CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 février 2017, n° 15-04850
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nordis (SARL)
Défendeur :
Leader Price Exploitation (SAS) , Franprix Holding (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Grappotte-Benetrau, Luciani, Boccon Gibod, Reymond, Juvigny
Faits et procédure
La société Normandie Distribution Nordis (ci-après dénommée la société "Nordis") exerce l'activité d'édition promotionnelle dans le secteur de l'imprimerie de documents et supports publicitaires, d'imprimés à l'usage de l'industrie, du commerce, des administrations et des particuliers.
A ce titre, elle réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires depuis 40 ans avec la société Franprix Holding (ci-après "Franprix") et depuis 20 ans avec sa société soeur Leader Price Holding (ci-après "Leader Price"), sans contrat écrit.
En 1997, la société Casino est devenue propriétaire de ces deux enseignes. Les liens privilégiés avec Nordis ont été maintenus. Nordis s'est également diversifiée vers d'autres grands groupes dans le domaine de la coiffure.
Fin 2007, la société Franprix a réorganisé son courant d'affaires et a fait de Nordis son partenaire privilégié pour ses travaux d'impression tandis que Leader Price a cessé parallèlement toutes ses relations commerciales avec la société Nordis, rupture que Nordis a estimée brutale.
En décembre 2008, Franprix a proposé à Nordis de conclure un contrat écrit afin de formaliser leurs relations, contrat que Nordis a jugé inacceptable car contenant, selon elle, des clauses léonines. Ce contrat écrit devait, aux dires du groupe Casino, entériner un prétendu accord verbal conclu entre les parties en 2007 qui prévoyait la cessation des relations commerciales entre Nordis et Leader Price sans compensation financière pour Nordis, et l'augmentation du volume d'affaires entre Nordis et Franprix en contrepartie, ainsi qu'une clause stipulant un délai de préavis de trois mois.
Le 29 mars 2011, Franprix a indiqué que compte tenu du refus de Nordis de contractualiser leurs relations, un appel d'offres, auquel Nordis était invité à participer, était lancé visant à désigner son prestataire dans le domaine de l'impression de supports marketing à compter du 1er avril 2012.
C'est dans ces conditions que la société Nordis a assigné les sociétés Leader Price et Franprix afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle a subis au titre d'une rupture brutale des relations commerciales avec ces deux sociétés :
- Le 23 mars 2010, la société Nordis a assigné la société Leader Price.
- Le 30 janvier 2012, la société Nordis a assigné la société Franprix en intervention forcée dans le cadre de la procédure principale devant le tribunal de commerce contre Leader Price.
- Le 28 août 2012 et le 10 septembre 2012, la société Nordis a assigné de nouveau la société Franprix sous deux numéros RG différents.
- Par jugement du 19 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a joint deux de ces procédures.
- Par jugement du 16 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a joint les trois instances.
Par jugement rendu le 16 février 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté Nordis de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné Nordis à payer la somme de 20 000 euros à chacune des sociétés Franprix et Leader Price au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté le 3 mars 2015 par la société Nordis contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 avril 2016 par Nordis, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Nordis en son appel et l'y déclarer bien fondée ;
- constater la violation manifeste des dispositions de l'article 455,4,12 du Code de procédure civile par le Tribunal de commerce de Paris.
En conséquence,
- dire nul et de nul effet le jugement dont appel,
A défaut,
- réformer la décision en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
- dire et juger que pèse sur les sociétés Leader Price et Franprix la charge de la preuve de l'existence de l'accord verbal sur l'aménagement conventionnel de la rupture des relations commerciales établies entre la société Leader Price et Nordis ainsi que la réorganisation du courant d'affaires entre la société Franprix et Nordis ;
- constater que les sociétés intimées ne rapportent pas la preuve de l'existence de ce contrat verbal et/ou transaction ;
- dire et juger que la cour ne peut suppléer la carence des sociétés Leader Price et Franprix dans l'administration de la preuve ;
- dire en conséquence qu'aucun accord verbal n'est démontré par les intimées et qu'aucune conséquence ne peut en être tirée.
Sur les relations entre les sociétés Nordis et Leader Price
- dire et juger qu'il existait une relation commerciale établie entre la société Nordis et la société Leader Price holding.
- dire et juger que la société Leader Price a rompu brutalement les relations commerciales établies sans respecter de préavis.
