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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 22 février 2017, n° 15-05854

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Quercy Bas Rouergue (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

Mme Pellarin, M. Delmotte

T. com. Toulouse, du 8 oct. 2015

8 octobre 2015

Exposé du litige

Agent commercial depuis 2012 de la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue qui exerce dans le commerce de gros de viandes de boucherie, M. Jean-Marc E. l'a assignée en référé le 23 mars 2015 devant le président du Tribunal de commerce de Toulouse en paiement d'un arriéré de commissions, en résiliation judiciaire de son contrat d'agent commercial, et paiement de l'indemnité de rupture. Par ordonnance du 2 juillet 2015, le président a renvoyé l'affaire au fond.

Par jugement du 8 octobre 2015, le tribunal a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société Quercy Bas Rouergue,

- condamné cette dernière payer à M. E. les sommes de 6 100,45 euro et 84 555,69 euro au titre de l'indemnité de rupture,

- débouté la société Quercy Bas Rouergue de ses demandes et condamné celle-ci à payer à M. E. la somme de 800 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens, en ordonnant l'exécution provisoire de la décision.

La société Quercy Bas Rouergue a interjeté appel de cette décision le 9 décembre 2015. Sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire a été rejetée.

L'appelante et l'intimé ont respectivement notifié leurs dernières écritures par R.P.V.A les 26 septembre et 11 janvier 2016. L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 octobre 2016.

Prétentions des parties

Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions visées.

La société Quercy Bas Rouergue demande la confirmation du jugement uniquement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat la liant à M. E., la réformation pour le surplus, et demande que la résiliation soit prononcée aux torts de M. E., que ses demandes soient rejetées et qu'il soit condamné à lui payer la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante fait essentiellement valoir :

- que les sommes payées en cours de procédure de référé ne l'ont été qu'à leur date d'exigibilité, c'est-à-dire après paiement par le client conformément à l'article L. 134-9 du Code de commerce, qu'une partie réclamée n'est toujours pas due, les clients n'ayant pas payé (pour 3 767,15 euro et 80,25 euro), qu'une partie n'est pas fondée (indemnité perçue au titre de l'assurance-crédit n'ouvrant pas droit à commission)

- qu'elle a produit tous les justificatifs comptables en ce sens,

- qu'elle a réglé en janvier 2016 le dernier solde exigible,

- qu'aucune somme n'est due sur le montant actualisé réclamé en appel par M. E.,

- qu'ainsi aucun retard de paiement ne peut être retenu contre elle au regard des règles légales, étant précisé qu'il n'existe pas de règles contractuelles ni dans ses factures, ni d'usage quant au règlement d'acomptes,

- que de son côté, M. E. ne recouvre plus les sommes dues par ses clients, prend des commandes dans des situations désastreuses,

- qu'enfin M. E. ne subit aucun préjudice, poursuivant ses relations auprès des mêmes clients pour le compte d'une autre entreprise.

M. E. demande la confirmation du jugement, sous réserve pour lui de parfaire le chiffrage de ses demandes après communication par la société Quercy Bas Rouergue des éléments comptables jusqu'au 31 décembre 2015, et réclame une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intimé développe principalement les observations suivantes :

- la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue a laissé régulièrement des commissions impayées depuis 2013 malgré relances,

- des sommes réclamées par M. E. sont déjà déduites de celles correspondant à des factures non payées à son mandant,

- les paiements effectués par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue depuis l'assignation en référé valent reconnaissance de ce qu'il restait dû des commissions à M. E.,

- la mise à jour des comptes ne pourra intervenir qu'après production par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue des pièces comptables nécessaires, en application de l'article R 134-3 du Code de commerce,

- le manquement du mandant à son obligation élémentaire justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat à ses torts, le montant de l'indemnité ayant été justement évalué.

Motifs de la décision

- sur l'existence d'une créance de commissions

Les parties n'ayant pas matérialisé leurs relations par un contrat, les dispositions légales s'appliquent et sur ce point, l'article L. 134-9 du Code de commerce prévoit :

" La commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération. La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise. "

Face aux demandes de M. E., la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue conteste en premier lieu le montant des déductions à opérer pour créances non recouvrées auprès des clients, considérant qu'elles s'élèvent à 3 767,15 euro et 80,25 euro au lieu du montant retenu par M. E., qui était en dernier lieu de 2 040,93 euro. Les parties sont en désaccord sur ce point, et il n'est produit aucune pièce justificative qui permette à la Cour de se prononcer. La charge de la preuve incombant à M. E. qui doit établir que les commissions lui sont acquises, et celui-ci ayant établi son décompte, par rapprochement avec les comptes clients selon ses propres explications contenues dans ses lettres recommandées avec accusé de réception adressées à son mandant, il lui appartenait de produire ces éléments. En cet état, il doit être déduit de ses réclamations la somme de (3.767,15 + 80,25 - 2.040,93) = 1.806,47 euro.

