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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 9 février 2017, n° 2012-12073

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Colas Rail (SA)

Défendeur :

Ministère de l'Economie et des Finances, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Douvreleur

Avocat général :

Mme Guidoni

Conseillers :

Mmes Faivre, Mouthon Vidilles

Avocats :

Mes Teytaud, Donnedieu de Vabre-Tranié

CA Paris n° 2012-12073

9 février 2017

Faits et procédure

LA COUR est saisie du recours formé par la société Colas Rail, anciennement société Séco Rail, contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-D-25 du 29 juillet 2009 relative à des pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées. Par cette décision, l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité) a infligé des sanctions pécuniaires à cinq entreprises pour s'être livrées à des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne (ci-après le traité CE), devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Le Conseil de la concurrence avait été saisi le 1er juin 2005 par le ministre chargé de l'Economie, sur la base d'une enquête de ses services dans le cadre de laquelle les enquêteurs avaient, notamment, procédé à des visites et saisies dans les locaux de huit entreprises, dont la société Séco Rail. Menées le 6 juillet 2004, ces opérations avaient été préalablement autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Versailles en date du 23 juin 2004, contre laquelle avaient été formés plusieurs pourvois que la Cour de cassation a rejetés par arrêt du 3 novembre 2005. Après que des griefs leur eurent été notifiés le 14 avril 2008, deux des entreprises en cause, dont la société Colas Rail, saisirent le juge des libertés et de la détention de requêtes en rétractation de son ordonnance ayant autorisé les visites et saisies. Ces requêtes furent rejetées par ordonnance du 5 juin 2009, que le Premier président de la Cour d'appel de Versailles confirma par ordonnance du 16 avril 2010. Par arrêts des 4 mai et 16 juin 2011, la Cour de cassation a prononcé la cassation sans renvoi des ordonnances du Premier président.

Les pratiques en cause portaient sur des travaux de régénération de voies ferrées, c'est-à-dire de maintenance lourde, dits travaux "hors suite". Contrairement aux travaux dits de "suite rapide" qui nécessitent le recours à un engin spécifique et à d'importants moyens humains et qui sont encadrés par des marchés d'une durée allant de un à cinq ans, les travaux "hors suite" peuvent être réalisés avec les engins habituels et des équipes moins nombreuses et ils donnent lieu à la conclusion de contrats dont la durée va de quelques semaines à quelques mois. La SNCF est chargée d'assurer l'entretien du réseau ferré pour le compte de Réseau Ferré de France (ci-après RFF), qui en est propriétaire de la quasi-totalité et qui lui a délégué, par convention du 14 janvier 1999, les fonctions de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'œuvre.

Par la décision déférée du 29 juillet 2009, l'Autorité de la concurrence a considéré qu'il était établi par un faisceau d'indices graves, précis et concordants que les entreprises en cause s'étaient livrées, dans le cadre du marché "hors suites" du premier semestre 2004 et dans le cadre du marché "hors suites" du second semestre 2004, à des pratiques contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE et consistant dans des échanges d'informations antérieurement à l'ouverture des plis ainsi que, s'agissant du premier de ces marchés, dans la présentation d'offres de couverture. Elle a, en conséquence, prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires, dont une sanction de 2 600 000 euros infligée à la société Colas Rail.

Les sociétés sanctionnées ont formé un recours contre cette décision et contre l'ordonnance du 23 juin 2004 ayant autorisé les visites et saisies, sur la base des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence.

Par arrêt du 29 juin 2010, la Cour d'appel de Paris a rejeté le recours contre l'ordonnance du 23 juin 2004 et a partiellement annulé et a réformé la décision de l'Autorité. Saisie de pourvois, la Cour de cassation a, par arrêt du 2 novembre 2011 (pourvoi n° 10-21.103), jugé que la cour d'appel avait violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH) en statuant sur le recours formé contre l'ordonnance puis sur le recours formé contre la décision, "alors que l'examen de l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction". Elle a, en conséquence, cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel "mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours formé par la société Colas Rail contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 23 juin 2004 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles et rejeté son recours contre la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence" et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel autrement composée.

Par déclaration du 29 juin 2012, la société Colas Rail a saisi la Cour d'appel de Paris d'un recours en contestation de l'ordonnance du 23 juin 2004 ayant autorisé les visites et saisies et d'un recours en annulation et subsidiairement en réformation de la décision du 29 juillet 2009 de l'Autorité de la concurrence.

Par ordonnance du 3 juillet 2012, le magistrat délégué par le Premier président de la Cour d'appel de Paris a ordonné la disjonction de ces deux recours. Par arrêt du 30 octobre 2013, la Cour d'appel de Paris a rejeté le recours dirigé contre l'ordonnance du 23 juin 2004 ayant autorisé les visites et saisies. Par arrêt du 25 février 2015 (pourvoi n° 13-87.794), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt. Le recours dirigé contre la décision de l'Autorité de la concurrence est l'objet de la présente instance.

LA COUR,

Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-25 du 29 juillet 2009 relative à des pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées ; Vu la déclaration en date du 29 juin 2012 de saisine sur renvoi après cassation de la société Colas Rail ;

Vu les observations, le mémoire en réplique, l'exposé des moyens, les conclusions en réplique, les conclusions récapitulatives, les conclusions en réplique et récapitulatives et les conclusions additionnelles déposées par la société Colas Rail les 28 septembre, 10 octobre et 18 décembre 2012, 30 avril 2013, 15 octobre 2015, 7 avril et 19 septembre 2016 ;

Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence les 5 mars 2013 et 21 janvier 2016 ;

Vu les observations écrites déposées par le Ministre chargé de l'économie les 4 mars 2013 et 21 janvier 2016 ;

Vu l'avis du Ministère public en date du 27 septembre 2016 ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 29 septembre 2016 le conseil de la requérante, qui a été mise en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE,

Par ses conclusions en réplique et récapitulatives des 7 avril et 19 septembre 2016, la société Colas Rail demande à la cour de :

- A titre préliminaire, écarter les observations déposées par l'Autorité de la concurrence, le 21 janvier 2016, en ce que l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions.

- A titre principal, prononcer l'annulation de la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence en date du 29 juillet 2009, en ce que :

* l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 en date du 13 novembre 2008, en ce qu'il ouvre une voie de recours contre une ordonnance d'autorisation de visites et saisies alors qu'un arrêt de rejet par la Cour de cassation du pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation et une décision de condamnation au fond sont déjà intervenus, ne peut plus offrir les garanties d'un juge impartial et est donc contraire à l'article 6 § 1 de la CESDH.

