CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 février 2017, n° 15-23318
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Boréale (SARL)
Défendeur :
Harow (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Guizard, Favre-Picard, Berléand, David
EXPOSÉ DES FAITS
La société Harow a pour objet la production de bijoux d'origine suédoise vendus sous la marque Hana Wallmark.
La société Boréale est spécialisée dans la distribution de bijoux.
Le 15 janvier 2009, les sociétés Harow et Boréale ont signé un contrat de distribution commerciale, complété par un avenant du 15 janvier 2009.
Le 1er août 2011, les parties ont signé un nouveau contrat de distribution, qui annule et remplace celui du 15 janvier 2009 et son avenant, aux termes duquel la société Harow a confié l'exclusivité de la distribution de ses produits en France à l'exclusion du département des Alpes-Maritimes, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Suisse et en Espagne. La distribution est réalisée à titre non-exclusif pour le reste du monde.
Le contrat prévoit que le droit de distribuer les produits à titre exclusif a été consenti sous réserve du respect de quotas, et que faute pour le distributeur de respecter ces quotas de commande, le fournisseur aura la faculté de lui notifier la perte d'exclusivité de distribution des produits sur le territoire dans lequel les quotas n'auront pas été respectés.
L'article 5 du contrat stipule que " le contrat est conclu pour une durée indéterminée à compter de la signature des présentes. Chaque partie pourra y mettre fin à tout moment, par lettre recommandée avec avis de réception, en respectant un préavis de six mois ".
Estimant que la société Boréale ne respectait pas ses obligations contractuelles, la société Harow a, le 23 septembre 2013, mis fin à l'exclusivité de la société Boréale sur le territoire français et dénoncé la totalité du contrat de distribution moyennant un préavis de 6 mois.
Le 25 mars 2014, la société Boréale, estimant que la rupture de la totalité du contrat de distribution était abusive, a assigné la société Harow devant le Tribunal de commerce de Nice.
Par jugement en date du 23 mars 2015, le Tribunal de commerce de Nice a :
- condamné la SARL Harow à payer à la SARL Boréale la somme de 52 684,87 euros au titre de l'ensemble du préjudice subi,
- débouté la SARL Harow de l'ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions.
- condamné la SARL Harow à régler à la SARL Boréale la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL Harow aux entiers dépens,
- liquidé les dépens à la somme de 70,20 euros.
Par déclaration reçue le 3 avril 2015, la société Boréale a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Par déclaration reçue le 8 décembre 2015, elle a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.
Par conclusions du 1er avril 2016 par la société Boréale, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 1147 du Code civil,
Vu les dispositions de l'article 1134 du Code civil,
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce
- débouter la société Harow de sa demande de sursis à statuer,
- dire que compte tenu des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce, la Cour d'appel de Paris est seule compétente pour trancher ce litige,
En conséquence,
- réformer le jugement rendu le 23 mars 2015 par le Tribunal de commerce de Nice,
Statuant à nouveau,
- constater que la société Harow a exécuté de mauvaise foi le contrat de distribution la liant à la société Boréale,
- constater que la société Harow a manqué à ses obligations contractuelles,
- dire que la société Harow a rompu de manière anticipée et fautive les relations contractuelles les liant à la société Boréale, engageant ainsi sa responsabilité,
En conséquence,
- condamner la société Harow à payer à la société Boréale les sommes de :
154 149,45 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires résultant des agissements et de la mauvaise foi de la société Harow dans l'exécution de ses obligations.
150 000 euros au titre du préjudice subi pour non-respect de la période de préavis.
