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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 février 2017, n° 14-15931

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Seveane (GIE)

Défendeur :

Holding Optical (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Ingold, Ouadi

T. com. Paris, du 16 juin 2014

16 juin 2014

Faits et procédure

La SARL Holding Optical qui vient aux droits de la société Levasseur Optique, est spécialisée dans le secteur d'activité du commerce en détails d'optique dont notamment des lunettes. Elle exploite notamment un fonds de commerce d'optique <adresse>.

Le 21 juin 2002, la société Levasseur Optique a conclu avec le GIE Groupama TPG un contrat de "prestations optiques" par lequel l'opticien faisait notamment bénéficier aux clients assurés de Groupama du tiers payant, pour une durée initiale jusqu'au 31 décembre 2003 puis renouvelable par période d'un an sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties (article 4.1) deux mois avant la date d'expiration de la période en cours, le GIE Groupama TPG se réservant le droit de résilier le contrat à tout moment, cette résiliation intervenant quinze jours après l'envoi de la notification, dans divers cas énumérés à l'article 4.2.

Le 4 janvier 2010, par avenant, les parties ont convenu du transfert du contrat au GIE Seveane.

Le 12 juillet 2012, à l'occasion d'un contrôle, le GIE Seveane a découvert une erreur de la société Optical sur la gestion d'un dossier avec prise en charge par un tiers payant.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 24 juillet 2012, le GIE Seveane a résilié son contrat de partenariat, à effet au 20 août 2012.

Soutenant que la rupture du contrat de prestations optiques opérée par le GIE Seveane est abusive, la société Optical l'a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris, par exploit du 18 juin 2013, en indemnisation au visa de l'article L. 442-6, I, 5°.

Par jugement du 16 juin 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné le GIE Seveane à payer à la société Optical venant au droit de la société Levasseur Optique la somme de 9 044 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de leur relation commerciale établie,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné le GIE Seveane à payer à la société Optical venant au droit de la société Levasseur Optique la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné le GIE Seveane aux dépens.

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par le GIE Seveane du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 16 juin 2014.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 23 octobre 2014 par le GIE Seveane, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil, et L. 442-6-5 du Code de commerce, de :

- constater le manquement de la société Optical, à l'obligation dont elle avait la charge, de respecter la procédure de contrôle de facturation du tiers payant,

- dire que ce manquement est contractuellement et par la volonté expresse des parties sanctionné par la résiliation du contrat,

- débouter la société Optical de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- dire en conséquence que la société Optical ne démontre pas avoir subi une résiliation brutale et sans motif de la convention optique passée avec la société Seveane,

très subsidiairement:

- dire en tout état de cause que la société Optical ne démontre pas plus la réalité que le quantum du préjudice qui aurait été le sien si elle s'était trouvée victime de la résiliation de son contrat qu'elle reproche à la société Seveane et qu'en tout état de cause ce préjudice ne saurait dépasser la somme de 3 090 euros HT,

- dire qu'il serait inéquitable de laisser à la seule charge de la société Seveane les frais irrépétibles de l'instance,

- condamner la société Optical à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Optical en tous les dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 22 décembre 2014 par la société Optical, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 1134 et suivants et 1149 et suivants du Code civil et des articles L. 442-6 et suivants du Code de commerce, de :

- dire la société Optical recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer les termes du jugement rendu le 16 juin 2014 par le Tribunal de commerce de Paris et ainsi confirmer que la rupture du contrat de prestations optiques opérée par la société Seveane est abusive,

- dire que la société Seveane engage sa responsabilité à l'égard de son ancien cocontractant, la société Optical, compte tenu de la rupture abusive dont elle s'est rendue coupable,

en conséquence,

- condamner la société Seveane à verser à la société Optical la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts,

en tout état de cause,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

- condamner la société Seveane à payer à la société Optical la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Seveane aux entiers dépens de la présente instance.

Sur ce,

Le GIE Seveane soutient que la résiliation du contrat est intervenue à la suite d'un manquement de la société Optical à une obligation essentielle et déterminante exclusive de tout abus rendant inapplicables les dispositions relatives à la rupture brutale d'une relation commerciale établie. Il rappelle que l'article L. 442-6, I, 5° ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations. Il se prévaut des dispositions de l'article "4.2 résiliation" du contrat qui prévoit la sanction du moindre manquement aux règles particulièrement strictes de facturation du tiers payant à laquelle les parties contractantes s'obligent. Il précise que le contrôle qu'il a opéré, a démontré la non-conformité entre la demande de tiers payant qui lui a été adressée par la société Optical et le bon de livraison correspondant aux verres délivrés à son client assuré auprès de la société Seveane et affirme que ce comportement est constitutif d'une faute de la société Optical, non contestée par cette dernière. Il estime que dès lors, un tel manquement à l'obligation de contrôle des procédures de facturation des tiers payant par l'opticien, entraîne la résiliation immédiate de la convention.

