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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mars 2017, n° 14-15634

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cofidur EMS (SA)

Défendeur :

Recif Technologies (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Henry, Jeannin, Deshayes

T. com. Bordeaux, du 9 nov. 2012

9 novembre 2012

FAITS ET PROCÉDURE

La société Cofidur EMS venant aux droits de la SA Cofidur PM (ci-après " la société Cofidur ") offre des prestations de conception et de réalisation de cartes électroniques assemblées.

La société Recif Technologies est une société ayant pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de robots de manipulation et d'identification de plaques de silicium en salle blanche lors de la fabrication de circuits imprimés. Dans le cadre de son activité, la société Recif Technologies fait appel à des fournisseurs auprès desquels elle passe commande des cartes électroniques nécessaires au fonctionnement des robots.

Les deux sociétés sont entrées en relation début 2006, une première offre de prix ayant été adressée le 10 février 2006, par la société Cofidur à la société Recif Technologies pour la fourniture de différentes cartes électroniques, avec un délai de fabrication de 12 semaines à réception de la commande.

D'autres offres de prix ont été formulées entre mars et mai 2006, et un flux d'affaires s'est établi à partir de juin 2006.

Cependant, des difficultés sont survenues en raison de retards de livraison et de défauts de non-conformité affectant certains composants et cartes livrés par la société Cofidur à la société Recif Technologies.

Fin janvier 2007, afin de remédier à cette situation, un stock de sécurité des composants de certaines cartes couvrant une consommation de 6 mois a été constitué chez la société Cofidur.

Le 28 septembre 2007, la société Recif Technologies a adressé un courrier à la société Cofidur l'informant du report au 1er trimestre 2008 d'un certain nombre de commandes précédemment passées à la société Cofidur.

La société Cofidur a répondu à la société Recif Technologies le 8 octobre 2007 en refusant ce report des commandes sur 2008, rappelant qu'elle avait constitué un stock pour les commandes de la société Recif Technologies s'élevant à une valeur de 152 000 euros, décomposé en 130 000 euros pour les composants et 22 000 euros pour les cartes finies.

Le 20 juin 2008, la société Cofidur a adressé à la société Recif Technologies un courrier recommandé avec avis de réception lui demandant de formaliser par des commandes la couverture du stock de composants évalué 162 208,13 euros HT et le rachat de toutes les cartes fabriquées selon les prévisions de la société Recif Technologies pour un montant de 52 126,93 euros HT.

La société Recif Technologies a répondu le 10 juillet 2008 qu'elle ne pouvait donner une suite favorable à cette demande.

Le 7 novembre 2008, la société Cofidur a adressé à la société Recif Technologies un courrier recommandé avec avis de réception réitérant sa demande, en rappelant que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Recif Technologies était passé de 610 000 euros en 2007 à 30 000 euros fin septembre 2008. Le 3 décembre 2009, elle lui a envoyé un courrier recommandé avec avis de réception indiquant qu'aucune commande n'avait été passée et la mettant en demeure de lui passer une commande pour couvrir l'ensemble des montants engagés, soit 214 335,06 euros (162 208,13 + 52 126,93 euros).

La société Recif Technologies ayant refusé le 15 décembre 2009, la société Cofidur a adressé à la société Recif Technologies, par courrier recommandé du 23 septembre 2010, deux factures en date du 22 septembre 2010 de 162 208,13 euros HT pour le stock de composants résiduels et de 52 126,93 euros HT pour le stock résiduel de cartes.

Par courrier du 30 septembre 2010, la société Recif Technologies a refusé ces factures.

Le 30 septembre 2011, la société Cofidur a assigné la société Recif Technologies devant le Tribunal de commerce de Bordeaux, lui demandant de condamner la société Recif Technologies au paiement de la somme de 214 335,06 euros HT soit 256 344,72 euros TTC en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies aux torts de la société Recif Technologies.

En réponse, la société Recif Technologies a demandé au tribunal de constater qu'au cours de la période de la relation entre les deux sociétés, la société Cofidur n'avait pas satisfait ses engagements, tant s'agissant de la qualité des marchandises livrées que des délais de livraison. Elle a ainsi demandé au tribunal de débouter la société Cofidur de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 15 000 euros pour procédure abusive.

