Cass. 2e civ., 23 février 2017, n° 16-12.947
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Breizh primeurs (Sté), Chéritel Trégor légumes (Sté)
Défendeur :
Celtileg (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Rapporteur :
Mme Maunand
Avocat général :
M. Girard
Avocats :
SCP Gaschignard, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 13 octobre 2015) que les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes ont obtenu sur requête du président d'un tribunal de grande instance, la désignation d'un huissier de justice, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, avec mission de se rendre au siège social de la société Celtileg aux fins de prendre connaissance de divers documents et de rechercher des informations dans la comptabilité de celle-ci ; que la société Celtileg a agi en rétractation de ladite ordonnance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance sur requête en ce qu'elle commettait un huissier de justice aux fins de rechercher des informations relatives à quatre anciens salariés de la société Breizh primeurs embauchés par la société Celtileg et de déclarer nulles et non avenues les mesures d'instruction exécutées en vertu de cette ordonnance alors, selon le moyen : 1°) que les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige peuvent être ordonnées sur requête dès lors que les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement ; qu'il résulte des constatations de la cour que, dans leur requête, les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes avaient indiqué que les mesures devaient être prononcées non contradictoirement pour empêcher toute tentative de dissimulation des preuves des actes de concurrence déloyale invoqués; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas justifié de la nécessité de procéder non contradictoirement au motif inopérant que ces mesures portaient pour partie sur des documents obligatoires ou contrôlés et/ou soumis à une durée de conservation obligatoire, et de ce fait non susceptibles de dépérissement ou de disparition, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du Code de procédure civile ; 2°) que les mesures d'instruction peuvent être ordonnées, en application de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que le requérant justifie d'un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que l'ordonnance du 6 août 2013 désignait un huissier aux fins de rechercher des documents relatifs à quatre salariés nommément désignés, notamment toute promesse ou lettre d'embauche et tout document permettant de déterminer la date à laquelle ils étaient entrés en relation avec la société Celtileg ; qu'en affirmant que cette mesure n'avait pas de rapport avec la preuve d'une concurrence déloyale même prise au sens large, sans rechercher comme elle y était invitée si ces informations n'étaient pas nécessaires pour déterminer si la société Celtileg avait procédé à l'embauche de ces salariés dans des conditions fautives, ce qui aurait caractérisé un acte de concurrence déloyale et si, en conséquence, les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes ne justifiant pas d'un motif légitime au prononcé de cette mesure, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 145 du Code de procédure civile et de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que peuvent être ordonnées avant tout procès, des mesures d'instruction destinées à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le demandeur n'a pas, alors, à rapporter la preuve de ces faits ; que pour rétracter l'ordonnance ayant ordonné les mesures litigieuses, la cour retient que l'action en concurrence déloyale est manifestement vouée à l'échec, dès lors que l'allégation selon laquelle M. Pirou serait le responsable du départ de trois salariés n'est étayée par aucun élément du dossier et qu'il est procédé par voie d'affirmation concernant la désorganisation de l'entreprise ; qu'en faisant ainsi peser sur les requérantes, la charge de la preuve de faits que la mesure demandée avait précisément pour objet de rapporter, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et a violé l'article 145 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu' ayant par motifs propres et adoptés, constaté que le registre d'entrée et de sortie des personnels tout comme le dossier social de chacun des salariés, dont la tenue est obligatoire, n'étaient pas susceptibles de disparition et que les autres informations sollicitées n'étaient pas nécessaires à la caractérisation du grief, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen - Attendu que les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance sur requête en ce qu'elle commettait un huissier de justice aux fins de rechercher des informations relatives aux relations entretenues par la société Celtileg avec les clients de la société Breizh primeurs dont le nom figurait sur la liste annexée à l'acte de cession du 30 septembre 2006 et de déclarer nulles et non avenues les mesures d'instruction exécutées en vertu de cette ordonnance alors, selon le moyen : 1°) que l'ordonnance du 6 août 2013 autorisait l'huissier de justice désigné à rechercher des informations sur les seuls clients dont le nom figure dans la liste annexée à l'acte de cession du 30 septembre 2006 ; qu'en