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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 février 2017, n° 14-15753

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Buffalo Grill (SA)

Défendeur :

Martin , Indian River (SAS) , Val Trappeur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Guizard, Beaugendre, Bensoussan, Flauraud, Delfly

T. com. Paris, du 2 juill. 2014

2 juillet 2014

EXPOSÉ DES FAITS

La société Buffalo Grill est une société anonyme qui exploite un réseau de franchise constitué de restaurants spécifiques à thème centré sur la grillade, revendiquant pour particularité de créer une ambiance reproduisant l'univers du Far-West.

Le 7 février 2001, la SAS Indian River, représentée par son président directeur général Monsieur Philippe Martin, a conclu avec la société Buffalo Grill un contrat de franchise pour exploiter un restaurant à l'enseigne Buffalo Grill à Dechy (59), ce contrat contenant une clause attributive de compétence aux juridictions parisiennes.

La SARL Holding Indian Trappeur a été constituée le 16 février 2007, son gérant est Monsieur Philippe Martin, il en détient toutes les 7 500 parts sociales sauf une.

La SARL Val Trappeur a été immatriculée le 14 février 2007, elle a notamment pour objet " la restauration, vente à emporter, traiteur ", son siège social est fixé sur la commune de Lys Les Lannoy 59390, elle est détenue à hauteur de 7 125 parts sur 7 500 par la société Holding Val Trappeur, son gérant est Monsieur Philippe Martin.

En octobre 2008, la société Val Trappeur a ouvert un restaurant à l'enseigne Indian Trappeur à la Sentinelle (59).

Par ordonnance du 10 octobre 2008 le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing, saisi en référé par la société Buffalo Grill, a condamné la société Indian River à lui payer à titre de provision la somme de 75 000 euros pour réparation du trouble né du manquement contractuel, la société Val Trappeur étant tenue " in solidum ", et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Par jugement du 6 novembre 2008, cette même juridiction, par renvoi du juge des référés, a prononcé l'extinction de l'instance.

Par un arrêt du 8 janvier 2009, la Cour d'appel de Douai a notamment infirmé l'ordonnance du 10 octobre 2008 et, statuant à nouveau, fait interdiction à la société Val Trappeur d'user sur le toit du restaurant à l'enseigne " Indian Trappeur " d'une couleur rouge ou orange et d'une enseigne sur toute la largeur d'une des pentes de ce toit avec un graphisme de pointe à chacune de ses extrémités.

Par lettre recommandée du 23 mars 2009 adressée à la société Indian River, la société Buffalo Grill a résilié le contrat de franchise conclu avec cette société, sur le fondement de l'article 16 du contrat.

La société Indian River, estimant que la rupture anticipée du contrat de franchise était imputable à Buffalo Grill, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de faire constater le caractère fautif de la rupture et d'obtenir la réparation de son préjudice.

La société Buffalo Grill a à son tour assigné la société Val Trappeur et Monsieur Philippe Martin en intervention forcée, étant précisé que le Tribunal de commerce de Paris a joint les causes.

Le Tribunal de commerce de Paris, après avoir joint les causes le 18 juin 2009, s'est déclaré compétent par jugement du 22 octobre 2009.

La Cour d'appel de Paris, saisi sur contredit par la société Val Trappeur et Monsieur Martin, a confirmé le jugement du 22 octobre 2009.

Par jugement en date du 2 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la SA Buffalo Grill ne peut se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable au titre d'actes de concurrence déloyale et l'a déboutée de sa demande à ce titre,

- mis hors de cause M. Philippe Martin et la SAS Indian River sur l'action en concurrence déloyale de la SA Buffalo Grill,

- dit que la résiliation avant son terme du contrat de franchise entre la SA Buffalo Grill et la SAS Indian River est de la seule responsabilité de la SA Buffalo Grill,

- condamné la SA Buffalo Grill à payer à la SAS Indian River la somme de 345 246 euros, déboutant pour le surplus,

- condamné la SA Buffalo Grill à payer à la SAS Indian River, à la SARL Val Trappeur et à M. Martin la somme de 7 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la SA Buffalo Grill aux entiers dépens.

La cour d'appel est saisie de l'appel interjeté par la société Buffalo Grill du jugement du 2 juillet 2014.