La société Optical excipe des dispositions de l'article 1134 du Code civil qui permettrait au juge de paralyser le jeu d'un certain nombre de clauses contractuelles qui doivent être exécutées de bonne foi ainsi que du caractère d'ordre public des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce auxquelles il est impossible de déroger et qui sanctionnent l'auteur d'une rupture abusive et/ou brutale. Elle affirme que la rupture du contrat par la société Seveane est abusive et démontre la mauvaise foi de cette dernière. Elle ajoute que la résiliation opérée pour sanctionner une erreur unique de commande, est manifestement disproportionnée au regard notamment du caractère isolé de cette erreur et surtout de l'absence d'antécédent de sa part.

A titre liminaire, il doit être relevé que :

- la société Holding Optical a fondé en première instance et fonde en appel sa demande d'indemnisation sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dont elle rappelle à titre préliminaire qu'elles sont d'ordre public et qu'elles s'imposent même en présence d'une clause résolutoire,

- toutefois, elle s'est référée, et se réfère encore, indistinctement à une rupture abusive et/ou brutale,

- le tribunal de commerce, après avoir rappelé que les parties entretenaient des relations commerciales, stables, régulières et significatives depuis 2002 et les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dit que la société Seveane avait commis une faute en résiliant le contrat sans pratiquement aucun préavis et qu'il convenait d'indemniser la société Holding Optical des conséquences de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, recherché le préavis raisonnable que le GIE Seveane aurait dû accorder et fixé ce préavis à un an, a condamné le GIE Seveane à verser à la société Holding Optical la somme de 9 044 euros, correspondant à un taux de marge brute de 50 % du chiffre d'affaires mensuel moyen pendant 20 mois, pour rupture abusive, car avec un préavis insuffisant, de la relation commerciale établie entre les parties,

- en appel, la société Holding Optical sollicite la confirmation de la décision sans solliciter son infirmation du chef de l'indemnisation, tout en reprenant sa demande de condamnation initiale à hauteur de 150 000 euros, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies entre les parties,

- le GIE Seveane conclut au débouté des demandes formées par la société Holding Optical au motif que celle-ci ne démontre pas avoir subi une résiliation brutale et sans motif.

Il ressort de ces éléments que malgré l'emploi indistinct et donc impropre tant par les parties que par les premier juges, des termes " abusive " et " brutale " et en l'absence de toute référence à l'article 1147 du Code civil et/ou au principe général de la responsabilité contractuelle de droit commun, l'objet du litige est circonscrit à l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qui dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.

Cet article prévoit in fine que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles. Ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.

Selon le GIE Seveane, la société Holding Optical ayant manqué à une obligation essentielle du contrat, ces dernières dispositions ainsi que celles du contrat justifient une résiliation sans préavis de sorte que la rupture ne serait pas brutale.

L'article 4.2 du contrat de prestations d'optique prévoit que le GIE Groupama TPG se réserve la possibilité de résilier à tout moment le contrat, cette résiliation étant effective quinze jours après l'envoi de sa notification, notamment en cas de non-respect par l'opticien partenaire des règles de facturation et du remboursement du tiers-payant. Les parties ont donc expressément convenu que le non-respect de ces règles constituait un événement grave justifiant la résiliation du contrat de plein droit, après un préavis de 15 jours, à l'initiative du GIE.

La société Holding Optical ne conteste pas avoir tarifé sur une demande de tiers payant (dossier n° 20120709566598) un traitement anti-reflet correspondant à un anti-reflet haut de gamme (niveau 3 glacier +) alors que l'anti-reflet réalisé sur les verres optiques de l'assuré Groupama était un anti-reflet standard (niveau 1 HMC). Le manquement contractuel est donc avéré. Par lettre recommandée avec accusé réception du 12 juillet 2012, le GIE Seveane a, pour cet unique motif, résilié le contrat à effet au 20 août 2012, octroyant ainsi un préavis effectif de 0,8 mois, légèrement supérieur au préavis prévu contractuellement de 15 jours.