* il n'existe aucun motif propre à établir, selon les exigences posées par la Cour de cassation dans son arrêt en date du 14 février 2012, que le recours en contestation prévu par l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 en date du 13 novembre 2008, répondait, en l'espèce, à la condition de délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, dès lors que les sociétés en cause n'ont pu contester en fait et en droit l'ordonnance autorisant les visites et saisies que plus de 5 ans après l'exécution de celles-ci (6 juillet 2004).

* la durée excessive de la procédure, contraire à l'exigence d'un délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, a porté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux droits de la défense de la société Colas Rail.

Ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Rail du montant des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

Ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- A titre subsidiaire, prononcer l'annulation de la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence en date du 29 juillet 2009, en ce que les pratiques reprochées à la société Colas Rail ne sont pas établies.

Ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Rail du montant des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

Ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- A titre très subsidiaire, prononcer l'annulation de la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence en date du 29 juillet 2009, en ce qu'elle n'a pas démontré une affectation sensible du commerce entre États membres au sens de l'article 81 du Traité CE (devenu article 101 du TFUE). Ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Rail du montant des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

Ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- A titre très très subsidiaire, réformer la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence en date du 29 juillet 2009, en ce que la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Colas Rail est disproportionnée au regard de la gravité des faits reprochés, du dommage à l'économie allégué et de la situation de l'entreprise, contrairement aux exigences de l'article L. 464-2 du Code de commerce, et par voie de conséquence réduire de manière substantielle le montant de la sanction prononcée à l'encontre de la société Colas Rail.

Ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Rail du trop-perçu des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

Ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

En toute hypothèse, condamner le Ministre chargé de l'économie au paiement d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur la demande préliminaire tendant à ce que soient écartées les observations déposées par l'Autorité de la concurrence

A titre préliminaire, la société Colas Rail demande à la cour d'écarter les observations écrites déposées les 21 janvier et 13 mai 2016 par l'Autorité de la concurrence, au motif qu'il en résulterait une atteinte à l'article 6 § 1 de la CESDH. A l'appui de cette demande elle invoque deux arrêts rendus le 10 septembre 2014 (pourvoi n° 13-21.762) et le 10 septembre 2015 (pourvoi n° 14-10.111) par la première Chambre civile de la Cour de cassation qui, ayant jugé que "l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions" et qu'au cas d'espèce le Conseil des ventes volontaires "qui prononce une sanction disciplinaire constitu[ait] une telle juridiction", a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel qui avait statué "au vu des observations écrites déposées" par ce conseil. Les requérantes rappellent que selon les textes qui lui sont applicables, le Conseil des ventes volontaires est, comme l'Autorité de la concurrence depuis 2012, partie à l'instance devant la cour d'appel saisie d'un recours contre ses décisions. Par ailleurs, elle souligne que dans son arrêt du 7 décembre 2010 (aff. C-439/08, Vebic), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'effet utile des articles 101 et 102 du TFUE commandait qu'une autorité de concurrence nationale puisse participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur, mais qu'elle a précisé qu' "en l'absence de réglementation de l'Union", les États membres demeuraient compétents pour désigner l'organe relevant de l'autorité de concurrence nationale qui dispose de la faculté de participer, en tant que partie défenderesse à une telle procédure ; elle fait valoir qu'aucun texte de droit national n'a désigné l'organe relevant de l'Autorité de la concurrence qui disposerait de cette prérogative.

Mais force est de constater, en premier lieu, que si l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle prononce des sanctions pécuniaires à l'encontre d'entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles, statue en "matière pénale" au sens de l'article 6 précité, avec les conséquences qui s'y attachent, et si, comme le Conseil des ventes volontaires, elle est partie à l'instance devant la cour d'appel, elle a la nature non d'une juridiction, mais d'une autorité administrative, ainsi que le prévoit expressément l'article L. 461-1 du Code de commerce, sans qu'aucune des "similitudes" relevées par la société Colas Rail, en ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement de ces deux autorités, ne soit de nature à écarter l'application de cette qualification légale.

En deuxième lieu, et contrairement à ce qu'affirme la requérante, les textes de droit national ont déterminé quel était, au sein de l'Autorité de la concurrence, l'organe compétent pour participer à la procédure devant la cour d'appel, puisque l'article R. 461-1 du Code de commerce prévoit que "le président de l'Autorité de la concurrence la représente en justice" et qu'il a "qualité pour agir en demande et en défense et présenter des observations devant toute juridiction au nom de cette Autorité". A cet égard, la requérante ne démontre pas en quoi la qualité de "représentant" de l'Autorité, que les textes attribuent à son président, ferait obstacle à ce que celui-ci soit chargé, en tant qu'organe de cette même autorité, de présenter en son nom des observations devant la cour. En troisième lieu, la cour relève que les observations écrites de l'Autorité ont été déposées dans des conditions pleinement contradictoires et conformes aux règles du procès équitable, la société Colas Rail ayant, en particulier, eu la possibilité d'y répliquer. La requérante soutient, cependant, que ce dépôt n'en a pas moins rompu l' "égalité des armes" entre les parties, compte tenu de l' "autorité morale" qui s'attache aux observations écrites de l'Autorité et de leur " poids considérable, du fait de leur signature par le Président de l'institution ". Cet argument ne peut qu'être écarté en ce qu'il suppose que la cour pourrait manquer à ses devoirs les plus élémentaires d'impartialité, d'indépendance d'esprit et d'objectivité dans le traitement des recours dont elle est saisie.

La demande de la société Colas Rail tendant à ce que soient écartées les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence sera, en conséquence, rejetée.

Sur la conventionnalité du recours transitoire prévu par l'ordonnance du 23 novembre 2008

La société Colas Rail met en cause la conformité à l'article 6 § 1 de la CESDH du recours prévu à titre transitoire par l'article 5, IV, alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence.

C'est ainsi qu'elle soutient, en premier lieu, que ce recours n'offre pas les garanties d'un juge impartial lorsque, comme en l'espèce, sont déjà intervenus un arrêt de rejet par la Cour de cassation du pourvoi formé contre l'ordonnance d'autorisation des visites et saisies et une décision de condamnation au fond, celle de l'Autorité de la concurrence, fondée en tout en partie sur les pièces saisies. Elle considère, en effet, que la cour d'appel, saisie du recours prévu à titre transitoire par l'ordonnance du 13 novembre 2008 précitée, ne peut "faire abstraction" de ces décisions et ne satisfait donc pas à l'exigence d'impartialité posée par l'article 6 de la CESDH.