- dire et juger que du fait de la relation commerciale existant depuis vingt ans, et compte tenu de l'importance du chiffre d'affaires réalisé par la société Nordis, le préavis aurait dû être égal à 18 mois.
- dire et juger que la responsabilité de la société Leader Price holding dans la rupture brutale est avérée.
- dire et juger qu'aucun accord verbal n'a existé, entérinant une rupture amiable des relations commerciales entre les parties.
- dire et juger que la société Leader Price, usant de sa taille économique et de l'état de dépendance économique de la société Nordis, n'a pas respecté les obligations légales visées à l'article L. 442-6, I, 5° du Code commerce,
En conséquence,
- condamner la société Leader Price holding au paiement de la somme de 1 982 322,57 euros au titre de la perte de la marge brute pour une période de 18 mois, représentant la durée du préavis dont la société Nordis aurait dû bénéficier.
- condamner la société Leader Price au paiement de la somme de 1 000 000 euros au titre du préjudice moral.
- condamner la société Leader Price holding au paiement de la somme de 250 000 euros au titre de l'atteinte à l'image de marque.
- condamner la société Leader Price holding au paiement de la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société Leader Price holding au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau.
Sur les relations entre les sociétés Nordis et Franprix
- dire et juger qu'il existait une relation commerciale établie entre la société Nordis et la société Franprix.
- dire et juger que la société Franprix a rompu brutalement les relations commerciales établies sans respecter un préavis suffisant.
- dire et juger que du fait de la relation commerciale existant depuis quarante ans, et compte tenu de la durée de la relation commerciale et des circonstances particulières de l'espèce ainsi que de la mauvaise foi caractérisée de Franprix, le préavis aurait dû être égal à 30 mois.
- dire et juger que la responsabilité de la société Franprix dans la rupture brutale est avérée.
- constater que la société Nordis se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de Franprix.
- dire et juger que la société Franprix a abusé de la situation de dépendance économique pour tenter d'imposer des conditions contractuelles disproportionnées, défavorables et illégales à la société Nordis au regard des dispositions de L. 442-6, I, 5° du Code commerce.
En conséquence,
- condamner la société Franprix au paiement de la somme de 1 273 050,81 euros au titre de la perte de la marge brute pour une période de 30 mois, représentant la durée du préavis dont la société Nordis aurait dû bénéficier.
- condamner la société Franprix au paiement de la somme de 1 000 000 euros au titre du préjudice moral.
- condamner la société Franprix au paiement de la somme de 250 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à son image.
- condamner la société Franprix au paiement de la somme de 20 257 euros hors taxes de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation de la perte des investissements réalisés et des stocks non utilisés.
- condamner Franprix au paiement d'une somme de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société Franprix au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Bentreau en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 4 avril 2016 par les sociétés Leader Price et Franprix, par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
- constater que pendant deux ans, de novembre 2007 à septembre 2009, Nordis n'a émis aucune objection quant au fait qu'elle ne travaillait plus pour l'enseigne Leader Price ;
- constater que pendant plus de quatre ans, de novembre 2007 à mars 2012, Nordis a pu, via European Creation, cessionnaire d'une partie de son fonds de commerce, bénéficier d'un surcroît de commandes de la part de Franprix, société soeur de Leader Price, conformément aux discussions intervenues fin 2007, ce qui a évité toute brutalité dans l'extinction de son courant d'affaires ;
- constater que Nordis a refusé à plusieurs reprises toute contractualisation écrite des relations, se déclarant satisfaite du climat de confiance ;
- juger en conséquence que la preuve d'une brutalité de la rupture n'est pas rapportée par l'appelante qui a bénéficié d'un surcroît de commandes de la part de Franprix et du temps nécessaire et suffisant pour réorganiser ses activités commerciales ;
- juger que les parties pouvaient librement aménager leur courant d'affaires, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 16 février 2015 ;
- débouter Nordis de toutes ses demandes, fins et moyens ;
- condamner Nordis à payer à Leader Price la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au vu du caractère erroné et partiellement mensonger des écritures de l'appelante ;
- condamner Nordis aux entiers dépens.
