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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 mars 2017, n° 15-22080

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Montres Suisses (SAS)

Défendeur :

RLG Europe BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Zerbib, Petit Guilloteau, Guilloteau

T. com. Paris, du 21 oct. 2015

21 octobre 2015

EXPOSÉ DES FAITS

La société Les Montres Suisses est une société spécialisée dans le secteur d'activité de l'horlogerie située dans le 6e arrondissement de Paris. La société RLG Europe BV (ci-après " la société RLGE "), qui fait partie du groupe de luxe Richemont, commercialise en France, à travers un réseau de distributeurs agréés, les produits d'horlogerie de la marque IWC.

La société Les Montres Suisses était l'un des distributeurs des montres de la marque IWC, au titre selon elle d'un contrat de distribution sélective, depuis plus de 20 ans.

La société RLGE soutient de son côté que ce n'est que depuis le 28 juin 2004 que la société Les Montres Suisses est l'un des distributeurs de la marque IWC.

Un contrat de distribution sélective des produits IWC a été conclu entre les sociétés Les Montres Suisses et RLGE le 21 juillet 2010.

Par courrier en date du 1er juin 2012, la société RLGE a informé la société Les Montres Suisses de la résiliation du contrat de distribution, mettant fin à leurs rapports commerciaux au terme d'un préavis devant expirer le 31 août 2013, soit un préavis de 15 mois portés par la suite à 21 mois, la date de fin de ce préavis ayant été repoussée au 28 février 2014.

Considérant la rupture du contrat de distribution fautive, la société Les Montres Suisses a assigné la société RLGE devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 21 octobre 2015, a :

- débouté la SAS Les Montres Passy de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SAS Les Montres Passy à payer la somme de 5 000 euros à la société RLG Europe BV - Swiss Branch au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SAS Les Montres Passy aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Les Montres Suisses du jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 21 octobre 2015.

Par conclusions du 28 janvier 2016, la société Les Montres Suisses demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1382 et suivants du Code civil,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu le contrat de distribution sélective,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 octobre 2015,

- dire que la résiliation du contrat intervenue le 1er juin 2012 à l'initiative de la société RLG Europe BV et au préjudice de la société Les Montres Suisses est abusive,

En conséquence,

- condamner la société RLG Europe BV à lui payer la somme de 697 320 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice relatif à la perte de marge et à la dépréciation du fonds de commerce,

- condamner la société RLG Europe BV à lui payer la somme de 69 732 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice relatif à la perte de clientèle,

- condamner la société RLG Europe BV à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner la société RLG Europe BV aux entiers dépens.

Par conclusions du 4 mai 2016, la société RLG Europe BV demande à la cour de :

- confirmer purement et simplement le jugement du tribunal sauf à rectifier les erreurs purement matérielles qui y figurent,

- y ajoutant, condamner la société Les Montres Suisses à payer à la société RLG Europe BV la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rectification du jugement pour erreur matérielle

La société RLGE sollicite la rectification du jugement du 21 octobre 2015, en ce que le nom de la société demanderesse est la société Les Montres Suisses et non la société Les Montres Passy.

L'article 462 du Code de procédure civile prévoit que " les erreurs ou omissions qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être répares par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle, ou à défaut, que la raison commande ".

Il ressort des éléments versés que la demanderesse devant le tribunal de commerce était la société Les Montres Suisses, et non la société Les Montres Passy.

Il convient par conséquent de procéder à la rectification en ce sens.

Sur la déloyauté reprochée à la société RLGE

La société Les Montres Suisses soutient que la société RLGE a fait preuve d'un comportement déloyal à son égard en cherchant à l'évincer afin de pouvoir commercialiser directement les produits de la marque IWC par l'ouverture d'une boutique à l'enseigne IWC, sise 15, rue de la Paix à Paris.

Elle estime que compte tenu de la relation commerciale entretenue avec la société RLGE depuis 24 ans, elle était en droit de penser que le contrat de distribution sélective, signé avec la société RLGE, avait été régularisé pour de nombreuses années, ce d'autant qu'elle répond en tous points aux critères qualitatifs de sélection de la marque IWC et qu'un corner spécialement dédié à cette marque avait été installé dans son point de vente au mois de septembre 2011.

Elle soutient qu'il y a existence d'une rupture fautive dès lors que sont démontrés la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation, peu importe que soient invoqués une succession de contrats entre des parties différentes ou ponctuels entre mêmes parties, un contrat reconduit, voire un contrat à durée déterminée comportant un délai de préavis.

La société RLGE soutient qu'elle était parfaitement libre de résilier les relations commerciales existant entre les parties sans avoir à donner le moindre motif au sujet de cette résiliation, et peut modifier la structure de son réseau comme elle l'entend sans que les cocontractants bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation.

Elle déclare que la boutique IWC Rue de la Paix a ouvert en mai 2011 et que la lettre de résiliation du point de vente Les Montres Suisses a été adressée en juin 2012.

