de ces documents, qui comportent d'autres informations utiles pour l'enquête, illégale comme le soutiennent à tort ces sociétés. En effet, si ces documents n'auraient pas dû comporter des accusations graves dépourvues de preuve, ceci n'en altère la validité que pour cette partie individuelle, mais n'en affecte pas l'ensemble. De même, les documents de la procédure, avis de clémence et notification de griefs, qui se sont référés à ces pièces sans toutefois citer, ni même faire référence, aux passages portant atteinte à la réputation d'une personne ne sont pas, de ce fait, entachés de nullité.
61. Quant à la véracité desdites accusations, la cour relève que, s'agissant des manquements à la déontologie allégués, il n'est contesté ni par la société Solvadis France ni par l'Autorité de la concurrence que, dans un avis public du 10 décembre 2012, le délégué du Bâtonnier, secrétaire des commissions de déontologie, a fait état des procédures engagées par M. Prouteau en avril 2008 sur les chefs concernés par ses accusations et conclu que l'avocat en cause " (...) ne s'était vu reprocher aucun manquement de quelque nature que ce soit (...) ". Cet avis a été communiqué par les sociétés Brenntag dans leurs observations à la suite de la notification de griefs.
62. Il ne ressort pas davantage des éléments soumis à la cour que le dossier ait comporté des pièces confortant les autres allégations de M. Prouteau, auxquelles il ne pouvait donc être porté aucun crédit.
63. Enfin, les rapporteurs ont indiqué au paragraphe 330 de leur rapport qu'ils avaient décidé de ne pas " investiguer les pratiques des différents conseils des parties ".
64. Ainsi, au moment de l'établissement du rapport, les rapporteurs savaient qu'à la suite de plaintes de M. Prouteau, aucun manquement déontologique n'avait été reproché à l'avocat des sociétés Brenntag et ils avaient décidé de ne pas accomplir d'investigations sur les accusations proférées par lui.
65. Dans ces circonstances, les rapporteurs auraient dû, au stade du rapport, soit occulter les passages des pièces communiquées aux parties à la procédure, ainsi qu'aux membres du collège, en annexe audit rapport, mettant en cause personnellement l'avocat des sociétés Brenntag, soit se distancier des accusations proférées par M. Prouteau en précisant qu'aucun élément ne permettait de les accréditer.
66. En tout état de cause, la mention relative à la vie privée de cet avocat (cote 14046 saisine 07 0032 F et cote 36989 saisine 07 0032 F), ainsi que la mention insultante figurant à la cote 89 saisine 07 0032 F, complétée par la pièce cote 90 saisine 07 0032 F et celle figurant dans le dernier paragraphe de la cote 14083 saisine 07 0032 F auraient dû être occultées, dès l'ouverture de l'accès aux pièces à la suite de la notification de griefs. De même, auraient dû être écartées du dossier, les cotes 48 et 109 saisine 06/0064 AC, les cotes 10854 à 10856 saisine 07 0032 F, qui sont des copies de correspondances entre un avocat et son client, que même ce dernier ne peut divulguer (Cass. civ. 1re, 14 janvier 2010, pourvoi n° 08-21.854, Bull. 2010, I, n°4).
67. Le fait que le caractère calomnieux et/ou insultant de pièces ne soit pas visé dans les dispositions relatives au secret des affaires, qui permettent au rapporteur général de décider d'extraire du dossier des pièces ou de n'y faire figurer qu'une version non confidentielle, n'empêchait nullement ces occultations tout en permettant de maintenir au dossier ces documents comportant d'autres informations nécessaires à la suite de la procédure. Il importe peu que ces déclarations et mises en cause n'aient pas été reprises dans la décision.
68. De surcroît, en dépit de leur décision de ne pas effectuer d'investigations sur ce point, les rapporteurs ont précisé au paragraphe 330 du rapport que les pratiques reprochées " aux avocats " mis en cause, " (...) apparaiss[ai]ent comme étant le seul moyen de faire la lumière sur certains des agissements dénoncés ", reprenant donc à leur compte, certaines accusations de M. Prouteau, qui pourtant, ainsi qu'il a été dit précédemment, n'étaient étayées par rien.
69. En conséquence de l'ensemble de ce qui précède, le maintien des pièces précédemment analysées, sans occultation des éléments mettant en cause personnellement le conseil des sociétés Brenntag, ou sans distanciation expresse des rapporteurs, maintien auquel s'est ajouté la phrase reprise ci-dessus donnant un certain crédit aux accusations de M. Prouteau, a vicié la procédure en laissant se développer, jusque devant le collège, le soupçon que ces sociétés étaient défendues par un conseil dont on pouvait pour le moins douter.
70. De ce fait, la défense des sociétés Brenntag a été nécessairement décrédibilisée, tant dans ses développements écrits qu'oraux, ce qui ne pouvait qu'altérer et fausser la présentation de cette défense à la suite du rapport et, de surcroît, déstabiliser l'avocat des sociétés Brenntag lorsqu'il s'est présenté devant le collège. En effet, à supposer même que le collège n'ait pas ajouté foi aux accusations portées contre l'avocat des sociétés Brenntag, ce que tend à démontrer l'absence de toute référence dans la décision attaquée, il n'en reste pas moins que celui-ci n'a pu qu'être déstabilisé lorsqu'il s'est présenté devant la formation de jugement de l'Autorité, eu égard à la crainte légitime qu'il n'en soit pas ainsi.