A titre subsidiaire,
- constater que, comme en atteste l'étude de la société d'expertise indépendante Accuracy, les demandes de Nordis sont entachées d'erreurs comptables manifestes et sont dès lors exorbitantes ;
- constater notamment que le taux de marge brute annoncé par Nordis est fluctuant selon les affaires (de l'ordre de 43,65 % en l'espèce alors qu'il serait de 30,17 % dans l'affaire jointe concernant Franprix), ce qui illustre le manque de sérieux des prétentions de Nordis ;
- constater que les demandes de Nordis se heurtent de surcroît aux usages professionnels applicables dans le secteur de l'imprimerie, lesquels sont pertinents dans le présent dossier ;
- constater que Nordis tente abusivement de mettre à la charge de Leader Price des frais sociaux non liés à la rupture, comme cela est relevé par Accuracy ;
- dire et juger qu'au terme d'une jurisprudence constante la victime ne peut obtenir réparation que du préjudice résultant de l'absence de préavis, et non de celui subi du fait de la rupture elle-même ;
- constater que Nordis n'apporte aucun élément de nature à justifier ses demandes d'indemnisation liées au prétendu préjudice moral subi et à l''atteinte à son image de marque, lesquelles ne sont en tout état de cause pas distinctes de sa demande d'indemnisation au titre du caractère prétendument brutal de la rupture ;
En conséquence,
- dire et juger qu'à supposer même qu'une indemnité soit due à Nordis au titre des conditions dans lesquelles la prétendue rupture est intervenue, elle ne peut au total excéder 151 380 euros, soit 5 % seulement du montant des demandes qui sont exorbitantes en vertu des usages écrits du secteur de l'impression, auxquels il convient de se référer conformément à l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
- dire et juger que les prétentions de Nordis sont de surcroît entachées d'une mauvaise foi manifeste au regard de la réalité des faits et que son attitude ayant consisté à (i) faire volte-face après deux ans d'acceptation tacite de l'accord, (ii) refuser par principe toute contractualisation écrite des relations, puis (iii) présenter des chiffres dont Accuracy établit le caractère grossièrement et manifestement inexact, ne répond pas à l'obligation de loyauté et de transparence dont un prestataire de services doit faire preuve vis-à-vis de son client ;
- dire et juger que l'indemnité précitée résultant des usages du secteur de l'impression devra être sensiblement réduite en l'espèce en raison du comportement anormal de Nordis vis-à-vis de son client, et de la cour qu'elle tente vainement de tromper avec des chiffres artificiels ;
- débouter pour le surplus Nordis de toutes ses demandes, fins et moyens ;
- condamner Nordis à payer à Leader Price la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au vu du caractère erroné et partiellement mensonger des écritures de l'appelante ;
- condamner Nordis aux entiers dépens.
La société Nordis soutient tout d'abord que le jugement rendu serait nul car insuffisamment motivé et partial, les juges de première instance n'ayant pas répondu aux moyens de Nordis et procédant par simple déduction, dénaturant ainsi les conclusions.
Elle conteste ensuite l'existence d'un accord verbal entre le groupe Casino et la société Nordis qui aurait convenu d'une rupture sans contrepartie financière des relations commerciales entre Leader Price et Nordis avec prise d'effet fin 2007, en échange de la continuité d'un partenariat privilégié entre Franprix et Nordis.
Elle rappelle que la société Leader Price a, comme elle en avait l'habitude depuis vingt ans, passé commande par écrit à Nordis de travaux d'imprimerie pour toute l'année 2007, suivant bon de commande et planning établis en décembre 2006, mais qu'elle a constaté en septembre 2007 que le catalogue Leader Price pour la période du 27 septembre au 10 octobre 2007 avait été imprimé par un concurrent, la société CA communication, et qu'il en a été de même pour les catalogues suivants, prenant acte ainsi de la rupture brutale et sans préavis de leurs relations commerciales.
