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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 9 février 2017, n° 14-05274

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Teintureries de la Turdine (SA), Services de la Turdine (SAS) , Aljoro (SARL), Promod (SAS) , Textilia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bernaud

Conseillers :

MM. Clément, Nicolas

TGI, Lyon, du 5 juin 2014

5 juin 2014

La SAS Services de la Turdine a pour objet social la gestion commerciale, financière et logistique d'entreprises dont celle de la SA Teintureries de la Turdine qui a pour activité l'ennoblissement des matières textiles (impressions, colorations etc).

Le 28 septembre 2004, la SAS Services de la Turdine a acquis auprès de la société Création Robert V. un dessin référencé B71 destiné à être imprimé sur des tissus.

La SARL Textilia, chargée de la commercialisation des tissus gravés par la société Teintureries de la Turdine, a proposé un tissu représentant le dessin ainsi acquis à la SARL Aljoro, laquelle a choisi une fabrication par un fournisseur étranger pour un coût moindre ; la SARL Aljoro a ensuite procédé à la vente des tuniques portant le dessin susvisé à la SAS Promod.

La SAS Services de la Turdine a alors considéré que la société Promod avait commercialisé des vêtements représentant le dessin B71 en violation de ses droits d'auteur et elle a diligenté une saisie réelle qui a eu lieu les 13 et 20 août 2008 sur des tuniques vendues par l'enseigne Promod.

Par acte d'huissier du 1er septembre 2008, la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine ont fait assigner la SAS Promod afin que celle-ci soit condamnée à les indemniser pour avoir violé le droit de reproduction dont la SAS Services de la Turdine est titulaire sur le dessin, sollicitant en outre des mesures d'interdiction et de publication ; les sociétés Aljoro et Textilia sont intervenues à la procédure.

Par jugement en date du 5 juin 2014, le Tribunal de grande instance de Lyon a :

- écarté des débats la tirelle de tissu remise par la SARL Textilia lors de l'audience du 27 mars 2014,

- déclaré la SA Teintureries de la Turdine irrecevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur, (faute de preuve d'une sous-cession à son profit du droit de reproduction sur le dessin litigieux),

- déclaré la SAS Services de la Turdine recevable en son action en contrefaçon de droits d'auteur,

- débouté cette dernière de son action en contrefaçon, (au motif qu'elle ne démontre pas le caractère protégeable du dessin B17 sur le fondement du droit d'auteur),

- débouté la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine de leur action en concurrence déloyale (fondée sur la reproduction du dessin au motif que le fait de reproduire un dessin non protégé et sur lequel il n'existe pas de droit exclusif est insuffisant à caractériser une faute et ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale),

- condamné la SARL Aljoro à payer à la SARL Textilia la somme de 36.603,44 euro à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, (au motif qu'elle a fait fabriquer les vêtements par une société étrangère pour un coût bien moins élevé, en reproduisant servilement le dessin mis au point sur le tissu par la SARL Textilia), et la somme de 5.000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la publication de la décision dans trois journaux ou périodiques au choix de la SARL Textilia et aux frais avancés de la SARL Aljoro, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4.000 euro,

- débouté la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine de leur demande en dommages-intérêts pour résistance abusive et indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné in solidum la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine à payer à la SARL Aljoro et à la SAS Promod une somme de 8.000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SARL Textilia à payer à la SAS Promod une somme de 3.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la SARL Aljoro aux dépens.

Par déclarations respectives reçues les 27 juin, 28 juillet 2014 et 30 janvier 2015, la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine, la SARL Aljoro et la SAS Promod ont fait appel de ce jugement.

La jonction des dossiers a été prononcée par ordonnances des 10 et 13 mars 2015.

Par ordonnance du 17 mars 2015, le conseiller de la mise en état de la première chambre A de la Cour d'appel de Lyon a prononcé l'irrecevabilité des conclusions déposées le 9 décembre 2014 par la SAS Promod en ce qu'elles répondent à l'appel principal de la SAS Services de la Turdine et de la SA Teintureries de la Turdine.

