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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 10 février 2017, n° 15-01381

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Etnidis (SARL)

Défendeur :

Panini France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis-Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Tarczylo, Legon, Bernabe, Chemla

T. com. Paris, du 15 déc. 2014

15 décembre 2014

Faits et procédure

La société Etnidis, qui exerce l'activité de commerce en gros de téléphones portables, a, depuis février 2010, pour fournisseur la société Panini.

Le 7 juin 2012, Panini a avisé Etnidis qu'elle réorganisait son activité et qu'elle solliciterait Etnidis lorsqu'elle aurait des téléphones à lui proposer et en conséquence ne répondrait plus à ses demandes. Cette réorganisation a été le prélude de la cession de sa branche téléphonie mobile intervenue le 31 décembre 2012.

S'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale de la part de Panini, Etnidis a, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, saisi le Tribunal de commerce de Paris.

Parallèlement, Panini a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir le paiement de sommes qu'elle estimait qu'Etnidis lui devait. Le Tribunal de commerce de Nanterre s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Paris ainsi saisi de ces deux affaires connexes.

Par jugement rendu le 15 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- joint les dossiers RG n° 2013 030762 et RG 2014 017299 et dit que sera prononcé un seul jugement sous le n° J2014000710 ;

- débouté la SARL Etnidis de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la SARL Etnidis à payer à la SA Panini France les sommes de :

- 22 920,73 euros en principal, des factures impayées dues à Panini ;

- 4 000 euros à titre d'indemnité ;

- 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

- condamné la SARL Etnidis aux dépens.

La SARL Etnidis régulièrement interjeté appel de la décision.

Prétentions des parties

La société Etnidis, par conclusions signifiées le 28 juillet 2015, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris sur l'ensemble de ses dispositions ;

- débouter la société Panini France de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Statuant à nouveau,

- constater le caractère établi de la relation commerciale entre les sociétés Etnidis et Panini France

- dire que la société Panini France a brutalement et sans préavis rompu cette relation commerciale établie ;

- condamner la société Panini France à payer à la société Etnidis la somme de 57 101 euros à titre de dommages et intérêts ;

- ordonner la compensation de cette somme avec toute autre somme dont la cour de céans condamnerait la société Etnidis à paiement ;

Y ajoutant,

- condamner la société Panini France à payer à la société Etnidis la somme de 5 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que les motifs retenus par les juges consulaires, qui se réfèrent arbitrairement au chiffre d'affaires de 2010, fixent le préavis dû à 3 mois et considèrent que le montant du chiffre d'affaires, prétendument constaté entre les parties depuis juin 2012, attesterait que les relations avec Panini se seraient poursuivies pendant une période d'au moins trois mois postérieurement au courriel de rupture du 7 juin 2012, ne sont pas pertinents. Elle rappelle que des livraisons ne sont pas intervenues postérieurement à juillet 2012, puisque les dernières factures ont été établies par Panini France courant 2012 et correspondent nécessairement à des commandes passées antérieurement. Elle ajoute que les frais de recouvrement auxquels elle a été condamnée ne sont aucunement justifiés par Panini et sont hors propos.

Elle indique qu'entre les mois de février 2010 et mai 2012, le montant total des commandes qu'elle a passées auprès de la société Panini France a atteint la somme de 445 767,07 euros HT, et que la relation commerciale est donc bien établie. Elle ajoute que c'est dans le cadre de cette relation commerciale établie que par un courrier électronique le directeur commercial de la société Panini a décidé de rompre brutalement toute relation sans raison, ni préavis à partir du 7 juin 2012. La société Etnidis soutient que les motifs invoqués par la société Panini, afin de s'exonérer de toute responsabilité, ne sont pas valides. Elle indique que nul commerçant ne rompt plus de deux années de relations commerciales avec un client parce que celui-ci ne paie pas une facture, une trentaine de jours après son édition, dont l'exigibilité est de 30 jours au regard de l'article L. 441-6 du Code de commerce et ce a fortiori lorsqu'il ne s'agit que d'un solde restant dû.

