Livv
Décisions

Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 15-87.770

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Dreifuss-Netter

Avocat général :

Mme Caby

Avocats :

SCP Delvolvé, Trichet, SCP Thouin-Palat, Boucard

TGI Paris, 31e ch. sect. 2, du 16 oct. 2…

16 octobre 2014

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Uber France, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 7 décembre 2015, qui, pour pratiques commerciales trompeuses, l'a condamnée à une amende de 150 000 euros, a ordonné une mesure de publication, et prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris en ses six dernières branches ; - Sur les deuxième et troisième moyens de cassation ; - Les moyens étant réunis ; - Vu l'article 567-1-1 ; - Attendu que les griefs et les moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1-1 9° du Code de la consommation, L. 1231-15 du Code des transports applicable à l'époque des faits par refus d'application, L. 3132-1 du Code des transports par fausse application, L. 111-4, L. 121-1 et L. 121-2 du Code pénal, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble le principe de légalité des délits et des peines, les articles 6, § 1, et 8, de la Convention européenne des droits de l'Homme et des garanties fondamentales ;

"en ce que l'arrêt attaqué a décidé que la société Uber France s'était rendue coupable de pratique commerciale trompeuse en incitant les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service uberPOP par des communications commerciales donnant l'impression que ce service était licite alors qu'il ne l'était pas ;

"aux motifs propres que, c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens et par une juste appréciation des faits et des circonstances particulières de la cause, exactement rapportés dans la décision déférée que les premiers juges ont à bon droit retenu la prévenue dans les liens de la prévention de pratique commerciale trompeuse commis du 5 février 2014 au 25 mars 2014 caractérisé par des communications commerciales incitant les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service de transport à but lucratif par des particuliers uberPOP, en donnant l'impression que ce service est licite, alors qu'il ne l'est pas ; qu'en effet, contrairement aux mises en avant et aux communications réalisées par le groupe Uber autour du service uberPOP, le contrat final signé entre les partenaires particuliers et la société Rasier Operations BV est libellé comme étant un contrat entre professionnels, dont les responsabilités et le rôles sont clairement identifiés, et non comme un contrat souscrit entre un professionnel et un particulier comme c'est le cas en réalité ; que ce contrat ne correspond pas au service uberPOP tel qu'il est initialement présenté par la société Uber France dans les allégations publicitaires figurant sur son site Internet et dans ses courriels, à savoir la possibilité pour un particulier par ce biais de transporter des individus et de se faire rémunérer au titre du covoiturage onéreux ; [...] ; que les infractions prévues par les articles 121-1 et suivants du Code de la consommation visés dans les poursuites, qui définit les pratiques commerciales trompeuses dans les mêmes termes que la directive européenne, étant établis, la SAS Uber France, au nom et pour le compte de laquelle l'ensemble des infractions ont été commises par ses représentants, en sera, en application de l'article 121-2 du Code pénal déclarée coupable ;

