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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 mars 2017, n° 15-15145

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Essilor International (SA)

Défendeur :

Service Usinage Metallisation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Meynard, Mouton, Guidon, Pelit-Jumel, Guyard, Louvel

T. com. Nancy, du 3 juill. 2015

3 juillet 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL Service Usinage Metallisation, ci-après SARL SUM, était en relation d'affaires avec la Essilor International ci-après SA Essilor, pour qui elle effectuait des prestations de maintenance depuis près de 15 ans.

Depuis le début de l'année 2010 la SARL SUM affectait presque exclusivement sur le site de la SA Essilor l'un de ses salariés, M. Rémy.

Au mois de février 2013, M. Rémy a été embauché par la SA Essilor après avoir démissionné de la SARL SUM qui a argué d'avoir constaté à partir de ce départ une chute drastique du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la SA Essilor.

C'est dans ces conditions que la société SUM Service Usinage Metallisation a fait assigner le 28 avril 2014 la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) pour constater que la société SARL SUM Service Usinage Metallisation avait des relations commerciales établies avec la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) constater qu'au début de l'année 2013 la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) a embauché M. Stéphane Rémy, salarié ayant démissionné de la société SARL SUM Service Usinage Metallisation à la fin de l'année 2012, pour dire et juger que la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) a rompu de manière brutale les relations commerciales établies avec la société SARL SUM Service Usinage Metallisation,

Par jugement rendu le 3 juillet 2015, le Tribunal de commerce de Nancy a statué comme suit :

- Dit que la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) n'a pas respecté un préavis suffisant de dix mois.

- En conséquence, condamne la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) à payer à la SARL service Usinage Metallisation (SUM) la somme de 49 012 euros.

- Condamne la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) à payer à la SARL Service Usinage Metallisation (SUM) la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamne la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) aux dépens du présent jugement.

Vu l'appel interjeté par la Société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) le 13 juillet 2015 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Essilor international le 21 novembre 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Essilor International,

Y faire droit,

Ce faisant,

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nancy rendu le 3 juillet 2015 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- Débouter la société Service Usinage Metallisation de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner la société Service Usinage Metallisation à verser à la société Essilor la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société Service Usinage Metallisation aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Jean-Didier Meynard de la SCP Brodu Cicurel Meynard Gauthier, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société SUM Service Usinage Metallisation le 4 décembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu les pièces du dossier,

- Déclarer la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) mal fondée en son appel et l'en débouter.

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 3 juillet 2015

- Débouter la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) de ses moyens et prétentions

- Condamner la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) à supporter les frais et dépens de la présente instance.

- Condamner la société Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) à verser à la société SARL Service Usinage Metallisation la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Essilor soutient qu'il ne peut lui être imputé de rupture brutale des relations commerciales établies, dès lors que les contrats ponctuels signés avec SUM ne traduisent aucune progression du chiffre d'affaires, resté faible, mais au contraire de fortes variations, et aucune raison pour SUM d'en augurer une réelle poursuite ; qu'en outre elle n'est elle-même pas à l'origine d'une rupture dont SUM, qui a, en octobre 2013, été elle-même défaillante dans une mission de maintenance et désorganisé par cette carence l'activité d'Essilor, a pris acte en indiquant son refus de travailler pour elle - ce qui a en outre causé à Essilor un important préjudice du au surcoût et au retard des travaux ; que, subsidiairement le préjudice accordé par le premier juge à SUM, et qui doit s'apprécier à l'aune de la seule brutalité de la rupture et de la perte de marge subie, a été surestimé.

SUM oppose que des relations commerciales étaient établies de longue date avec Essilor, dont Monsieur Rémy, embauché en 2008, était l'élément essentiel ; qu'elles ont été rompues partiellement sans préavis, ce dès 2013, alors même qu'elles étaient stables et essentielles pour l'entreprise qui s'attendait à leur continuité ; que cette décision d'Essilor est sans rapport avec le litige sur le chantier d'octobre 2013 mais qu'elle a eu de lourdes conséquences sur son chiffre d'affaires ; que son préjudice, essentiellement de main d'œuvre, est attesté par le coût mensuel de Monsieur Rémy en octobre 2012, soit 3 444,10 euros au regard du montant des prestations facturées à Essilor, 6 632,22 euros.