- condamner la société Harow à payer à la société Boréale le manque à gagner qu'elle subit, soit 129 771 euros déterminé par la moyenne du chiffre d'affaires HT réalisé au cours des 3 années précédant la rupture, assiette à laquelle est ensuite affectée la marge brute bénéficiaire, et " la durée du préavis qui aurait dû être respectée ",
- constater l'absence de procédure abusive,
- constater l'absence de violation de l'exclusivité,
- constater l'absence d'augmentation des tarifs par la société Boréale,
- constater l'absence de preuve concernant les manœuvres préjudiciables,
- débouter la société Harow de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
- condamner la société Harow à payer à la société Boréale une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (outre ceux de première instance), ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 14 juin 2016, la société Harow demande à la cour de :
Vu la saisine de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence,
Vu les articles 377 et 378 du Code de procédure civile,
- surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence,
A défaut,
I - Sur l'appel de la société Boréale :
Vu l'article 1134 du Code civil,
Vu l'article 1135 du Code civil,
Vu l'article 1315 alinéa 2 du Code civil,
Vu les articles 15 et 16 du Code de procédure civile,
Vu les pièces produites aux débats par les parties,
- écarter des débats les pièces de la société Boréale produites en anglais et non traduites par traducteur assermenté,
- réformer partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Nice,
- dire que la société Boréale ne rapporte pas la preuve du respect des quotas,
Subsidiairement sur la question du respect des quotas,
Vu l'article 144 du Code de procédure civile,
- désigner tel expert-judiciaire qu'il plaira à la cour avec mission notamment :
De réunir les parties et leurs conseils ;
D'entendre tout sachant ;
De se faire remettre tous documents contractuels et comptables des deux parties, dont le contrat, tous les bons de commande de tous les pays avec toutes les factures de vente correspondantes de la société Harow à la société Boréale et de la société Boréale à ses clients ;
D'établir un pré-rapport ;
De recueillir les dires des parties et d'y répondre ;
Du tout dresser rapport avec un tableau analytique permettant d'identifier sur les périodes contractuelles les commandes pays par pays, les quotas et en annexes les justificatifs contractuels, comptables et tous documents justificatifs idoines,
En tout état de cause
- dire que la société Boréale ne rapporte pas la preuve des fautes et préjudices qu'elle allègue.
- débouter la société Boréale de toutes ses demandes de dommages et intérêts,
II - Sur les demandes reconventionnelles de la société Harow et l'appel incident
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Nice qui n'a pas répondu aux moyens de la société Harow relatifs à ses demandes reconventionnelles, sauf sur la demande relative à la somme de 999 euros
Vu les dispositions du Code des procédures civiles d'exécution,
Vu l'article 1134 du Code civil
Vu l'article 1135 du Code civil,
Vu l'article 1147 du Code civil,
Vu les pièces produites aux débats,
- dire que la société Boréale a violé la clause d'exclusivité,
- condamner la société Boréale à payer à la société Harow la somme de provisionnelle de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- ordonner sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, à la société Boréale de communiquer l'ensemble de ses livres de comptabilité, en ce compris ses facturiers, bons de commandes et de livraisons depuis la signature du contrat jusqu'à la fin de la relation contractuelle,
- surseoir à statuer pour l'indemnisation complémentaire du préjudice subi par la société Harow du fait du non-respect par la société Boréale du périmètre contractuel dans l'attente de ces éléments,
- dire que la société Boréale a annoncé une augmentation brutale et conséquente de ses tarifs à compter de septembre 2013 dans le but de nuire à la société Harow,
- condamner la société Boréale à payer à la société Harow la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu les pièces produites aux débats,
- dire que la société Boréale a continué à nuire à la société Harow après la fin de la relation contractuelle,
- condamner la société Boréale à payer à la société Harow la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Vu les pièces produites aux débats,
- confirmer le jugement en ce que le tribunal a condamné la société Boréale à payer à la société Harow la somme de 999 euros au titre de la facture FC 727 indûment encaissée,
Vu l'article 559 du Code de procédure civile et l'article 1382 du Code civil,
- dire qu'au regard des pièces produites aux débats, la procédure initiée par la société Boréale est abusive,
- condamner la société Boréale à payer à la société Harow la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre,
- dire que toutes les condamnations prononcées à l'encontre de la société Boréale donneront lieu à capitalisation des intérêts dans les termes de la loi,
Vu l'article 699 du Code de procédure civile,
- condamner la société Boréale aux entiers dépens en ce compris les frais de traduction, les dépens seront distraits au profit de Maître Gilles Alliger sous sa due affirmation de droit,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Boréale à payer à la société Harow la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- débouter la société Boréale de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
MOTIVATION
Sur le sursis à statuer,
La société Harow estime que la Cour d'appel de Paris doit surseoir à statuer dans l'attente d'une décision finale de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à propos des demandes de la société Boréale qui ne sont pas fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce et pour lesquelles elle est compétente, afin d'éviter tout risque de contrariété de décision.