71. Contrairement à ce que soutient l'Autorité, la confiance maintenue par les sociétés Brenntag à leur avocat tout au long de la procédure ne permet pas de considérer que la mise en cause de celui-ci aurait été dépourvue de conséquence. En effet, le libre exercice des droits de la défense implique le droit des parties de garder pour défenseur l'avocat qu'ils ont choisi, sans que celui-ci soit déstabilisé par des accusations renouvelées, non étayées et pourtant maintenues au dossier, alors même que plusieurs éléments contredisant ces allégations étaient apportés.
72. Il s'ensuit que les droits de la défense des sociétés Brenntag n'ont pas été respectés, que le rapport, par lequel l'atteinte aux droits de la défense a été constituée, doit être annulé, de même que la décision attaquée en ce qu'elle a sanctionné ces sociétés.
Sur la portée de cette annulation
73. Les sociétés Brenntag demandent, outre l'annulation de la décision et du rapport en ce qui les concerne, celle de l'auto-saisine du 5 avril 2007, de l'avis de clémence de la société Solvadis France du 7 février 2007 et de la notification de griefs.
74. Toutefois, ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 58, si les pièces qui mettent en cause leur conseil ont été, pour les raisons exposées ci-dessus, de nature à avoir, ainsi qu'il a été précédemment retenu, faussé la défense des sociétés Brenntag, les mises en cause personnelles relevées n'ont été ni citées par les actes de la procédure, ni utilisées par les rapporteurs pour fonder les griefs notifiés. En conséquence elles n'ont pas, par leur présence dans le dossier, vicié l'instruction en ce qu'elle a porté sur les agissements des parties et il n'y a, en conséquence, pas lieu d'annuler la demande de clémence de la société Solvadis, l'avis de clémence qui lui a été accordé, la saisine d'office et la notification de griefs.
75. Par ailleurs, les sociétés Brenntag opposent qu'en application du principe dispositif, résultant de l'article 4 du Code de procédure civile, les moyens d'irrecevabilité et ou de nullité invoqués par une partie ne peuvent profiter aux autres parties au procès. Elles observent que s'il est arrivé que la Cour de justice fasse profiter une société mère d'une réfaction de l'amende accordée à sa filiale, elle n'en a pas fait un principe et a laissé aux autorités de sanction la faculté de le faire (CJUE, 22 janvier 2013, Commission/Tomkins, C-286/11 P). Elles exposent que la société DB Mobility Logistics a engagé un recours contre la décision en soutenant des moyens propres, la cour étant liée par les dispositifs des écritures de chacune des parties sans que la jonction de l'ensemble des recours puisse avoir une influence sur ce point. Elles font valoir que la société DB Mobility Logistics ne les ayant pas soutenues dans l'invocation d'un certain nombre de moyens de défense, dont ceux relatifs à l'atteinte portée à leurs droits de la défense, elle ne saurait profiter, au-delà de la réduction de 25 % consentie par la décision attaquée, des réductions d'amende qui pourraient lui être accordées.
76. Il ressort cependant de la décision attaquée (paragraphes 840 et s.) que la société DB Mobility Logistics s'est vu imputer les pratiques de la société Brenntag SA en qualité de société mère exerçant une influence déterminante sur sa filiale dont elle détenait au moment des pratiques, 100 % des actions. Pour ce motif, l'Autorité, après avoir écarté les moyens de défense de la société DB Mobility Logistics tendant à contester leur influence déterminante, a décidé de " (...) retenir la responsabilité solidaire et conjointe de la société DB Mobility Logistics pour le paiement de la sanction imposée à Brenntag SA du 1er janvier à février 2004 " (paragraphe 853), de même que s'agissant de sanction relative au second grief (paragraphe 873).
77. Au paragraphe 1065, la décision attaquée a calculé la sanction prononcée à l'encontre de la société DB Mobility Logistics en appliquant un pourcentage représentatif de la durée des pratiques pendant laquelle celle-ci a exercé une influence déterminante sur la société Brenntag SA et en tirant les conséquence du fait que la société mère ne pouvait bénéficier de la réduction de 25 % accordée à la société Brenntag SA au titre de la clémence. Elle en a déduit au paragraphe 1071 que, solidairement tenue de la sanction prononcée à l'encontre de la société Brenntag, la société DB Mobility Logistics devait supporter à sa charge une sanction de 5 311 422 euros. La même analyse a été appliquée aux paragraphes 1129 et suivants de la décision, s'agissant du second grief.
78. Ainsi les sanctions prononcées à l'encontre de la société DB Mobility Logistics sont intégralement liées à sa qualité de société mère de la société Brenntag et ont pour assiette les sanctions prononcées à l'encontre de celle-ci. Il s'en déduit que l'annulation de la décision de sanction à l'égard de la société Brenntag SA s'étend par voie de conséquence à la société DB Mobility Logistics, qui demande l'annulation de la décision en ce qu'elle a prononcé ces sanctions à son encontre. L'annulation du rapport n'étant, quant à elle, pas limitée aux sociétés Brenntag peut donc tout autant être invoquée par la société DB Mobility Logistics.