Cela étant exposé, LA COUR

Aux termes des dispositions de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce : " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;

La mise en œuvre de ce texte implique que les relations commerciales soient établies en ce que, en l'espèce, SUM ait pu, compte tenu des commandes passées avec Essilor, raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec cette dernière, laquelle réfute cet argument.

Cependant il n'est pas réellement discutable que, au regard des dispositions précitées, il existait entre les deux sociétés des rapports constants, variables dans leur montant, mais procédant d'un flux régulier.

Pour autant il importe de considérer l'origine et la date de la rupture de ces relations que SUM attribue au départ de Monsieur Rémy, débauché par Essilor et qui aurait ainsi effectué directement pour le compte de son nouvel employeur les prestations confiées auparavant à SUM.

Cette accusation n'a été avancée qu'en février 2014 par le conseil de SUM, Essilor en réfutant en réponse le bien fondé et arguant de la décision imputée à SUM de rompre toute relation ensuite de l'échec du dernier chantier.

Or force est de constater qu'il n'existe aucune preuve de manœuvres d'Essilor ayant été à l'origine de la décision de Monsieur Rémy, lequel n'était lié par aucune clause de non-concurrence ; que SUM n'a élevé à réception, en décembre 2012, de la lettre de démission de l'intéressé aucune protestation alors même que, selon ses propres écritures, elle en déduisait que ce départ allait affecter très fortement ses relations avec Essilor et la priver de la possibilité d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec cette dernière.

Si tant est que ce flux était lié à la présence de Monsieur Rémy, la décision de celui-ci et ses conséquences ne peuvent être imputées à la faute d'Essilor et il est difficile d'exiger de celle-ci qu'elle ait dû, en janvier 2013, envoyer à SUM une lettre de rupture avec un préavis adéquat fondée sur le seul départ de Monsieur Rémy. Or tel est pourtant le sens obligé des écritures de SUM qui fait état de ce que " si la cour devait croire sur parole Essilor sur l'absence de lien entre l'arrêt des prestations et l'embauche de Monsieur Rémy, cette argumentation n'a que peu d'importance au regard de la rupture des relations commerciales effectuées sans préavis écrit du jour au lendemain " ; or, ces mêmes écritures reposent constamment sur le fait que les deux problèmes sont liés.

En réalité il appartenait à SUM de faire le point avec sa cliente si, comme elle l'explique, ce départ la privait des facultés de satisfaire aux commandes de celle-ci, ou, dans ce cas, de prendre acte de ce qu'elle considère actuellement comme une rupture, ce qu'elle n'a pas fait.

De fait, il est avéré que ces relations ont perduré en 2013 sans que SUM s'en plaigne, et les tableaux qu'elle produit attestent d'un flux régulier, bien que diminué par rapport aux années précédentes ce qui s'explique, soit par la conjoncture, soit surtout, par le départ de Rémy, ce qui, dans la logique de ce que soutient SUM, était prévisible.

Dès lors il ne saurait être soutenu tout à la fois qu'une rupture brutale des relations commerciales établies est intervenue partiellement en janvier 2013 et a été ensuite suivie d'une rupture totale matérialisée par une chute des commandes : si en effet le départ de Monsieur Rémy avait les conséquences qui ont été rappelées cette chute n'a été logiquement que la suite d'un même événement.

S'évince de ce qui précède que SUM n'est pas fondée à revendiquer réparation de cette rupture.

Le jugement est en conséquence infirmé.

L'équité commande d'allouer à Essilor la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de SUM de ce chef.

Par ces motifs : Infirme le jugement en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Déboute la SARL Service Usinage Metallisation de ses demandes. Condamne la SARL Service Usinage Metallisation à payer à la SA Essilor International (Compagnie Générale d'Optique) la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Service Usinage Metallisation aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Jean-Didier Meynard de la SCP Brodu Cicurel Meynard Gauthier, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.