Elle indique que la société Franprix, société avec laquelle les relations d'affaires se poursuivaient, aurait alors tenté d'exiger de Nordis la signature d'un contrat écrit qui violait les exigences d'ordre public de l'article L. 441-2, I, 5° [sic] du Code de commerce prévoyant que la rupture doit être assortie d'un préavis et qui revenait à faire renoncer la société Nordis à tout bénéfice de ses relations antérieures avec Franprix et Leader Price et donc à l'empêcher de poursuivre la société Leader Price au titre d'une rupture brutale des relations commerciales, ce que Nordis a refusé, mais que n'ayant pas la capacité financière de risquer une autre rupture brutale avec Franprix consécutive à celle subie avec Leader Price, elle a accepté ponctuellement de faire quelques travaux pour Leader Price et n'a pas réagi frontalement contre Franprix, se contentant pendant deux ans d'échanger des correspondances en faisant valoir sa position, compte tenu de sa dépendance économique des sociétés Leader Price et Franprix avec lesquelles elle réalisait 75 % de son chiffre d'affaires, ce que ces sociétés savaient, que Franprix a exercé toutes sortes de pressions sur elle jusqu'à lui imposer la participation à un simulacre d'appel d'offres par notification du 30 novembre 2011, jour où Nordis a reçu de Franprix tous les identifiants et indications relatifs audit appel d'offres, jusqu'au 1er décembre 2012, que refusant ce procédé, la société Nordis a alors pris acte de la rupture brutale des relations commerciales avec Franprix à effet au 31 mars 2012, qu'elle estime que compte tenu de la durée des relations commerciales avec Franprix de 40 ans, une réparation correspondant à un préavis de 30 mois est justifiée, et que les relations entre Leader Price et Nordis ayant duré 20 ans, le préavis aurait dû être de 18 mois.
La société Nordis sollicite une indemnisation de 1 273 050,81 euros concernant la rupture brutale avec Franprix et conteste les conclusions de la société d'expertise financière Accuracy produite par les sociétés Leader Price et Franprix pour rejeter les demandes indemnitaires de la société Nordis. Elle rappelle que le calcul de l'indemnité se fait en multipliant la moyenne de marge brute réalisée antérieurement par la durée du préavis qui aurait dû être donné, qu'un préavis de 18 mois minimum aurait dû lui être octroyé concernant Leader Price, soit une indemnisation de 1 920 732 euros, à laquelle il faudrait ajouter 61 590,57 euros au titre des efforts déployés par Nordis pour sa réorganisation après la rupture, notamment par licenciement de salariés non reclassés, soit une indemnisation totale de 1 982 322,57 euros, que Nordis a pris en compte l'exercice d'avril 2006 à octobre 2007 pour le calcul de son chiffre d'affaires et non pas la période ultérieure de novembre 2007 à mars 2008 au cours de laquelle son chiffre d'affaires avec Leader Price était dénaturé et diminué par la rupture de leur relation commerciale, qu'elle a dû investir dans des commandes importantes de papier pour répondre aux missions de Leader Price, que le licenciement de quatre salariés a été décidé en raison de la rupture brutale des relations commerciales avec Leader Price, qu'elle a subi une atteinte à son image de marque et un préjudice moral dû à la violence des attaques calomnieuses de Leader Price et des pressions de Franprix, évalué à une valeur exemplaire au vu de la renommée de leur groupe international de grande distribution qui pensait pouvoir échapper à ses obligations légales et se comporter de façon déloyale.
Sur la prétendue augmentation corrélative du chiffre d'affaires réalisé entre Franprix et Nordis en compensation de l'absence de respect du préavis pour la rupture entre Leader Price et Nordis, Nordis soutient que ce transfert de chiffre d'affaires n'apparaît pas dans sa comptabilité et qu'aucun justificatif permettant aux parties de présenter une cohérence juridique, comptable et fiscale à l'administration fiscale n'avait été joint, d'autant plus que les modalités et l'identité des prétendus dirigeants impliqués dans cet accord restaient très floues.
En réponse, les sociétés Leader Price et Franprix rappellent que le juge du fond n'est pas tenu de s'expliquer sur tous les éléments de preuve qu'il décide d'écarter et n'est pas tenu de répondre aux moyens fondés sur de simples allégations non prouvées ni d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, que le tribunal a pris en compte les conclusions et preuves de l'appelante, qu'il n'y a donc aucun déni de justice.
Sur le fond, elles soutiennent l'existence d'un accord oral qui serait démontré par les échanges entre les parties, consistant en la cessation acceptée des relations entre Leader Price et Nordis en contrepartie d'un engagement de Franprix à développer ses relations avec Nordis, au travers notamment de sa holding European Creation, qu'en l'absence de toute réaction de Nordis pendant près de deux ans après cet accord oral, de novembre 2007 à septembre 2009, face à l'extinction progressive de son flux d'affaires avec Leader Price et à l'augmentation simultanée et significative de son courant d'affaires avec Franprix (via European Creation), l'acceptation de Nordis était manifeste, que la passivité de Nordis ne peut être expliquée par la peur de représailles commerciales puisque Nordis n'a pas hésité à assigner Leader Price en 2010, alors que son chiffre d'affaires avec Franprix était au plus haut, que ledit accord a bien reçu un commencement d'exécution, même s'il n'a pas été formalisé par écrit, qu'en effet, le chiffre d'affaires total de Nordis et d'European Creation avec Franprix a bien augmenté entre 2007 et 2011 en application de l'accord verbal, et ce de plus de 30 % entre 2007 et 2010, démontrant ainsi l'accord de Nordis.
