Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 mars 2017, n° 15-22078

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Montres Passy (SAS)

Défendeur :

RLG Europe BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Zerbib, Guerre, Arroyo

T. com. Paris, du 21 oct. 2015

21 octobre 2015

EXPOSÉ DES FAITS

La société Les Montres Passy est une société spécialisée dans le secteur d'activité du commerce de détail d'articles d'horlogerie et de bijouterie en magasin spécialisé.

La société RLG Europe BV (ci-après " la société RLGE "), qui fait partie du groupe de luxe Richemont, commercialise en France, à travers un réseau de distributeurs agréés, les produits d'horlogerie de la marque Jaeger Lecoultre.

La société Les Montres Passy distribuait depuis 21 ans des montres de la marque Jaeger Lecoultre, elle verse plusieurs contrats et avenant dont un contrat de distribution pour la distribution des montres Jaeger-Lecoultre du 18 mai 1997 et un contrat de distribution sélective conclu avec la société RLGE du 18 mai 2010, intervenu à la suite du rachat de la société Jaeger Lecoultre par le groupe Richemont.

Par courrier en date du 16 septembre 2013, la société RLGE a informé la société Les Montres Passy de la résiliation du contrat de distribution, mettant fin à leurs rapports commerciaux au terme d'un préavis de 15 mois, devant expirer le 31 décembre 2014.

Le 26 novembre 2013, la société Les Montres Passy a contesté cette résiliation par l'intermédiaire de son conseil.

Par courrier en date du 14 février 2014, la société RLGE a pris acte de ce que la durée des relations commerciales correspondait à 21 ans, et a indiqué à la société Les Montres Passy qu'elle prolongeait le préavis accordé de 6 mois, soit jusqu'au 30 juin 2015.

Le 23 septembre 2013, considérant la rupture du contrat de distribution fautive, la société Les Montres Passy a assigné la société RLGE devant le Tribunal de commerce de Paris. Par jugement en date du 21 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Les Montres Passy de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Les Montres Passy à verser à la société RLG Europe BV - Swiss Branch la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Les Montres Passy aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Les Montres Passy du jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 21 octobre 2015.

Par conclusions du 28 janvier 2016, la société Les Montres Passy demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1382 et suivants du Code civil,

Vu le contrat de distribution sélective,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 octobre 2015,

- dire que la résiliation du contrat intervenue le 16 septembre 2013 à l'initiative de la société RLG Europe BV et au préjudice de la société Les Montres Passy est abusive, en conséquence,

- condamner la société RLG Europe BV à payer à la société Les Montres Passy la somme de 518 400 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice relatif à la perte de marge et à la dépréciation du fonds de commerce,

- condamner la société RLG Europe BV à payer à la société Les Montres Passy la somme de 51 840 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice relatif à la perte de clientèle,

- condamner la société RLG Europe BV à payer à la société Les Montres Passy, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner la société RLG Europe BV aux entiers dépens.

Par conclusions du 26 mai 2016, la société RLGE, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 octobre 2015 en toutes ses dispositions,

- débouter la société Les Montres Passy de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Les Montres Passy à verser à la société RLG Europe BV la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Les Montres Passy aux entiers dépens.

MOTIVATION

Sur la déloyauté reprochée à la société RLGE

La société Les Montres Passy soutient que la société RLGE a eu un comportement déloyal à son égard, dans la mesure où cette dernière a cherché à évincer volontairement la société Les Montres Passy pour pouvoir commercialiser directement les produits de la marque Jaeger Lecoultre par l'ouverture d'une boutique à l'enseigne Jaeger Lecoultre, sise 7, Place Vendôme à Paris. La société RLGE rétorque que la boutique à l'enseigne Jaeger Lecoultre existe depuis 2004, soit 9 ans avant la résiliation du contrat, et n'est pas située dans la même zone de chalandise que le point de vente de la société Les Montres Passy.

Elle ajoute qu'il est loisible au fournisseur de déterminer librement les conditions de distribution de ses produits et de faire coexister au sein de son réseau de distribution plusieurs catégories de distributeurs selon le type de relations commerciales qu'il entretient avec eux.

Il ressort des pièces versées par la société RLGE que l'ouverture de sa boutique Jaeger-Lecoultre située au 7, place Vendôme à Paris, est intervenue au mois de décembre 2004, soit près de neuf années avant l'envoi du courrier du 16 septembre 2013 annonçant à la société Les Montres Passy la résiliation du contrat de distribution sélective les liant.