Par conclusions du 7 novembre 2016, la société Buffalo Grill demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1147, 1149, 1152, 1184 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause,

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

- déclarer la société Buffalo Grill recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit:

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- ordonner la restitution de toutes les sommes versées par la SA Buffalo Grill aux sociétés Val Trappeur, Indian River et à Monsieur Martin en exécution du jugement dont appel,

Statuant à nouveau :

- juger que Monsieur Martin et la SARL Val Trappeur, auteurs de fautes graves, intentionnelles et déstabilisantes pour le réseau Buffalo Grill ont commis à l'encontre de la société Buffalo Grill des actes illicites de concurrence déloyale et de parasitisme,

- condamner in solidum la SARL Val Trappeur et Monsieur Martin à lui payer la somme de 500 000 euros pour réparer le préjudice né du trouble concurrentiel et de la déstabilisation du réseau Buffalo Grill,

- constater que la rupture du contrat de franchise ayant lié la SA Buffalo Grill à la société Indian River est fondée sur une faute grave du franchisé Indian River,

- juger ladite résiliation intervenue aux torts exclusifs de la SAS Indian River,

- condamner la société Indian River à payer à la SA Buffalo Grill la somme de 152 000 euros à titre d'indemnité contractuelle de rupture de contrat,

- juger que la société Indian River s'est rendue coupable de fautes graves, intentionnelles et déstabilisantes pour le réseau Buffalo Grill et a commis à l'encontre de la société Buffalo Grill des actes illicites et violant les dispositions contractuelles,

- condamner la société Indian River in solidum avec la société Val Trappeur et Monsieur Martin à payer à la SA Buffalo Grill la somme de 500 000 euros pour réparer le préjudice né de la déstabilisation du réseau Buffalo Grill,

- condamner in solidum les sociétés Val Trappeur, Indian River et Monsieur Martin à payer à la société Buffalo Grill la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ainsi que 30 000 euros sur le même fondement au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Très subsidiairement,

Pour le cas où la cour imputerait la rupture du contrat de franchise à la faute de la société Buffalo Grill,

- limiter la condamnation de la société Buffalo Grill à la somme de 152 000 euros, montant fixé par la clause pénale stipulé par l'article 16 du contrat, et compte-tenu du préjudice réel estimé à 138 031 euros, réduire la peine stipulée par cette clause pénale et cette somme de 138 031 euros, en toutes hypothèses,

- condamner in solidum les sociétés Val Trappeur, Indian River et Monsieur Martin au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Guizard & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 25 octobre 2016, Monsieur Philippe Martin, les sociétés Indian River et Val Trappeur demandent à la cour de :

Vu le contrat de franchise conclu par les sociétés Indian River et Buffalo Grill le 7 février 2001,

Vu la lettre de rupture du contrat de franchise en date du 23 mars 2009,

Vu les dispositions des articles 1134 et suivants du Code civil,

Vu les dispositions de l'article 1147 du Code civil,

- confirmer la décision querellée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré l'article 16 du contrat de franchise liant Indian River à Buffalo Grill opposable aux parties, Et statuant à nouveau,

- constater et juger que la clause limitative de garantie a pour effet de contredire la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur, en l'espèce, l'obligation de ne pas nuire aux intérêts du cocontractant,

- juger en conséquence cette clause limitative de responsabilité inopposable aux parties,

- condamner ainsi la société Buffalo Grill à payer à la société Indian River une somme de 1 801 325 euros en réparation de son préjudice.

En toutes hypothèses,

- débouter Buffalo Grill de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner pour le surplus, à payer à chacune des parties une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- la condamner aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Val Trappeur

L'appelante soutient que Buffalo Grill dispose d'une image distinctive résidant dans une toiture rouge frappée de l'enseigne " Buffalo Grill " inscrite en lettres claires entre les deux cornes d'un bison, que son savoir-faire repose sur la création d'une ambiance spécifique commune à tous les restaurants du réseau dans lesquels est décliné le concept de steak house à travers de multiples références à l'imagerie de la conquête de l'Ouest, du Far-West, des Westerns, que les restaurants Buffalo Grill jouissent d'une très forte notoriété due pour partie à cette ambiance spécifique.

