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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 mars 2017, n° 14-17164

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Départ (SARL)

Défendeur :

Société d'Innovations Techniques (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Ribaut, Musereau, Gary, Sabouret-Menan, Baudouin

T. com. Rennes, du 3 juill. 2014

3 juillet 2014

FAITS ET PROCÉDURE

A compter de la fin 2000, la société d'Innovations Techniques (SIT), spécialisée dans le secteur d'activité du commerce de gros interentreprises de fournitures et équipements industriels divers, a sous-traité à la société Départ diverses prestations de bureau d'études et notamment de dessins industriels.

A partir de 2011, les relations entre les sociétés se sont dégradées, leur dirigeant respectif s'adressant mutuellement des reproches, jusqu'à leur cessation en fin mai 2013.

Par exploit du 28 août 2013, la société Départ a assigné la société SIT en paiement d'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce devant le Tribunal de commerce de Poitiers lequel par jugement du 17 février 2014, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes.

Entre temps, par exploit du 5 décembre 2013, la société SIT avait assigné la société Départ devant le Tribunal de commerce de Rennes en paiement d'une somme de 150 000 euros à titre d'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 3 juillet 2014, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- dit que pour une bonne administration de la justice l'affaire 2014F00167 sera jointe à l'affaire 2013F00612 et un seul et même jugement sera rendu,

- condamné la société SIT à payer à la société Départ la somme de 1 375 euros au titre du préavis pour rupture brutale des relations commerciales,

- condamné la société Départ à restituer à la société SIT son dossier global "natif" (dossier source) dans sa dernière version (dernier indice) étant rappelé que l'ensemble des études a été réalisé à travers le logiciel 3D Top Solid, et ce sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé le 30e jour suivant la signification du jugement, et pour une durée de 90 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,

- condamné la société Départ à démontrer de manière incontestable qu'elle a détruit le fichier global "'natif'" de la société SIT, et ce sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard suivant la signification du jugement, et pour une durée de 90 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,

- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- dit que les dépens seront mis à la charge de chacune des parties pour moitié.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Départ du jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 3 juillet 2014.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 5 décembre 2016 par la société Départ, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer la société Départ recevable et bien fondée en son appel,

- débouter la société SIT de son appel incident,

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner la société SIT à payer à la société Départ la somme de 146 277,37 euros à titre de dommages et intérêts outre les intérêts au taux légal à compter 28 août 2013 et ce jusqu'à parfait paiement, en raison de la rupture brutale et sans préavis des relations commerciales établies,

- condamner la société SIT à payer à la société Départ la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner la société SIT à payer à la société Départ la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouter la société SIT de toutes ses demandes, fins et prétentions, subsidiairement, si le jugement était confirmé sur la restitution et destruction de fichiers:

- dire que la société Départ devra restituer les seuls fichiers listés par la société SIT (pièce n° 47) à l'exception du fichier 115 3 000,

- dire que la preuve de la destruction sera faite par sondages sur les ordinateurs présents dans les locaux de la société Départ,

- constater que ces obligations ont été exécutées, au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris et débouter par conséquent la société SIT de sa demande de condamnation sous astreinte,

- condamner la société SIT aux entiers dépens d'instance et d'appel et autoriser la SCP Ribaut Avocats associés, à poursuivre directement le recouvrement des frais dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 8 décembre 2012 par la société SIT, intimée et appelante incidente, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire que les conclusions d'intimée et formant appel incident de la société SIT sont recevables et bien fondées,

Y faisant droit, et rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires :

- débouter la société Départ de son appel,

- faire droit à l'appel incident de la société SIT,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il n'existe aucun état de dépendance économique entre la société Départ et la société SIT,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'aucune rupture imprévisible des relations commerciales établies n'est caractérisée à l'encontre de la société SIT,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société SIT a donné à la rupture de ses relations avec la société Départ un effet immédiat,

Statuant à nouveau sur ce point,

- dire que la société SIT n'a pas donné d'effet immédiat à la rupture, mais que c'est la société Départ qui a mis fin sans délai aux relations entre les parties,

À titre subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société SIT justifie d'un motif grave et légitime qui justifiait de rompre les relations commerciales avec la société Départ et que la rupture n'est ni unilatérale ni abusive,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a néanmoins considéré que la société SIT aurait dû accorder un préavis à la société Départ,

Statuant à nouveau sur ce point,

- dire que la dégradation des relations entre les parties permettait qu'il soit mis fin immédiatement à leurs relations, ce qui a été fait à l'initiative de la société Départ elle-même,