Mais le fait que des pièces saisies lors des visites et saisies aient été utilisées par l'Autorité au soutien de sa décision de sanctionner la société Colas ne peut être considéré comme privant la cour de l'impartialité requise et ne fait nullement obstacle au contrôle qu'elle exerce, en toute indépendance, à l'égard de cette même décision ; toute autre interprétation viderait de son sens et de sa portée le pouvoir que le juge tient de la loi de contrôler les décisions de l'Autorité et, le cas échéant, d'en prononcer l'annulation ou la réformation.

De même, le rejet par la Cour de cassation, saisie sur le fondement des dispositions alors applicables, du pourvoi formé contre l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies, ne porte en rien atteinte à l'impartialité de la cour d'appel saisie, sur la base des dispositions nouvelles, d'un recours d'une nature et d'une portée différentes, puisque tendant à contester en fait et en droit l'ordonnance attaquée.

La société Colas Rail fait valoir, en second lieu, que ce même recours ne répond pas, en l'espèce, à la condition de délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 précité, dès lors qu'elle n'a pu contester en fait et en droit l'ordonnance autorisant les visites et saisies que cinq ans après ces opérations. Le recours en cause est issu des dispositions transitoires de l'ordonnance du 23 novembre 2008 précitée, qui a prévu qu'il était porté "devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce". Au cas d'espèce, le recours contre la décision de l'Autorité en date du 29 juillet 2009 ayant été formé, dans les conditions de cet article, le 17 septembre 2009, la société Colas Rail a dès lors pu, à cette date, contester en fait et en droit l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies, soit cinq ans et deux mois après leur exécution le 6 juillet 2004.

La cour rappelle que les visites et saisies ayant été effectuées le 6 juillet 2004, et le Conseil de la concurrence ayant été saisi le 1er juin 2005, les griefs ont été notifiés le 11 avril 2008 à dix-huit entreprises et cinq d'entre elles ont été sanctionnées par la décision attaquée en date du 23 juillet 2009. Elle relève, par ailleurs, outre la complexité de l'affaire, qu'il a été donné suite aux initiatives procédurales de la société Colas Rail dans des conditions de célérité satisfaisantes, puisque le pourvoi contre l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies a été rejeté par arrêt du 3 novembre 2005 et que la requête en rétractation formée après la notification de griefs du 14 avril 2008 a été rejetée par ordonnance du 5 juin 2009, confirmée par une ordonnance du Premier président du 16 avril 2010. Il n'est dès lors pas démontré que le délai précité dans lequel la société Colas Rail a pu contester en fait et en droit les visites et saisies - soit cinq ans et deux mois après leur exécution - n'aurait pas le caractère de délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH et qu'en conséquence le recours prévu à titre transitoire par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne répondrait pas, en l'espèce, aux exigences de cet article.

Sur la conventionnalité de la présente procédure

La société Colas rappelle que plus de onze ans se sont écoulés depuis les visites et saisies effectuées le 6 juillet 2004 et que l'affaire n'est toujours pas jugée au fond. Elle en conclut que la présente procédure est d'une durée excessive, contraire à l'exigence du délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 de la CESDH et elle soutient qu'il en est résulté une "atteinte personnelle, effective et irrémédiable" à ses droits de la défense qui doit conduire la cour à prononcer l'annulation de cette procédure.

La cour a relevé plus haut que les visites et saisies ayant été effectuées le 6 juillet 2004, et la Cour de cassation ayant rejeté par arrêt du 3 novembre 2005 le pourvoi formé contre l'ordonnance les ayant été autorisées, le Conseil de la concurrence a été saisi des pratiques en cause par le ministre chargé de l'Economie le 1er juin 2005 ; les griefs ayant été notifiés le 11 avril 2008 à dix-huit entreprises, le Conseil de la concurrence a, par sa décision du 29 juillet 2009, sanctionné cinq d'entre elles. Ce délai d'instruction n'apparaît nullement excessif, compte des circonstances particulières de l'affaire et, en particulier, de la multiplicité des entreprises mises en cause, pleinement informées dès la notification du 11 avril 2008 des griefs retenus contre elles et, en conséquence, à même d'organiser leur défense. Elle observe, par ailleurs, que les recours formés contre la décision du Conseil de la concurrence en date du 29 juillet 2009 ont été jugés par un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 29 juin 2010 et que la longueur de la procédure qui a suivie la décision attaquée ne résulte pas d'un défaut de diligence des juridictions qui sont ensuite intervenues, mais de l'exercice légitime par les parties des voies de recours qui leur étaient offertes et de l'évolution législative et jurisprudentielle subséquente.

En toute hypothèse, à supposer que la durée de la procédure ne réponde pas à la condition du délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 de la CESDH, il en résulterait, non la nullité de la décision déférée, mais la possibilité pour la requérante d'obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu'elle aurait pu subir. Il n'en irait autrement que s'il était démontré une atteinte personnelle, effective et irrémédiable au droit de la société requérante de se défendre. Or, cette démonstration n'est nullement rapportée en l'espèce. En effet, la société Colas Rail se borne à affirmer que si sa défense "nécessitait des éléments complémentaires, telles que par exemple des études effectuées en vue des soumissions aux marchés concernés, documents commerciaux et comptables ou autres justificatifs, elle aurait les plus extrêmes difficultés à les retrouver" et que "les documents relatifs à l'époque des faits ne sont plus accessibles aujourd'hui". Mais ces seules allégations, hypothétique pour l'une, péremptoire et imprécise pour l'autre, n'établissent nullement qu'au cas d'espèce, la requérante n'est plus en mesure d'exercer pleinement son droit de se défendre dans la présente procédure, faute pour elle, en particulier, d'indiquer quels sont, dans le dossier, les éléments retenus contre elles auxquels elle ne peut plus répondre utilement compte tenu du temps passé. Le moyen d'annulation de la société Colas Rail sera en conséquence rejeté.

Sur les pratiques reprochées à la société Colas Rail

La société Colas Rail soutient que la décision attaquée n'est pas conforme au standard de preuve applicable et que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont établies ni en ce qui concerne le marché du premier semestre 2004, ni en ce qui concerne le marché du second semestre 2004.

Sur le standard de preuve

Selon la société Colas Rail, la décision de l'Autorité ne satisfait pas aux exigences requises en matière de preuve de pratiques anticoncurrentielles consistant dans des échanges d'informations. C'est ainsi qu'elle soutient, en premier lieu, qu'il ressort de la jurisprudence que cette preuve n'est pas rapportée en l'absence d'un "acte positif d'échange d'informations" et elle invoque, en particulier, un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 15 janvier 2008 sur le recours contre la décision du Conseil de la concurrence du 17 janvier 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de travaux de canalisations dans le département du Morbihan.