Franprix indique par ailleurs avoir mis un terme à ses relations avec Nordis moyennant préavis de 12 mois, en raison du refus de celle-ci de formaliser leurs relations par un contrat écrit et de participer à un appel d'offres, qu'en réalité le préavis réel a été de plus de quatre ans, soit depuis l'accord oral tripartite passé entre Franprix, Leader Price et Nordis et a largement permis la réorganisation de Nordis (transfert de fonds de commerce et de tous ses salariés à sa holding European Creation, diversification), que la rupture entre Leader Price et Nordis n'a donc pas été brutale puisqu'elle n'a été ni imprévisible, ni soudaine et encore moins violente, qu'European Creation réalise encore aujourd'hui un chiffre d'affaires avec Franprix.
Les sociétés Leader Price et Franprix soutiennent encore le fait qu'elles appartiennent toutes les deux au groupe Casino et sont réunies sous une même holding, qu'il faut par conséquent apprécier la relation globale entre les trois parties.
Elles contestent toute violation des dispositions d'ordre public du Code de commerce, indiquant que les parties peuvent légitimement aménager les modalités de la rupture de leurs relations en dépit du caractère d'ordre public de ces textes, qu'en l'espèce, Nordis a été informée de la cessation de sa relation commerciale avec Leader Price en 2007 et que Nordis a obtenu - dans le cadre d'un accord négocié - une compensation en voyant son courant d'affaires avec Franprix se développer corrélativement de manière significative.
Sur l'indemnisation sollicitée, les intimées versent aux débats une étude d'Accuracy qui démontre que la méthode de calcul de Nordis n'est pas justifiée au plan comptable, que le calcul du chiffre d'affaires moyen qu'elle réalisait avec Leader Price avant la rupture des relations serait erroné en se fondant sur un exercice comptable de 19 mois au lieu de 12 mois, ce qui augmente artificiellement son chiffre d'affaires moyen d'un montant d'environ 477 500 euros par an, que le taux de marge brute est erroné et surévalué car il ne tient pas compte de toutes les charges nécessaires à la production et à la réalisation des services d'impression à déduire, et diffère de la définition généralement admise qui ne peut excéder 21,6 % d'après le calcul sincère d'Accuracy, que même en retenant un préavis erroné de 18 mois, le préjudice de Nordis ne pourrait dépasser 600 000 euros et ce, sans prendre en compte les usages en vigueur dans le secteur pour lesquels le préavis ne peut excéder neuf mois maximum, sauf convention particulière entre les parties, qu'en l'espèce, cette durée est suffisante en l'absence de spécificité des prestations fournies, d'autant plus que Nordis était libre de diversifier son activité ou sa clientèle, que le préjudice de Nordis est de 151 380 euros maximum.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR
Sur la demande d'annulation du jugement
Considérant qu'aux termes de l'article 542 du Code de procédure civile l'appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d'appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré ;
Que néanmoins, la cour d'appel est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif en cas de demande d'annulation de la décision de première instance, ce qui rend cette demande sans intérêt ;
Qu'au surplus en l'espèce, les premiers juges ont répondu aux moyens soulevés par une décision motivée, respectant les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Qu'il y a lieu de rejeter cette demande.