Elle soutient que la société Val trappeur a violé ces caractéristiques propres au savoir-faire du réseau Buffalo Grill, le restaurant-grill qu'elle exploite présentant aux consommateurs une réplique trompeuse des restaurants Buffalo Grill et l'étude comparative des plans du restaurant Buffalo Grill de Dechy avec ceux du restaurant Val Trappeur montrant une identité frappante.

Elle soutient aussi que ce restaurant utilise les éléments notoires et caractéristiques de ses franchisés ; ainsi sa vaste toiture de couleur rouge-orange crée une confusion évidente avec un restaurant Buffalo Grill, cette toiture rouge étant alors adoptée par tous les restaurants franchisés sauf quelques exceptions, et protégée par une marque figurative en couleur représentant le bâtiment d'un restaurant Grill avec ce toit ; elle relève que l'imitation porte aussi sur l'enseigne " Indian Trappeur " placée sur les pentes de la toiture, en lettres claires et supportée par une flèche d'indiens, cette seule similitude suffisant à caractériser la confusion et la concurrence déloyale.

Elle relève que d'autres éléments créent la confusion, comme le logo Indian Trappeur qui rappelle le logo Buffalo Grill, la façade du restaurant en bois comme celle des restaurants franchisés, la reproduction de la décoration intérieure des franchisés par ce restaurant, les noms donnés aux plats adoptant les mêmes Codes que ceux de ses restaurants, enfin le détail de l'organisation du restaurant Indian Trappeur, qui signent le pillage du savoir-faire Buffalo Grill.

Elle en déduit un détournement systématisé des signes distinctifs de Buffalo Grill destiné à parasiter l'image des franchisés et à entretenir la confusion, ce qui constitue une concurrence déloyale et parasitaire.

Elle relève qu'au jour de l'assignation au fond les changements ordonnés en référé n'ayant pas été réalisés par le restaurant Indian River, la confusion volontairement créée avec un restaurant Buffalo Grill se poursuivait. Elle conteste l'appréciation du tribunal selon lequel aucun préjudice ne devait être indemnisé du fait de la suppression des risques éventuels de confusion, alors que les modifications du toit, si elles ont pu faire cesser le trouble, n'ont pas réparé les conséquences dommageables passées, cette modification ne suffisant de plus pas à effacer tout parasitisme.

Les intimés contestent toute concurrence déloyale par parasitisme économique, en relevant que le concept de Buffalo Grill est un concept non protégé et non défini, seule la marque Buffalo Grill ayant été déposée à l'INPI et les pièces produites sur ce point, en l'absence de dépôt de dessin ou modèle, ne permettant pas de rapporter cette preuve. Ils ajoutent que le contrat de franchise n'évoque pas les bibles, que l'appelante Grill ne disposait pas d'un centre de formation, ce qui interroge sur la façon dont elle pouvait organiser un transfert de savoir-faire.

Ils affirment que la société Buffalo Grill est incapable de prouver l'existence de signes distinctifs ou de justifier d'une bible définissant l'originalité du concept, n'a déposé aucune charte graphique particulière, ne peut fournir un plan modèle sur lequel s'articulent l'ensemble des restaurants édifiés à son enseigne et d'énumérer clairement des signes qui ne soient pas ceux d'un steak house, alors même qu'il lui appartient de prouver que ses signes distinctifs sont originaux en ce qu'ils diffèrent de ceux généralement observés dans les steak house ou dans les enseignes concurrentes, et qu'ils se retrouvent dans tous ses restaurants.

Ils soutiennent que si le toit Buffalo Grill est prétendument rouge à 2 pentes, certains restaurants franchisés ont d'autres formes de toit, que certains toits sont gris, ou noirs ardoise, ou blancs.

Ils ajoutent que Buffalo Grill n'est pas le seul restaurant à thème à placer son enseigne sur le toit, qu'aucun des restaurants Buffalo Grill ne ressemble à un autre restaurant du réseau, et que l'appelante ne justifie pas de l'existence de signes originaux sur les thèmes généraux du far West.