La société Boréale soutient que cette demande de sursis à statuer n'est qu'un moyen pour la société Harow de gagner du temps et qu'il serait d'une bonne administration de la justice de rejeter cette demande.
Sur ce,
Il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6.
La société Boréale avait invoqué, devant le Tribunal de grande instance de Nice, l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Même si la société Harow relève que des demandes sont formulées sur d'autres fondements juridiques que l'article L. 442-6 du Code de commerce, ce texte est dans les débats dont est saisie la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, laquelle n'a pas le pouvoir d'en connaître.
Ainsi, seul l'appel devant la Cour d'appel de Paris est recevable.
Il est aussi observé que la présidente de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a adressé aux parties un soit-transmis en date du 25 novembre 2015 indiquant que la cour sera amenée à soulever d'office une fin de non-recevoir dès lors que l'appelant invoque les dispositions de l'article L. 442-6 pour lesquelles la Cour d'appel de Paris dispose d'une compétence exclusive.
Aussi, et quand bien même la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a été première saisie, une bonne administration de la justice ne fonde pas la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision de cette cour d'appel, l'article L. 442-6 instaurant une responsabilité spécifique, et il n'y sera pas fait droit.
Sur le grief de mauvaise foi de la société Harow dans l'exécution du contrat,
La société Boréale estime avoir toujours respecté ses obligations contractuelles, alors que l'intimée lui a imposé unilatéralement de nouvelles conditions non prévues par le contrat.
Elle fait état d'agissements de mauvaise foi de l'intimée qui avaient pour but de l'empêcher d'atteindre les quotas prévus au contrat, qu'il s'agisse de l'imposition de nouveaux délais pour procéder aux réparations et retours d'objets défectueux ce qui l'a conduite à augmenter ses tarifs, de son exclusion de salons d'exposition, de l'absence de communication des informations nécessaires concernant les collections pour les saisons, ou de la prise de contact directe par l'intimée avec ses agents. Elle dénonce le harcèlement dont l'intimée se serait montrée l'auteur.
La société Harow relève qu'elle n'avait aucun intérêt à la fin de la relation commerciale la liant à l'appelante, que la non-réalisation des quotas n'est imputable qu'à la politique de gestion de cette dernière qui a brusquement augmenté ses tarifs.
Elle estime que la fin de la relation contractuelle n'est que la conséquence du non-respect par l'appelante de ses obligations contractuelles, que le retrait de l'exclusivité s'est fait conformément aux stipulations contractuelles suite à l'absence de réalisation des quotas prévus par le contrat.
Elle affirme que la société Boréale ne justifie pas avoir respecté les quotas fixés, conteste ses dires sur les nouvelles règles qu'elle aurait imposées concernant le service après-vente comme sur sa prétendue exclusion des salons d'exposition. De même dément-elle les griefs de non-communication, de prise de contact avec les commerciaux de la société Boréale ou de harcèlement à son endroit, et conteste les préjudices allégués par l'appelante.
Sur ce,
Le contrat du 1er août 2011 prévoyait que la société Boréale s'engageait à commander annuellement à la société Harow un nombre minimum de produits pour les pays pour lesquels elle bénéficiait d'une exclusivité contractuelle, et à indiquer à chaque commande le territoire auquel les produits commandés étaient destinés.