Par ordonnance du 19 mai 2015, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la SAS Promod selon déclaration du 30 janvier 2015 à l'encontre des sociétés Textilia, Aljoro, SAS Services de la Turdine et SA Teintureries de la Turdine, et a rappelé qu'ensuite des jonctions intervenues, la cour reste saisie de :

- l'appel principal interjeté le 27 juin 2014 par la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine à l'encontre de la SAS Promod, SARL Aljoro et SARL Textilia,

- l'appel principal interjeté le 28 juillet 2014 par la SARL Aljoro à l'encontre de la SARL Textilia uniquement quant aux dispositions du jugement ayant condamné la SARL Aljoro au profit de la SARL Textilia,

- l'appel principal de la SARL Aljoro à l'encontre de la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine,

- l'appel incident de la SARL Textilia à l'encontre de la SAS Promod et de la SARL Aljoro, et que la SAS Promod ne peut plus conclure sur l'appel principal des sociétés de La Turdine.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 9 juin 2015 par la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine qui demandent à la Cour de réformer partiellement le jugement attaqué et :

- écarter du dossier de la procédure l'ensemble des écritures notifiées au nom de la SAS Promod par suite de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 18 mai 2015,

- condamner in solidum la SARL Aljoro et la SAS Promod à payer, à titre provisionnel, à la SAS Services de la Turdine la somme de 200.000 euro et à la SA Teintureries de la Turdine la somme de 702.424,80 euro,

- condamner in solidum la SARL Aljoro et la SAS Promod sous astreinte de 1.000 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir

à produire l'ensemble des bons de commande, bons de livraison et états des stocks certifiés par leur commissaire aux comptes ou expert-comptable portant sur les articles contrefaisants depuis l'année 2006,

détruire le stock des produits contrefaisants non encore vendus,

- interdire à la SAS Promod et à la SARL Aljoro de vendre tout article contrefaisant le dessin 37111 dont la SAS Services de la Turdine est titulaire du droit de reproduction, sous astreinte de 50 euro par infraction constatée,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux, au choix de la SAS Services de la Turdine, sans que le prix de l'insertion unitaire puisse excéder la somme de 5.000 euro, ainsi que sur le site internet de la SAS Promod pendant une durée de deux mois,

- condamner la SAS Promod et la SARL Aljoro à payer à la SAS Services de la Turdine la somme de 15.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la SARL Aljoro de l'intégralité de ses moyens et prétentions,

- ordonner l'exécution provisoire,

- condamner la SAS Promod et la SARL Aljoro aux dépens,

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 27 août 2015 par la SARL Textilia qui demande à la Cour de réformer partiellement le jugement attaqué et de :

- condamner in solidum les sociétés Aljoro et Promod à payer à la SARL Textilia les sommes de 35.603,44 euro, 4.702,73 euro, 88.287,60 euro et de 50.000 euro, outre intérêts légaux à compter de la date des premières conclusions en intervention volontaire prises par la SARL Textilia, soit le 9 septembre 2010,

- condamner la SAS Promod à afficher la condamnation pendant 1 mois sur la page d'accueil de son site internet officiel,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 10 journaux ou publications professionnels au choix de la SARL Textilia, et aux frais des sociétés Aljoro et Promod, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4.500 euro HT, soit la somme totale de 45.000 euro HT,

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

- en toute hypothèse, rejeter toutes les demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la SARL Textilia par les sociétés Aljoro et Promod,

- condamner in solidum les sociétés Aljoro et Promod, ou qui mieux d'entre elles le devra, aux dépens et à verser à la société Textilia la somme de 15.000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 27 janvier 2016 par la SARL Aljoro qui demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- écarté des débats la tirelle de tissu remise par la société Textilia lors de l'audience du 27 mars 2014,

