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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 13 février 2017, n° 15-20233

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lilian Pauc (SARL)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mmes Simon-Rossenthal, Castermans

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Joly, Fromantin, Semoun

T. com. Lyon, du 29 mai 2015

29 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Distribution Casino France exploite sous diverses enseignes un réseau principalement alimentaire de proximité, de supermarchés et hypermarchés.

L'EURL Lilian Pauc et la société Distribution Casino France ont conclu, le 1er juillet 2011 un contrat d'approvisionnement et une convention de location d'enseigne, pour la reprise d'exploitation d'un fonds de commerce de distribution alimentaire, sous l'enseigne Vival, situé à Mornant (69). Le contrat d'approvisionnement était conclu pour une durée initiale de 7 ans renouvelable, devant expirer le 30 juin 2018.

Par courrier du 26 décembre 2011, la société Lilian Pauc dénonçait des conditions d'exploitation rendues difficiles du fait d'une perte de son chiffre d'affaire de 30 % qu'elle attribuait à une modification de la politique tarifaire pratiquée par le Petit Casino situé à proximité.

Par courrier du 29 mars 2012, elle confirmait son refus de régler le dépôt de garantie de 22 151 euros, prévu en annexe 4 du contrat, en invoquant l'absence d'information relative à cette obligation et considérait, en l'absence d'une condition essentielle à la validité du contrat, que la convention était nulle.

Par courrier recommandé du 15 mai 2012, la société Distribution Casino France prenait acte de la rupture et réclamait à l'EURL Lilian Pauc le paiement des sommes de :

- 365,66 euros au titre des marchandises et prestations livrées non payées ;

- 390 684,16 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat, soit un montant total de 391 049,82 euros TTC.

Puis, la société Distribution Casino France assignait l'EURL Lilian Pauc devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement en date du 29 mai 2015, le Tribunal de commerce de Lyon a statué comme suit :

- Jugé authentiques et sincères les mentions manuscrites de date et de lieu figurant sur la décharge signée par la société Lilian Pauc le 1er juin 2011,

Jugé que la société Distribution Casino France n'a pas commis de faute délictuelle et que le consentement de la société Lilian Pauc n'a pas été vicié lors de la signature du contrat d'approvisionnement du 1er juillet 2011,

- Jugé que la société Lilian Pauc a commis une rupture unilatérale et fautive du contrat d'approvisionnement la liant à la société Distribution casino France,

Condamné la société Lilian Pauc au paiement au paiement de la somme de 7 054,25 euros TTC à la société Distribution Casino France en remboursement du budget d'enseigne,

Débouté la société Distribution Casino France de sa demande de paiement par la société Lilian Pauc de la somme de 2 358 euros HT au titre des cotisations d'enseigne restant dues jusqu'au terme du contrat,

- Condamné la société Lilian Pauc au paiement de la somme de 116 400 euros HT en réparation du préjudice subi par la société Distribution Casino France au titre de la perte de marge brute,

- Débouté la société Lilian Pauc de ses demandes de résiliation du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs de la société Distribution Casino France, et de paiement de dommages et intérêts à hauteur de 80 000 euros toutes causes de préjudices confondues,

- Débouté la société Lilian Pauc de toutes ses autres demandes

- Dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer I'exécution provisoire du jugement,

- Condamné la société Lilian Pauc au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance. "

La société Lilian Pauc a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 4 mai 2016, la SARL Lilian Pauc demande de :

Avant dire droit :

Ordonner la vérification d'écriture de la date et du lieu mentionnés sur la décharge datée du 1er juin 2011,

Réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

A titre principal

Constater l'absence de manquement de la société Lilian Pauc à ses obligations contractuelles,

Débouter la société Distribution Casino France de l'intégralité de ses demandes,

Constater que le consentement de la société Lilian Pauc a été vicié lors de la convention du contrat d'approvisionnement, compte tenu de l'absence de remise de document d'information précontractuelle par la société Distribution Casino France

Prononcer la nullité du contrat d'approvisionnement en date du 1er juillet 2011,

Constater que la société Distribution Casino France a pratiqué des actes de concurrence déloyale,

Prononcer la nullité du contrat d'approvisionnement en date du 1er juillet 2011,

Dire que cette nullité entraîne la remise des parties dans leur état initial, la société Lilian Pauc devant rembourser à la société Distribution Casino France la somme de 7 027,34 euros TTC au titre du budget enseigne, la société Distribution Casino France devant rembourser à la société Lilian Pauc les cotisations d'enseigne perçues soit la somme de 345,84 euros HT, soit 413,63 euros TTC (31,44 euros HT X 11 mois),

Condamner la société Distribution Casino France à payer à la société Lilian Pauc la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire,

A titre subsidiaire, si la cour estimait que le consentement de la société Lilian Pauc n'a pas été vicié,

- condamner la société Distribution Casino France à lui payer la somme de 390 000 euros à titre de dommages et intérêts,

A titre subsidiaire, constater que la société Distribution Casino France n'a pas exécuté de bonne foi le contrat :