Au fond Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Qu'il est constant qu'une rupture partielle des relations commerciales, dès lors qu'elle entraîne une réduction substantielle et sensible du volume d'affaires, peut être considérée comme une rupture brutale en l'absence de préavis écrit, même si elle laisse subsister un courant d'affaires sur d'autres produits ou avec d'autres partenaires d'un même groupe ;
Que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que Franprix et Leader Price ont eu des relations commerciales établies depuis 40 ans pour l'une, et depuis 20 ans pour l'autre avec Nordis pour le même marché d'imprimerie de supports publicitaires, et que ces relations se sont maintenues voire renforcées au fil des années, sans toutefois qu'aucun accord écrit n'ait jamais été formalisé entre les parties ;
Que ces relations, qui avaient démarré avec Franprix en 1972 puis, lors de sa création en 1988, avec la société Leader Price, ont été maintenues lorsque le groupe Casino a acquis les sociétés Franprix et Leader Price en 1997, et se sont poursuivies jusqu'en 2007 ;
Qu'en 2007, la rupture houleuse entre l'ancien dirigeant de Leader Price et Franprix, Monsieur Baud, et Monsieur Naouri, le nouveau dirigeant de Casino, a eu des répercussions sur les relations avec les anciens partenaires des sociétés du groupe Casino et notamment sur la société Nordis ;
Que les relations commerciales établies entre Leader Price et Nordis ont été rompues en août 2007 sans préavis ;
Qu'il n'est pas contesté qu'il n'y a pas eu de préavis écrit, le débat portant sur l'existence ou non d'un accord verbal selon lequel la rupture avec Leader Price sans préavis aurait été validée en contrepartie de l'augmentation et du maintien des relations d'affaires de Nordis avec Franprix, avec basculement du flux d'affaires de Leader Price vers Franprix, sans diminution donc, pour Nordis, de son volume global de commandes ;
Qu'en l'absence de preuve de l'existence dudit accord verbal qui ne peut s'inférer d'un simple défaut de protestation de Nordis, ni de l'ouverture de pourparlers entre Nordis et Franprix, la question de la possibilité de prévoir contractuellement une dérogation à l'obligation d'indemnisation de la rupture sans préavis au regard des dispositions d'ordre public de L. 442-6-I, 5° susrappelé, est dès lors sans objet ;
Que par contre, le fait que Nordis n'ait pas contesté avoir pu poursuivre son flux d'affaires avec Franprix, voire l'augmenter grâce à la création d'une société holding ayant les mêmes dirigeants que Nordis, la société European Création, avec laquelle Franprix est encore à ce jour en relations d'affaires, doit être pris en considération dans l'appréciation de la durée du préavis qui aurait dû être accordée, au regard notamment de la possibilité pour Nordis de se reconvertir facilement et de s'ouvrir vers un marché facile d'accès, pour des produits identiques, au sein du même groupe ;
Qu'en conséquence, au vu des éléments versés aux débats, il y a lieu de constater que Leader Price, en cessant ses relations commerciales avec Nordis sans aucun délai de prévenance et sans notification écrite, a rompu brutalement sa relation commerciale établie depuis près de vingt ans avec Nordis, nonobstant la poursuite par Nordis ou sa holding European Création, d'un courant d'affaires avec Franprix, les sociétés Leader Price et Franprix étant deux entités juridiques distinctes, les flux d'affaires entre ces sociétés ayant toujours été séparés, même si elles appartiennent au même groupe Casino ;
Que la décision des premiers juges sera donc infirmée sur ce point ;
Considérant qu'en ce qui concerne les relations commerciales établies entre Franprix et Nordis, l'absence d'un accord oral entre les trois parties est sans incidence sur le fait que les parties ont clairement entendu précariser leurs relations en ouvrant des négociations avec Franprix pour finaliser une convention écrite, ce que Nordis a refusé, les diversifier en faisant intervenir la société European Creation dans la poursuite des relations d'affaires avec Franrpix, et enfin en lançant un appel d'offres le 29 mars 2011, dont il n'est pas établi qu'il soit artificiel, pour faire jouer la concurrence entre les partenaires de Franprix et réorganiser son courant d'affaires, tout en invitant Nordis par lettre RAR à y participer et en lui accordant un préavis de 12 mois si elle n'était pas retenue ;
Qu'il est dès lors établi que nonobstant la durée des relations commerciales établies, celles-ci avaient été précarisée depuis 2007, ce que Nordis savait et que la rupture des relations avec Franprix liée au lancement d'un appel d'offres a bien été assortie d'un préavis de 12 mois et d'une notification écrite ;
Que la durée de 12 mois accordée par Franprix est supérieure à la durée de neuf mois prévue par les usages professionnels applicables dans le secteur de l'imprimerie, et qu'elle peut être considérée comme adaptée aux circonstances particulières et à la durée des relations ;