"et aux motifs adoptés que " l'article L. 121-1-1 du Code de la consommation dispose que " sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1 les pratiques commerciales qui ont pour objet ... de déclarer ou de donner l'impression que la vente d'un produit ou la fourniture d'un service est licite alors qu'elle ne l'est pas... " ; que comme le souligne fort justement la défense de la société prévenue, il convient que l'activité proposée soit intrinsèquement illicite ; que la responsabilité pénale du communiquant ne saurait, en effet, être engagée si l'illicéité de l'activité résulte d'un manquement uniquement imputable au consommateur dûment éclairé sur les conditions d'exercice nécessaires pour que l'activité soit licite ; qu'il convient donc de déterminer si, indépendamment du comportement des conducteurs contractant avec la société Uber BV, l'activité vantée sur les sites gérés par Uber France est ou non légale ; que le titre II du livre I de la troisième partie du Code des transports distingue, en ce qui concerne les transports publics particuliers entre les taxis, les voitures de petite remise et les véhicules motorisés à deux ou trois roues ; que selon l'article L. 3121-1, les taxis sont définis comme des véhicules automobiles comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum, munis d'équipements spéciaux et dont le propriétaire ou l'exploitant est titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique, en attente de la clientèle, afin d'effectuer, à la demande de celle-ci et à titre onéreux, le transport particulier des personnes et de leurs bagages " ; que les articles L. 3121-9 et L. 3121-10 précisent que l'activité de conducteur de taxi est réservée aux personnes présentant les diplômes et la formation requise et titulaires d'une carte professionnelle délivrée par l'autorité administrative ; que selon l'article L. 3122-1, les voitures de petite remise sont définies comme " des véhicules automobiles comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum, mis, à titre onéreux, avec un conducteur, à la disposition des personnes qui en font la demande pour assurer leur transport ou celui de leurs bagages " ; que l'article L. 3122-2 précise que " l'exploitation de voitures de petite remise est soumise à autorisation délivrée par l'autorité administrative ; qu'enfin l'article L. 3123-2-1 précise que " l'exercice de l'activité de conducteur de véhicule motorisé à deux ou trois roues pour le transport de personnes à titre onéreux est subordonné à la délivrance d'une carte professionnelle par l'autorité administrative " ; que pour ces trois secteurs ainsi définies, le Code des transports prévoit des sanctions pénales en cas d'exercice irrégulier ; qu'aucun texte législatif ne vient affirmer que le transport routier de personne pratiqué en dehors de ces trois cas est, en soi, illicite et, a fortiori, passible de sanction pénale ; que néanmoins il convient de déterminer si le service vanté par la société Uber France est un service sui generis ou s'il se rattache à l'un des trois cas strictement encadrés par le Code des transports ; qu'en pratique la plateforme uberPOP met en relation des personnes souhaitant être véhiculées d'un endroit à un autre avec des conducteurs de véhicules susceptibles de les y emmener ; qu'il résulte des explications des représentants de la société prévenue, tant lors de l'enquête qu'à l'audience, que lesdits véhicules sont des véhicules motorisés à quatre roues ; que l'utilisation de tels véhicules pour le transport routier de particulier implique dès lors qu'est applicable la législation relative soit aux taxis soit aux véhicules de petite remise, législation qui impose dans les deux cas une autorisation administrative ; que le covoiturage est certes admis par la jurisprudence comme un mode de transport routier de particulier ; mais que le covoiturage doit être pratiqué dans un but non lucratif, même si les passagers peuvent être amenés à payer les frais induits par l'utilisation du véhicule ; qu'au fond dans le cas du covoiturage, la jurisprudence considère que la condition " à titre onéreux " qui intervient aussi bien dans la définition du taxi que de la voiture de petite remise n'est pas remplie ; qu'en l'espèce le service vanté par uberPOP ne réunit pas les conditions du covoiturage ; qu'en premier lieu, et contrairement à ce qu'est le principe même du covoiturage, le conducteur et le passager ne vont, de concert, pas au même endroit : le conducteur accepte d'emmener le passager vers une destination qui n'est pas nécessairement la sienne ; qu'en second lieu l'accès au service est subordonné à une tarification de la course basée sur un mode de calcul précis, fixé par la société Uber Bv reposant à la fois sur une tarification au kilomètre (0,8 euros) et une tarification au temps passé (0,35 euros), un tarif de base de 1 euros et un prix minimum de 4 euros, cette tarification étant détaillée sur les différents sites internet gérés par la société Uber France ; que cette tarification prédéfinie, qui est imposée tant au passager qu'au conducteur, ne correspond absolument pas à un partage des frais mais s'apparente bien au paiement d'une course ; qu'au demeurant la société Uber France est parfaitement consciente de ce point puisque dans les courriels adressés aux conducteurs intéressés il est indiqué que " ce service est ouvert aux conducteurs particuliers propriétaires de leur voiture qui souhaitent gagner de l'argent durant leurs disponibilités. Il n'est, en revanche, pas adapté aux personnes souhaitant exercer le métier de chauffeur à temps plein et comme source principale de revenus " ; que le contrat signé avec le conducteur, après agrément par la société Uber Bv, indique clairement que le conducteur est " un entrepreneur indépendant dont l'activité est de fournir les services de transport décrits dans le présent contrat " ; que le site internet met d'ailleurs sur le même plan les services Uber Berline, Uber X et Uber Pop sous le titre général " gagner de l'argent avec votre voiture " amalgamant ainsi deux activités légales, sous réserve du comportement du conducteur, et une activité dont la présente analyse révèle qu'elle est nécessairement illégale, indépendamment du comportement du conducteur ; qu'il apparaît donc bien que c'est en toute connaissance de cause que la société UberPop a vanté les mérites d'une prestation dont les conditions d'exercice, indépendamment même du comportement des conducteurs ou des passagers, faisaient qu'elle était dès l'origine illégale au regard de la législation française sur le transport routier de particuliers ; que cette analyse rend sans objet la demande subsidiaire de la défense de saisir, à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne aux fins d'interprétation de l'annexe I 9° de la directive du 11 mai 2005 " ;