Par conséquent,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société SIT à payer à la société Départ la somme de 1 375 euros au titre du préavis pour rupture " brutale " des relations commerciales,

Statuant à nouveau sur ce point,

- débouter la société Départ de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

À titre encore plus subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la durée de préavis de deux ans revendiquée par la société Départ est excessive et a retenu un préavis de 3 mois,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la société Départ ne peut prétendre être indemnisée sur la base d'un chiffre d'affaires HT, mais uniquement sur la base de son taux de marge brute calculé à 5 500 euros annuels soit 458 euros par mois,

- débouter la société Départ de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Départ de sa demande au titre d'une indemnité complémentaire pour le " préjudice subi " ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société SIT :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Départ, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 30e jour suivant la signification du jugement à intervenir, à restituer à la société SIT son dossier global " natif " (dossier source) dans sa dernière version (dernier indice), étant rappelé que l'ensemble des études ont été réalisées à travers le logiciel 3D Top Solid ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Départ, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 30e jour suivant la signification du jugement à intervenir, à justifier de la destruction de ces données et dossier dans ses propres fichiers, et de son impossibilité de les reconstituer par la suite, précisant le jugement sur ce point, compte tenu de l'ordonnance rendue par le Premier Président de la cour d'appel dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision de première instance,

- dire que le fichier global " natif " de la société SIT devra être définitivement détruit par la société Départ et par l'huissier de justice qui en a conservé copie à sa demande, sous l'astreinte ci-dessus,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'astreinte ne courrait que pour une durée de 90 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,

- dire que l'astreinte court à compter du 30e jour suivant la signification du jugement, sans limitation de durée,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SIT de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Départ à payer à la société SIT la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SIT de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Départ à payer à la société SIT la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Départ aux entiers dépens de l'instance.

Sur ce,

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Il ressort de l'instruction du dossier les éléments suivants :

- par courriel du 29 mai 2013, doublé d'une lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, la directrice générale de la société SIT a indiqué à la société Départ qu' " il s'avère qu'il n'est plus possible de travailler ensemble " et qu'en conséquence, elle devait lui restituer tous les dossiers dans les formats natifs relatifs aux travaux qu'elle lui avait commandés,

- par lettre recommandée avec accusé réception du 31 mai 2013 ayant pour objet la " clôture de collaboration " entre les deux sociétés, la société Départ a sollicité une contrepartie financière destinée à compenser les conséquences immédiates et à terme de la rupture unilatérale par la société SIT des relations commerciales,

- par lettre recommandée avec accusé réception du 6 juin 2013, la société SIT a confirmé à la société Départ ne plus souhaiter avoir de relations commerciales avec elle à compter du mois de juin 2013 et a refusé de l'indemniser, considérant qu'elle n'avait aucun engagement de poursuivre les relations commerciales dans le futur ni de compenser une perte de chiffres d'affaires pour les mois et années à venir.

Les deux parties, qui admettent l'existence d'une relation commerciale établie entre elles de 2000 à 2013, sollicitent, chacune, l'application de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce qui dispose " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels ".

La société SIT soutient que la société Départ est à l'initiative de la rupture immédiate de leurs relations commerciales en lui adressant le 31 mai 2013 un courrier recommandé de " clôture de collaboration ". Elle considère que si dans le courriel doublé d'une lettre recommandée qu'elle-même a adressé à la société Départ le 29 mai 2013, elle lui notifiait la nécessité de mettre fin à leurs relations commerciales, elle ne lui notifiait pas pour autant une rupture immédiate de leurs relations mais envisageait à l'inverse que les parties se rapprochent afin de déterminer le délai de préavis.

Mais, les termes de ce courriel réitérés par lettre recommandée avec accusé réception du même jour sont sans ambiguïté, la société SIT indiquant à la société Départ qu'" il s'avère qu'il n'est plus possible de travailler ensemble " et qu'en conséquence, elle devait lui restituer tous les dossiers dans les formats natifs relatifs aux travaux qu'elle lui avait commandés. Ce courriel constitue bien la notification de la rupture des relations commerciales avec effet immédiat. C'est vainement que la société SIT excipe de la mention " pour tous renseignements, n'hésitez pas à me contacter " pour prétendre qu'elle envisageait un rapprochement sur un délai de préavis. De même, le devis du 30 mai 2013 que la société SIT a validé le lendemain de sa notification de la rupture, est sans effet à cet égard, la société Départ justifiant par la production du bon de livraison qu'il correspondait à des mises à jour ponctuelles de plans (Démantèlement Br Brennelis) précédemment fournis entre le 13 et le 16 mai 2013. La société Départ a pris acte de cette rupture en sollicitant, en retour, par lettre recommandée avec accusé réception de " clôture de collaboration " du 31 mai 2013, une contrepartie financière destinée à compenser les conséquences immédiates et à terme de la rupture unilatérale par la société SIT des relations commerciales.