Ce précédent, cependant, auquel la société Colas Rail donne une portée qu'il n'a pas, ne peut être utilement invoqué en l'espèce. Dans l'affaire précédemment jugée, en effet, le Conseil de la concurrence avait considéré le grief établi au vu non, comme dans la présente affaire, d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, mais d'un document unique. Aussi, la cour d'appel ayant jugé, compte tenu des circonstances de l'espèce, que ce document, "qu'aucun élément extrinsèque ne confort[ait]", ne rapportait pas la preuve du grief, elle en a conclu "qu'aucun acte positif d'échange d'information en vue de se répartir les marchés avec la société X n'étant autrement démontré à la charge des sociétés Y et Z, le grief ne peut être retenu (...)".

En second lieu, la société Colas Rail reproche à l'Autorité de ne pas avoir individualisé la preuve qu'elle a retenue à son encontre, en ne précisant pas avec quelles entreprises elle aurait échangé des informations préalablement à l'ouverture des plis.

Mais la simple lecture de la décision attaquée dément cette allégation ; en effet, la décision désigne nominativement les sociétés avec lesquelles il est reproché à la société Colas Rail, sur la base d'indices dont la cour examinera plus loin la force probatoire, d'avoir échangé des informations. C'est ainsi que les paragraphes 128 et 129 rappellent que les deux griefs notifiés portaient sur des échanges d'informations entre "les sociétés Pichenot Bouillé, Champenoise, TSO, Egénie, ESAF, DVF, ETF, Colas Rail (ex. Séco Rail), TPF, Vecchietti, Meccoli, Olichon et Offroy", dans le cadre du marché du premier semestre 2004, entre "les sociétés Pichenot Bouillé, TPF, ETF, Vecchietti, Meccoli, Colas Rail (ex. Séco Rail), Olichon, Offroy, FDF, Sodesam, Egénie, DVF, ESAF, GVF-TP, TSO, Fourchard, AVF-TP et Champenoise", dans le cadre du marché du second semestre 2004. Au vu des éléments contradictoirement débattus devant elle, l'Autorité a ensuite considéré que les indices recueillis démontraient la réalité de ces échanges d'informations entre les sociétés Pichenot Bouillé, Séco Rail, ETF et Vecchietti (§ 245) et entre les sociétés Offroy, Séco Rail, ETF, Vecchietti et Pichenot Bouillé (§ 275).

En troisième lieu, la société Colas Rail fait valoir qu'un standard de preuve plus élevé est exigé lorsque, comme en l'espèce, des informations ont pu être communiquées par le maître d'ouvrage. Mais aucun des arguments qu'elle développe à ce titre n'est de nature à remettre en cause la décision attaquée. En effet, si l'Autorité a explicitement envisagé que des "fuites" d'informations aient pu émaner de la SNCF, elle en a tiré la conclusion qu'il convenait "de faire la part entre les informations qui ont pu être transmises par la SNCF et celles qui n'ont pu l'être" (§ 161), ce à quoi elle s'est employée dans des conditions dont la cour aura à examiner plus loin la pertinence. De même, c'est vainement que la société Colas Rail reproche à l'Autorité d'avoir retenu la "porosité" des marchés à l'appui des griefs reprochés ; il ressort en effet de la décision que l'Autorité a seulement considéré que "le moyen tiré de la porosité naturelle du milieu" ne démontrait pas, comme le prétendaient les entreprises en cause, qu'une entente était impossible, mais que cette "porosité" facilitait les échanges d'informations entre entreprises (§ 171), ce constat ne l'ayant nullement dispensée de rapporter la preuve des griefs notifiés.

Sur la preuve de la participation de la société Colas Rail aux pratiques reprochées dans le cadre du marché du premier semestre 2004

Le dossier d'appel d'offres concernant ce marché, qui portait sur 64 lots, a été adressé le 10 mars 2003 aux entreprises, 21 d'entre elles ayant ensuite soumissionné. Il était demandé aux candidats d'évaluer le coût des chantiers en considérant que la traction serait effectuée par la SNCF et, alternativement, de calculer les prestations de traction par l'entrepreneur dans le cadre d'une option.

La date de remise des offres était fixée au 19 août 2003 et la date d'ouverture des plis au 21 août 2003. Le rapport définitif d'attribution des lots a été adressé par la SNCF à RFF le 1er octobre 2003 et les lots ont été attribués à l'entreprise ayant proposé une offre globalement moins-disante, que ce soit avec une traction SNCF ou avec sa propre offre de traction.

L'Autorité de la concurrence a considéré qu'un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissait que les sociétés Séco Rail, Pichenot Bouillé, ETF et Vecchietti avaient échangé entre elles des informations antérieurement à l'ouverture des plis et que la société Séco Rail avait présenté des offres de couverture, qui avaient été suivies d'effet à l'égard des sociétés Pichenot Bouillé, ETF et Vecchietti, entreprises les moins disantes, en violation des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE. Elle s'est appuyée sur certains des documents saisis le 6 juillet 2004 dans les locaux des sociétés Séco Rail à Lyon (documents 2, 6, 11 et 12) et Pichenot Bouillé à Trappes (document dit "feuillet 2") ainsi que sur les déclarations recueillies au cours de l'enquête et, après avoir précisément décrits et analysés ces éléments dans les § 27 à 65 de sa décision, elle en a évalué le caractère probant au regard des griefs notifiés (§ 193 à 248).

C'est ainsi que l'Autorité a examiné le document, dit "document 6", établi par M. Fernandez, directeur de la société Séco Rail, consistant en un tableau imprimé, non daté, croisant les numéros des lots 1 à 66 avec des noms d'entreprises ayant soumissionné. Elle a constaté que ce document contenait des informations qui ne correspondaient pas aux résultats définitifs de l'appel d'offres, après négociation avec les entreprises. Elle en a justement conclu que ce document n'avait pas été établi après l'ouverture des plis et que les informations qu'il contenait n'avaient pas été communiquées par la SNCF.

Elle a, par ailleurs, procédé (p. 13 à 16 de sa décision) à l'analyse de deux documents, dits "document 11" et "document 12", datés des 7 et 6 août 2003, donc établis antérieurement à l'ouverture des plis. Ces documents se présentent sous la forme de tableaux dactylographiés associant à des lots des montants et contenant des annotations manuscrites consistant, notamment, dans des corrections chiffrées de ces montants, des mentions "OK" et des initiales désignant des entreprises soumissionnaires.