79. Par ailleurs, en application des articles 561 et 562 du Code de procédure civile, la cour d'appel, lorsqu'elle annule une décision, ou une partie de décision, est tenue, en vertu de l'effet dévolutif, de statuer à nouveau sur les griefs notifiés. Tel ne pourrait cependant être le cas si l'atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag avait été irrémédiable ainsi qu'elles le soutiennent.
80. Sur ce point, la cour relève que l'atteinte caractérisée en l'espèce consiste dans le fait que la défense des sociétés Brenntag n'a pas pu s'exercer librement devant l'Autorité du fait du maintien dans le dossier communiqué aux parties, au ministre de l'Economie et au collège, d'accusations graves et infondées, énoncées par le représentant d'une des parties, sans que les rapporteurs se démarquent de ces accusations auxquelles ils ont manifesté qu'ils leur accordaient un certain crédit. Si ce vice de procédure a pu s'étendre à la procédure de recours dans la mesure où les pièces en cause, ainsi que le rapport, ont été communiqués à la cour dans le même état que devant l'Autorité, il n'en demeure pas moins que les motifs qui précèdent démontrent que la cour non seulement n'accorde aucun crédit aux accusations proférées dans les pièces en cause, mais aussi rétablit la réalité des faits en constatant, d'une part, qu'elles n'étaient étayées d'aucune preuve, d'autre part, que l'avocat concerné a été expressément réhabilité par le délégué du Bâtonnier de Paris dans un avis public du 10 décembre 2012 précisant qu'il ne s'est vu reprocher aucun manquement de quelque nature que ce soit à la suite de dénonciations diligentées contre lui par M. Prouteau.
81. Il s'ensuit qu'à la suite du présent arrêt, la défense des sociétés Brenntag peut se développer sans contrainte et sans être faussée devant la cour, dans le cadre d'un nouveau débat contradictoire, permis par la réouverture des débats ordonnée selon les modalités prévues au dispositif, afin de leur permettre de présenter à nouveau leurs moyens de défense, ainsi que les moyens qu'elles estimeront devoir tirer de l'annulation de la décision en ce qui les concerne.
82. Il n'y a pas lieu, en conséquence, de répondre aux autres moyens présentés par les sociétés Brenntag, ni à ceux développés par la société DB Mobility Logistics ;
II- Sur les demandes de la société GEA Group
83. Au paragraphe 1028 de la décision attaquée, l'Autorité de la concurrence a indiqué que la société GEA sollicitait l'extension à son bénéfice de l'exonération totale et de la réduction de sanction accordée à son ancienne filiale, la société Solvadis France, en application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce. Elle a rejeté cette demande en rappelant que " (...) selon une pratique décisionnelle constante de la Commission européenne, l'ancienne société mère d'une filiale contrôlée à 100 % au moment des pratiques en cause ne peut bénéficier de la réduction d'amende accordée à son ancienne filiale au titre de la clémence. La Commission considère en effet que seule l'unité économique ayant déposé une demande de clémence et transmis les preuves décisives peut en bénéficier, à savoir la filiale et la société mère qui la détient au moment de cette demande. En revanche, l'ancienne société mère, qui ne forme plus une unité économique avec son ancienne filiale lorsque cette dernière dépose sa demande de clémence, et qui n'a pas elle-même introduit une telle demande, ne peut bénéficier d'aucune immunité totale ou de réduction d'amende à ce titre (voir, à cet égard, la décision du 19 janvier 2005, relative à une procédure d'application de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/E-1/37.773 - AMCA, confirmée sur cette question par l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161/05, Rec. p. II-3555, points 74 et suivants ; la décision du 30 juin 2010, relative à une procédure d'application de l'article 101 TFUE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/38.344 - Acier de précontrainte, et la décision du 19 mai 2010 relative à une procédure d'application de l'article 101 TFUE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/38.511 - DRAM) (...) ".
84. La société GEA conteste cette analyse. Elle fait valoir à ce titre que l'Autorité n'est pas liée par les principes énoncés en droit de l'Union sur la question du bénéfice pour une société mère d'une demande de clémence faite par son ancienne filiale, les programmes de clémence relevant du principe d'autonomie procédurale et fixant un cadre de procédure propre pour l'application du droit de la concurrence au sein de chaque État membre. Elle précise que l'office de l'Autorité n'est pas d'assurer la cohérence entre les règles de fond posées au niveau de l'Union et les règles de procédure française, qu'elle n'a pas non plus à assurer la mise en œuvre cohérente des politiques de clémence au sein du réseau européen de concurrence (REC) et que d'ailleurs, elle a déjà, à plusieurs reprises, adopté des principes de procédure différents de ceux de l'Union.
