CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 février 2017, n° 14-17674
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nelly de France (SA)
Défendeur :
Galec (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Baechlin, Beckelynck, Olivier, Janssens, Parleani
FAITS ET PROCÉDURE
La société Nelly de France, qui commercialise des articles de sous-vêtements et lingerie de nuit, est fournisseur de la société Coopérative Groupements d'Achats des Centres Leclerc (Galec) depuis de nombreuses années.
Reprochant à la société Coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc d'avoir cessé brutalement en mars 2008 de passer commande auprès d'elle, la société Nelly de France l'a fait assigner le 21 février 2011, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, en indemnisation de son préjudice devant le Tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement du 13 juin 2014 l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Selon dernières conclusions déposées et notifiées le 9 janvier 2017, la société Nelly de France, appelante, sollicite :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu qu'elle entretenait des relations établies avec la société Galec,
- l'infirmation du jugement pour le surplus,
- la condamnation de la société Galec à lui payer les sommes de 178 331 euros à titre de dommages et intérêts, de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de 10 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- injonction à la société Galec de produire : la fiche de négociation dont elle se prévaut, les pièces comptables sur lesquelles elle se fonde.
Suivant dernières conclusions déposées et notifiées le 10 janvier 2017, la société Coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc, intimée, réclame la confirmation du jugement entrepris, le rejet des prétentions de la société Nelly de France et l'allocation d'une indemnité de 6 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La société Nelly de France reproche à la société Galec d'avoir rompu brutalement en mars 2008 leurs relations commerciales, en profitant de sa position dominante, et, sans respecter le préavis prévu à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, alors qu'elle était son fournisseur depuis plus de 10 ans.
La société Galec impute, pour sa part, l'initiative de la rupture à la société Nelly de France, illustrée par la diminution progressive de son activité depuis plus de 5 ans, son défaut de réponse au courrier du 9 octobre 2007 et son absence de toute réclamation pendant deux années ; elle conteste également le caractère brutal de la rupture.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels ".
Les parties admettent avoir entretenu des relations commerciales établies au sens de l'article précité, dont le point de départ sera fixé par la cour non pas en 2000 comme le prétend l'intimée, mais en août 1998, ainsi qu'il ressort du tableau dressé par Mme Mizon, expert-comptable de la société Nelly de France.
Pour s'opposer à l'argument de la société Nelly de France tenant à l'absence de notification de tout préavis, la société Galec soutient que seule cette dernière est l'auteur de la rupture des relations commerciales et en veut pour preuve, principalement, l'absence de réponse de sa partenaire à l'envoi de sa correspondance du 9 octobre 2007, aux termes de laquelle elle l'informait ainsi : " Nous avons essayé de vous contacter à plusieurs reprises pour vous rencontrer, d'une part pour les négociations 08 et d'autre part pour la présentation de votre collection H08. N'étant jamais disponible pour une communication téléphonique, merci de bien vouloir noter que nos plannings de rendez-vous sont dorénavant bookés. Nous estimons donc que vous ne souhaitez pas nous présenter votre collection H08. En ce qui concerne l'été 08, la fiche de négociation n'étant pas signée, si nous n'avons aucun retour de votre part d'ici le 11/10/07, nous serons dans l'obligation d'annuler vos commandes pour EO8 ".
Si la société Nelly France prétend ne pas avoir reçu ce courrier simple, non adressé par lettre recommandée avec accusé de réception, il lui appartient de rapporter la preuve de l'imputabilité de la rupture à la société Galec. Or, elle ne verse aux débats aucun élément démontrant que la société Galec aurait souhaité la déréférencer et mettre un terme définitif à leurs relations.
La société Galec relève à juste titre que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Nelly est en baisse constante depuis 2005 et que cette baisse correspond à une baisse tendancielle du chiffre d'affaires global de la société Nelly, qui ne réalisait que 10 % de celui-ci avec le Galec. Cette baisse tendancielle atteste d'un désengagement volontaire et progressif d'activité, sans qu'elle puisse exclusivement s'expliquer par le contexte économique.
Les premiers juges ont à juste titre souligné que la société Nelly ne démontre pas avoir adressé le moindre courrier au Galec, à compter de mars 2008, date qui marquerait selon elle la fin des relations commerciales. Elle ne prouve pas s'être inquiétée à un quelconque moment de la rupture prétendue, ni même d'une rupture partielle qu'elle prétend avoir subi à compter de 2005. Elle ne s'est plainte de la rupture des relations commerciales que par courriers des 23 février et 9 avril 2010 et l'engagement de la présente action, soit deux ans plus tard. Si elle prétend avoir été entretenue dans l'espérance du maintien des relations et avoir engagé des frais de personnel pour la saison hiver 2008, pour lesquels elle demande une indemnisation, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer ces assertions.
Si la société Nelly prétend que les échanges entre elle et le Galec s'effectuaient essentiellement par oral, que la prise de contact entre elles se faisait exclusivement par téléphone, et que leurs seules rencontres biannuelles (fournisseur/distributeur) avaient lieu lors de la présentation des collections à l'initiative du Galec, elle ne peut se retrancher derrière le rapport de force déséquilibré entre le Galec et elle pour expliquer son mutisme, alors qu'elle soutient avoir été victime d'une rupture partielle à compter de 2005, puis totale de leurs relations commerciales. Si en effet ce rapport de force peut expliquer certaines conditions imposées sans négociations, il ne peut justifier l'absence de toute protestation prenant la forme d'un écrit.
Il résulte de ces éléments que la faute devant être démontrée par celui qui s'en prétend victime, la société Nelly de France ne démontre pas à suffisance de droit avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales de la part de la société Coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc, l'imputabilité même de la rupture à cette société n'étant pas établie par les pièces du dossier.
La société Nelly de France sera donc déboutée de sa demande fondée sur la rupture brutale et le jugement entrepris sera donc confirmé.
Succombant au principal, la société Nelly de France sera condamnée au paiement des dépens et à payer à la société Galec la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, Confirme la décision du 13 juin 2014 rendue par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, Condamne la société Nelly de France aux dépens d'appel, Condamne la société Nelly de France à payer à la société Galec la somme de 4 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.