De l'examen précis de ces documents, qu'elle a confrontés aux explications de leur auteur, l'Autorité a justement déduit que " les annotations portées sur le document 11 daté du 7 août 2003 sont bien antérieures à la remise des offres et à l'ouverture des plis, puisque les initiales apposées par M. F ne correspondent pas systématiquement aux entreprises effectivement attributaires (ou moins-disantes) comme il le prétend. L'analyse des corrections apportées par M. F au document 11 montre également que celui-ci a systématiquement corrigé son offre à la hausse lorsque les initiales d'une entreprise concurrente étaient apposées et que l'offre de Séco Rail était inférieure à celle effectivement proposée par cette société concurrente (à l'exception des deux cas rappelés ci-dessus, le lot n° 9 et le lot n° 61). Ces montants corrigés qui correspondent sauf exception aux offres déposées par Séco Rail ont les caractéristiques d'offres de couverture, les " OK" confirmant les accords passés entre les entreprises. Ces accords concernent les entreprises dont les initiales sont apposées sur le document 11, soit les entreprises Pichenot Bouillé, Vecchietti, ETF, Olichon, Meccoli et Séco Rail." (§ 50 de la décision).

L'Autorité a, en outre, analysé le document dit "feuillet 2", établi par M. Zanato, P-DG des sociétés TPF et Pichenot Bouillé, et modifié pour la dernière fois le soir de l'ouverture des plis. Ce document consiste en un "tableau Excel" comportant, en regard de la liste des 66 lots, des prix, des abréviations et des chiffres figurant dans des colonnes regroupées en trois parties, intitulées "Etude 1", "Etude 2" et "Etude 3". Ayant relevé que les abréviations notées dans la colonne "Total" de la partie "Etude 2" correspondaient systématiquement aux entreprises ayant fait l'offre la plus basse pour le lot considéré, elle en a déduit que les chiffres et les abréviations désignaient des entreprises ("1" pour ETF et parfois Champenoise qui en était sa filiale à 99 %, "2" pour Séco Rail, "3 pour TSO et Offroy qui en était sa filiale à 34 %, "4" pour Meccoli, "5" pour Vecchietti, "6" pour Pichenot Bouillé ou TPF, "E" pour ESAF, "EUG" pour Egénie, "CHAMP" pour Champenoise, "GV" pour GVF TP, "Allem" pour l'entreprise allemande Heitkamp, "e" pour ESAF, "é" pour Egénie, "d" pour Dijonnaise). Le fichier contenant ce document ayant été ouvert la dernière fois le jour de l'ouverture des offres, l'Autorité a constaté qu'y figuraient les résultats de l'appel d'offres avant attribution définitive des lots, mais aussi le nom des entreprises intéressées par le lot, suivant des informations communiquées par elles avant cette ouverture, mettant ainsi en évidence "que les entreprises Séco Rail et Pichenot Bouillé ont eu connaissance d'informations similaires non validées par les faits et résultant d'un échange d'informations préalable à l'ouverture des plis". L'Autorité en a justement conclu que ces éléments constituaient un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant l'existence d'un échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis et d'offres de couverture de la part de la société Séco Rail.

Ces conclusions sont contestées par la société Colas Rail qui considère qu'aucun de ces éléments n'établit la preuve des pratiques qui lui sont reprochées. S'agissant du document 6, elle reproche à l'Autorité d'avoir ignoré que son auteur, M. F, avait déclaré que les informations qui y figuraient, et qui ne concernaient pas la société Séco Rail, lui avaient été communiquées par la SNCF.

Mais l'Autorité a dans sa décision relevé que plusieurs des informations de ce document n'étaient pas conformes aux résultats de l'appel d'offres et n'avaient donc pu être communiquées à la société Séco Rail par la SNCF, ces discordances portant, notamment, sur les montants des offres et sur la mention "non attribué". Ainsi, en ce qui concerne cette mention, si M. F a déclaré qu'elle signifiait "que l'ouverture des offres a eu lieu, mais [que] le lot n'a pas été attribué" et que "la SNCF, au moment où j'ai l'information, n'a pas déclaré d'adjudicataire sur ces lots", ces explications sont contredites par les résultats mêmes de l'appel d'offres. En effet, la mention "ETF" figure à côté du lot 64, lequel a pourtant été déclaré "non attribué", en raison du montant jugé excessif des offres ; de même, la mention "non attribué" figure à côté du lot 8, alors que la SNCF a estimé celui-ci attribuable à l'ouverture des prix ; enfin, le nom de l'entreprise Meccoli figure à côté du lot 66, alors que la SNCF n'a pas estimé ce lot attribuable et ne lui a pas donné de suite.

En ce qui concerne les montants figurant dans ce document, l'Autorité a observé que la comparaison entre celui-ci et les résultats de l'appel d'offres faisaient ressortir 13 différences sur 25 lots renseignés. La société Colas Rail conteste qu'il en soit ainsi et soutient que dans la grande majorité des cas, les montants sont soit exacts, soit correspondent à des arrondis.

Mais force est de constater que si l'explication par les "arrondis" est recevable pour le lot 37 (220 000 euros pour 221 845 euros), le lot 44 (370 000 euros pour 370 342 euros), le lot 59 (500 000 euros pour 510 275 euros), le lot 66 (160 000 euros pour 159 164 euros) et peut-être pour le lot 18 (250 000 euros pour 231 734 euros), elle ne l'est pas dans les autres cas, soit que l'écart est trop important pour être considéré comme un "arrondi" - ce qui est le cas du lot 20 (150 000 euros au lieu de 183 924 euros), du lot 47 (850 000 euros au lieu de 900 841 euros ), du lot 48 (400 000 euros au lieu de 357 929 euros) -, soit que les montants sont différents de quelques euros, sans que le montant figurant dans le document 6 soit un chiffre "rond" - ainsi du lot 29 (735 397 euros au lieu de 735 398 euros), du lot 52 (1 224 198 euros au lieu de 1 224 202 euros), du lot 56 (658 309 euros au lieu de 658 321 euros).

La société Colas Rail ne peut, dans ces conditions, valablement soutenir que toutes les informations figurant dans le document ont été communiquées par la SNCF au vu des résultats de l'appel d'offres, ces informations ne pouvant provenir que d'un échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis.