85. La cour rappelle sur ce point que si la mise en œuvre du droit de l'Union respecte le principe d'autonomie procédurale, il ne peut être considéré que l'Autorité de la concurrence commettrait une erreur de droit en décidant que, s'agissant d'un point de procédure qui n'a pas été fixé par la loi ou les règlements, il convient, dans un objectif de cohérence, d'adopter un principe de procédure défini par le droit de l'Union européenne. En effet, quand bien même l'Autorité de la concurrence ne serait-elle pas dans l'obligation d'adopter un tel principe, l'application cohérente du droit de l'Union constitue un objectif propre à légitimement fonder la décision qu'elle a prise d'appliquer le principe selon lequel la société mère d'une filiale, qui ne l'est plus au moment où cette filiale dépose une demande de clémence, ne peut bénéficier de la clémence accordée à cette filiale. Il s'en déduit que ce moyen doit être rejeté.
86. Par ailleurs, la société GEA oppose que, même en faisant application de la notion d'entreprise telle que retenue en droit de la concurrence de l'Union, l'Autorité de la concurrence aurait dû décider qu'elle devait bénéficier de la demande de clémence de son ancienne filiale. Elle fait valoir sur ce point que les pratiques d'une filiale ne peuvent être imputées à sa société mère que lorsqu'ensemble elles faisaient partie de la même entreprise au moment de la mise en œuvre du comportement et qu'il convient d'adopter sur la question de la clémence un " raisonnement miroir " selon lequel l'entreprise à laquelle on impute les pratiques doit également être celle qui bénéficie d'une demande de clémence déposée en relation avec ces pratiques. Elle estime que l'application du principe selon lequel une société mère qui a cédé sa participation dans une filiale ayant ensuite déposé une demande de clémence, ne peut pas bénéficier de la clémence accordée à sa filiale, institue une discrimination entre les anciennes et nouvelles sociétés mères.
87. Ce moyen n'est pas fondé. La discrimination qui consiste à appliquer à deux sujets de droits un traitement différent alors qu'ils se trouvent dans une situation objectivement semblable, n'est pas constituée s'agissant de l'application des principes rappelés ci-dessus aux sociétés mères successives d'une filiale.
88. En effet, la société mère exerçant une influence déterminante sur sa filiale qui commet une pratique anticoncurrentielle, participe, du fait de son influence déterminante sur celle-ci, à la pratique mise en œuvre. La situation est identique en matière de demande de clémence, dès lors que c'est bien la société mère au moment de la demande de clémence qui, du fait de son influence déterminante, peut bénéficier de l'avantage offert par cette procédure. Il est sans effet que cette société puisse ne pas être la même si, entre temps, la société mère a cédé sa participation.
89. En outre, en opportunité, il convient de rappeler que la procédure de clémence est instituée afin de faciliter pour les autorités de concurrence la connaissance et l'appréhension de pratiques anticoncurrentielles. Il est, dans cet objectif, légitime que soit bénéficiaire de ce dispositif l'entreprise qui accomplit la démarche et non celle qui aurait pu la décider, mais s'en est abstenue. Le fait que certaines sociétés mères seraient trop éloignées de leurs filiales ou n'auraient pas la possibilité d'avoir connaissance des pratiques incriminées relève sur ce point de leur propre responsabilité organisationnelle et n'a pas à être pris en compte.
90. Il s'ensuit que la société GEA n'a pas fait l'objet d'un traitement discriminatoire et qu'il convient de rejeter le moyen développé sur ce point.
91. La société GEA soutient encore que l'amende prononcée par l'Autorité de la concurrence à son encontre doit être réduite par application des principes régissant la solidarité. Elle expose sur ce point que les règles de solidarité du Code civil devaient nécessairement être appliquées par l'Autorité de la concurrence. Selon elle, puisque l'article L. 464-4 du Code de commerce précise que les sanctions prononcées par cette autorité sont " recouvrées comme des créances de l'État ", la sanction est une créance au sens où l'entend le Code civil et, en conséquence, le régime général des obligations du titre III de son livre III s'applique à une telle sanction. Elle précise que le juge administratif applique régulièrement les articles du Code civil sur les créances des personnes publiques.
92. Or, selon elle, le Tribunal de l'Union a rappelé en 2013 que la solidarité entre sociétés pour le paiement des amendes dues en raison d'une infraction à l'article 101 du TFUE est un effet juridique qui découle de plein droit des dispositions matérielles de cet article (TUE, 16 septembre 2013, Aff. T-373/10, Villeroy & Boch e.a./Commission, point 328). Elle indique que " l'interprétation des dispositions du droit de la concurrence est contrainte pour les juridictions nationales des États membres " (CJUE, 4 juin 2009, Aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands e.a.) et que la jurisprudence de l'Union considère que la sanction infligée solidairement est une infraction " unique " (CJUE, 2 octobre 2003, Aff. C-196/99 P, Aristrain/Commission). Dès lors, l'Autorité ayant accordé une exemption de sanction aux sociétés du groupe Solvadis, qui est une exemption simplement, et non purement, personnelle en application de l'article 1208 du Code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, elle aurait dû automatiquement bénéficier à la société GEA, laquelle aurait dû se voir infliger une sanction de zéro euro.
93. L'Autorité de la concurrence soutient que la requérante n'est pas fondée, afin de contester la légalité de la décision, à invoquer les dispositions du Code civil, celles-ci étant inapplicables étant donné que le régime de la solidarité entre sociétés pour le paiement des amendes relève du droit matériel de la concurrence de l'Union.