En premier lieu, il apparaît que le manquement de la société Holding Optical à ses obligations contractuelles ne présente pas un caractère de gravité suffisant justifiant une rupture sans préavis des relations commerciales en ce que, d'une part il n'est pas contesté qu'il s'est agi d'un cas isolé, d'autre part il n'a généré pour la société Seveane, selon les dires de l'intimée non contestés par l'appelante, qu'un préjudice mineur d'un montant de 6 euros pour les deux verres en tenant compte des RFA, et enfin, la société Seveane n'établit nullement qu'il se soit agi, comme elle l'affirme, d'"une manipulation illicite d'écritures informatiques s'inscrivant de surcroît dans des pratiques commerciales déloyales", pratiques qu'au demeurant, elle s'abstient de caractériser. La société Seveane n'est donc pas fondée à opposer les dispositions prévues in fine à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

En second lieu, le respect des dispositions contractuelles prévues entre les parties pour résilier le contrat les unissant, ne saurait exonérer l'auteur de la rupture de sa responsabilité au regard du premier alinéa de l'article L. 442-6-I, 5°, si cette rupture apparaît brutale, et l'existence d'un délai effectivement octroyé de 0,8 mois, ne dispense pas la juridiction d'examiner si ce préavis est suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances existant au moment de la rupture.

Or, le préavis effectif de 0,8 mois accordé par la société Seveane apparaît manifestement insuffisant eu égard à la durée, non contestée, des relations commerciales établies entre les parties depuis 10 ans. En effet, comme les premiers juges l'ont relevé, si la part du chiffre d'affaires réalisé avec des clients assurés Seveane représente une part modeste entre 5 et 6 % de son chiffre d'affaires global, pourcentage qui n'est pas utilement contredit par la société Seveane laquelle se contente d'affirmer sans en justifier qu'il est de 3 %, il y a lieu de tenir compte de la part croissante de son chiffre d'affaires réalisé avec le GIE Seveane (9 321 euros en 2010, 17 507 euros en 2011, 14 787 euros pour les 8 premiers mois de 2012).

Au regard des éléments ci-dessus relevés, et étant observé que la société Holding Optical n'évalue aucunement le délai qui aurait été nécessaire pour lui permettre de retrouver un partenaire équivalent, le délai de préavis suffisant fixé à un an par les premiers juges apparaît justifié, peu important à cet égard que le contrat ait été à durée déterminée d'une année. Faute d'avoir été accompagnée d'un préavis de cette durée, la rupture des relations commerciales établies entre les parties pendant dix ans, à l'initiative de la société Seveane, est brutale et engage la responsabilité de cette dernière sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Sur l'évaluation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture

Le GIE Seveane affirme que le chiffre d'affaire réalisé en 2011 par la société Optical à travers le réseau Seveane n'était que de 17 000 euros. Il estime que le préjudice de la société Optical ne peut être supérieur à un an de perte de marge et serait égal à 3 090 euros HT.

La société Holding Optical soutient que le chiffre d'affaires réalisé en exécution du contrat était exponentiel depuis sa conclusion puisqu'il n'a cessé de croître chaque année de plus de 20 %. Elle considère qu'en l'absence de rupture abusive, elle aurait réalisé un bénéfice croissant pendant encore plusieurs années. Dès lors, ce préjudice ne saurait être évalué à moins de 150 000 euros.

Il est constant que seul est indemnisable le préjudice découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.

L'indemnité due à la société Holding Optical au titre de la rupture brutale des relations commerciales correspond à la perte de la marge brute sur le chiffre d'affaires qu'elle aurait dû percevoir si un préavis suffisant d'un an lui avait été consenti. Elle est donc équivalente au taux de marge brute de 50 % justement retenu par le tribunal et dont pourcentage n'est pas contesté par le GIE Seveane. Au vu des chiffres d'affaires de référence des 20 mois précédents la rupture, soit du 1er janvier 2011 au 31 août 2012, le taux moyen mensuel pour les 20 mois précédents la rupture s'élève à 1 615 euros de sorte que le taux moyen de marge brute s'établit à la somme de 807,50 euros. Au regard du préavis de 0,8 mois effectivement accordé, l'indemnité à allouer doit être évaluée à 9 044 euros (807,50 x 11,2 mois). Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a évalué à cette somme le préjudice subi à ce titre.

En définitive, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions en ce compris la condamnation du GIE Seveane qui succombe, aux dépens de première instance et à verser à la société Holding Optical la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur les dépens d'appel et l'article 700 du Code de procédure civile

Le GIE Seveane qui succombe en appel, supportera la charge des dépens d'appel et devra verser la somme supplémentaire de 3 000 euros à la société Holding Optical au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, condamne le GIE Seveane aux dépens de l'appel, condamne le GIE Seveane à verser à la société Holding Optical la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.