S'agissant du document 11, celui-ci consiste en un tableau dactylographié, daté du 7 août 2003, associant aux lots pour lesquels la société Séco Rail a, sauf pour quelques lots barrés, présenté une offre, des montants figurant dans des colonnes intitulées "estimation base", "estimation traction", "total lot". Ce tableau contient, en outre, plusieurs séries d'annotations manuscrites, dont M. F, dirigeant de Séco Rail, a dit être l'auteur. C'est ainsi que figurent dans les colonnes "n° LOT" et "détail des travaux", des initiales, M. F ayant indiqué qu'elles désignaient des entreprises selon les modalités suivantes : "S" pour Séco Rail, "PB" et "P" pour Pichenot Bouillé ou TPF, "V" pour Vecchietti, "E" pour ETF, "O" pour Olichon, "M" pour Meccoli, "T" pour TSO, "MA" pour Sodesam. La mention "OK" est quelquefois portée à côté de lots et signifie, selon M. F, qu'il avait "validé l'affaire vis-à-vis du technicien des méthodes". Enfin, les montants figurant dans les colonnes "estimation", qui correspondent à l'offre de la société Séco Rail, ont parfois été corrigés par des annotations manuscrites. M. F a déclaré que toutes les annotations qu'il avait portées sur ce document provenaient d'informations obtenues de la SNCF lors de l'ouverture des plis.

La société Colas Rail conteste, en premier lieu, que les annotations manuscrites soient antérieures à l'ouverture des offres et elle souligne que la date du 7 août 2003 qui y est dactylographiée ne peut, par définition, s'appliquer aux annotations manuscrites qui sont nécessairement postérieures. S'il n'est pas discutable, en effet, que les annotations manuscrites sont postérieures à la date dactylographiée du 7 août 2003, elles sont néanmoins antérieures à l'ouverture des plis, comme le démontre le constat de leurs discordances avec les résultats de l'appel d'offres. Sans doute, ces discordances n'affectent-elles, comme le fait valoir la société Colas Rail, que 5 lots sur 18 ; mais elles excluent, par elles-mêmes, en l'absence d'explication plausible qui les justifierait, que les annotations aient été portées après l'ouverture des plis et au vu du résultat de l'appel d'offres. S'agissant du document dit "feuillet 2", saisi le 6 juillet 2004 dans les locaux de la société Pichenot Bouillé, il consiste en un tableau, modifié en dernier lieu le 21 août 2003, dont certaines des colonnes sont regroupées en trois parties intitulées "Etude 1", "Etude 2" et "Etude 3". M. Zanato, P-DG de la société Pichenot Bouillé et de la société TPF, a indiqué que ce tableau a été établi avant et après les résultats de l'appel d'offres. L'Autorité a relevé que les montants figurant dans la partie "Etude 3" et dans la colonne "Total" de la partie "Etude 2" correspondaient, respectivement, aux offres présentées par M. Zanato, au nom des sociétés Pichenot et Bouillé et TPF, et aux résultats de l'appel d'offres ; mais elle a également constaté que dans la colonne sans titre entre les parties "Etude 2" et "Etude 3" figuraient des abréviations et des chiffres, désignant des entreprises et elle en a conclu que cette colonne "mentionne des entreprises intéressées par le lot suivant des informations communiquées par elles préalablement à cette ouverture [des plis]".

L'Autorité, enfin, a relevé des similitudes entre les documents saisis dans les locaux de la société Pichenot Bouillé et ceux saisis dans les locaux de la société Séco Rail, ces similitudes portant sur des informations relatives aux entreprises concurrentes et n'étant pas corroborées par les résultats de l'appel d'offres, ce qui met évidence que ces sociétés "ont eu connaissance d'informations similaires non validées par les faits et résultant d''un échange d''informations préalable à l''ouverture des plis".

Sur la preuve de la participation de la société Colas Rail aux pratiques reprochées dans le cadre du marché du second semestre 2004

La date de remise des offres pour ce marché, qui comportait 38 lots, a été fixée au 23 mars 2004 et l'ouverture des plis au 24 mars 2004. Le rapport d'attribution a été adressé par la SNCF à RFF le 29 avril 2004. Comme pour le marché du premier semestre 2004, il était demandé aux candidats d'évaluer le coût des chantiers en considérant que la traction serait effectuée par la SNCF, les prestations de traction par l'entrepreneur, alternatives à la traction SNCF, devant être calculées dans le cadre d'une option.

L'Autorité a considéré qu'un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissait que les sociétés Séco Rail, Offroy, ETF, Vecchietti et Pichenot Bouillé avaient échangé entre elles des informations antérieurement à l'ouverture des plis, en violation des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE. Elle a, en revanche, écarté le grief de répartition qui leur avait été précédemment notifié. Elle s'est appuyée sur plusieurs documents saisis le 6 juillet 2004 dans les locaux de la société Pichenot Bouillé à Trappes, désignés comme les documents 1, 3, 5 et 11, tous rédigés, à l'exception du document 11, de la main de M. Zanato qui était alors le président-directeur général de cette société ainsi que de la société TPF Travaux Publics Ferroviaires.

Elle a constaté que ces documents contenaient des informations sur les offres des concurrents de la société Pichenot Bouillé, et elle les a confrontés aux résultats de l'appel d'offres, ainsi qu'aux déclarations de leur auteur. Ayant relevé que ces informations étaient différentes de ces résultats, elle en a conclu que ces documents contenaient des informations qui ne pouvaient pas être postérieures au dépouillement des offres, et qui n'avaient pas pu être communiquées par la SNCF qui les ignorait. Elle en a déduit que les informations figurant dans ces documents provenaient d'un échange entre les entreprises concurrentes.

La société Colas Rail conteste ces conclusions et soutient qu'aucun de ces documents n'établit qu'elle aurait échangé des informations avec ses concurrents.

C'est ainsi, s'agissant du document 1, qui associe des noms d'entreprises aux différents lots du marché, que la société Colas Rail voit dans les discordances entre certaines de ces informations et les résultats de l'appel d'offres des "lacunes" que dans ses observations en réponse à la notification de griefs, la société Pichenot Bouillé a imputées à "la multiplicité des interlocuteurs SNCF pouvant faire visiter un chantier". Cette explication, cependant, ne peut être retenue ; en effet, la circonstance que la visite des différents chantiers n'ait pas été assurée par le même représentant de la SNCF, ne justifie en rien que les informations qui, selon la société Colas Rail, auraient été communiquées à cette occasion soient, selon les cas, conformes ou différentes des résultats de l'appel d'offres.

S'agissant du document 3, l'Autorité a considéré qu'il servait à établir le montant total de commande envisagé pour chaque entreprise. Si dans la plupart des cas, les entreprises mentionnées sont bien celles qui ont obtenu les lots concernés, il apparaît que s'agissant des lots 5, 10, 13, 15, 24, 34, 42, et 51, M. Zanoto a indiqué plusieurs entreprises alors même que celles-ci n'avaient pas répondu en groupement, de sorte que la SNCF ne pouvait être l'informateur de M. Zanoto. Si la société Colas Rail soutient que toutes les informations concernant la société Séco Rail étaient connues de la SNCF, cette seule circonstance, à la supposer avérée, ne démontre pas que ces informations ont été communiquées par la SNCF.