retenant qu'elle autorisait l'huissier de justice à adresser aux requérantes des photocopies de pièces portant sur toute la comptabilité de la société, la cour d'appel a dénaturé ladite ordonnance et violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime et qu'elle est nécessaire à la protection des droits du requérant ; que l'ordonnance du 6 août 2013 désignait un huissier de justice aux fins de rechercher dans les seuls documents comptables si la société Celtileg avait entretenu entre 2011 et 2013 des relations commerciales avec une liste précise de clients de la société Breizh primeurs et dans l'affirmative, de déterminer le chiffre d'affaires réalisé à cette occasion ; qu'en s'abstenant de rechercher si la mesure, telle qu'elle était circonscrite, n'avait pas pour finalité d'établir la preuve du détournement de client opéré par la société Celtileg au préjudice de la société Breizh primeurs de sorte qu'elle reposait sur un motif légitime et était nécessaire à la protection des droits des requérantes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 145 du Code de procédure civile ; 3°) que le juge doit observer et faire observer la principe de la contradiction ; qu'en soulevant d'office, le moyen tiré de ce que la mesure litigieuse aurait été peu compatible avec le secret des affaires ce qui justifierait la rétractation de l'ordonnance l'ayant ordonnée, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 4°) que peuvent être ordonnées avant tout procès, des mesures d'instruction destinées à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le demandeur n'a pas, alors à rapporter la preuve de ces faits ; que pour rétracter l'ordonnance ayant ordonné les mesures litigieuses, la cour retient que l'action en concurrence déloyale serait manifestement vouée à l'échec dès lors que M. Bonniec était délié de toute obligation de non concurrence à compter du 30 septembre 2009 et que n'était pas rapportée la preuve d'un détournement fautif de clientèle par M. Pirou ; qu'en faisant ainsi peser sur les requérantes la charge de la preuve de faits que la mesure avait précisément pour objet de rapporter, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit et a violé l'article 145 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, qu'ayant par motifs propres et adoptés, constaté d'une part que la prohibition faite à M. Le Bonniec de travailler directement ou indirectement avec les sociétés figurant sur une liste annexée dans le cadre de la clause de non-concurrence était édictée pour une durée de trois ans jusqu'au 30 septembre 2009 et qu'à compter de cette date, il était en droit de travailler avec ces sociétés et d'autre part, que la preuve de perte de clientèle et du démarchage effectif pouvait être obtenue contradictoirement par des moyens moins intrusifs que l'examen de la totalité de la comptabilité de la société Celtileg sur plusieurs années, la cour d'appel a par ces seuls motifs, abstraction faite du motif erroné mais surabondant relatif à la mission de l'huissier de justice, et sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance sur requête en ce qu'elle commettait un huissier de justice aux fins de rechercher tous documents relatifs à trois opérations commerciales conduites par la société Celtileg des 7 au 9 février 2013 avec la société Prosol et de déclarer nulles et non avenues les mesures d'instruction exécutées en vertu de cette ordonnance alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en soulevant d'office le moyen tiré de ce que la mesure litigieuse n'aurait pu être demandée que devant la juridiction rennaise, seule compétente en application des dispositions L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que les mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige peuvent être ordonnées sur requête dès lors que les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement ; qu'il résulte des constatations de la cour que, dans leur requête, les sociétés Breizh primeurs et Cheritel Trégor légumes avaient indiqué que les mesures devaient être prononcées non contradictoirement pour empêcher toute tentative de dissimulation des preuves des actes de concurrence déloyale invoqués; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas justifié de la nécessité de procéder non contradictoirement, au motif inopérant que ces mesures portaient pour partie sur des documents dont la conservation est obligatoire et de ce fait, non susceptibles de dépérissement ou de disparition, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 812 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant par motifs propres et adoptés, relevé d'une part que les pratiques prohibées par les articles L. 420-5 et L. 442-2 du Code de commerce ne concernaient pour partie que le commerce de détail et par ailleurs, relevaient de l'appréciation des juridictions rennaises et que d'autre part, les mesures sollicitées ne se justifiaient pas par un risque de dépérissement des preuves, la cour d'appel a, sans méconnaître le principe de la contradiction, décidé dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'en l'absence de preuve d'un motif légitime justifiant le recours à une mesure d'instruction, l'ordonnance sur requête devait être rétractée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.