Il précisait qu'à défaut de respect des quotas de commande par la société Boréale, la société Harow avait la faculté de lui notifier la perte de l'exclusivité sur le territoire dans lequel les quotas n'auraient pas été respectés.
Il indiquait aussi que la société Boréale devait adresser au fournisseur à la fin de chaque trimestre une liste complète des revendeurs ou points de vente par pays et, de manière générale, l'état du marché.
Par courrier du 30 juillet 2013, la société Harow a indiqué à la société Boréale que la seule fourniture du dispatch pays par pays sur les bons de commande par e-mail transmise par l'appelante n'était pas suffisante pour vérifier l'exactitude des éléments transmis, " en l'absence de bon de livraison, ou bon de commande ou facture stipulant la destination, la quantité ou la date de livraison ".
Cependant, le contrat ne prévoit que l'obligation pour le distributeur d'indiquer le territoire pour lequel les produits commandés sont destinés, et la société Harow ne peut prendre argument de la nécessité de "contrôler les quotas de manière rigoureuse" pour imposer à la société Boréale de lui fournir des éléments dont la communication n'est pas prévue par le contrat.
L'affirmation de la société Boréale, selon laquelle en 24 mois la société Harow ne lui a jamais demandé de justification alors qu'elle lui communiquait les mêmes éléments de quantité relatifs aux quotas à chaque commande tous les 15 jours, est confirmée par les courriels de la société Boréale de février à octobre 2013 (pièces 51 à 63, et pièce 72 intimée pour août 2012 à juillet 2013) sur lesquels apparaissent le numéro de la commande, le nombre de pièces commandées et la répartition de ce nombre entre les pays.
Si la société Harow avait rappelé le 12 janvier 2012 à la société Boréale qu'elle ne lui communiquait pas à la fin de chaque trimestre la liste des revendeurs et points de vente par pays ni analyse sur l'état du marché, comme le contrat le prévoyait, pour autant la société Harow ne pouvait imposer la transmission d'éléments non exigés par le contrat, dont les termes avaient selon elle-même été négociés pendant plusieurs mois.
S'agissant du territoire sur lequel l'exclusivité était reconnue à la société Boréale, le contrat du 1er août 2011 listait la France - sauf le département des Alpes-Maritimes-, la Belgique, l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suisse, l'Espagne ; la société Boréale ne bénéficiait pas d'une exclusivité pour le reste du monde.
Par courrier du 6 janvier 2012, la société Harow confiait l'exclusivité de la distribution de ses produits à des sociétés tierces pour plusieurs pays du reste du monde dont la Nouvelle-Zélande, l'Italie et le Japon, ainsi que pour le département des Alpes-Maritimes.
La société Harow a indiqué, dans un courrier du 29 novembre 2012 ayant pour " objet : quotas Allemagne ", qu'elle n'imposait pas de quotas pour la saison 2013 afin de laisser la société Boréale développer son activité dans de bonnes conditions, après avoir rappelé les territoires sur lesquels la société Boréale bénéficiait d'une exclusivité.
Si l'appelante soutient que l'absence de quotas pour l'année 2013 porte sur l'ensemble des pays sur lesquels elle bénéficiait d'une exclusivité, il apparaît que cette lettre - à la formulation imprécise - doit s'analyser comme prévoyant une absence de quotas limitée à l'Allemagne, et le courrier du 27 août 2013 de l'appelante faisant état du respect des quotas pour la Suisse révèle qu'elle comprenait aussi le courrier du 29 novembre 2012 comme concernant l'absence de quotas en 2013 pour l'Allemagne seulement.
Pour autant, dans un courrier du 20 août 2013, la société Harow a annoncé la fin de l'exclusivité pour plusieurs pays dont l'Allemagne, au motif que la société Boréale n'aurait pas respecté les quotas contractuels, alors qu'elle avait expressément accepté une absence de quotas pour ce pays en 2013, ce qui révèle une mauvaise foi dans l'exécution contractuelle.