En second lieu, la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue soutient qu'à la date à laquelle M. E. les réclamait, les commissions n'étaient pas exigibles. Celle-ci considère en effet que le montant total d'une facture mensuelle de commissions n'était exigible qu'à la date à laquelle la dernière somme due était payée par l'un des clients. Or la facture mensuelle de commissions éditée par M. E. correspond à plusieurs dizaines de commandes, et à de nombreux clients. L'interprétation que fait la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue de l'article L. 134-9 précité, qui lui permet au mandant de différer de plusieurs mois le paiement de commissions acquises pour plusieurs commandes, tant que l'une d'entre elles n'est pas payée, fût-elle d'un montant minime, est erronée, et ajoute au texte.

Il apparaît ainsi qu'en réponse aux lettres recommandées avec accusé de réception qui lui ont été adressées à compter de décembre 2014, la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue a systématiquement opposé à M. E. un refus de paiement qui n'était pas justifié car il lui appartenait de payer, au plus tard le dernier jour du mois suivant un trimestre, toutes les commissions se rapportant aux commandes que les clients avaient payées dans le dit trimestre. On relève d'ailleurs, comme l'a fait le tribunal, que de 2012 à septembre 2014, la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue réglait très régulièrement des acomptes sur les factures antérieures qui devaient correspondre à la part de commissions acquises.

Sous la réserve de la somme de 1 806,47 euro qu'il conviendra de déduire pour les motifs précédemment développés, le solde de 6 100,45 euro arrêté au 31 juillet 2015 retenu par le tribunal résulte d'une exacte appréciation des pièces produites énumérées dans le jugement. Le solde à cette date est donc de 4 293,98 euro.

- sur la demande de communication de pièces et l'actualisation de la créance

La S.A.R.L Quercy Bas Rouergue a produit un ensemble de documents comptables pour la période couvrant l'année 2015, censés répondre à la demande faite par M. E. sur le fondement de l'article R. 134-3 du Code de commerce. M. E. ne formule aucune observation sur ces pièces. Sa demande apparaît donc sans objet.

La Cour n'est saisie par M. E. d'aucune demande d'actualisation de sa créance postérieurement à juillet 2015 de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner les développements de la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue à l'encontre d'une prétendue réclamation qui n'a pas été formulée.

- sur la résiliation du contrat d'agent commercial

Les parties sont en désaccord non sur le principe de cette résiliation, mais sur son imputabilité.

Il résulte des pièces produites que la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue s'est délibérément dispensée du paiement dans le délai légal des factures de commissions de M. E. à compter d'octobre 2014 alors que la majeure partie de ces factures était exigible, qu'elle a maintenu cette position erronée durant toute la procédure, qu'elle a donc manqué à son obligation essentielle de payer les commissions sans retard, les paiements étant intervenus plusieurs mois après leur exigibilité. À titre d'exemple, on relève ainsi qu'une facture de commissions du 30 juin 2015 pour 2 536,57 euro n'a été réglée par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue que le 25 janvier 2016, celle-ci ayant relevé qu'elle avait perçu d'un client le dernier règlement dû (13 euro) le 30 octobre 2015.

De son côté la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue soutient que depuis de nombreux mois M. E. ne recouvrait pas les sommes dues et continuait à prendre des commandes auprès de clients dans des conditions économiques désastreuses. Il suffit de se reporter au décompte des factures clients de M. E. établi par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue pour relever que cette allégation n'est pas fondée, deux clients seulement ayant été en situation d'impayés sur la période de juillet à décembre 2014, et les critiques émises par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue ne sont intervenues qu'en réponse aux réclamations légitimes de M. E. fondées sur le non-paiement de ses commissions.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il prononce la résiliation aux torts de la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue.

En application des dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la cessation de sa relation avec le mandant.

Il résulte de documents produits par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue (attestation des transports Olano, courrier de M. B.) que dès la fin de son contrat, M. E. avait repris des relations commerciales avec certains clients qu'il démarchait pour son ancien mandant. Une telle situation est de nature à réduire le préjudice occasionné par la rupture du contrat. Au regard de cet élément, et de la moyenne du chiffre d'affaires réalisé par M. E. sur les années 2013 et 2014, (44.834 euro) l'année 2012 n'étant pas significative car correspondant au démarrage de son activité, il y a lieu d'évaluer l'indemnité de fin de contrat à l'équivalent de 80% de rémunération sur deux ans, arrondis à 72 000 euro.

Par ces motifs, La COUR, Confirme le jugement déféré sauf sur les montants dus par la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue et statuant à nouveau sur ces points, Condamne la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue à payer à M. Jean-Marc E. : au titre des commissions arrêtées au 31 juillet 2015, la somme de 4 293,98euro, au titre de l'indemnité de fin de contrat d'agent commercial, la somme de 72 000 euro. Y ajoutant, Dit sans objet la demande de communication de pièces comptables formées par M. Jean-Marc E. pour l'année 2015. Condamne la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue à payer à M. Jean-Marc E. une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la S.A.R.L Quercy Bas Rouergue au paiement des dépens.