- déclaré la SA Teintureries de la Turdine irrecevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur,

- débouté la SAS Services de la Turdine de son action en contrefaçon,

- débouté les sociétés de la Turdine de leurs demandes au titre de leur action fondée sur la concurrence déloyale,

- débouté les sociétés de la Turdine de leurs demandes en dommages et intérêts pour résistance abusive et indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné les sociétés de la Turdine au paiement d'indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, de le réformer pour le surplus et de :

- déclarer la SAS Services de la Turdine irrecevable à agir en contrefaçon du dessin revendiqué,

- débouter la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- débouter la SARL Textilia de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine ainsi que la SARL Textilia à payer à la SARL Aljoro les sommes de 20.000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre dépens et 25.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- à titre subsidiaire, débouter la SAS Promod de sa demande de garantie, ou à tout le moins, limiter la garantie due par la SARL Aljoro à la SAS Promod, à l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de la SAS Promod, en ce comprises les mesures de publication judiciaire et l'indemnité due au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et au remboursement sur justificatifs des frais exposés par la SAS Promod pour assurer la défense de ses intérêts légitimes dans le cadre de la présente instance à l'exclusion de toute autre demande surabondante.

Motifs et décision

La SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine exposent que :

- la SAS Promod a violé le droit de reproduction du dessin 37111 dont la SAS Services de la Turdine est titulaire et sur lequel la SA Teintureries de la Turdine a un droit d'usage exclusif et a ainsi engagé sa responsabilité en vendant et en offrant à la vente des tuniques froissées référencées A-PALINE 4 25 02 99,

- la SARL Aljoro a violé le droit de reproduction du dessin 37111 dont la SAS Services de la Turdine est titulaire et dont la SA Teintureries de la Turdine a un droit d'usage exclusif, et a engagé sa responsabilité en fabriquant et en vendant à la SAS Promod les tuniques froissées référencées A-PALINE 4 25 02 99,

- à titre subsidiaire, les sociétés Promod et Aljoro ont commis une faute en reproduisant à l'identique et en commercialisant le dessin 37111 dont la SAS Services de la Turdine est propriétaire et sur lequel la SA Teintureries de la Turdine a un droit d'usage exclusif et ont ainsi engagé leur responsabilité délictuelle à l'égard de ces dernières.

La société Textilia soutient que :

- les sociétés Aljoro et Promod ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Textilia en remettant à la société étrangère l'échantillon fourni par la SARL Textilia pour parfaite reproduction, qu'il s'agisse du motif, de la couleur ou du textile utilisé,

- les sociétés Aljoro et Promod sont responsables du préjudice subi par la société Textilia.

La SARL Aljoro expose que :

- la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine sont irrecevables à agir ensemble en contrefaçon, une seule société pouvant être propriétaire du droit d'auteur sur le dessin, la SA Teintureries de la Turdine n'apportant aucune preuve de ce droit,

- la SAS Services de la Turdine est également irrecevable en cette action car l'auteur du dessin revendiqué est inconnu, de même que les dates de création et de première publication du dessin revendiqué, rien ne justifiant que le dessin revendiqué ait effectivement été cédé par la société V.,

- l'action en contrefaçon est mal fondée en l'absence de caractère protégeable du dessin revendiqué sur le fondement du droit d'auteur,

- la SARL Aljoro n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés de la Turdine,

- les premiers juges, en évoquant les caractéristiques du tissu (son aspect transparent, son touché et ses couleurs) qui aurait été présenté initialement à la SARL Aljoro par la SARL Textilia ont violé les articles 6 et 7 du Code de procédure civile,

- aucune pièce versée aux débats ne permet de justifier de la physionomie et de la qualité exacte du tissu qui aurait été présenté en échantillon à la SARL Aljoro par la SARL Textilia et/ou les sociétés de la Turdine,

- la SARL Aljoro n'a pas cherché à se mettre dans le sillage des sociétés de LA TURDINE et/ou Textilia en créant un risque de confusion avec leurs activités,

- la SARL Textilia et les sociétés de la Turdine ne justifient pas du préjudice dont elles auraient souffert.