S'agissant du document 11, la société Colas Rail soutient que les informations qu'il contient ont été fournies au vu des résultats de l'appel d'offres par la SNCF, et que les différences qui peuvent être relevées résultent de ce que celle-ci a quelquefois communiqué des montants "arrondis". Mais les écarts entre les montants figurant sur le document et les montants de l'offre qui s'est révélée la moins disante sont quelquefois trop importants pour être sérieusement considérés comme des arrondis.

Ainsi, s'agissant des lots 9, 10, 22, 30, 43, 49 et 51, les montants de 256 000 euros, 2 800 000 euros, 500 000 euros, 400 000 euros, 40 000 euros, 300 000 euros et 240 000 euros figurant dans le document ne peuvent être considérés comme les montants arrondis, ni même "approximatifs", des montants des offres les moins-disantes, lesquels s'élèvent, respectivement, à 241 900 euros, 3 019 487 euros, 575 068 euros, 444 174,12 euros, 60 091,35 euros, 391 886 euros et 191 161 euros. Ces mêmes constatations excluent que les disparités constatées puissent s'expliquer, comme le prétend la société Colas Rail, par des "erreurs de transcription dans les informations recueillies de la SNCF".

S'agissant du document 5, sur lequel son auteur a inscrit, pour chacun des lots auxquels la société Pichenot Bouillé a soumissionné, des montants affectés à des noms d'entreprises, la société Colas Rail soutient qu'à supposer que ce document soit antérieur à l'ouverture des plis, rien ne démontre qu'il résulterait d'un échange entre entreprises. Elle rappelle que M. Zanato a déclaré que les montants inscrits étaient des "simulations d'offres" qu'il avait faites et que les entreprises désignées étaient celles qui avaient visité le chantier correspondant au lot considéré. Mais l'Autorité a relevé, s'agissant des colonnes correspondant prétendument à des simulations, que les noms des entreprises ou groupements placés en premier étaient ceux d'entre eux ayant fait la meilleure offre et que les montants figurant à côté ou en dessous du nom des entreprises correspondaient, de façon quelquefois approximative, au montant de leur offre. L'Autorité en a conclu à juste titre que ces constatations invalidaient les déclarations de M. Zanato, puisque les montants indiqués ne pouvaient dans ces conditions correspondre à des simulations et que les entreprises dont les noms étaient cités avaient été attributaires des lots. La société Colas Rail, enfin, soutient que l'Autorité n'a fondé l'existence d'un échange d'informations que sur la supposition que de telles informations aient été transmises à la société Séco Rail par un collaborateur de la société Pichenot Bouillé, comme celle-ci ne l'avait pas "exclu" dans ses premières écritures avant de revenir ensuite sur cette hypothèse ; elle souligne que le dossier ne contient aucune preuve d'un éventuel contact entre ces salariés. Mais contrairement à ce qu'allègue la requérante, l'existence d'un échange d'informations n'est nullement fondée sur de simples "suppositions", mais est démontrée par les éléments ci-dessus relevés. Il ressort de l'ensemble de ces constatations que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré qu'un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissait que la société Séco Rail avait, avant l'ouverture des plis, participé à un échange d'informations avec des entreprises concurrentes lors des appels d'offres des marchés des premier et second semestre 2004 et qu'elle avait, dans le cadre du premier d'entre eux, présenté des offres de couverture, en violation des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.

Sur l'affectation sensible du commerce entre États membres

A titre très subsidiaire, la société Colas Rail soutient que la décision déférée n'a pas démontré que les pratiques qui lui sont reprochées, à les supposer établies, aient été susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Elle en conclut que ces pratiques ne pouvaient être qualifiées au regard de l'article 81 du traité CE, devenu l'article 101 du TFUE, et elle demande, en conséquence, à la cour de prononcer l'annulation pour ce motif de la décision attaquée.

A l'appui de ce moyen, la société Colas Rail fait valoir que si, selon la Communication de la Commission européenne du 27 avril 2004 "portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité", l'affectation sensible du commerce entre États membres est présumée lorsque le chiffre d'affaires réalisé par les parties à l'accord avec les produits concernés excède 40 millions d'euros et que cet accord couvre l'ensemble du territoire national, cette présomption est réfutable. Or, elle soutient qu'au cas d'espèce, les marchés en cause échappaient à la concurrence étrangère, comme cela est démontré par le fait que la SNCF et RFF ont déclaré vouloir ouvrir ces marchés à la concurrence des entreprises étrangères, peu intéressées jusqu'alors compte tenu, notamment, des exigences requises en matière de normes et de qualification par la SNCF.

Sur ce point, la cour constate d'abord que l'Autorité a relevé, sans être contredite, que les conditions de la présomption ci-dessus étaient remplies, puisque le montant des deux marchés en cause excédait 40 millions d'euros et que les pratiques, mises en œuvre par des entreprises d'envergure nationale, couvraient l'ensemble du territoire national. Elle observe ensuite que malgré les difficultés liées au processus de qualification exigé par la SNCF, la société allemande Heitkamp a soumissionné sur le marché du premier semestre 2004 et qu'elle a remporté le lot pour lequel elle avait fait une offre. Elle ne saurait, enfin, retenir l'interprétation faite par la société Colas Rail des déclarations de la SNCF et de RFF, puisqu'au contraire, ces derniers, en déclarant vouloir ouvrir leur marché à la concurrence étrangère, ont attesté que précisément ces marchés affectaient le commerce intracommunautaire.

En toute hypothèse, à supposer qu'il ne puisse être démontré que les pratiques en cause affectaient le commerce intracommunautaire, il ne pourrait en résulter l'annulation de la décision déférée, laquelle est aussi fondée sur les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Sur la disproportion de la sanction prononcée par l'Autorité de la concurrence

La société Colas Rail soutient que la sanction pécuniaire d'un montant de 2 600 000 euros qui lui a été infligée par l'Autorité est disproportionnée, dans la mesure où les pratiques qui lui sont reprochées n'ont aucun caractère de gravité, qu'il n'en est résulté qu'un dommage limité à l'économie et qu'elle n'a pas joué de rôle particulier dans leur conception ou dans leur mise en œuvre. Elle demande en conséquence à la cour de réduire "de manière substantielle" le montant de la sanction pécuniaire prononcée contre elle.

Sur la gravité des pratiques

L'Autorité a dans sa décision justement souligné la particulière gravité des pratiques en cause, en ce qu'elles tiennent en échec le déroulement normal des appels d'offres en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché, en trompant le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires et en limitant l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante.