Ce courrier annonçait aussi la fin de l'exclusivité concernant la Suisse pour non-respect des quotas, avant que devant la réaction de l'appelante la société Harow ne revienne sur sa décision en indiquant que le contrat allait continuer à s'appliquer concernant la Suisse, pays pour lequel les quotas avaient été respectés, ce qui dénote a minima une légèreté blâmable dans l'exécution du contrat.
Par ailleurs, alors que les sociétés avaient décidé d'un commun accord le 19 octobre 2012 que les services après-vente seraient renvoyés aux clients directement par la société Harow, la société Boréale étant simplement tenue informée des envois, la société Harow l'a informée le 19 juin 2013 de nouvelles modalités de traitement de ces services après-vente, selon lesquelles les envois et suivis du traitement de ces services lui étaient confiés et qu'elle devait donner une réponse aux clients dans les 45 jours de la réception du produit, soit des modifications décidées unilatéralement induisant de nouvelles charges pour la société Boréale.
Les pièces versées montrent que la société Harow entretenait des contacts directs avec les agents de la société Boréale, sans forcément l'en informer, alors que celle-ci lui avait demandé à plusieurs reprises de s'en abstenir (courriers des 13 janvier 2012 et 14 mars 2013, pièces 27 et 28 appelante). La société Boréale justifie encore dans un courrier du 27 mars 2013 de relations directes entretenues par la société Harow avec un de ses commerciaux, via un courriel dont elle n'est pas rendue destinataire, et l'intimée ne peut expliquer qu'elle était directement contactée par les agents en se fondant sur des courriels de mars et avril 2014, postérieurs à la résiliation du 23 septembre 2013 et à l'expiration du préavis.
Enfin, l'envoi le 19 octobre 2012 par la société Harow de six courriers recommandés avec accusé de réception à la société Boréale, portant sur des sujets aussi divers que les quotas et l'exclusivité de distribution des produits, le rappel de l'obligation de communiquer une liste des points de vente par pays et un état général du marché, le processus de traitement de l'après-vente, la mise à jour du site Internet, le transfert du siège de la société ou une information sur le nouveau logo de la société Harow, est de nature à perturber considérablement l'activité de la société Boréale du fait des réponses et réactions que ces courriers induisent.
Il est ainsi établi, sans qu'il soit nécessaire de procéder à l'examen des autres griefs formés à l'encontre de la société Harow, que celle-ci n'a pas exécuté de bonne foi le contrat.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
La société Boréale soutient que la société Harow a incontestablement engagé sa responsabilité envers la société Boréale en rompant brutalement les relations commerciales suivies qu'elles entretenaient. Elle souligne que le non-respect du préavis illustre la brutalité de la rupture.
La société Harow estime que la rupture ne saurait être considérée comme brutale dès lors qu'un préavis de 6 mois a été respecté, et qu'il avait été mis fin à l'exclusivité de l'appelante sur le territoire français. Elle affirme que les quotas n'ont pas été respectés par la société Boréale.
Sur ce,
L'existence d'une relation commerciale établie est reconnue par les deux parties, elle a commencé en janvier 2009 et le 23 septembre 2013 la société Harow a adressé à la société Boréale une lettre de résiliation, marquant le début d'un préavis de six mois prévu par le contrat s'agissant de la résiliation.
La société Harow produit un tableau (sa pièce 72) démontrant selon elle que la société Harow n'aurait pas atteint les quotas.
Cependant, ce document retient des quotas pour l'Allemagne alors que la société Harow les avait supprimés.
Par ailleurs, il exclut des quotas les commandes de collection, alors qu'il n'est pas justifié que la société Harow reprendrait ces articles à la fin de la collection ni qu'ils n'ont pas été pas facturés à la société Boréale, de sorte que celle-ci est fondée à les intégrer dans ses commandes.
Il apparaît ainsi à l'analyse des commandes répertoriées du 20 août 2012 au 31 juillet 2013, sans qu'il ne soit besoin de procéder à la désignation d'un expert judiciaire, que les quotas pour la France ont été respectés, les commandes versées de la société Boréale - en ce compris les commandes de collection - établissent qu'elle a dépassé les 12 000 articles commandés pour la France. Les quotas avaient été de même respectés pour la Suisse, ce que reconnaît l'intimée.
