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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 9 mars 2017, n° 15-10327

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fashion Television International Limited (Sté)

Défendeur :

Fashion TV Paris (SARL) , Fashion TV Programmgellschaft Mbh (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevalier

Conseillers :

Mmes Roy-Zenati, Bodard-Hermant

Avocats :

Mes Sion, Hollier-Larousse, Henry

T. com. prés. Paris, du 30 avr. 2015

30 avril 2015

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte en date du 24 février 2015, la SARL Fashion TV Paris et la société Fashion TV Programmgesellschaft ont fait assigner la société Fashion Television International Limited devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.

Les demanderesses reprochaient à la société Fashion Television International Limited d'avoir adressé aux sociétés Free et Orange ainsi qu'à d'autres distributeurs de télévision un courrier en date du 4 décembre 2014 dans lequel elle les mettait en demeure de cesser de diffuser leurs programmes au motif que cette diffusion constituait une contrefaçon de la marque dont elle est titulaire.

Elles exposaient que ce courrier constituait un acte de dénigrement, contraire à une concurrence loyale, et demandaient au juge consulaire d'interdire à la défenderesse la poursuite de tels actes.

La société Fashion Television International Limited a soutenu que la demande était irrecevable au motif que les faits en cause relevaient de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et, subsidiairement, l'incompétence de cette juridiction au motif que ces faits constituaient une simple information dont le caractère licite nécessitait de déterminer s'il y avait ou non contrefaçon de sa marque, appréciation relevant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.

Par ordonnance du 30 avril 2015, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a déclaré la demande des sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft recevable, s'est déclaré compétent pour en connaître et a interdit à la société de droit anglais Fashion Television International Limited de dénigrer auprès des tiers les requérantes en alléguant qu'elles commettraient des actes de contrefaçon, cela sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée.

Il a également condamné la société Fashion Television International Limited à payer aux sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft ensembles la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par déclaration du 21 mai 2015, la société Fashion Television International Limited a fait appel de cette ordonnance.

Au terme de ses conclusions communiquées par la voie électronique le 3 juin 2015, elle demande à la cour, sur le fondement des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle et 56 et 58 du Code de procédure civile de :

- réformer l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Paris du 30 avril 2015 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- déclarer les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgellschaft irrecevables en leurs demandes,

- les en débouter,

Subsidiairement,

- se déclarer incompétent pour statuer sur le bien-fondé des demandes formées par les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgellschaft au profit du Tribunal de grande instance de Paris,

- les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

La société Fashion Television International Limited expose en substance les moyens et arguments suivants :

- l'action des sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgellschaft ne saurait être fondée sur les dispositions de l'artic1e 1382 du Code civil dès lors que les faits qui lui sont reprochés ne peuvent en aucun cas être qualifiés d'actes de dénigrement ; l'allégation de faits précis à l'encontre d'une personne morale, à savoir que les intimées seraient contrefacteurs, qui pourraient porter atteinte à son honneur et à sa réputation, constitue incontestablement un grief de diffamation, lequel relève du champ d'application de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

- il ne peut pas être dérogé aux règles strictes de cette loi, notamment à celles de l'article 65 relatives aux délais de prescription, en engageant une action sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

- subsidiairement, afin d'apprécier si le courrier qu'elle a adressé le 4 décembre 2014 à la société Free constitue un acte de dénigrement ou une simple mise en connaissance de cause, il est nécessaire d'apprécier si les intimées se rendent ou non coupables de contrefaçon de marque, ce qui relève de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris ;

- à cet égard, elle a engagé deux procédures en Autriche et en Allemagne, qui sont en cours, afin de voir condamner les intimées pour contrefaçon et elle les a également assignées afin de voir prononcer la déchéance de leurs droits sur les différentes marques " Fashion Television " qu'elles détiennent ;

- enfin, le seul fait d'adresser une mise en demeure de cesser des actes de contrefaçon constitue un préalable nécessaire à toute action en contrefaçon et cette démarche préalable s'impose désormais au vu de l'obligation instaurée par le décret du 11 mars 2015, entré en vigueur le 1er avril 2015, modifiant les articles 56 et 58 du Code de procédure civile.

La SARL Fashion TV Paris et la société Fashion TV Programmgesellschaft, dans leurs dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 19 janvier 2017, demandent à la cour de :

- dire que la société de droit anglais Fashion Television International Limited est irrecevable et mal fondée en son appel et en toutes ses demandes,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 30 avril 2015 par le Tribunal de commerce de Paris,

Y ajoutant,

- condamner la société Fashion Television International Limited à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft soutiennent en résumé ce qui suit :

- la société Fashion Television International Limited est en situation de concurrence avec elles ; les lettres adressées par celle-ci à leurs distributeurs, dans lesquelles elle les accuse de contrefaçon de marque et menace ces derniers de sanctions, constituent des actes de dénigrement commis par un concurrent ; de tels actes sont sanctionnés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et non sur celui de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation ;

- en adressant de telles lettres, la société Fashion Television International Limited a fait preuve de mauvaise foi, comme le prouve le fait que, par jugement du 16 septembre 2016, le Tribunal de grande instance de Paris l'a déboutée de sa demande de déchéance de la marque verbale " Fashion Television " déposée le 3 avril 1997 ;

- en outre, l'appelante n'a pas agi par voie de presse mais par des courriers adressés directement à leurs clients ;

- de plus, ces lettres enjoignaient aux clients des intimées de fournir des informations hautement confidentielles ; ces courriers ont fortement perturbé les relations des intimées avec leurs distributeurs ;

- le tribunal de commerce était compétent pour connaître de tels faits dès lors que le dénigrement est constitué par la divulgation d'une information destinée à jeter le discrédit sur un concurrent indépendamment du fait que cette information soit exacte ou non ;

- par ailleurs, l'appelante n'a jamais engagé d'action en France contre les intimées en contrefaçon de marques.