Comme l'a relevé le tribunal de commerce, depuis l'ouverture de cette boutique, la société Les Montres Passy a conclu deux contrats de distribution sélective des produits Jaeger-Lecoultre, l'un le 17 juillet 2006 avec la société Jaeger-Lecoultre, l'autre le 18 mai 2010 avec la société RLGE.

Dès lors, la société Les Montres Passy ne démontre pas que la décision de la société RLGE de résiliation s'explique par la volonté de privilégier la boutique Jaeger-Lecoultre à son détriment, ce d'autant que les deux établissements ne se trouvent pas dans la même zone de chalandise, la boutique Jaeger-Lecoultre se situant dans le 1er arrondissement de Paris, alors que le point de vente de la société Les Montres Passy se trouve à plus de 4 kilomètres dans le 16e arrondissement.

Il sera rappelé que la société RLGE détermine les conditions de distribution de ses produits et peut faire co-exister plusieurs types de distributeurs dans son réseau, selon les relations commerciales spécifiques qu'elle entretient avec eux.

Au vu de ce qui précède, le grief de déloyauté n'est pas démontré.

Sur l'existence d'une faute dans la résiliation du contrat de distribution

La société Les Montres Passy estime que compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale, elle était en droit de penser que le contrat de distribution sélective signé avec la société RLGE avait été régularisé pour de nombreuses années dès lors qu'elle répond en tous points aux critères qualitatifs de sélection de la marque Jaeger Lecoultre.

Elle soutient qu'il y a existence d'une rupture fautive dès lors que sont démontrés la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation, peu important que soient invoqués une succession de contrats entre des parties différentes ou ponctuels entre mêmes parties, un contrat reconduit, voire un contrat à durée déterminée comportant un délai de préavis.

La société RLGE rappelle dans un premier temps les stipulations de l'article 7 du contrat de distribution sélective l'unissant à la société Les Montres Passy qui prévoit en substance une durée de validité d'un an renouvelable sauf dénonciation par l'une des parties trois mois avant le terme du contrat. Ainsi, la société RLGE estime n'avoir commis aucune faute dans la résiliation du contrat de distribution la liant avec la société Les Montres Passy et soutient que le préavis accordé de 22 mois est tout à fait conforme aux stipulations contractuelles et suffisant au regard d'une durée des relations commerciales de 21 ans.

L'article 7.1 du contrat de distribution sélective conclu le 18 mai 2010 entre les deux sociétés prévoit qu'il entre en vigueur lors de sa signature " et prendra fin le 31 décembre de l'année en cours ", alors que l'article 7.2 précise qu'il " se renouvellera ensuite pour des périodes contractuelles d'une année chacune, à moins d'être dénoncé par l'une ou l'autre des Parties par lettre recommandée envoyée trois (3) mois avant le terme du présent contrat ou l'échéance d'une quelconque période contractuelle ultérieure, sans qu'une telle dénonciation n'entraîne pour l'une ou l'autre des parties un droit à une quelconque indemnité de ce fait ".

Ainsi, la lettre du 16 septembre 2013, par laquelle la société RLGE a fait part à la société Les Montres Passy de la résiliation du contrat, prenant effet au 31 décembre 2014, a respecté ces dispositions contractuelles.

Si la société Les Montres Passy produit les contrats antérieurs pour établir que celui du 18 mai 2010 est intervenu à la suite de précédents contrats de distribution, et des pièces de nature à démontrer le caractère significatif de la relation, il n'en demeure pas moins que la société RLGE, fournisseur, a le droit de mettre un terme à la relation l'unissant à un distributeur.

En l'occurrence, la société RLGE a respecté les formes contractuelles de résiliation déterminées entre les parties et prévu un préavis de 15 mois, porté à 21 mois, qui en l'espèce apparaît suffisant. Par conséquent, la société Les Montres Passy ne démontre pas le caractère fautif de la résiliation de la société RLGE.

Sur les autres demandes

Faute de toute déloyauté ou de toute faute de la société RLGE, il ne sera pas fait droit aux demandes indemnitaires de la société Les Montres Passy.

La société Les Montres Passy succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens. Il convient de la condamner au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 21 octobre 2015 en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la société Les Montres Passy de toutes ses demandes, Condamne la société Les Montres Passy aux entiers dépens, Condamne la société Les Montres Passy au paiement à la société RLGE d'une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.