En revanche, l'analyse de ces commandes montre que les quotas n'ont pas été respectés par la société Boréale pour la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le volume de vente pour ces deux derniers pays n'ayant pas atteint la moitié des quotas fixés. Il en est de même pour l'Espagne, pour laquelle aucune vente n'est intervenue.
Si la société Boréale conteste les dires de la société Harow sur ce point, elle ne produit pas de pièces de nature à établir qu'elle aurait atteint pour ces pays les quotas fixés.
Le non-respect des quotas, visé par la lettre de résiliation du 23 septembre 2013, - même partiel - peut justifier une rupture des relations commerciales établies entre les deux sociétés, mais ne constitue pas une inexécution par la société Boréale de ses obligations commerciales suffisamment grave pour qu'aucun préavis ne soit respecté.
En l'occurrence le préavis de six mois, contractuellement décidé entre les parties, apparaît suffisant et adapté à la situation.
Sur le respect du préavis,
La société Boréale estime que la société Harow n'a pas respecté le préavis de 6 mois, soit du 23 septembre 2013 au 24 mars 2014, en démarchant directement ses propres clients avant la fin du préavis, et en ne lui ayant pas fourni la nouvelle collection, ce qui la mettait dans l'impossibilité de distribuer les produits pendant le préavis.
La société Harow soutient avoir respecté tant le préavis d'un mois pour la perte d'exclusivité que de six mois pour la dénonciation du contrat.
Sur ce,
La réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies entre deux sociétés est fixée au vu de la perte de bénéfice qu'aurait dû réaliser la partie subissant la rupture pendant la durée du préavis dont elle aurait dû bénéficier, de sorte que la société Boréale ne peut ajouter à la réparation de la rupture brutale des relations commerciales, la réparation de la mauvaise exécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles durant le préavis.
Il sera relevé que le contrat du 1er août 2011 prévoit la faculté de mettre un terme à l'exclusivité en cas de non-respect des quotas, avec un délai d'un mois, et de résilier le contrat, avec un délai de six mois.
La société Harow a indiqué, par courrier du 23 septembre 2013, qu'elle mettait fin à l'exclusivité pour la France dont bénéficiait la société Boréale, cette déchéance prenant effet dans le mois suivant, et qu'elle résiliait le contrat moyennant un préavis de six mois.
La société Boréale établit par la fourniture d'une attestation d'un agent indépendant que de nombreux clients de son secteur français avaient été démarchés au cours du début de l'année 2014 par une personne missionnée par la société Harow, cette attestation étant dressée alors que le préavis de six mois n'était pas arrivé à son terme, alors qu'il résulte des développements précédents que la société Boréale avait respecté ses quotas pour la France, de sorte que la société Harow ne pouvait pas démarcher ses clients avant la fin du préavis de six mois.
Il est aussi établi qu'alors qu'elle s'était engagée le 12 janvier 2012 à faire ses meilleurs efforts pour assurer la présentation des collections automne-hiver au mois de juin et celle de printemps-été au mois de novembre (pièce 25 appelante), elle n'a pas présenté à l'appelante sa collection printemps-été 2014 à la fin du mois de novembre 2013, l'empêchant ainsi de distribuer ses nouveaux produits.
Sur la demande reconventionnelle,
La société Harow soutient que la société Boréale aurait vendu des produits en Australie, en Nouvelle Zélande, au Japon, en Italie et dans les Alpes-Maritimes alors qu'elle ne pouvait plus vendre sur ces territoires, dont elle avait confié l'exploitation à d'autres sociétés.
Elle reproche aussi à la société Boréale d'avoir brusquement annoncé une augmentation de ses tarifs de plus de 40 % dans le seul but de discréditer la marque Hanna Wallmark et de déstabiliser la société Harow, et d'avoir poursuivi des manœuvres qui lui étaient préjudiciables.