Ils relèvent que la comparaison des photos des deux concepts exclut toute confusion, ce que confirment les témoignages d'anciens membres de l'équipe Buffalo Grill. Ils avancent que le concept de Val trappeur n'est pas la copie du concept de Buffalo Grill puisqu'il a pour thème le grand Nord canadien, la neige, les trappeurs et les ours alors que la société Buffalo Grill communique sur la conquête de l'ouest, les indiens, les cow-boys et la chasse au bison.

Ils soulignent la différence des sols, des Codes couleurs, et exposent que les box Buffalo Grill évoquent l'intérieur de wagons du Far West alors que ceux du restaurant Indian Trappeur s'inspirent des chalets canadiens.

Ils ajoutent que l'appelante ne pouvant justifier des informations sur les caractéristiques d'un restaurant Buffalo Grill transmises aux franchisés lors de la conclusion du contrat de franchise, Philippe Martin et la société Indian River ne pouvaient transmettre des Codes d'identification, des bases d'information reprenant des signes distinctifs jamais répertoriés par le franchiseur.

Ils soutiennent enfin que les éventuels risques de confusion ont été supprimés par l'arrêt de la cour d'appel, qu'il n'y a pas de préjudice démontré, et relèvent que l'appelante n'explicite pas en quoi la décision de 1re instance devrait être réformée. Ils relèvent que les demandes de l'appelante seraient confuses s'agissant du préjudice.

Sur ce

La demande présentée par la société Buffalo Grill au titre de la concurrence déloyale et parasitaire est formée à l'encontre de Monsieur Martin et de la société Val Trappeur, exploitant le restaurant à l'enseigne Indian Trappeur à La Sentinelle.

S'agissant du grief portant sur la reprise des plans de ses restaurants, elle produit pour le fonder des enveloppes Soleau ouvertes donc dénuées de caractère probant.

La bible versée par l'appelante porte la date de l'année 2003, et il n'est pas établi que lors de la conclusion du contrat de franchise par la société Indian River représentée par Monsieur Martin en 2001 une telle bible lui a été remise. Cependant Monsieur Martin, en tant que gérant d'un restaurant franchisé, a pu avoir accès à sa version en ligne. Par ailleurs, la cour observe que le contrat de franchise fait référence à un manuel opératoire, lequel n'est pas fourni.

Parmi les éléments distinctifs revendiqués par la société Buffalo Grill, dont la reprise par la société Val Trappeur manifesterait la concurrence déloyale, la toiture du restaurant en constitue un élément principal, l'appelante revendiquant la toiture de couleur rouge de ses restaurants, sur laquelle en lettres claires figure l'enseigne " Buffalo Grill " encadrée par une paire de cornes de bison.

En réponse aux remarques des intimés selon lesquels le toit à deux pentes de couleur rouge n'est pas révélateur des restaurants de ce réseau car certains auraient un toit d'une autre forme ou d'une autre couleur, l'appelante explique - et n'est pas contestée - que les photographies versées par les intimés portent sur des restaurants franchisés créés à partir de 2014, année pendant laquelle le concept architectural de ses restaurants a évolué, de sorte que la grande majorité de ses restaurants présente bien un toit rouge à deux pentes. La cour relève en outre que l'ouverture du restaurant de la société Val Trappeur avec un toit rouge, est intervenue en 2008.

Le fait pour le restaurant de la société Val trappeur d'avoir un toit à deux pentes de couleur rouge, sur lequel figurait en caractères de grande dimension l'inscription Indian Trappeur, dans une police proche de celle utilisée par l'inscription Buffalo Grill sur les restaurants franchisés, cette inscription étant de la même couleur que celle de la bordure du toit et étant encadrée des signes représentatifs d'une flèche alors que l'inscription Buffalo Grill sur les toits des restaurants franchisés est encadrée de deux cornes de buffles, créait une proximité certaine avec les restaurants du réseau de franchise, de nature à provoquer une confusion dans l'esprit du public.

Les intimées ne peuvent arguer que d'autres restaurants à thème inscrivent également leur enseigne sur leurs toits, ces restaurants n'utilisant pas la couleur rouge participant de l'identité visuelle des restaurants Buffalo Grill, ni la même forme de toit, ce d'autant que la flèche stylisée qui figurait sur le toit du restaurant Indian trappeur relève aussi de l'ambiance western entretenue par les restaurants Buffalo Grill.