La société SIT est donc bien l'auteur d'une rupture unilatérale des relations commerciales à effet immédiat, rupture qu'elle a confirmée par courrier du 6 juin 2013.

A titre subsidiaire, la société SIT fait valoir que le comportement du dirigeant de la société Départ était devenu inacceptable et rendait impossible la poursuite des relations commerciales de sorte qu'il aurait justifié cette rupture de leurs relations sans préavis.

Si l'article L. 442-6, I, 5° prévoit in fine que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles, ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.

La société SIT fait état de relations devenues particulièrement difficiles qui ont été croissantes dans le courant de l'année 2012. Elle se prévaut d'échanges de mails et invoque un comportement " déplacé " et un épisode fâcheux qui révélerait une immixtion de M. Souriau, dirigeant de la société Départ, dans les relations de la société SIT avec son directeur technique, M. Touchet, dans un but de suggérer l'éviction de ce dernier puis un refus de lui adresser des plans en PDF déjà livrés mais qu'elle aurait perdus, de l'existence de démarches de la société Départ en vue de revendiquer la titularité sur des travaux qui auraient appartenu à la société SIT et enfin, du fait que M. Souriau n'aurait pas honoré un rendez-vous le 28 mai 2013 et lui a adressé un mail " dans des termes extrêmement virulents " de sorte que le dialogue aurait été définitivement rompu. Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute à l'occasion de la rupture dès lors que celle-ci n'était pas abusive.

Toutefois, si la nature des courriers échangés et l'état des relations des parties permettent effectivement d'expliquer la rupture, il n'en demeure pas moins que la société SIT ne justifie pas d'une inexécution par sa partenaire commerciale de l'une quelconque de ses obligations, l'autorisant à rompre les relations sans préavis de sorte que la rupture est bien brutale. La société SIT n'est donc pas fondée à opposer les dispositions prévues in fine à l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce. En rompant sans préavis les relations commerciales établies, peu important à cet égard que la rupture soit justifiée par la dégradation permanente des relations, elle a engagé sa responsabilité au sens de ce texte et doit réparation.

Sur le délai de préavis suffisant

La finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou rechercher de nouveaux clients. Sa durée, conformément à l'article susmentionné, doit être appréciée au regard de l'étendue de la relation commerciale et en référence aux usages du commerce, ainsi qu'au vu des circonstances de l'espèce, telles que la progression du chiffre d'affaires et l'état de dépendance économique.

Il n'est pas contesté que les parties ont noué, devis par devis, sans signature d'un contrat de partenariat et/ou d'un contrat de sous-traitance, des relations commerciales pendant 13 ans.

Selon la société SIT, la durée de préavis pouvant être retenue ne saurait excéder un délai de 3 mois. Elle considère que la société Départ ne peut se prévaloir d'un état de dépendance économique de nature à augmenter la durée du préavis, faute de justifier de la réunion de trois critères cumulatifs, soit la preuve que le chiffre d'affaire réalisé avec l'intimée représenterait une part importante de son chiffre d'appel total et que cet état de fait lui aurait été imposé par la société SIT, que sur son marché la société SIT aurait une notoriété particulière et une part de marché importante et qu'elle serait dans l'impossibilité de contracter auprès d'autres entreprises.

La société départ se prévaut de la part significative de son chiffre d'affaires réalisé avec la société SIT qui révèle un état de dépendance économique et de la spécificité du domaine d'activité dont il faut tenir compte. Elle évalue la durée du préavis qui devait lui être accordé à 24 mois.

Les évaluations des chiffres d'affaires établies et certifiées par l'expert-comptable de la société Départ, la société Audit Bernard, corroborées par les bilans de la société pour les exercices clos au 31 décembre 2010 jusqu'au 31 décembre 2013 (pièces n° 15 à 17 et 19), un tableau récapitulatif du chiffre d'affaires réalisé avec la société SIT de 2000 à 2012 (pièce n° 14) et un extrait du grand livre de la société (pièce n° 20), et non contredites par la société SIT qui les reprend pour les commenter, seront retenues.