- n'a pas rempli ses obligations précontractuelles,

- n'a pas informé la société Lilian Pauc du principe du dépôt de garantie,

- n'a pas mis la société Lilian Pauc en mesure de connaître précisément ses obligations découlant du contrat,

- a commis des actes de concurrence déloyale et des pratiques discriminatoires vis-à-vis de la société Lilian Pauc,

- n'a pas assisté la société Lilian Pauc comme le contrat d'approvisionnement l'y obligeait,

- Prononcer la résiliation du contrat d'approvisionnement en date du 1er juillet 2011 aux torts exclusifs de la société Distribution Casino France

- Condamner la société Distribution Casino France à payer à la société Lilian Pauc la somme de 80 000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues,

Constater que la société Distribution Casino France est seule responsable de la résiliation du contrat de franchise, aucune faute ne pouvant être reprochée à la société Lilian Pauc,

A titre infiniment subsidiaire, ramener le montant des sommes sollicitées par la société Distribution Casino France à titre de dommages et intérêts à de plus justes proportions,

Débouter la société Distribution Casino France de sa demande au titre de la redevance d'enseigne, à hauteur de 2 820,16 euros TTC,

Condamner la société Distribution Casino France à payer à la société Lilian Pauc la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 7 mars 2016, la société Distribution Casino France demande à la cour de :

A titre principal :

- Confirmer jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 29 mai 2015 en ce qu'il a :

- Constaté que l'EURL Lilian Pauc a rompu unilatéralement et avant terme, le contrat d'approvisionnement Vival conclu pour une durée de 7 ans ;

- Constaté que cette rupture présente un caractère fautif car dépourvu de motif légitime;

- Condamné en conséquence l'EURL Lilian Pauc à réparer le préjudice subi par la société Distribution Casino France du fait de cette rupture fautive,

- Condamné l'EURL Lilian Pauc à rembourser à la société Distribution Casino France la somme de 7 054,25 euros TTC versé à titre de budget d'enseigne ; à verser la somme de 2 358 euros HT, soit 2 820,16 euros TTC au titre des cotisations d'enseigne, que cette dernière aurait dû percevoir si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme ;

- débouté l'EURL Lilian Pauc de l'intégralité de ses demandes;

Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'EURL Lilian Pauc à verser à la société Distribution Casino France la somme de 116 400 euros au titre de la perte de marge brute subie

Statuant à nouveau sur ce point :

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à verser la somme de la somme de 318 288 HT euros soit 380 672,44 euros TTC au titre de la perte de marge brute,

En tout état de cause :

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- Mettre à la charge de l'EURL Lilian Pauc, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes retenues par l'huissier de Justice instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.

A titre subsidiaire :

- Constater que l'EURL Lilian Pauc a rompu unilatéralement et avant terme, le contrat d'approvisionnement Vival conclu pour une durée ferme de 7 ans ;

- Constater que cette rupture présente un caractère fautif car dépourvu de motif légitime ;

- Condamner en conséquence l'EURL Lilian Pauc à réparer le préjudice subi par la société Distribution Casino France du fait de cette rupture fautive,

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à lui rembourser la somme de 7 054,25 euros TTC versée à titre de budget d'enseigne ; la somme de 2 358 euros HT, soit 2 820,16 euros TTC au titre des cotisations d'enseigne, que cette dernière aurait dû percevoir si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme ;

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à lui verser la somme de 380 672,44 euros TTC au titre de la perte de marge brute ;

En tout état de cause :

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à payer à la société Distribution Casino France la somme de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeter l'intégralité des demandes de l'EURL Lilian Pauc et aux entiers dépens ;

- Mettre à la charge de l'EURL Lilian Pauc, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes retenues par l'Huissier de Justice instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.

A titre infiniment subsidiaire :

- confirmer le jugement rendu le 29 mai 2015 en toutes ses dispositions,

En tout état de cause :

- Condamner l'EURL Lilian Pauc à payer à la société Distribution Casino France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeter l'intégralité des demandes de l'EURL Lilian Pauc et aux entiers dépens ;

- Mettre à la charge de l'EURL Lilian Pauc, en cas d'exécution forcée de la décision à intenvenir, les sommes retenues par l'Huissier de Justice instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.

Sur ce,

Sur la nullité du contrat

La société Lilian Pauc dénonce le non-respect des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, demande de constater que son consentement a été vicié lors de la convention du contrat d'approvisionnement, compte tenu de l'absence de remise de document d'information pré contractuelle par la société Distribution Casino France. Elle dénie avoir porté de sa main la date et le lieu mentionnés sur la décharge datée du 1er juin 2011.

La société Distribution Casino France soutient que la rupture anticipée du contrat présente un caractère fautif car dépourvu de motif légitime. Elle réfute le défaut d'information précontractuelle, en se prévalant de la décharge signée le 1er juin 2011.

Aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce, le franchiseur est tenu de fournir à son franchisé des informations qui lui permettront de prendre sa décision en toute connaissance de cause. Le document d'information précontractuelle doit être communiqué vingt jours minimum avant la signature du contrat ou avant le versement de la somme exigée, à défaut la nullité de la convention est encourue.

Pour prononcer la nullité, il faut établir que le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du cocontractant.

Il ressort des éléments versés aux débats que le 1er juillet 2011 un contrat d'approvisionnement a été formalisé entre la société Lilian Pauc et la société Distribution Casino.

La société Lilian Pauc prétend que le même jour, la société Distribution Casino lui a fait régulariser une décharge antidatée au 1er juin 2011 et le document d'information précontractuel. Elle conteste avoir reçu un document d'information préalable au 1er juillet 2011 et dénie la date et le lieu apposés au bas de la décharge, elle ne reconnaît que sa signature au bas du document.

Pour justifier de ses allégations, la société Lilian Pauc produit une copie de son écriture, son courrier du 8 mars 2012 par lequel elle fait part de l'absence de document remis par la société Distribution Casino. Elle justifie de l'absence de preuve d'un rendez-vous tenu le 1er juin 2011, en se référant à un listing retraçant les rendez-vous qui se sont tenus et sur lequel ne figure pas la date du 1er juin 2011.

En vertu de l'article 287 du Code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte.

Il ressort de la comparaison entre l'échantillon d'écriture de la main de M. Pauc et l'écriture mentionnant la date et le lieu figurant sur la décharge datée du 1er juin 2011, produit par la société Distribution Casino, que contrairement à ce qu'a affirmé le tribunal, la cour constate des différences de calligraphie entre les deux documents. De nettes différences apparaissent notamment dans la forme des lettres " m "-" t " en outre le sens des deux écritures est différent, enfin, les dates sous forme de chiffres sont formés différemment, ce qui permet de constater que l'authenticité des mentions de date et de lieu apposées sur la décharge incriminée n'est pas démontrée.

La société Distribution Casino ne conteste pas formellement le fait d'avoir antidaté la décharge, mais considère que peu importe le lieu et la date, dès lors que l'EURL Lilian Pauc a reconnu avoir paraphé l'ensemble du document et l'avoir signé, ces éléments suffisent selon elle à écarter le bien-fondé de la demande puisqu'elle aurait signé le document en toute connaissance de cause.

Or, au regard des dispositions de l'article L. 330-3 précité, le respect du délai de réflexion est obligatoire. Le franchiseur a pour obligation de délivrer une information préalable sur l'opération envisagée de nature à permettre au franchisé de se déterminer en connaissance de cause.

Sur ce point, la société Distribution Casino ne produit aucun élément de preuve permettant de justifier d'un rendez-vous tenu antérieurement à la signature du contrat et en particulier au 1er juin 2011. La décharge signée par M. Lilian Pauc ne suffit pas à rapporter la preuve de l'authenticité de la date. Au contraire, ce document témoigne d'une réticence d'information de nature à éclairer le cocontractant au moment de la signature.

A l'inobservation de l'obligation d'information doit s'ajouter le constat du caractère intentionnel de ce manquement. Or il est manifeste que la société Distribution Casino a volontairement tenté de dissimuler le manquement à son obligation précontactuelle en faisant signer un document antidaté le jour de la signature du contrat. Dans ces conditions, l'EURL Lilian Pauc n'a pu se déterminer en toute connaissance de cause, et son consentement a été vicié.

Il s'ensuit qu'il y a lieu d'infirmer la décision du Tribunal de commerce de Lyon en toutes ses dispositions, de prononcer la nullité du contrat conclu entre les parties le 1er juillet 2011, de débouter la société Distribution Casino de toutes ses demandes.

La nullité du contrat entraîne la remise des parties dans leur état initial, la société Lilian Pauc devra rembourser à la société Distribution Casino France la somme de 7 027,34 euros TTC au titre du budget enseigne.

La société Distribution Casino France devra rembourser à la société Lilian Pauc les cotisations d'enseigne perçues (31,44 euros HT X 11 mois), soit la somme de 345,84 euros HT, soit 413,63 euros TTC.

Sur la demande de dommages et intérêts

La société Lilian Pauc ne justifie par aucun moyen de sa demande, elle en sera déboutée.

Sur les autres demandes

Il est équitable d'allouer à la société Lilian Pauc une indemnité de 6 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.

La société Distribution Casino France partie perdante, au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des dépens d'appel

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Lyon le 29 mai 2015 en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Prononce la nullité du contrat conclu le 1er juillet 2011, Condamne la société Lilian Pauc à rembourser à la société Distribution Casino France la somme de 7 027,34 euros TTC au titre du budget enseigne. Condamne la société Distribution Casino France à rembourser à la société Lilian Pauc la somme de 413,63 euros TTC. Ordonne la compensation, Condamne la société Distribution Casino France à payer à l'EURL Lilian Pauc la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes les autres demandes, Condamne la société Distribution Casino France aux dépens de première instance et d'appel.