Par ailleurs, ayant rappelé que l'appel d'offres est par définition un marché instantané, qui peut être faussé sans mise en œuvre d'une entente durable, elle a considéré que le caractère ponctuel de la concertation, ou sa faible durée effective, ne pouvaient être considérés comme des circonstances atténuant sa gravité et qu'il y avait lieu de prendre en compte la durée d'exécution du marché, soit en l'espèce six mois.

La société Colas Rail le conteste et fait valoir que la décision n'a caractérisé aucun effet anticoncurrentiel des pratiques et qu'en particulier, aucune hausse artificielle des prix n'a été constatée. Elle soutient qu'en conséquence, rien ne justifiait de prendre en considération, pour apprécier la durée des pratiques, la durée d'exécution des marchés, qui ne pouvait constituer un critère de gravité.

Cette argumentation ne peut cependant être retenue puisque la durée des pratiques, qui est un critère à prendre en compte pour apprécier leur gravité, est distincte de la durée de leurs effets, laquelle relève de l'appréciation du dommage à l'économie. S'agissant d'une concertation par nature ponctuelle, puisque s'inscrivant dans le cadre d'un appel d'offres, c'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu la durée d'exécution des marchés.

La société Colas Rail reproche, enfin, à l'Autorité d'avoir retenu à titre de circonstance aggravante la "prétendue utilisation par les entreprises du système de qualification mis en place par la SNCF", la "prétendue influence prédominante de la société Colas Rail et le rôle qu'aurait joué son ancien directeur d'agence" ainsi que la "porosité du marché", imputable, selon elle, à la SNCF.

La lecture de la décision attaquée démontre qu'aucun de ces reproches n'est fondé. En effet, si l'Autorité a noté, au paragraphe 281 de sa décision, que le système de qualification de la SNCF avait "été utilisé par les entreprises pour établir des relations entre elles de nature à faire obstacle au jeu normal de la concurrence lors des appels d'offres", il n'en ressort pas qu'elle aurait, pour ce motif, aggravé le montant de la sanction pécuniaire qu'elle a prononcée. S'agissant de l'"influence prédominante" prêtée à la société Colas Rail, on ne saurait en rien faire grief à l'Autorité d'avoir considéré que certaines entreprises en cause, "telles que la société Séco Rail Rail (devenue Colas Rail) qui appartient au groupe Bouygues", sont "d'envergure internationale" et que, dès lors, "leurs comportements sont d'autant plus graves dans la mesure où ils peuvent et ont pu avoir un effet de banalisation et d'entraînement sur les sociétés de taille plus modeste du secteur" (§ 283"), ces circonstances pouvant être légitimement prises en compte dans l'appréciation de la gravité des faits reprochés. Enfin, s'agissant de la "porosité des marchés", si l'Autorité a constaté qu'elle procédait des "liens familiaux et [de] l'échange de collaborateurs" entre les entreprises du secteur, elle n'en a pas fait un facteur d'aggravation de la sanction, mais a, par cette appréciation, écarté l'argument selon lequel cette porosité était imputable à la SNCF, la cour ayant jugé plus haut que tel n'était pas le cas.

Sur le dommage à l'économie

La société Colas Rail soutient que les pratiques qui lui sont reprochées, dont elle considère qu'elles ne sont pas établies, n'ont causé qu'un dommage limité à l'économie. Elle fait ainsi valoir que ces pratiques n'ont pas exercé d'effet sur les prix et qu'à l'inverse, le montant global de chacun des marchés a été inférieur aux estimations initiales de la SNCF, soulignant que par rapport à ces estimations, les notes de présentation des deux marchés relèvent que les prix obtenus représentent une économie de, respectivement, 13,04 % et 0,21 %. Elle allègue, enfin, que le fort pouvoir de négociation dont dispose la SNCF démontre le caractère limité du dommage à l'économie.

Sur ce point, la cour rappelle qu'il convient de distinguer le dommage à l'économie, dont la loi fait un critère de détermination de la sanction pécuniaire, du préjudice souffert par le maître d'ouvrage, et qu'il importe peu que l'offre retenue soit d'un montant inférieur à l'estimation de celui-ci, seul le fonctionnement normal de la concurrence et l'incertitude sur le montant des offres proposées par les concurrents étant en effet de nature à garantir l'obtention du juste prix. S'agissant du fort pouvoir de négociation de la SNCF, celui-ci a été explicitement pris en compte, dans l'appréciation du dommage à l'économie, par l'Autorité qui a justement considéré que "Dans les circonstances de l'espèce toutefois, l'importance du dommage à l'économie a été limitée par le fait que la SNCF disposait d'un fort pouvoir de négociation, qu'elle a utilisé pour réduire le montant initial des offres proposées par le moins disant, (...)" (§ 289 de la décision). Il ressort de ces constatations que l'Autorité a, dès lors, suffisamment établi la réalité et l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause.

Sur la situation de la société Colas Rail

La société Colas Rail reproche à l'Autorité d'avoir considéré que la société Séco Rail avait "pris une part active et prépondérante à la pratique d'échanges d'informations et d'offres de couverture". Elle soutient que cette affirmation n'est démontrée par aucun élément du dossier, que les prétendues offres de couverture ne sont établies que sur la base d'une interprétation de corrections portées sur un document unique, le document 11, et qu'à supposer ces pratiques établies, rien ne permet d'affirmer que, comme le prétend l'Autorité, Séco Rail aurait "pris l'initiative" de présenter des offres de couverture.

Mais ces arguments tendent à remettre en cause la réalité de la participation de la société Séco Rail aux pratiques en cause, dont la cour a jugé qu'elle était établie par les éléments du dossier. De surcroît, la présentation d'offres de couverture par la seule société Séco Rail, qu'elle en ait pris ou non l'initiative, atteste du caractère actif et prépondérant de sa participation, étant rappelé, enfin, qu'elle a pris part aux échanges d'information qui ont affecté les deux marchés de l'année 2004.

De l'ensemble de ces constatations, il ressort que la sanction pécuniaire de 2 600 000 euros prononcée contre la société Colas Rail est justement proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie et à sa situation.

Le recours formé par la société Colas Rail sera, en conséquence, rejeté.

Sur les frais irrépétibles

La société Colas Rail succombant, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Rejette la demande de la société Colas Rail tendant à ce que soient écartées les observations écrites de l'Autorité de la concurrence ; Rejette le recours formé par la société Colas Rail contre la décision n° 09-D-25 de l'Autorité de la concurrence du 29 juillet 2009 ; Rejette la demande de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Colas Rail aux dépens de l'instance.