I. Sur la contrefaçon :

A) Sur la demande tendant à l'irrecevabilité des demandes présentées par la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine :

- sur le défaut de qualité à agir de la SA Teintureries de la Turdine :

Il ressort de la facture n° 9171 établie le 28 septembre 2004 par la société Créations Robert V., qu'un dessin pour tissu référencé B71 a notamment été vendu à la SAS Services de la Turdine.

Aux termes de l'article 2 alinéa 2 des conditions générales attachées à la vente dont s'agit, il était précisé que " Le contrat a pour objet la cession au profit de l'acquéreur, et à lui seulement, des droits de reproduction du ou des dessins visés sur le bon d'achat, aux fins d'exploitation dans la filière textile uniquement [...] ".

Comme l'a justement rappelé le premier juge, la convention de prestations de services passée entre la SAS Services de la Turdine et la SA Teintureries de la Turdine prévoit en son article 2 que fait partie des services proposés par la première notamment, l'activité de styliste en matière textile, comprenant " Etudes et propositions de nouvelles tendances, conception et mise à disposition en matière de textures, de coloris, d'imprimés de dessins concernant les textiles " et aucun autre élément de la convention ne prévoit l'existence d'une sous cession de droits d'auteur à ce titre ; la saisie réelle pratiquée a été initiée par la SAS Services de la Turdine, conformément à la définition de ses attributions.

Robert V., en sa qualité de président directeur général de la SA Créations Robert V., confirme dans son attestation établie le 18 décembre 2009, avoir cédé à la SAS Services de la Turdine ses droits d'auteur sur le dessin B71 et la possibilité pour cette dernière d'exploiter le dessin sur tous tissus et de le vendre dans le monde entier pour une période indéterminée.

Comme l'a justement retenu le premier juge, aucun élément du dossier ne permet de démontrer l'existence d'une sous cession de droits d'auteur au profit de la SA Teintureries de la Turdine et les simples affirmations faites à ce titre de concert par les deux sociétés du groupe de la Turdine ne peuvent suffire à démontrer la titularité de droits de reproduction au profit de celle-ci.

La SA Teintureries de la Turdine n'a donc pas qualité à agir en contrefaçon et le jugement qui l'a déclarée irrecevable doit être confirmé.

- sur la qualité à agir de la SAS Services de la Turdine :

La vente par la SA Créations Robert V. à la SAS Services de la Turdine du dessin B71 est démontrée par la production de la facture sus visée du 28 septembre 2004 dont aucun élément du dossier ne permet de douter de la régularité alors même qu'elle est produite en original au dossier, portant au recto les conditions particulières de vente listant les références des dessins vendus et au verso les conditions générales.

Il ressort par ailleurs de l'attestation établie par Robert V., dont le premier juge a à juste titre indiqué qu'aucun élément ne permet de démontrer en quoi l'absence de caractère manuscrit ou l'erreur sur la forme sociale de la société constituerait l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public remettant en cause la portée des indications données par l'attestant, qui y a annexé une photocopie couleur du dessin B71, que le dessin ainsi reproduit correspond bien au dessin référencé 37111 sur de multiples documents par la SAS Services de la Turdine.

La SARL Aljoro conteste en cause d'appel les droits du cédant alors même qu'elle n'a mis en cause ni la SA Création Robert V. ni Robert V. et que sa contestation est dès lors inopérante.

Elle ne peut non plus sérieusement discuter en l'absence du cédant les conditions dans lesquelles la SAS Services de la Turdine aurait exploité le dessin B71 au mépris de l'identification de l'auteur véritable et alors même que les dates de création et de première publication seraient inconnues.