Sur ce, LA COUR

Les intimées demandent à la cour de déclarer l'appel formé par la société Fashion Television International Limited contre l'ordonnance rendue le 30 avril 2015 par le tribunal de commerce de

Paris irrecevable mais elles n'exposent aucun motif au soutien de cette demande.

Cet appel, formé dans la forme et le délai prévus par la loi, est recevable.

Selon l'article 873 du Code de procédure civile, le président du tribunal de commerce statuant en référé peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il ressort des pièces produites par les intimées que la société Fashion Television International Limited a adressé à la société Free, à la société Orange ainsi qu'à la société Numericable un courrier en date du 4 décembre 2014 dans lequel elle expose ce qui suit : elle diffuse la chaîne Fashion Television protégée par trois marques communautaires ; elle a appris que la société destinataire diffuse un programme télévisuel " Fashion Tv " dont le thème principal est la mode ; elle n'a pas autorisé cette diffusion, qui constitue selon elle une contrefaçon ; elle déclare renoncer à exercer des poursuites contre la société destinataire si celle-ci, premièrement, cesse de diffuser le programme Fashion Tv au 16 janvier 2015, deuxièmement lui communique les paiements qu'elle a versés à FTV Programmdesellschaft ou à tout autre distributeur en échange de la diffusion de la chaîne sur sa plate-forme et, troisièmement, enlève tous les logos " Fashion Tv " de ses annonces publicitaires et sur Internet ; à défaut de signature de l'accord joint à ce courrier, elle engagera des poursuites.

Il n'est pas contesté que la société Fashion Television International Limited est en situation de concurrence avec les intimées dans le domaine de la diffusion d'émissions de télévision ayant pour thème la mode, les intimées expliquant sans être contredites sur ce point que cette société, créée le 8 octobre 2014, a commencé à diffuser une chaîne sous le nom de Fashion Television depuis le 4 décembre 2014.

Ainsi que le premier juge l'a retenu à bon droit, l'action des intimées devant le juge des référés du tribunal de commerce visant à voir cesser ce comportement est bien recevable.

Il ressort, en effet, de l'examen du contenu du courrier précité que l'appelante y accuse les intimées de contrefaçon et qu'elle enjoint à ses destinataires de mettre fin à la diffusion de leurs programmes sous peine de s'exposer à une action en dommages et intérêts. Il résulte également de l'examen de ce courrier que l'appelante a réclamé aux clients des intimées des informations sur le prix qu'elles avaient payé.

Ce courrier doit s'analyser, par conséquent, en un acte de concurrence déloyale, visant à évincer les intimées du marché constitué par les distributeurs Free, Orange et Numéricable.

Il s'agit donc d'un dénigrement, qui ne relève pas de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse mais qui expose son auteur à une action en réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Il s'ensuit que l'argument de l'appelante, selon lequel l'action des intimées fondée sur l'article 1382 du Code civil viserait à contourner l'expiration du délai de trois mois prévu par l'article 65 de la loi de 1881, ne saurait être retenu, puisque cette loi n'est pas applicable dans l'affaire en examen.

L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, être confirmée en ce qu'elle a déclaré l'action des intimées recevable.

Elle doit l'être également en ce que le premier juge s'est déclaré compétent pour connaître du litige pour des motifs que la cour adopte.

En effet, le seul fait de dénoncer à la clientèle les agissements d'un concurrent désigné comme contrefacteur alors qu'aucune décision de justice n'a été rendue le condamnant comme tel suffit à constituer l'acte de dénigrement.

Contrairement à ce que l'appelante soutient, la qualification de sa lettre du 4 décembre 2014 de dénigrement ne nécessite pas d'apprécier au préalable si le fait allégué de contrefaçon est avéré.

Il s'ensuit que l'appelante ne saurait soutenir non plus que cette lettre serait justifiée en ce qu'il s'agirait d'une simple mise en demeure visant à voir cesser une contrefaçon, préalable à une action en justice, et rendue obligatoire ensuite par le décret du 11 mars 2015.

Au surplus, force est de constater que l'appelante n'a engagé en France aucune action contre les intimées en contrefaçon des marques dont elle se déclare titulaire.

Par ailleurs, elle a été déboutée par le jugement rendu le 16 septembre 2016 par le Tribunal de grande instance de Paris de son action visant à voir prononcer la déchéance des droits de la société Fashion.TV.com sur la marque " Fashion Television " et elle a été elle-même condamnée pour contrefaçon de cette marque.

L'ordonnance attaquée doit, par conséquent, être aussi confirmée en ce que le premier juge s'est déclaré compétent pour connaître du litige.

Elle n'est pas contestée pour le surplus, en ce qu'elle a fait interdiction à l'appelante de dénigrer les intimées sous astreinte par infraction constatée, de sorte qu'elle doit également être confirmée de ce chef.

Enfin, le premier juge a fait une application équitable de l'article 700 du Code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même Code, de sorte que l'ordonnance attaquée doit recevoir confirmation en toutes ses dispositions.

En cause d'appel, l'équité commande de décharger les intimées des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû engager dans le cadre du présent litige et de leur allouer ainsi, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme globale de 10 000 euros.

L'appelante, qui succombe à cette instance, devra supporter les dépens d'appel, conformément à l'article 696 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Déclare recevable l'appel formé par la société Fashion Television International Limited ; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris le 30 avril 2015 ; Ajoutant à celle-ci, Condamne la société Fashion Television International Limited à payer à la SARL Fashion TV Paris et la société Fashion TV Programmgesellschaft la somme globale de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.