94. L'Autorité a considéré, au paragraphe 1078 de la décision attaquée, que la société GEA devait, en sa qualité de société mère à 100 % de la société Solvadis France, être tenue pour responsable solidairement et conjointement de la sanction imposée à celle-ci. Cette solidarité, même si elle correspond à une infraction unique et quand bien même les dispositions du Code civil invoquées trouveraient-elles à s'appliquer s'agissant d'une infraction aux dispositions de l'article 101 TFUE, ne pourrait conduire à ce que l'exonération accordée au demandeur de clémence bénéficie à sa société mère non demanderesse. En effet, l'exonération de sanction dont bénéficie la filiale au titre de la clémence procède de l'apport individuel et personnel de cette société à l'information de l'Autorité de la concurrence et à l'établissement des pratiques. En conséquence, cette exonération, qui constitue une contrepartie à un apport personnel de la société Solvadis France, auquel la société GEA est totalement étrangère, devrait s'interpréter comme une exception purement, et non simplement, personnelle, laquelle ne pourrait donc s'étendre à la société GEA.
95. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient cette requérante, le mode de calcul de la sanction qui, après fixation de la sanction encourue par la société Solvadis France au regard de l'ensemble des éléments pertinents de la cause, a abouti, d'une part, à l'exonération de cette société au titre de la clémence, d'autre part, à la fixation de la sanction infligée à la société GEA, compte tenu de sa non-contestation des griefs, montre que l'exonération est liée au mécanisme de clémence dont le bénéfice est purement personnel à la société Solvadis France. La clémence ne pourrait donc être invoquée à son bénéfice par la société GEA.
96. Le moyen développé par la société GEA à ce sujet doit en conséquence être rejeté.
97. La société GEA soutient, enfin, que l'exemption d'amende doit s'analyser comme une remise de solidarité au sens de l'article 1210 du Code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et qu'elle aurait dû lui bénéficier. Elle fait valoir à ce titre que l'exemption de sanction accordée aux entreprises dévoilant leur participation à des pratiques anticoncurrentielles a pour nécessaire corollaire une remise de solidarité car, si cette remise n'était pas accordée aux entreprises coopérant avec l'Autorité, elles resteraient tenues au paiement solidaire de la quote-part de leurs codébiteurs.
98. La cour renvoie sur ce point au motif qu'elle a déjà énoncé au paragraphe 94. Il résulte, par ailleurs et à titre surabondant, de la nature punitive de la procédure dans laquelle s'inscrit le mécanisme de la clémence, ainsi que de l'objectif assigné à cette procédure d'inciter à la dénonciation des pratiques d'ententes anticoncurrentielles en accordant une situation privilégiée à l'entreprise qui procède à cette dénonciation, que l'exemption de sanction accordée à l'entreprise demanderesse de clémence ne saurait s'analyser comme une division de la dette au sens de l'article 1210 du Code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. En conséquence, le moyen développé par la société GEA à ce sujet doit être rejeté et il n'y a pas lieu pour la cour d'appel statuant dans le cadre des recours formés contre la décision de sanction prononcées par l'Autorité de la concurrence, de rechercher quelles sont les quote-parts de la sanction qui doivent être mises à la charge des sociétés sanctionnées solidairement.
99. Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que le recours de la société GEA Group doit être rejeté dans son ensemble.
III - Sur la demande de la société Gaches Chimie tendant à la constatation de son rôle dans la révélation des ententes
100. La société Gaches Chimie demande à la cour de constater qu'elle est à l'origine de la révélation des ententes anticoncurrentielles et de le mentionner dans son arrêt. Elle expose à ce titre qu'aucune des sociétés qui ont déposé une demande de clémence n'avait l'intention de le faire et que c'est grâce aux différentes pressions et menaces qu'elle a exercées que ces démarches ont finalement été mise en œuvre.
101. Cependant l'Autorité n'est pas tenue de constater les circonstances dans lesquelles les demandes de clémence ont été déposées, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, elles n'ont pas d'incidence sur la procédure, la qualification des pratiques ou l'évaluation des sanctions. En conséquence, quand bien même serait-il exact que la société Gaches Chimie aurait joué un rôle décisif dans le déroulement de la présente procédure, ce fait ne saurait être ajouté au dispositif de la décision.
102. La cour relève au surplus que la qualité de la société Gaches Chimie de concurrente ou de cliente des sociétés en cause dans la décision attaquée résulte d'éléments objectifs et que le fait que cette décision ne la mentionne pas en tant que telle ne saurait porter atteinte aux droits à réparation qu'elle invoque.
103. Il se déduit de ce qui précède que la demande de la société Gaches Chimie, doit être rejetée.
IV - Sur la demande des sociétés Brenntag tendant à la suppression de certains passages des observations et conclusions produites devant la cour
104. Les sociétés Brenntag ont demandé par des conclusions additionnelles du 2 mai 2016 que la cour ordonne, en application de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, la " cancellation " de plusieurs passages des écritures et observations de l'Autorité de la concurrence, du ministre de l'Économie et des sociétés Solvadis Holding et Solvadis GmbH. Elles exposent que ces passages ont trait à la violation irrémédiable des droits de la défense dont elles ont été victimes et invoquent, notamment, l'article 19 du Code de procédure civile, fondant le principe de la liberté de choix de son défenseur, ainsi que le principe de la libre défense.