Il convient en conséquence de considérer comme l'a fait le premier juge dans des termes que la cour adopte, que la SAS Services de la Turdine, à qui des droits exclusifs ont été cédés par la SA Créations Robert V. sur le dessin B71 à qualité pour agir en contrefaçon et que le moyen tiré de l'irrecevabilité doit être rejeté.

B) Sur l'existence d'une contrefaçon :

Il appartient à la SAS Services de la Turdine qui allègue une contrefaçon, de démontrer l'originalité du dessin qu'elle revendique dont la composition doit traduire un réel effort de création révélant la personnalité de son auteur.

En matière de créations saisonnières dans le domaine de la mode, il est admis qu'une création n'est pas originale lorsque les éléments qui la composent sont transposés ou assemblés d'une manière qui ne révèle pas la personnalité de son auteur ; il ne s'agit en effet de protéger un modèle de vêtement ou un dessin qu'autant que son auteur a fait œuvre originale en marquant celui-ci de l'empreinte de sa personnalité afin de le distinguer de ce qui fait partie du domaine public.

Comme l'a relevé le premier juge, aucune date de création du dessin référencé B71 visé dans la facture établie par la SA Création Robert V. n'est indiquée.

La SARL Aljoro qui conteste l'existence de la contrefaçon alléguée, produit au dossier des ouvrages publiés aux éditions Belvédère En 1987 et 1989 proposant plusieurs exemples de motifs ; le dessin litigieux y est reproduit en noir et blanc, la représentation graphique est en tous points identiques au dessin référencé B 71 à l'exception de l'ajout de petites lignes en pointillés sur les fruits noirs.

La SAS Services de la Turdine soutient alors que cette adjonction de lignes pointillées a permis au dessin de passer d'une "inspiration japonisante à un caractère ethnique relevant des arts africains ou aborigènes" et de marquer en cela l'originalité.

Il s'avère cependant ainsi que l'a très justement constaté le premier juge, qu'alors que les dessins contenus dans les ouvrages de 1987 et 1989 sont rigoureusement identiques au dessin B 71 dans l'ensemble de leurs caractéristiques principales : formes, disposition des motifs, épaisseur des traits, existence de pleins et de vides, la seule adjonction de lignes de pointillés dans les fruits sur les dessins préexistants datant de 1987 et 1989 ne confère pas au dessin B 71 dont la date de création est inconnue, un aspect nouveau personnel révélateur de l'empreinte de la personnalité de son auteur, le procédé employé (adjonction de lignes de points) étant en outre connu et banal.

Une " touche personnelle " apportée à une œuvre préexistante n'est pas suffisante pour donner une nouvelle originalité à cette dernière et il importe que cette touche personnelle constitue un véritable effort créatif reflétant la personnalité de son auteur, tel n'étant manifestement pas le cas en l'espèce.

Le jugement qui a considéré que la SAS Services de la Turdine qui n'établissait pas le caractère protégeable du dessin référencé B 71 sur le fondement du droit d'auteur, devait être déboutée de son action en contrefaçon mérite donc confirmation.

II. Sur la concurrence déloyale :

A) Sur les demandes de la SAS Services de la Turdine et de la SA Teintureries de la Turdine :

Les sociétés SERVICES de la Turdine et Teintureries de la Turdine invoquent les dispositions de l'article 1382 du Code civil et l'existence d'une concurrence déloyale outre des faits de parasitisme à l'encontre des sociétés Aljoro et Promod.

Elles soutiennent à ce titre que la SARL Aljoro aurait fait reproduire à l'identique par une société coréenne le dessin B 71 qu'elle avait acquis.

Il s'avère cependant ainsi que l'a justement retenu le tribunal, que la seule reproduction d'un dessin non protégé et sur lequel il n'existe pas de droit exclusif est insuffisant à caractériser une faute et ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale.