La société Etnidis ajoute que Panini France ne démontre aucunement les prétendus problèmes d'approvisionnement et que la cession de branche d'activité invoquée n'est intervenue que 6 mois après la rupture. Elle indique que les arguments aujourd'hui soutenus par la société Panini afin de justifier la rupture brutale des relations commerciales n'ont jamais été invoqués à l'époque de ladite rupture.

La société Etnidis ajoute que la société Panini a décidé de l'arrêt brutal et définitif de livraisons sans prendre soin de lui proposer un réaménagement de leurs relations commerciales.

Elle indique enfin que, dès lors que la société Panini France est son principal fournisseur, la demande de réparation de son préjudice est fondée ; elle soutient qu'un délai de préavis de cinq mois aurait dû être respecté, et que le non-respect de ce préavis lui a causé un manque à gagner de 57 101 euros.

La société Panini France, par conclusions du 29 mai 2015, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

- débouter Etnidis de son appel et d'une manière générale de toutes ses demandes fins et conclusions ;

- au besoin entendre la société Etnidis condamnée aux sommes dues :

- 22 920,73 euros en principal ;

- 4 000 euros au titre des frais de recouvrement amiable ;

- 4 000 euros pour résistance abusive ;

- 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre 4 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que l'auteur de la rupture est exonéré de sa responsabilité et dispose d'une faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure et que nombreux sont les éléments qui justifient l'absence de livraison et l'exonèrent de toute responsabilité :

- l'absence de stabilité des relations de ventes avec des variations importantes et peu d'ancienneté des relations ;

- le non-paiement des factures dues ;

- les problèmes d'approvisionnement ;

- la cession de cette branche d'activité par Panini.

Ainsi elle soutient que les relations commerciales avec Etnidis étant par nature peu anciennes, instables, et sans encadrement contractuel, que la rupture échappe à l'application de tout critère de brutalité et à toute indemnisation.

Elle invoque l'absence d'élément sérieux d'Etnidis sur les quantums des demandes, notamment sur l'éventuelle perte de marge brute alléguée ainsi que sur la proportion par rapport aux activités avec les autres fouisseurs, sur la réalité des marges brutes annoncées de 25 à 30 % incompatibles avec ce domaine, sur les tentatives de commandes entre juin et octobre 2012 et sur les justification comptables certifiées. Elle souligne enfin que, si Etnidis avait fourni son chiffre d'affaires pour 2012 et 2013, il aurait pu être constaté si le chiffre d'affaires s'était vraiment effondré du fait de l'arrêt des approvisionnements.

Sur ce

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce dispose: " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : (...) 5°) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ; que l'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ; qu'en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en être la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent ;

Considérant qu'en l'espèce, les relations commerciales entre Etnidis et Panini ont débuté le 24 février 2010 et se sont interrompues le 7 juin 2012 ; que la relation a été entretenue pendant deux ans et quatre mois ;

Qu'en effet par courriel du 7 juin 2012, la société Panini, qui fournissait la société Etnidis en téléphones portables, a informé Etnidis qu'elle interrompait ses livraisons en termes suivants: " Désormais le mode opératoire va être le suivant, c'est Panini qui vous sollicitera si nous avons des besoins, ce n'est donc plus la peine de nous solliciter car nous allons désormais privilégier notre nouvelle organisation commerciale qui a augmenté ses besoins en pack " ; qu'aucune commande n'a plus été passée postérieurement à ce courriel ; que la rupture est intervenue sans préavis ;

Que, s'il est vrai que ces livraisons portaient sur des quantités variables, les chiffres d'affaires communiqués depuis 2010 démontrent que la relation commerciale revêtait un caractère suivi, stable et habituel ; que cette relation commerciale établie a donc été rompue brutalement au sens de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce ; que le jugement entrepris sera, sur ce point, infirmé ;

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce autorise la résiliation sans préavis en cas de manquements aux engagements justifiant une rupture immédiate ;

Considérant que la société Panini soutient que cette rupture se justifiait tant par l'inexécution, par Etnidis, de ses obligations (non-paiement des factures), que par un cas de force majeure tenant aux problèmes d'approvisionnement et à la cession d'activité ;