Par jugement du 9 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société Cofidur de sa demande de paiement de factures,

- condamné la société Recif Technologies à payer à la société Cofidur la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société Recif Technologies de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société Recif Technologies à payer à la société Cofidur la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Cofidur de sa demande d'exécution provisoire,

- condamné la société Recif Technologies aux dépens.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la société Cofidur et ses dernières conclusions notifiées et déposées le 17 février 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire que la société Cofidur et la société Recif Technologies sont en relation d'affaires depuis 2006 pour la fourniture de cartes et de composants électroniques,

- dire que la société Cofidur a dû engager dans le cadre des demandes de la société Recif Technologies un stock de matériel en 2007 à hauteur de 214 335,06 euros HT, soit 256 344,72 euros TTC,

- dire que la société Recif Technologies a refusé de régler cette somme,

- que le Tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la société Cofidur de sa demande et a condamné Recif Technologies à payer à la société Cofidur la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 2 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

- qu'il y a donc lieu de réformer cette décision entreprise,

- dire que la société Cofidur apporte la preuve de la réalité des travaux engagés par elle pour le compte de la société Recif Technologies,

- déclarer la société Recif Technologies responsable de la rupture,

- condamner la société Recif Technologies à payer à la société Cofidur la somme de 256 344,60 euros TTC,

- dire qu'à défaut la société Recif Technologies sera condamnée en vertu de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce au paiement de cette somme pour rupture brutale des relations commerciales,

Subsidiairement,

- ordonner une expertise (la cour renvoie aux conclusions de l'appelante sur ce point),

- dire que les frais d'expertise sont avancés par la société Cofidur,

- condamner la société Recif Technologies aux entiers dépens et à payer une somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 17 janvier 2017 par la société Recif Technologies, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire la société Recif Technologies recevable et bien fondée en ses demandes,

À titre principal,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et statuant à nouveau :

- dire et juger que les sociétés Recif Technologies et Cofidur n'ont pas entretenu de relation commerciale établie,

- dire et juger que la société Recif Technologies n'a pas rompu fautivement la relation d'affaires l'ayant unie à la société Cofidur,

- débouter la société Cofidur de l'intégralité de ses demandes,

À titre subsidiaire,

- dire et juger que la mission d'expertise sollicitée par la société Cofidur est inopportune et vaine,

- débouter en conséquence la société Cofidur de sa demande d'expertise,

Subsidiairement,

- dire et juger que la mission de l'expert judiciaire désigné sera définie ainsi que suit : (la cour renvoie aux écritures de l'intimée),

En tout état de cause,

- condamner la société Cofidur à verser à la société Recif Technologies la somme de 20 000 euros au titre de la procédure abusive introduite à son encontre,

- condamner la société Cofidur à verser à la société Recif Technologies la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Cofidur aux entiers dépens de l'instance ;

Sur ce,

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Cofidur considère que la société Recif Technologies a rompu les relations commerciales établies depuis 2006, de manière brutale, sans préavis, en méconnaissance de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Selon la société Cofidur, la société Recif Technologies doit être tenue pour responsable de la rupture brutale, d'autant plus qu'elle avait renouvelé son engagement dans le courriel du 10 septembre 2007 par lequel elle lui avait adressé un tableau prévisionnel sur les 8 mois suivants.

La société Recif Technologies réplique que les relations commerciales avec la société Cofidur n'étaient pas établies, n'ayant pas revêtu les critères de stabilité requis par la jurisprudence. A titre subsidiaire, à supposer les relations établies, elle justifie en tout état de cause sa décision de cesser toute relation commerciale avec la société Cofidur par la médiocrité de ses performances, qui justifiaient qu'elle y mette un terme sans préavis, en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Il résulte des pièces versées aux débats que la première commande de la société Recif à la société Cofidur est datée du 13 février 2006. Il n'est pas contesté que plusieurs commandes de cartes ont été passées en 2006 pour un montant de 718 715 euros, les achats de la société Recif en 2007 s'élevant à 622 349 euros et en 2008 à 32 954 euros. La société Recif a cessé de s'approvisionner auprès de la société Cofidur à la fin du premier trimestre 2008. Il en résulte l'existence de flux d'achats entre les parties et d'une relation commerciale établie.