Faute de tout autre élément invoqué à ce titre, les sociétés Services de la Turdine et Teintureries de la Turdine ne peuvent que succomber en leurs demandes en dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Le jugement critiqué doit dès lors être confirmé de ce chef.

B) sur les demandes de la SARL Textilia :

Il est établi qu'indépendamment des communications de photocopies réalisées entre les parties, la tirelle de tissu produite par la SARL Textilia devant le premier juge n'a pas fait l'objet préalablement d'une communication contradictoire de pièces ; en cela elle devait nécessairement être écartée des débats et la décision prise par le tribunal en ce sens mérite confirmation.

Il ressort de l'ensemble des documents produits au dossier des parties que :

- le support d'impression du motif litigieux est constitué d'un tissu basique en polyester transparent ne présentant lui-même aucune originalité ni distinctivité particulière ainsi que l'établit la facture d'achat du tissu produite en pièce 18 par la SARL Textilia,

- aucun élément du dossier ne permet de constater que le tissu acheté à son fournisseur coréen par la SARL Aljoro serait identique à l'échantillon de tissu qui lui aurait été présenté et qu'elle avait acquis auprès de la SARL Textilia,

- la SARL Textilia a seulement participé à la gravure du dessin et la facture de 504,42 euro du 20 décembre 2007 a été partagée avec les sociétés de la TURDINE.

La reprise d'un tissu de qualité banale, jamais commercialisé par le passé, reproduisant un dessin non protégeable dans une coloration ayant consisté seulement à coloriser en rouge le fond du tissu, ne peut constituer un acte de concurrence déloyale et parasitaire alors même qu'aucun risque de confusion n'est établi.

La démonstration n'est donc pas rapportée par la SARL Textilia de ce que la SARL Aljoro aurait utilisé ne serait-ce que pour partie, son travail d'adaptation et se serait ainsi placée dans son sillage en créant un risque de confusion sans supporter le coût du moindre investissement, et qu'elle aurait ainsi rompu l'égalité dans la compétition économique et la recherche de clientèle en modifiant les conditions normales de la concurrence.

Le jugement qui a retenu l'existence d'une concurrence déloyale à l'encontre de la SARL Aljoro doit donc être réformé et la SARL Textilia doit être déboutée en sa demande indemnitaire dirigée à l'encontre de celle-ci et de la SAS Promod qui a seulement acheté des tuniques à la SARL Aljoro.

Aucune publication de l'arrêt n'a lieu d'être ordonnée.

III. Sur la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive :

Aucun abus de procédure n'est caractérisé par la SARL Aljoro à l'encontre des sociétés de La TURDINE ou de la SARL Textilia ; sa demande en dommages-intérêts de chef doit donc être rejetée.

IV. Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

L'équité et la situation économique des parties commandent enfin l'octroi à la SARL Aljoro à la charge des sociétés Services de la Turdine et Teintureries de la Turdine d'une part et de la SARL Textilia d'autre part, d'une somme de 5 000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; les demandes supplémentaires de ce chef doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS, La Cour, Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement rendu par le Tribunal de grande Instance de Lyon le 5 juin 2014 sauf en ce qu'il a : condamné la SARL Aljoro à payer à la SARL Textilia la somme de 36 603,44 euro à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, et la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ordonné la publication de la décision dans trois journaux ou périodiques au choix de la SARL Textilia et aux frais avancés de la SARL Aljoro, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4 000 euro, Réformant de ces chefs, statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute la SARL Textilia de ses demandes en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dirigées à l'encontre de la SARL Aljoro, Déboute la SARL Textilia de sa demande tendant à la publication de l'arrêt, Condamne les sociétés SAS Services de la Turdine et SA Teintureries de la Turdine d'une part et la SARL Textilia d'autre part à payer à la SARL Aljoro une somme de 5 000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les demandes supplémentaires des parties, Condamne les sociétés SAS Services de la Turdine et SA Teintureries de la Turdine d'une part et la SARL Textilia d'autre part aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.