La société Boréale conteste avoir violé une quelconque exclusivité, et soutient avoir été autorisée par la société Harow à vendre sur les territoires en question. Elle ajoute qu'il revient à l'intimée, qui ne justifie pas de l'existence d'un préjudice, d'établir la réalité de ses griefs. Elle précise avoir renoncé à l'augmentation tarifaire envisagée, qui ne peut donc lui être reprochée.
Enfin, elle conteste toute manœuvre préjudiciable à la société Harow dont elle serait l'auteur.
Sur ce,
Le 6 janvier 2012, la société Harow a informé la société Boréale qu'elle confiait l'exclusivité de la distribution de ses produits à des sociétés tierces pour la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Japon, les USA, la Norvège, le Danemark, la Suède, l'Italie et le département des Alpes-Maritimes, cette résiliation partielle prenant effet dans les six mois de la réception du courrier ; elle reproche à la société Boréale la vente postérieurement à ce délai dans les Alpes-Maritimes, en Australie, en Nouvelle Zélande et en Italie.
S'agissant de la vente de produits en Italie, le courriel en anglais du 6 février 2013 (pièce 87 intimée), dont le niveau de complexité ne justifie pas qu'il soit écarté des débats pour défaut de traduction en français, révèle que l'interlocuteur italien de la société Boréale destine les produits en question au Japon, pays pour lequel la société Harow avait autorisé l'appelante à prendre des commandes lors d'un salon (son courrier du 11 février 2013, pièce 10 appelante), et la proximité des dates entre le salon (19 au 22 janvier 2013) et le courriel du 6 février 2013 concorde avec une commande passée à cette occasion, la société Harow ne produisant de son côté aucun élément pour contester cette présentation des faits.
S'agissant de l'Australie, il ressort des courriels que la société australienne a passé ses commandes auprès de la société Boréale à la suite d'un salon au début du mois de juillet 2013 auquel la société Harow était présente, de sorte que celle-ci ne peut reprocher cette commande à l'issue d'une rencontre à laquelle elle a assisté et ne démontre pas s'y être opposée.
Il est aussi justifié d'une commande de Nouvelle-Zélande passée le 4 avril 2012, soit à une période à laquelle la société Boréale pouvait encore distribuer ses produits dans cet Etat.
Quant aux Alpes-Maritimes, une commande a été passée en mai 2010 et une autre en avril 2012, soit alors que la société Boréale pouvait encore vendre sur ce territoire. Il est également justifié de la vente de deux bracelets en janvier 2013, ce alors qu'en juillet 2012 la société Harow avait expressément autorisé l'intimée à livrer et facturer un client sur ce territoire, de sorte que le grief de non-respect de l'exclusivité donnée à d'autres distributeurs n'apparaît pas suffisamment établi.
S'agissant du grief d'augmentation très importante des prix de la société Boréale, son gérant a indiqué par courriel du 1er octobre 2013 qu'il reportait l'augmentation des prix annoncée à la société Harow le 6 août 2013.
Si la société Boréale déclare que compte tenu de l'annonce de la résiliation du contrat, les prix n'ont jamais été augmentés, la cour relève que la comparaison des factures montre que les prix de certains articles sont restés identiques sur plusieurs années et après l'été 2013 (ainsi, le prix du bracelet cost of shipping était de 22 euros en juillet 2011 et en octobre 2013, celui du bracelet water à 63 euros en mars et en décembre 2013), ou n'ont connu qu'une augmentation légère (le prix du bracelet light est passé de 43 euros en juillet 2011 à 48 euros en décembre 2013, du bracelet Venus de 54 euros en juillet 2011à 57 euros en décembre 2013, du bracelet Laponie de 52 euros en octobre 2012 à 55 euros en décembre 2013), insusceptible de caractériser une augmentation destinée à déstabiliser la marque de la société Harow.