"1°) alors que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en relevant, par motifs adoptés des premiers juges, d'une part que le transport routier de personnes pratiqué en dehors de trois cas visés dans le Code des transports n'est pas, en soi, illicite, admettant ainsi qu'une telle activité peut être régulièrement exercée en marge des trois hypothèses réglementées, tout en affirmant, d'autre part, que l'utilisation de véhicules motorisés à quatre à roues pour véhiculer des personnes d'un endroit à un autre devait satisfaire aux prescriptions légales résultant des deux cas régis par le Code des transports, la cour d'appel s'est contredite ;

"2°) alors que le principe de légalité des délits impose une interprétation stricte de la loi pénale ; que sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1-1, 9° du Code de la consommation, les pratiques commerciales qui ont pour objet de déclarer ou de donner l'impression que la vente d'un produit ou la fourniture d'un service est licite alors qu'elle ne l'est pas ; que le caractère réglementé de certaines activités professionnelles de transport n'a pas, en l'absence de prohibition générale ou du caractère expressément réservé de ces activités, pour effet de rendre illicite une activité non-professionnelle distincte ressortissant au même domaine et se développant parallèlement aux activités réglementées ; que la cour d'appel qui a déduit du caractère réglementé de l'activité de taxi, de chauffeur de véhicules de petite remise et de conducteur de deux et trois roues la prohibition de l'activité de transport de personnes occasionnel par des particuliers qui n'entrait dans le champ d'aucune de ces activités réglementées, a méconnu le principe susvisé ;

"3°) alors que le covoiturage, activité licite en marge de la réglementation de l'activité de transports professionnels, ayant pour activité le transport de particuliers, consiste, dans sa définition applicable entre le 5 février et le 24 mars 2014, dans l'utilisation d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur non-professionnel et un ou plusieurs passagers majeurs pour un trajet commun ; que la cour d'appel ne pouvait donc considérer que l'activité litigieuse était illicite comme ne pouvant ressortir au covoiturage, motifs pris de ce que le transport donnait lieu à une rétribution lorsque ni l'absence de défraiement, ni la gratuité, n'étaient des conditions de la qualification de covoiturage à l'époque des faits ;

"4°) alors que le délit de pratiques commerciales trompeuses est un délit intentionnel qui implique donc la conscience qu'a l'auteur de la déclaration du caractère illicite de la fourniture du service ; que la circonstance que le défaut de communauté de trajet entre le particulier conducteur et le particulier conduit, de nature à exclure la qualification de covoiturage, s'inscrive dans la dépendance exclusive de la volonté de ces derniers et soit postérieure aux déclarations litigieuses d'Uber France, prive de son élément moral la communication, par Uber France, sur le service de transport litigieux ; que la cour d'appel ne pouvait donc relever, pour retenir le caractère illicite de la prestation de service faisant l'objet de la pratique commerciale considérée, que le conducteur et le passager ne se rendent pas nécessairement au même endroit, dès lors que cette circonstance, étrangère à la communication litigieuse, procédait de la volonté exclusive des personnes mises en relation et de la pratique qu'elles seules décidaient, le cas échéant, d'avoir de ce service sous leur seule responsabilité" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que la société Uber France, proposant depuis 2013 une plate-forme logicielle permettant la mise en relation de ses clients avec des conducteurs de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), a mis en place, à partir du 5 février 2014, une application dénommée UberPOP, mettant en relation les mêmes clients avec des particuliers, conduisant leur véhicule personnel, à qui il était offert d'exercer ainsi une activité rémunérée d'appoint ; qu'à la suite d'un procès-verbal d'infractions établi par des agents de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, cette société a été convoquée devant le tribunal correctionnel, pour y répondre de pratiques commerciales trompeuses, envers les conducteurs et les consommateurs, par des communications sur deux sites Internet, la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de Paris-Ile-de-France, le syndicat Taxis 78 et l'Union nationale des taxis se constituant parties civiles ; que le tribunal, après avoir rejeté la demande de saisine, à titre préjudiciel, de la Cour de justice des Communautés européennes, aux fins d'interprétation de l'annexe I, 9° de la directive du 11 mai 2005, a déclaré la société Uber France coupable d'une partie de la prévention, l'a condamnée à une amende de 100 000 euros, ordonné la mise en ligne d'un communiqué et accordé des dommages intérêts aux parties civiles ; que la prévenue a interjeté appel, ainsi que le procureur de la République ;