L'arrêt de la Cour d'appel de Douai du 8 janvier 2009 qui a retenu la confusion entre les deux toits et fait interdiction à la société Val trappeur d'user de la couleur rouge ou orange et d'une enseigne sur la largeur d'une des pentes de ce toit avec un graphisme de pointe à chacune des extrémités, a été exécuté par la société Val Trappeur, le toit de son restaurant étant désormais de couleur bleue. Pour autant, ces changements ne sont pas intervenus immédiatement, comme l'établit le procès-verbal du 11 mars 2009.

La société Buffalo Grill reproche aux intimés la confusion entre son logo, par ailleurs protégé par une marque, et celui du restaurant Val trappeur qui a également fait l'objet d'un dépôt de marque. Pour autant, les seuls éléments produits qui établissent le contact du logo Val trappeur avec le public ne sont pas de nature à créer une confusion dans l'esprit du public.

Si les façades des restaurants sont dans les deux cas en bois, le risque de confusion sera écarté, celles des restaurants Buffalo Grill étant en planches peintes alors que celle du restaurant Indian trappeur présente un aspect brut de rondins. De même, la présence d'éléments de décor devant les restaurants de nature à créer l'ambiance recherchée par chacun des établissements, comme la présence d'un ours devant le restaurant Indian trappeur et d'un totem devant les restaurants franchisés Buffalo Grill, ne participe pas à la création d'un risque de confusion.

L'organisation intérieure du restaurant en box séparés n'apparaît pas spécifique aux restaurants du réseau Buffalo Grill, et ceux du restaurant de la société Val Trappeur sont dominés par de hautes séparations en bois. Les couleurs dominantes utilisées pour l'aménagement intérieur de ce restaurant sont orange, bleu et bois clair naturel, alors que le code couleur de l'aménagement dans les restaurants franchisés Buffalo Grill est le rouge et le noir.

Le fait de donner aux plats des noms évoquant la région du thème exploité par le restaurant, ou des éléments caractéristiques de celui-ci, est une pratique courante dans les restaurants à thème, et les intimés justifient que ces références sont communément exploitées dans les restaurants de type steak house exploitant le thème du grand Nord canadien ou du Québec.

La cour constate le nombre d'attestations faisant état de similitudes présentées par le restaurant de la société Val trappeur avec les restaurants Buffalo Grill ; cependant, la plupart sont dressées par des employés de restaurants de cette franchise ou affiliés, et leur témoignage doit être pris avec circonspection. Il en est ainsi des éléments de similitude relevés concernant les serviettes, carafes, cartes et sur la disposition de l'aire de jeu dont seul témoigne un employé de l'appelante.

L'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, et l'originalité n'est pas une condition de cette action.

Les thèmes respectifs, soit l'ambiance western et conquête de l'ouest pour les restaurants Buffalo Grill et l'ambiance trappeur et grand Nord canadien pour le restaurant de la société Val trappeur, sont deux thèmes marqués de l'Amérique du Nord qui partagent ainsi certains éléments communs, ce qui explique leur proximité, s'agissant de steak house dans les deux cas.

L'adoption par le restaurant de la société Val trappeur du toit rouge dans les conditions précédemment indiquées a été de nature à créer une confusion dans l'esprit du public, en ce qu'il s'agit d'un élément distinctif caractéristique des restaurants Buffalo Grill qui permet leur identification immédiate.

La concurrence déloyale, entre deux sociétés en concurrence directe, est ainsi établie, et la société Buffalo Grill est légitime à solliciter de ce fait réparation du préjudice ainsi créé.

Ces faits - constatés par procès-verbaux des 15 septembre 2008 et 11 mars 2009 - ont duré plusieurs mois, et cessé désormais depuis plusieurs années.

Le fait que d'autres éléments du concept revendiqué par la société Buffalo Grill se retrouvent dans le restaurant de la société Val Trappeur ne peut caractériser des faits de concurrence déloyale, la proximité des autres éléments que le toit, communs aux deux restaurants, s'explique par leurs thèmes voisins mais n'établissent pas - même par leur combinaison - la copie par la société Val Trappeur des éléments revendiqués du concept de la société Buffalo Grill, ou qu'ils soient de nature à créer la confusion dans l'esprit du public.