Elle ajoute que tous les investissements évoqués par la société Les Montres Suisses ont été faits à sa seule initiative et au seul bénéfice escompté de ses points de vente multimarques, et rappelle en outre avoir soutenu et financé son distributeur tout au long de leur collaboration commerciale.

Sur ce

La société Les Montres Suisses soutient assurer la distribution des montres de marque IWC depuis plus de vingt années, mais les pièces versées à l'appui de ses dires sont deux contrats de distribution sélective conclus le 28 juin 2004 avec la société Cartier, le 21 juillet 2010 avec la société RLGE qui lui a succédé.

Aussi, et à défaut de production de tout élément établissant l'existence de relations antérieures, il est établi que la relation commerciale comportant la distribution des montres IWC durait depuis pratiquement huit années au 1er juin 2012, date de l'envoi par la société RLGE du courrier de résiliation adressé à la société Les Montres Suisses.

Ce courrier prévoit une fin de contrat au 31 août 2013, de sorte que la société Les Montres Suisses a bénéficié d'un préavis annoncé de 15 mois, porté à 21 mois par le courrier du 6 janvier 2014 indiquant qu'il avait été convenu de reporter cette date au 28 février 2014.

Une telle rupture n'apparaît pas brutale, au vu de la durée du préavis respecté et de celle de la relation commerciale établie, cette durée apparaissant suffisante, étant au surplus relevé que la société Les Montres Suisses se limite à revendiquer dans son courrier du 27 juillet 2012 " réaliser 10 % de son chiffre sur les ventes de montres IWC ".

Il sera par ailleurs relevé que l'article 7.1 du contrat de distribution sélective conclu le 21 juillet 2010 entre les sociétés Les Montres Suisses et RLGE prévoit qu'il " prendra fin le 31 décembre de l'année en cours ", l'article 7.2 précisant qu'il " se renouvellera ensuite pour des périodes contractuelles d'une année chacune, à moins d'être dénoncé par l'une ou l'autre des Parties par lettre recommandée envoyée trois (3) mois avant le terme du présent contrat ou l'échéance d'une quelconque période contractuelle ultérieure, sans qu'une telle dénonciation n'entraîne pour l'une ou l'autre des parties un droit à une quelconque indemnité de ce fait ", de sorte que la lettre de la société RLGE du 1er juin 2012 a respecté les dispositions contractuelles.

S'agissant du grief d'attitude déloyale de la société RLGE, la cour relève que la société Les Montres Suisses fait état de l'implantation d'un corner mais ne justifie pas des fonds qu'elle aurait avancés à cette occasion, alors que la société RLGE soutient que c'est la marque IWC qui aurait pris à sa charge son financement.

Si la société Les Montres Suisses soutient qu'elle ne pouvait prévoir la résiliation du contrat, il était loisible à la société RLGE de mettre fin à l'engagement conclu avec ce distributeur, sans avoir à expliquer les motifs de sa décision qui n'est que l'expression du principe de la liberté contractuelle, alors qu'elle a respecté les règles contractuelles applicables à la résiliation et que le délai de préavis est suffisant.

L'ouverture par la société RLGE d'une boutique à enseigne IWC située rue de la Paix ne peut être avancée comme une manœuvre déloyale de cette société, laquelle est libre de déterminer les conditions de distribution de ses produits et de faire co-exister dans son réseau de distribution différentes catégories de distributeurs selon le type de relations commerciales entretenues avec chacun d'eux, la société Les Montres Suisses ne pouvant revendiquer aucune exclusivité.

La société Les Montres Suisses fait état d'investissements mais ne verse pas de pièces en justifiant, alors que la société RLGE soutient qu'ils ont été réalisés au bénéfice des points de vente multi-marques de la société Les Montres Suisses et qu'elle-même y a contribué.

Par ailleurs, la teneur d'un courriel de la société MontBlanc appartenant au même groupe que la marque IWC à la direction de la société Les Montres Passy, autre point de vente appartenant au même groupe que la société Les Montres Suisses, ne saurait révéler le comportement déloyal de la société RLGE à l'égard de la société Les Montres Suisses.

Par conséquent, la société Les Montres Suisses ne justifie pas de la réalité des griefs invoqués à l'encontre de la société RLGE, et sera déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes

La société Les Montres Suisses étant déboutée de ses demandes, il ne sera pas fait droit aux demandes indemnitaires qu'elle a présentées.

La société Les Montres Suisses succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.

Il convient de la condamner au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Ordonne la rectification du jugement du 21 octobre 2015, en ce qu'il convient de remplacer le nom " la société Les Montres Passy " par " la société Les Montres Suisses ", Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 octobre 2015 en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la société la société Les Montres Suisses de toutes ses demandes, Condamne la société Les Montres Suisses aux entiers dépens, Condamne la société Les Montres Suisses au paiement à la société RLGE d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.