Mais considérant que les problèmes d'approvisionnement ou la cession de son activité par Panini n'étaient ni imprévisibles, ni insurmontables, ni irrésistibles et ne constituent donc pas un cas de force majeure, la cession étant intervenue le 31 décembre 2012, soit à une date très postérieure à la rupture ; qu'en ce qui concerne le non-paiement des factures par Etnidis, d'un montant de 22 920,73 euros, ce n'est que le 18 septembre 2012 que Panini a réclamé par lettre recommandée AR ledit montant représentant un solde débiteur sur des livraisons de téléphones portables et de " packs opérateurs " d'avril à juin 2012, à la suite d'une commande du 19 avril 2012 d'un montant de 57 629,26 euros ; qu'en outre, ni le défaut d'approvisionnement, ni la cession d'activité, ni le défaut de paiement n'ont été évoqués dans le courriel du 7 juin 2012 ; qu'en conséquence, Panini ne rapporte la preuve ni d'un cas de force majeure, ni d'un manquement d'Etnidis à ses obligations propre à justifier une rupture sans préavis ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que les relations commerciales entre les parties se sont interrompues le 7 juin 2012, les livraisons postérieures résultant de commandes antérieures à cette date ; qu'au vu de la durée de la relation (2 ans et 4 mois) et des usages du commerce, la cour dispose des éléments suffisants pour fixer le préavis à deux mois ;

Sur le préjudice

Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6 I 5° que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ;

Considérant que le préjudice indemnisable est constitué de la marge brute du chiffre d'affaires qu'Etnidis pouvait escompter ; qu'il résulte des pièces communiquées qu'Etnidis a réalisé aves Panini les chiffres d'affaires suivants :

- 2010: 123 593 euros ;

- 2011: 223 593 euros ;

- 2012: 120 420 euros (en cinq mois) ;

qu'il convient d'observer que la société Etnidis n'a produit aucun élément concernant les chiffres d'affaires réalisés en 2013 et 2014 qui auraient permis de constater le manque à gagner dont elle fait état ; que le chiffre d'affaires mensuel sur 28 mois représente un montant de 16 700,21 euros ;

Qu'en appliquant un taux de marge brute de 38 % tel que retenu par l'expert-comptable, la perte de marge brute s'établit à 12 692,15 euros pour deux mois de préavis ;

Qu'il convient en conséquence de condamner la société Panini à payer à la société Etnidis la somme de 12 692,15 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ; que le jugement entrepris sera réformé en ce sens ;

Sur le solde de factures dû à la société Panini

Considérant qu'Etnidis ne conteste pas devoir la somme de 22 920,73 euros au titre du solde dû sur les factures de livraison dont le montant est justifié par les factures produites et qui a fait l'objet d'une mise en demeure le 18 septembre 2012 ; qu'elle estime néanmoins que le montant de 4 000 euros des frais de recouvrement qui a été accordé par les premiers juges, n'est pas justifié ;

Considérant que, si la société Panini a entendu faire appel à une société de recouvrement (la société Contentia) pour tenter de recouvrer cette créance (courrier du 7 novembre 2012), elle ne justifie pas du montant des frais de recouvrement dont elle demande le remboursement ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur le montant de 22 920,73 euros et de l'infirmer sur l'indemnité de 4 000 euros ;

Considérant qu'il convient d'ordonner la compensation entre les deux créances de :

- 12 692,15 euros au bénéfice de la société Etnidis ;

- 22 920,73 euros au bénéfice de la société Panini ;

Considérant que la société Panini, qui réclame un montant de 4 000 euros pour procédure abusive, n'établit pas que la société Etnidis a abusé de son droit d'ester en justice d'autant plus qu'il est fait droit partiellement à sa demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ; que la société Panini sera donc déboutée de ce chef de demande ;

Considérant que l'équité n'impose pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement entrepris sur la condamnation de la société Etnidis à payer à la société Panini la somme de 22 692,15 euros au titre des factures impayées, l'infirme pour le surplus, statuant à nouveau, condamne la société Panini à payer à la société Etnidis la somme de 12 692,15 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales, ordonne la compensation entre les deux créances, déboute les parties de leurs plus amples prétentions, dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Etnidis aux dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.