105. La cour rappelle qu'il résulte de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse que les écrits produits devant les tribunaux ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, mais que les juges saisis de la cause pourront néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants et diffamatoires. Elle rappelle aussi que constitue une diffamation toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur où à la considération de la personne visée, même si cette expression est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation.
106. Elle relève que, si la personne visée par les passages en cause n'est aucune des sociétés requérantes, mais leur avocat, les demandes visent à faire retirer des conclusions et observations des passages qui, selon les sociétés Brenntag, seraient de nature à réitérer devant la cour la pression qui peut résulter sur leur défenseur de sa mise en cause personnelle. Elle relève aussi que, si les conclusions visées ne sont pas les conclusions récapitulatives de la société Solvadis Holding, déposées le 1er juin 2016, lesquelles ne comportent plus le paragraphe incriminé, il n'en demeure pas moins que les conclusions du 4 avril 2016 demeurent dans le dossier.
1. Sur le passage visé par les sociétés Brenntag des conclusions des sociétés Solvadis du 4 avril 2016
107. Ainsi que le soutiennent les sociétés Brenntag, les conclusions déposées devant la cour d'appel par les sociétés Solvadis le 4 avril 2016, comportent en page 40, sous le titre " I.3 (...) ", un développement qui met en cause leur avocat.
108. Ce développement, qui met en cause la personne de l'avocat des sociétés Brenntag contient l'imputation selon laquelle il aurait pu participer aux pratiques, ce qui constitue bien un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération. Dès lors, ce développement constitue une diffamation qui doit conduire la cour à prononcer la suppression de ce passage des conclusions visées, qui commence au titre précité et s'achève par la phrase " Cette stratégie de défense, dont on comprend mal l'objectif (...) Des règles du droit de la défense ".
2. Sur le passage visé par les sociétés Brenntag des observations de l'Autorité de la concurrence
109. Les sociétés Brenntag visent, en premier lieu, le paragraphe 74 des observations de l'Autorité de la concurrence. Elles soutiennent que ce développement, qui expose le moyen par lequel elles critiquaient la réception par les services d'instruction de documents remis par la société Solvadis à l'appui de sa demande de clémence, documents contenant des allégations mettant en cause leur avocat, est rédigé dans des termes qui ne respectent pas ce qu'elles avaient réellement soutenu et que, de plus, ces termes insinuent à l'encontre du conseil concerné des faits qui porteraient atteinte à son honneur et à sa considération.
110. Il résulte toutefois de la lecture de ce paragraphe que l'Autorité ne reprend pas à son compte les imputations contenues dans les allégations en cause et a tenté de mentionner celles-ci sans les citer. Il ne résulte pas non plus de ce paragraphe que l'Autorité aurait porté du crédit à ces allégations. Dans ces conditions, ce paragraphe ne peut être considéré comme étant diffamatoire.
111. Il en est de même de la phrase selon laquelle les allégations concerneraient " L'un des avocats que cette entreprise désignera plus tard ". Quand bien même serait-il inexact d'indiquer que les sociétés Brenntag auraient désigné leur avocat après le dépôt des demandes de clémence, cette erreur ne peut être analysée comme la reprise à son compte par l'Autorité d'une argumentation diffamatoire émanant de la société Solvadis.
112. En deuxième lieu, les sociétés Brenntag exposent que le paragraphe 142 des observations de l'Autorité détaille les formulations " injustifiées et injustifiables " qu'elles reprochent aux rapporteurs d'avoir retenues. Elles considèrent comme diffamatoire le fait que ces observations précisent qu'elles-mêmes contestent l'évocation, sans appréciation critique ou commentaire, de " procédures ordinales et pénales à l'encontre d'avocats ", alors que ces procédures n'entretiennent aucun lien avec les infractions administratives et que l'Autorité n'a pas à reproduire dans ses écritures les diffamations et outrages commis par ses services.
113. Toutefois, la cour observe que le passage reproché est inscrit en italiques, ce qui signale que l'Autorité cite ces termes comme n'étant pas les siens. Le seul rappel, dans ces observations, des termes des reproches formulés par une partie contre une autre, n'apparaît pas comme une reprise à son compte par l'Autorité de l'accusation, ni même une prise de position à cet égard, et n'apparaît nullement comme l'imputation à une personne d'un fait précis contraire à son honneur et à sa considération.
114. Enfin, les sociétés Brenntag soutiennent qu'il n'est pas admissible que l'Autorité de la concurrence continue à affirmer que " Les services d'instruction s'étaient abstenus de toutes investigations sur le comportement des conseils de Solvadis et de Brenntag ", laissant ainsi soupçonner que, si les services d'instruction avaient " investigué " le " comportement " du conseil de la société Brenntag, leurs positions, puis celles du collège, eussent été différentes à son encontre.