Il ressort des attestations de l'expert-comptable, d'une part que le chiffre d'affaires de la société Départ réalisé avec la société SIT était en constante progression, à l'exception de l'année 2011 :

- chiffre d'affaires HT du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 : 71 797,85 euros

- chiffre d'affaires HT du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 : 73 558,71 euros

- chiffre d'affaires HT du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 : 60 508,31 euros

- chiffre d'affaires HT du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 : 90 590 euros

d'autre part que le taux de chiffre d'affaires réalisé par la société Départ avec la société SIT représentait en 2010, 55,44 % du chiffre d'affaires total de la société Départ, en 2011, 55,79 % et en 2012, 34 %, peu important que ces pourcentages soient ou non le résultat de difficultés rencontrées par la société Départ auprès de ses autres clients, comme allégué par la société SIT.

Dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des relations, au volume d'affaires, à la progression du chiffre d'affaires, à la part prépondérante du client SIT dans le chiffre d'affaires de la société Départ, à la nature particulière de l'activité (fabrication d'outils destinés à être utilisés pour le démantèlement ou la maintenance des centrales nucléaires) mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et à défaut de la justification d'une dépendance imposée par la société SIT, le délai de préavis qui aurait dû être donné doit être estimé à 9 mois.

Sur l'indemnisation du préjudice de la société Départ

L'appelante affirme avoir subi un préjudice qui consiste dans le manque à gagner lié à l'absence de préavis, soit la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue. Elle indique que la marge brute est égale à 100 % du chiffre d'affaires HT réalisé, s'agissant uniquement d'une activité de prestations de services, aucun coût d'achat de marchandises ne pouvant être déduit. Dès lors, la société sollicite une indemnité d'un montant de 136 230 euros à laquelle doit être ajoutée la somme de 10 047,37 euros correspondant au licenciement d'un salarié en conséquence directe de la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés.

La société SIT affirme que l'indemnisation intervient non pas sur la base du chiffre d'affaires que la société Départ aurait espéré réaliser pendant ce préavis, mais exclusivement en fonction du taux de marge brute de celle-ci qu'elle évalue à 3,30 % de sorte qu'elle estime la moyenne annuelle de la marge brute d'exploitation à 5 500 euros annuels ou 458 euros mensuels.

Le préjudice résultant non de la rupture, mais du caractère brutal de cette rupture, est constitué par la perte de la marge que la victime de la rupture pouvait escompter tirer pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. Le calcul consiste donc à déterminer la moyenne mensuelle de la marge sur trois exercices et à multiplier le montant obtenu par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture. Contrairement à l'affirmation de la société Départ, sa marge ne peut correspondre à 100 % de son chiffre d'affaires et il y a lieu de tenir compte des charges d'exploitation totales. Les premiers juges ont relevé que la société Départ ne versait aux débats aucun document permettant de calculer cette marge. La cour déplore qu'elle n'en produise pas plus en appel, se contentant de produire une attestation de son expert-comptable indiquant que le taux de marge brute est, de manière constante, toujours égal à 100 % du montant du chiffre d'affaires HT réalisé. Compte tenu de ces éléments et en tenant compte des charges d'exploitation d'une entreprise de prestations de services, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 50 % le taux de marge.

Ainsi, la moyenne annuelle sur les trois dernières années de la perte de marge étant de : 73 558 euros + 60 508 euros + 90 590 euros = 224 656 euros / 3 = 74 885 euros /2 = 37 442, soit une moyenne mensuelle de 3 120 euros, la marge perdue par la société Départ résultant du préavis dont elle a été privée, est égale à 28 082 euros (3 120 euros X 9 mois), somme que devra payer la société SIT à la société Départ augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 août 2013, date de l'assignation.

La société Départ sollicite en outre la somme 10 047,37 euros au titre de l'indemnité de licenciement. Elle se prévaut de la lettre de licenciement d'un de ses salariés M. Souriau, établie le 19 septembre 2013, soit peu de temps après la rupture des relations commerciales, et qui mentionne que la suppression du poste a été rendue nécessaire après le départ d'un client très important (jusqu'à plus de 50 % du chiffre d'affaires selon les années) qui a rompu brutalement toute relation commerciale avec la société. Or, étant rappelé que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, il apparaît que si le coût du licenciement est en lien de causalité avec la rupture, il ne découle pas de la brutalité de cette rupture de sorte que la société Départ sera déboutée de la demande formée à ce titre.

Sur la demande en restitution des fichiers

A titre liminaire, il sera constaté que si dans le corps de ses écritures, la société SIT conclut à l'irrecevabilité de la demande en revendication du droit de propriété des fichiers par la société Départ comme étant nouvelle en appel, cette exception ne figure pas au dispositif de ses écritures de sorte qu'en application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile qui dispose que les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, cette exception ne sera pas examinée.