Attendu que, pour déclarer la société Uber France coupable de pratiques commerciales trompeuses en incitant les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service UberPOP par des communications commerciales donnant l'impression que ce service était licite alors qu'il ne l'était pas, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève, tout d'abord, que le titre II du livre I de la troisième partie du Code des transports distingue, en ce qui concerne les transports publics particuliers, entre les taxis, les voitures de petite remise et les véhicules motorisés à deux ou trois roues, que, selon l'article L. 3121-1 dudit code, les taxis sont définis comme des véhicules automobiles comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum, munis d'équipements spéciaux et dont le propriétaire ou l'exploitant est titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique, en attente de la clientèle, afin d'effectuer, à la demande de celle-ci et à titre onéreux, le transport particulier des personnes et de leurs bagages, que les articles L. 3121-9 et L. 3121-10 précisent que l'activité de conducteur de taxi est réservée aux personnes présentant les diplômes et la formation requise et titulaires d'une carte professionnelle délivrée par l'autorité administrative et que, pour ces trois secteurs ainsi définis, le Code des transports prévoit des sanctions pénales en cas d'exercice irrégulier ; que les juges ajoutent que le service offert par UberPOP, utilisant des véhicules motorisés à quatre roues pour le transport de particuliers, ne remplissait pas les conditions applicables au covoiturage, d'une part parce que celui-ci suppose un but non lucratif, tandis que la tarification prédéfinie par Uber France, imposée tant au passager qu'au conducteur ne correspondait pas au partage des frais mais s'apparentait bien au paiement d'une course, et qu'il était indiqué sur le site que le service était ouvert aux conducteurs particuliers propriétaires de leur voiture qui souhaitaient gagner de l'argent durant leurs disponibilités, d'autre part parce que le conducteur, présenté au contrat passé avec la société comme "un entrepreneur indépendant dont l'activité est de fournir les services de transport décrits dans le présent contrat" acceptait d'emmener le passager vers une destination qui n'était pas nécessairement la sienne ; que la cour d'appel en déduit que l'activité était soumise à la législation relative soit aux taxis, soit aux véhicules de petite remise, laquelle impose dans les deux cas une autorisation administrative et que les conditions d'exercice de la prestation proposée, indépendamment même du comportement des conducteurs ou des passagers, faisaient qu'elle était, dès l'origine, illégale au regard de cette législation, la demande subsidiaire de saisir, à titre préjudiciel, la CJUE aux fins d'interprétation de la directive du 11 mai 2009 étant dès lors sans objet; que les juges en concluent que c'est en toute connaissance de cause que la société Uber France a vanté les mérites de la prestation illégale proposée sous la dénomination UberPOP ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'elle avait relevé, d'une part, que ce service, était soumis à la réglementation, nécessitant une autorisation administrative, imposée, sous peine de sanction pénale, aux taxis ou aux VTC, de sorte que le non-respect de cette réglementation lui conférait un caractère illégal, sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle sur ce point à la CJUE, d'autre part, que le choix de la destination par le client était présenté comme inhérent au service offert, ce qui excluait la qualification de covoiturage, la cour d'appel a, sans se contredire ni méconnaître le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, matériels et moral, le délit de pratiques commerciales trompeuses par incitation des consommateurs, conducteurs ou utilisateurs, à participer à ce service par des communications commerciales donnant l'impression qu'il était licite alors qu'il ne l'était pas ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.