115. Cependant, le passage concerné ne fait que reprendre les réponses du rapport aux observations des sociétés Deutsche Bahn et DB Mobility Logistics. Il n'apparaît pas, en l'état et tel que mentionné hors du contexte du rapport, pouvoir être interprété dans le sens prêté par les sociétés Brenntag, ni comme imputant, même de façon suggérée, un fait précis qui serait contraire à l'honneur et à la considération de leur défenseur.
3. Sur le passage visé par les sociétés Brenntag des observations du ministre de l'Économie
116. Le paragraphe des observations du ministre de l'Economie visé par les sociétés Brenntag reprend la phrase citée ci-dessus (§ 114). De la même façon que pour l'Autorité de la concurrence, cette phrase énoncée hors de son contexte ne peut être considérée comme imputant, même de façon suggérée, un fait précis qui serait contraire à l'honneur et à la réputation du défenseur des sociétés Brenntag.
117. Il s'ensuit que les demandes de suppression de passages des observations de l'Autorité de la concurrence et du ministre de l'Economie, présentées par les sociétés Brenntag doivent être rejetées.
V - Sur la demande de liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre des sociétés Brenntag
118. Par un arrêt du 22 octobre 2015, la cour d'appel statuant avant-dire droit a déclaré recevable l'intervention volontaire au présent recours de la société Gaches Chimie et ordonné à la société Brenntag de lui communiquer, sur le support d'un ou, si cela était nécessaire, plusieurs CD Roms, les pièces jointes à son recours, à l'exception de :
- La déclaration de clémence et les pièces qu'elle a pu déposer à l'Autorité de la concurrence dans ce cadre ;
- Les 23 pièces contenant des propos qu'elles estiment outrageants à l'égard de leur avocat et qui sont réunies dans la pièce 17 qu'elle a communiquée à la cour.
119. Elle a précisé " (...) en tant que de besoin que les pièces qui doivent être communiquées sont : - la notification de griefs et les pièces y annexées, sauf celles qui concerneraient les déclarations de clémence et les pièces produites dans ce cadre, ainsi que les pièces qui ont été réunies dans la pièce 17 communiquée à la cour ; - le rapport et les pièces y annexées sauf celles qui concerneraient les déclarations et les pièces produites dans ce cadre, ainsi que les pièces qui ont été réunies ; clémence - le CD Rom n° 3 remis par l'ADLC aux parties le 5 février 2013, comprenant l'ensemble des observations responsives des parties et du commissaire du Gouvernement (...) "
120. Par un arrêt en interprétation du 12 janvier 2016, la cour a indiqué que cette dernière précision signifie que, s'agissant du CD rom n° 3, remis aux parties par l'Autorité de la concurrence, les sociétés Brenntag n'avaient pas à communiquer les parties de leurs observations déposées à la suite de la notification de griefs et du rapport, ainsi que les parties se référant aux pièces réunies sous la pièce n° 17 communiquée à la cour.
121. La société Gaches Chimie soutient que la société Brenntag ne lui a pas communiqué les pièces suivantes : Concernant le CD Rom n° 3 : - la version non confidentielle du mémoire en réponse de la société Univar du 15 janvier 2013 (annexe 17) ; - la demande de protection de la société Brenntag du 28 janvier 2013, incluant la version non-confidentielle de son mémoire (annexe 21) ; - la transmission du Code de bonne conduite de la société Solvadis du 4 janvier 2013 (annexe 10).- la demande de protection de la société Univar du 28 janvier 2013, version non confidentielle (annexe 19) ; - la décision n° 13-DSA-44 Univar (annexe 25). Concernant le CD Rom n° 2 : - les observations de la société Brenntag du 3 septembre 2012 à la suite de la notification de griefs (annexe 98).
122. Elle précise que, le 19 janvier 2016, la société Brenntag lui a communiqué les annexes 10 et 17, ainsi que des versions totalement inexploitables des annexes 21 et 98, à savoir ses observations à la notification de griefs et au rapport. Elle ajoute à ce sujet que certains intitulés de parties supprimées lui laissent clairement penser que ces parties ont été occultées pour d'autres motifs que le fait qu'ils comportaient les éléments se référant aux pièces réunies sous la pièce n° 17 communiquée à la cour ou aux demandes de clémence.
123. La société Gaches Chimie demande en conséquence à la cour de liquider l'astreinte prononcée par son arrêt du 22 octobre 2015 à concurrence de 1 000 euros par jour de retard à compter du 2 novembre 2015 et jusqu'au jour de la communication intégrale des documents demandés ou à défaut jusqu'au jour de son arrêt.
124. Les sociétés Brenntag demandent à la cour de rejeter la demande en soutenant qu'elles ont, dès le 19 janvier 2016, soit dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt interprétatif de la cour, adressé les pièces qui n'avaient pas été communiquées et que la seule pièce qui n'a pas été adressée à la société Gaches Chimie est la décision du rapporteur général accordant à la société Univar le bénéfice de la protection du secret des affaires (annexe 25), laquelle ne présente aucun intérêt pour la défense des droits qu'elle allègue.