La société Départ sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à restituer à la société SIT, sous astreinte dont il s'est réservé la liquidation, son dossier global natif (dossier source) dans sa dernière version (dernier indice) et à justifier de la destruction de ces données et fichier dans ses propres fichiers et de son impossibilité de les reconstituer par la suite. Elle soutient que les fichiers qui sont au format Top Solid, ne sont pas la propriété de la société SIT puisqu'ils ont été créés par elle et qu'ils sont sa propriété exclusive et imprescriptible dont elle n'a pas accepté la cession à la société SIT. Elle rappelle que lors de l'exécution forcée du jugement, la société SIT a produit la liste des fichiers dont elle entendait obtenir la restitution, qu'elle-même s'est exécutée en remettant à l'huissier tous les fichiers à l'exception du fichier 115 3000 qu'elle n'est pas parvenue à identifier, que par jugement du 17 septembre 2015, le tribunal de commerce de Rennes a débouté la société SIT de ses demandes de liquidation de l'astreinte en considérant que tous les fichiers demandés avaient été extraits de la mémoire des ordinateurs de la société Départ, à l'exception d'un qui n'y figurait pas et dont la société SIT n'a pas démontré l'existence.

La société SIT sollicite la confirmation du jugement entrepris sauf sur la durée de l'astreinte. Elle considère que ces fichiers sont directement liés à ses produits, qu'ils lui appartiennent et constituent de surcroît des données sensibles dans le secteur du nucléaire soumises à une grande confidentialité. Elle affirme que rien ne justifie ni ne permet à la société Départ de les conserver et que celle-ci ne peut en aucun cas se prévaloir de la qualité d'auteur d'une "œuvre de l'esprit" originale.

En application de l'article 1315 du Code civil, il appartient à la société SIT qui réclame la restitution de la copie informatique des fichiers natifs détenus par la société Départ du fait de la cessation des relations commerciales, de prouver l'existence de l'obligation dont elle demande l'exécution.

Il n'est pas discuté que les parties n'ont entendu formaliser leurs relations commerciales par la signature d'aucun contrat de partenariat ni d'aucun contrat de sous-traitance écrit. Il ressort de la lettre adressée le 29 juin 2010 par la société SIT à la société Départ, que la première a demandé à la seconde " de ne pas tenir compte du dossier Conditions Générales d'Achat de la SIT adressé à tous nos sous-traitants, car Départ est avant tout un partenaire de la SIT. Nous n'attendons donc aucun retour du questionnaire envoyé, ni aucun visa vous engageant à respecter ces dites conditions. " (pièce n° 1 de la société Départ). Ces conditions générales d'achat qui prévoient à l'article 13 que la société SIT acquiert la propriété pleine et entière de tous les résultats des études, développements et ou prestations réalisés au titre de la commande, ne sont donc pas opposables à la société Départ. Comme le relève avec pertinence la société Départ, cet article confirme qu'il existe un droit de propriété intellectuelle des sous-traitants sur leurs réalisations dès lors que la société SIT prévoit qu'elle en fera l'acquisition.

Dès lors, la société SIT qui ne justifie pas de son droit de propriété sur les fichiers natifs en cause ni ne démontre que la société Départ soit tenue contractuellement de les lui restituer, sera déboutée de l'intégralité des demandes qu'elle forme à ce titre (restitution, destruction et astreinte). Le jugement sera donc infirmé de ces chefs.

Sur les demandes en dommages et intérêts complémentaires

Compte tenu du sens de la présente décision, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société SIT sera rejetée.

La demande en dommages et intérêts pour résistance abusive formée par la société Départ au dispositif de ses écritures et, au demeurant, non étayée dans le corps de ses écritures, sera également rejetée. En effet, la société Départ ne caractérise pas la résistance abusive qu'elle invoque ni ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui qui sera réparé par l'allocation des intérêts moratoires.

La société SIT qui succombe essentiellement, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société d'Innovations Techniques (SIT) de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, LE Confirme sur ce point, Statuant à nouveau, Condamne la société d'Innovations Techniques (SIT) à verser à la société Départ la somme de 28 082 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 août 2013 à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société d'Innovations Techniques (SIT) aux dépens de première instance, Et y ajoutant, Condamne la société d'Innovations Techniques (SIT) aux dépens d'appel, Autorise la SCP Ribaut, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Déboute la société d'Innovations Techniques (SIT) de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.