Qu'aucun élément produit par Nordis ne justifie de fixer le préavis à une durée supérieure aux 12 mois accordés ;
Qu'au cours de ce préavis d'un an, Nordis a réalisé avec Franprix un chiffre d'affaires de près de 3,5 millions d'euros, qui est supérieur au chiffre d'affaires réalisé les années précédentes et qu'elle ne justifie d'aucun préjudice supplémentaire ouvrant droit à indemnisation ;
Qu'il y a lieu par conséquence de débouter la société Nordis de toutes ses demandes à l'égard de la société Franprix au titre de la rupture des relations commerciales ;
Considérant qu'en ce qui concerne Leader Price, la durée du préavis qui aurait dû être accordée à Nordis au titre de la rupture de ses relations avec cette société, devait tenir compte des mêmes usages professionnels, qui constituent un minimum, et des éléments particuliers ci-après ;
Qu'au vu de l'ancienneté de la relation commerciale (près de 20 ans), qu'il y a lieu toutefois de pondérer par le potentiel de reconversion de la société Nordis ou de sa holding la société European Creation au sein du groupe Casino, et de la faible dépendance économique de la société Nordis qui réalisait seulement 30 à 40 % de son chiffre d'affaires avec Leader Price, il y a lieu de fixer à 12 mois le préavis auquel la société Nordis aurait pu prétendre ;
Considérant qu'il est constant que le préjudice résultant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant ;
Qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, des rapports produits de part et d'autre qui ont pu être soumis au débat contradictoire des parties et qui constituent des éléments d'appréciation qui permettent d'éclairer la cour, et des écritures des parties, que le taux de marge brute à retenir doit être appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires annuel des trois dernières années, que celui-ci a été de 3 385 376 euros pour l'exercice du 1er avril 2006 au 31 octobre 2007 (soit 18 mois), de 2 839 325 euros pour l'exercice du 1er avril 2005 au 31 mars 2006 et de 2 575 909 euros pour l'exercice du 1er avril 2005 au 31 mars 2005, soit sur 36 mois une moyenne annuelle de 2 933 500 euros, qu'en appliquant un taux de marge brute qui ne saurait excéder 30,17 %, taux appliqué par Nordis à l'égard de Franprix et dont rien ne justifie qu'il soit fixé à 43 % à l'égard de Leader Price, ni qu'il soit fixé à 21 % en déduisant les charges salariales, le montant de l'indemnité due sur 12 mois doit être fixée à la somme de 885 036,95 euros ;
Qu'il n'y a pas lieu de diminuer cette somme d'un montant hypothétique qui serait lié à la crise économique, son impact sur ce secteur n'étant pas suffisamment établi ;
Qu'il n'y a pas lieu non plus de l'augmenter au regard d'une prétendue dépendance économique qui n'est pas démontrée ;
Considérant qu'en ce qui concerne les autres chefs de préjudice, Nordis ne démontre pas que les coûts afférents aux licenciements économiques dont elle réclame le paiement aient un lien direct avec la brutalité de la rupture des relations commerciales avec Leader Price ou que ces licenciements n'aient pas été effectués dans le cadre d'une réorganisation plus globale, notamment par un transfert de charges à sa holding, la société European Creation ;
Qu'en ce qui concerne le préjudice subi pour atteinte à l'image et le préjudice moral invoqué suite à la rupture, il appartient à la société Nordis de rapporter la preuve de cette atteinte et d'un lien de causalité entre ladite rupture et lesdits préjudices, ce qu'elle ne fait pas ;
Considérant qu'en effet seules les conséquences de la brutalité de la rupture ouvrent droit à l'indemnisation et que la société Nordis est défaillante à démontrer en quoi la brutalité de la décision prise par Leader Price lui aurait causé de tels préjudices, alors par ailleurs que les relations se poursuivaient avec Franprix et se développaient avec la holding ;
Que les simples échanges de correspondances, même s'ils sont critiques, ne suffisent pas à établir un préjudice moral ou une atteinte à l'image ;
Qu'il y a lieu de débouter la société Nordis des demandes formulées à ce titre ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les limites fixées au dispositif ci-après, et uniquement pour Nordis à l'encontre de Leader Price.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette la demande de nullité du jugement déféré. Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Condamne la société Leader Price à payer à la société Nordis la somme de 885 036,95 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale. Déboute la société Nordis de ses autres demandes contre la société Leader Price. Déboute la société Nordis de toutes ses demandes contre la société Franprix. Condamne la société Leader Price à payer à la société Nordis la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Dit n'y avoir lieu à accorder d'indemnisation en application de cet article à la société Franprix. Condamne la société Franprix aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.