La demande présentée au titre de la concurrence déloyale sera donc retenue pour la reprise des caractéristiques du toit, la société Val trappeur étant en concurrence avec les restaurants membres du réseau de la société Buffalo Grill. Ces agissements de concurrence déloyale ont cessé avec les modifications apportées au toit du restaurant de la société Val Trappeur.

Le parasitisme ne sera pas retenu, la société Buffalo Grill ne justifiant pas des investissements et dépenses réalisés.

Le grief de concurrence déloyale n'est constitué qu'à l'encontre de la société Val Trappeur ; il ne saurait être reproché à Monsieur Martin, son gérant, une faute personnelle détachable du service, alors que la reprise du toit correspond, comme l'a relevé le tribunal de commerce, à l'utilisation d'une signalétique extérieure accessible à tous ; cette reprise ne caractérise pas la transmission d'un savoir-faire secret et substantiel dont Monsieur Martin aurait eu connaissance de par ses fonctions de gérant de la société Indian River.

Sur la rupture du contrat de franchise

L'appelante soutient que la société Indian River a violé en tant que franchisée l'obligation de secret lié au savoir-faire, en transmettant le savoir-faire Buffalo Grill à un concurrent la société Val Trappeur, alors qu'il était protégé par une clause de confidentialité.

Selon elle, cette transmission s'est opérée par le seul fait que le franchisé détenteur de l'information confidentielle et le concurrent destinataire de cette information sont deux sociétés dirigées par la même personne. Elle relève que tous les éléments du savoir-faire Buffalo Grill ont été transmis à la société Val Trappeur, qui les a imités sur le fondement de cette information.

Elle ajoute que la société Indian River n'a pas respecté la promesse de porte-fort contenue dans le contrat de franchise, qu'elle a aussi violé l'obligation d'exécuter le contrat loyalement et de bonne foi dans la mesure où un franchisé ne peut se transformer en concurrent du franchiseur ni œuvrer en faveur d'une société tierce concurrente du réseau, ce qu'a permis la société Indian River en permettant la création d'un concept concurrent, et qui révèle un manquement grave à l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi.

Elle soutient que le contrat de franchise contient une obligation de non-concurrence pendant la période contractuelle dite " obligation de fidélité " qui a été aussi violée, et que ces manquements contractuels de la part de la société Indian River sont d'une telle gravité qu'ils justifiaient la résiliation immédiate et sans préavis du contrat aux torts exclusifs du franchisé. Elle précise qu'étant chargée d'assurer la défense du savoir-faire et la police du réseau elle doit, vis-à-vis des autres franchisés, sanctionner tout franchisé qui ferait " fuiter " le savoir-faire. Elle rappelle avoir laissé à la société Indian River, avant de mettre en œuvre la résiliation du contrat, un délai de 3 mois afin qu'elle se conforme à ses obligations contractuelles.

De leur côté, les intimés mettent en avant le temps écoulé entre le 1er courrier de la société Buffalo Grill et son courrier de résiliation et en déduisent que la rupture du contrat de franchise n'est pas liée aux prétendus faits de concurrence déloyale.

Ils ajoutent que le franchisé n'a commis aucune faute, le contrat de franchise n'imposant pas d'exclusivité au franchisé ou à son dirigeant.

Ils soutiennent que la faute contractuelle du franchisé résidant, selon l'appelante, en la transmission d'un savoir-faire secret et substantiel dont a pu bénéficier la société Val Trappeur, le franchiseur doit justifier de ce savoir-faire ; or la société Buffalo Grill ne prouverait pas ce transfert et ne peut fournir de bible, charte, savoir-faire, formation qu'elle aurait transmis, se limitant à décrire un concept mal défini reprenant surtout les données courantes du Steak house sous une enseigne commune.

Dès lors, la faute du franchisé la société Indian River résultant du transfert n'est pas établie, et la rupture du contrat intervenue à l'initiative du franchiseur est infondée.

Ils en déduisent que la société Buffalo Grill doit être condamnée à indemniser la société Indian River notamment de la perte de marge sur la période de 36 mois restant à courir, de la perte de valeur du fonds de commerce ainsi que des coûts engendrés par la rupture.