Enfin, un courrier du conseil de la société Harow ne peut établir que la société Boréale se serait montrée auteur de manœuvres pour porter préjudice à la société Harow. De même l'attestation d'une personne n'ayant pas travaillé pour la société Boréale, rapportant les propos de son gérant selon lesquels il voulait nuire à la société Harow en augmentant ses tarifs de 30 à 40 %, ne peut caractériser cette intention de nuire, une telle augmentation n'ayant pas eu lieu.
Il s'en suit que la demande reconventionnelle n'est pas fondée, et la société Harow en sera déboutée.
Sur l'indemnisation des différents préjudices,
Sur la réparation du préjudice résultant de la mauvaise foi de la société Harow dans l'exécution du contrat, la société Boréale sollicite le versement d'une somme de 154 149,45 euros, soit la différence entre son chiffre d'affaires 2012 et 2013.
Si les manquements de la société Harow dans l'exécution du contrat ont pu causer un préjudice à la société Boréale, cette différence de chiffre d'affaire ne peut être utilement avancée par la société Boréale pour fonder sa demande d'indemnisation, alors qu'elle a, malgré les agissements de la société Harow, distribué ses produits durant l'année 2013, et que la perte d'exclusivité ne lui a été annoncée qu'en septembre 2013.
De même la société Boréale a annoncé dans un courrier du mois d'avril 2013 que la conjoncture était très mauvaise, ce qui aussi est de nature à expliquer la baisse de son chiffre d'affaires.
Pour autant, la société Boréale a subi un préjudice moral du fait de l'attitude de la société Harow dans l'application du contrat, ainsi qu'un préjudice économique du fait des modifications apportées par la société Harow au contrat et à ses conditions d'exécution.
Il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi par la société Boréale en condamnant la société Harow au paiement de la somme de 6 000 euros.
La société Boréale ne peut solliciter à la fois l'indemnisation du préjudice subi du fait du non-respect de la période de préavis, et l'indemnisation pour rupture brutale de la relation commerciale, qui est fixée en fonction de la perte de bénéfice qu'elle aurait dû réaliser pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté.
S'agissant du préjudice découlant de la rupture brutale des relations commerciales, la société Boréale fait état de la moyenne de la marge brute établie sur les trois années précédant la rupture, et en retient la moitié correspondant à six mois de préavis.
Pour autant, la société Harow a maintenu les relations commerciales avec la société Boréale durant ce préavis, mais n'a pas permis à la société Boréale de continuer de bénéficier de l'exclusivité sur la France sur l'intégralité de la durée de ce préavis.
La marge brute moyenne des années 2010 à 2012 précédant la rupture est de 239 382 euros, soit pour 6 mois 119 691 euros.
Du fait de l'exécution partielle du préavis, il convient de retenir la moitié de la marge brute moyenne sur six mois, soit la somme de 59 845 euros.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déduit des sommes auxquelles la société Harow a été condamnée, la somme de 999 euros correspondant à une facture de la société Harow encaissée par la société Boréale.
En conséquence, la société Harow sera condamnée au paiement d'une somme de 64 846 euros.
Sur la demande en procédure abusive,
L'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'exercer une voie de recours en justice légalement ouverte, est susceptible de constituer un abus.
La société Harow succombant au principal, elle sera déboutée de sa demande de ce chef.
Par ailleurs, la société Boréale ne démontrant pas le caractère abusif de l'appel interjeté par la société Harow, sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les autres demandes,
La société Harow succombant au principal, sera condamnée au paiement des dépens.
Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 5000 euros à la société Boréale, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à sursis, Constate que la société Harow a exécuté de mauvaise foi le contrat de distribution la liant à la société Boréale, Dit que la société Harow a rompu brutalement les relations commerciales établies, Déboute la société Harow de sa demande reconventionnelle, Condamne la société Harow au paiement à la société Boréale de la somme de 64 846 euros, Déboute les parties de leurs demandes au titre de la procédure abusive, Condamne la société Harow à payer à la société Boréale la somme supplémentaire de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.