125. Il ressort des explications des parties qu'en définitive, toutes les pièces manquantes ont été communiquées, à l'exception des annexes 19 et 25, mais que, selon la société Gaches Chimie, les observations des sociétés Brenntag à la notification de griefs et au rapport (annexes 21 et 98) sont inexploitables et que certaines parties qui ont été occultées ne correspondent probablement pas aux passages dont la cour avait autorisé la suppression. Cependant la société Gaches Chimie ne produit pas les pièces en cause, ce qui ne permet pas à la cour de vérifier ses affirmations. De plus, les deux passages occultés qu'elle cite comme ayant été illégitimement occultées (Partie C, intitulée " Inéligibilité de Solvadis France à raison de la révélation de sa démarche à des tiers " et Partie D, intitulée " À tout le moins le bénéfice de l'immunité ne saurait échoir à Solvadis France " ) sont indiscutablement en lien avec les demandes de clémence et c'est à juste titre que les sociétés Brenntag les ont rendues illisibles. Il convient en conséquence de considérer à ce sujet que ces sociétés n'ont pas fait défaut à l'injonction.
126. Par ailleurs, les deux pièces manquantes [Demande de protection de la société Univar du 28 janvier 2013, version non confidentielle (annexe 19) et décision n° 13-DSA-44 rendue au bénéfice de cette même société qui n'était pas requérante], ne pouvaient, alors que la société Univar n'a pas formé de recours, comporter un intérêt pour la présentation par la société Gaches Chimie de tous les moyens utiles au soutien de la décision entreprise.
127. Il s'ensuit qu'il n'est pas démontré que les sociétés Brenntag n'auraient pas exécuté l'injonction de communication de pièces prononcée par l'arrêt du 22 octobre 2015, interprété par l'arrêt du 12 janvier 2016, et qu'il n'y a en conséquence pas lieu de liquider l'astreinte.
Sur les demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens
128. Du fait de la réouverture des débats concernant les moyens non tranchés des recours formés par les sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics, il convient de réserver les demandes formulées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile de même qu'au titre des dépens.
Par ces motifs : Donne acte au liquidateur judiciaire de la société Solvadis France de sa renonciation à lintervention volontaire au recours formée par cette société le 23 juillet 2013 ; Déclare nulle lintervention volontaire formée par les sociétés Solvadis en ce quelle est formée au nom de la société Solvadis GmbH ; Déclare recevable lintervention volontaire formée par la société Solvadis Holding ; Rejette lexception dirrecevabilité du recours des sociétés Brenntag invoquée par les sociétés Solvadis Holding et Gaches Chimie ; Rejette lexception dirrecevabilité des observations de lAutorité de la concurrence en date du 12 janvier 2016 et de celles du ministre chargé de lEconomie en date du 13 janvier 2016 ; Déclare irrecevables les demandes formées par les sociétés Brenntag tendant au prononcé de la nullité du procès-verbal recevant la demande de clémence de la société Solvadis France et lavis de clémence délivré au bénéfice de cette société ; Constate quil été porté atteinte aux droits de la défense des sociétés Brenntag au stade du rapport et dans la procédure qui sen est suivie devant lAutorité de la concurrence ; Annule le rapport des rapporteurs ; Annule la décision attaquée en ce quelle a dit : à larticle 1er quil est établi que la sociétés Brenntag SA, en tant quauteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du Code de commerce ainsi que celles de larticle 101 du traité sur le fonctionnement de lUnion européenne en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires ; à larticle 2 que la société Brenntag SA en tant quauteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de larticle L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix ; Annule en conséquence, la décision attaquée en ce quelle a infligé les sanctions de : - 47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec DB Mobility Logistics AG ; - 5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG, au titre du premier grief ; - de 50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG au titre du second grief ; - Annule la décision attaquée en ce quelle a dit que la société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de la pratique visée à larticle 2, par application du IV de larticle L. 464-2 du Code de commerce ; - Rejette la demande dannulation de lauto-saisine du 5 avril 2007, de lavis de clémence de la société Solvadis France du 7 février 2007 et de la notification de griefs, présentée par les sociétés Brenntag ; Rejette le recours de la société GEA Group ; Rejette la demande de la société Gaches Chimie tendant à ce que la cour constate son rôle dans la révélation des ententes et le déclenchement des procédures de clémence ; Dit ny avoir lieu à liquider lastreinte assortissant linjonction de communication de pièces prononcée par arrêt avant dire droit du 22 octobre 2015 ; Rejette les demandes de suppression de passages des observations de lAutorité de la concurrence et du ministre de lEconomie, présentées par les sociétés Brenntag ; Ordonne à la société Solvadis Holding la suppression du passage figurant en page 40 de ses conclusions du 4 avril 2016, débutant par le titre « I.3 Le choix étonnant (...) » et qui sachève page 41 par la phrase « Cette stratégie de défense, dont on comprend mal lobjectif (...) Des règles du droit de la défense » ; Statuant à nouveau en vertu des dispositions des articles 561 et 562 du Code de procédure civile ; Ordonne la réouverture des débats sur les griefs notifiés aux sociétés Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, le 12 juin 2012 ; Dit que laffaire sera renvoyée à laudience de procédure du 28 mars 2017, afin détablir le calendrier de procédure de la réouverture des débats ; Réserve les demandes présentées sur le fondement de larticle 700 du Code de procédure civile par les parties ; Réserve les dépens.