Sur ce

L'article 1134 du Code civil alors applicable prévoyait que " les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (...) elles doivent être exécutées de bonne foi ". La société Buffalo Grill a signifié, par courrier du 23 mars 2009 adressé à la société Indian River et à l'attention de Monsieur Martin, la résiliation immédiate du contrat de franchise conclu le 7 février 2001, en lui reprochant une faute grave et en s'appuyant sur les dispositions de l'article 16 du contrat de franchise permettant la résiliation immédiate en cas d'une telle faute grave.

Ce courrier reprochait à la société Indian River d'avoir initié " l'exploitation d'un restaurant à enseigne Indian Trappeur qui imite servilement le concept Buffalo Grill et l'ensemble des signes distinctifs notoires de notre réseau ".

Si le contrat de franchise ne contient pas d'obligation de non-concurrence reposant sur le franchisé, l'article 14 du contrat révèle qu'il s'agit d'un contrat conclu intuitu personae, en fonction de la personne de Monsieur Philippe Martin son PDG.

La cour observe que cet article prévoit également que le contrat ne peut être cédé sans l'accord du franchiseur, lequel peut justifier son refus, et cite expressément comme une incompatibilité grave " la candidature d'une personne exploitant déjà un réseau de restaurants concurrents ".

Ainsi, l'exploitation d'un réseau de restaurants concurrents apparaissait comme une incompatibilité grave justifiant le refus du franchiseur de laisser ce candidat intégrer le réseau, ce qui révélait la volonté de protéger le réseau de l'entrée d'un concurrent.

De plus, si l'article 18.3 du contrat permet au franchisé de continuer à exercer une activité de restauration, une telle possibilité est prévue à la fin du contrat, et non pendant son application, ce qui induit l'impossibilité pour un franchisé, pendant l'application du contrat, de créer fût-ce via une société tierce, un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé.

En l'occurrence Monsieur Martin n'a pas sollicité ni obtenu l'accord de la société Buffalo Grill pour l'ouverture d'un tel restaurant, même réalisé par le biais d'une autre société.

Une telle ouverture amenait Monsieur Martin à être à la fois membre du réseau de franchise et concurrent de celui-ci, alors qu'il résultait du contrat la nécessité de protéger le réseau des concurrents.

Si le contrat de franchise est au nom de la société Indian River et non de Monsieur Martin, il s'agit d'un contrat intuitu personae conclu en fonction de la personnalité de Monsieur Martin son PDG - désigné comme partenaire au terme du contrat de franchise, et la création d'une société concurrente au réseau de franchise par celui-ci peut justifier la résiliation du contrat de franchise aux torts de cette société franchisée.

La société franchisé Indian River, animée par son PDG partenaire du réseau de franchise Buffalo Grill, et celui-ci ont ainsi manqué à leur devoir d'exécution loyale du contrat de franchise. Cette déloyauté justifiait la résiliation immédiate du contrat de franchise aux torts de la société Indian River, et le jugement du 2 juillet 2014 sera réformé sur ce point.

Sur la réparation des préjudices au titre de la résiliation du contrat de franchise

Le contrat de franchise prévoit en son article 16 que " la partie aux torts de laquelle la résiliation aura été prononcée devra verser à son cocontractant une indemnité égale au double du montant estimatif des redevances qui auraient été payées au franchiseur jusqu'au terme normal du contrat ; cette indemnité devant en toute hypothèse être au moins égale à un million de francs ".

Toutefois le juge peut modérer le montant de l'indemnité contractuelle lorsque son montant parait manifestement excessif au regard du préjudice effectivement subi par le créancier.

En l'occurrence, l'écoulement du temps entre le moment où la société Buffalo Grill a interrogé la société Indian River sur l'ouverture d'un concurrent, et l'envoi de la lettre de résiliation, révèle qu'elle a accepté de poursuivre durant un certain temps l'application du contrat de franchise avec cette société en connaissance des agissements de celle-ci.

En conséquence, il convient de condamner la société Indian River au paiement de la somme de 40 000 euros, condamnation prononcée à l'encontre de cette seule société.

Au titre de la concurrence déloyale

La société Val trappeur a commis des actes de concurrence déloyale en reprenant les éléments de toiture distinctifs des membres du réseau animé par la société Buffalo Grill.

Ces faits ont été constatés par procès-verbal du 15 septembre 2008.

La Cour d'appel de Douai a interdit l'utilisation sur le toit de la peinture rouge-orange et la présence sur la pente du toit de l'enseigne Indian Trappeur, avec le graphisme de pointe, dans les 15 jours suivants la signification de l'arrêt.

Cet arrêt a été signifié le 15 janvier 2009 à la société Val Trappeur.

Il ressort du procès-verbal du 11 mars 2009 que la décision n'avait pas, à cette date, été exécutée. Si les intimés soulignent que la société Buffalo Grill n'a pas liquidé l'astreinte, ce qui révèle que cette décision a été exécutée rapidement, il n'en demeure pas moins que la reprise des éléments du toit distinctifs des restaurants membres du réseau Buffalo Grill a ainsi duré au moins six mois.

Si la société Buffalo Grill ne verse pour justifier son préjudice qu'une pièce 59 présentant un tableau tendant à montrer la diminution du chiffre d'affaires de ses restaurants franchisés à proximité, non validée par expert, il n'en demeure pas moins qu'un préjudice commercial s'infère nécessairement d'une pratique concurrentielle déloyale.

Au vu de ces éléments, et de la durée minimale établie pendant laquelle les faits de concurrence déloyale ont été commis, il convient de condamner la société Val Trappeur au paiement de la somme de 20 000 euros.

La reprise des autres éléments que le toit n'étant pas retenu comme constituant des faits de concurrence déloyale, le grief de fuite du savoir-faire ne peut être constitué à l'encontre de la société Indian River.

Il ne sera donc pas fait droit à la demande présentée par la société Buffalo Grill à l'encontre de la société Indian River en réparation de ce grief.

Par ailleurs, la société Buffalo Grill ne verse aucune pièce permettant de quantifier le préjudice subi du fait de la déstabilisation du réseau, que ne sauraient établir les attestations dressées par des membres de celui-ci, de sorte que la société Buffalo Grill sera déboutée de cette demande.

Au titre de la responsabilité personnelle de Monsieur Martin

Il a été précédemment indiqué que la responsabilité personnelle de Monsieur Martin ne pouvait être retenue au titre de la concurrence déloyale pour la reprise des éléments de toiture des restaurants franchisés.

Si la société Buffalo Grill soutient que Monsieur Martin a conduit sa société Indian River à commettre un manquement grave à l'encontre du franchiseur, la demande présentée au titre de l'indemnité contractuelle de rupture du contrat n'est présentée qu'à l'encontre de la société Indian River, de sorte qu'aucune condamnation in solidum à l'encontre de Monsieur Martin ne peut être prononcée de ce chef.

Monsieur Martin étant PDG de la société Val Trappeur reconnue auteur de concurrence déloyale à l'encontre de la société Buffalo Grill dont il est franchisé via la société Indian River, il sera condamné in solidum aux condamnations prononcées sur le fondement de l'article 700 et aux dépens.

Sur les autres demandes

Les intimés succombant au principal, ils seront condamnés au paiement des dépens.

Etant condamnés au paiement des dépens, l'équité commande de les condamner aussi au paiement de la somme totale de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 2 juillet 2014, Ordonne en tant que de besoin la restitution de toutes les sommes versées par la Sa Buffalo Grill aux sociétés Val Trappeur, Indian River et à Monsieur Martin en exécution du jugement, Dit que la société Val trappeur a commis à l'encontre de la société Buffalo Grill des actes de concurrence déloyale, Condamne la société Val Trappeur à lui payer la somme de 20 000 euros pour réparer le préjudice né de la concurrence déloyale, Dit que la rupture du contrat de franchise est intervenue aux torts exclusifs de la société Indian River, Condamne la société Indian River à payer à la société Buffalo Grill la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité contractuelle de rupture de contrat, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne in solidum les sociétés Val Trappeur, Indian River et Monsieur Martin à payer à la société Buffalo Grill la somme totale de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés Val Trappeur, Indian River et Monsieur Martin au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Guizard & Associes, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.