Toutefois, dès janvier 2007, la société Recif a fait part à la société Cofidur de son mécontentement, au regard des retards de livraison concernant des cartes commandées, ainsi qu'il ressort d'un mail du 26 janvier 2007 de la société Cofidur adressé en réponse à la société Recif prenant acte d'une conversation téléphonique et proposant de fiabiliser et réduire les délais de livraison sur les cartes afin de répondre au mieux aux exigences du marché, en constituant un stock de sécurité couvrant une période de consommation de six mois.

Dans un autre mail du 13 mars 2007, la société Recif exposait à la société Cofidur : " il me semble que certains basiques pourtant maintes fois rappelés et argumentés ne sont pas encore implémentés chez Cofidur ". La société Recif refusait dans ce message de s'engager à l'égard de la société Cofidur au-delà des six mois à venir, n'étant pas satisfaite à 100 % de ses performances.

Aucune amélioration des prestations de la société Cofidur n'a été constatée dans les mois suivant l'annonce de la constitution du stock en janvier 2007.

Dans un message du 11 juin 2007, la société Cofidur, alertée une nouvelle fois par la société Recif sur les problèmes de qualité et les délais de livraison, les a expressément reconnus, en écrivant : " la compilation des données à fin mai 2007 vu de Cofidur est : 273 produits en défaut imputable à Cofidur sur 7192 livraisons = 3,80 %, effectivement au-dessus de notre indicateur global Montpellier qui est à 0,9 % sur les 5 premiers mois ".

Lors d'une réunion au siège de la société Recif à la demande de Cofidur, le 5 mars 2008, les problèmes de qualité des produits de la société Cofidur sont encore soulignés : " commentaire de la part de Recif sur la proposition de contrat de Cofidur. Recif ne peut pas signer le contrat avec un fournisseur qui est si mauvais, tant en délai qu'au niveau qualité ". S'agissant de la qualité, notamment, il est mentionné des " en cours retournés chez Cofidur ", un " manque de communication et de réactivité sur le suivi qualité ". La société Recif a signalé que sur l'année 2007, 237 cartes présentaient des défauts sur 2000 cartes livrées.

Par courrier du 10 mars 2008, la société Recif a manifesté une nouvelle fois son insatisfaction à la société Cofidur : " le taux de conformité fournisseur pour l'année 2008 fixé par la Direction Générale de Recif Technologies doit être supérieur à 99 % et celui concernant l'OTD (respect des délais de livraison) doit être supérieur à 95 % (...). Aujourd'hui votre taux de conformité est de 88,15 % et votre taux d'OTD est de 56,71 %. Votre note sur 20 prenant en compte le service et le prix est de 4. Vous constaterez avec nous que votre taux de conformité et votre OTD sont insuffisants et nous attendons sous huitaine votre plan d'action pour les améliorer ".

Compte tenu du défaut d'exécution conforme de ses prestations par la société Cofidur, attesté à intervalles réguliers et répétés par les échanges retracés ci-dessus, et de la gravité de ces manquements, la société Recif pouvait légitimement mettre un terme sans préavis à leurs relations commerciales.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris et de débouter la société Cofidur de sa demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur la demande de la société Cofidur concernant son stock

A supposer même la rupture brutale, la société Cofidur est irrecevable à demander le remboursement du stock comme conséquence de la rupture brutale, la société Recif Technologies soulignant que ce poste de préjudice n'est pas indemnisable au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui sanctionne uniquement le caractère brutal d'une rupture, et non la rupture elle-même.

Elle ne démontre par ailleurs pas que la société Recif Technologies lui aurait imposé la constitution de ce stock. Il ressort au contraire des pièces du dossier que c'est elle qui l'a proposée, pour répondre aux problèmes de délais de livraison qui lui avaient été signalés. La société Recif Technologies n'a jamais exigé ni même suggéré la constitution d'un stock de sécurité, son courriel de février 2007 n'étant qu'une réponse à la proposition de Cofidur datant de janvier 2007.

Par ailleurs, les procès-verbaux établis par l'huissier en février 2007 sont dénués de toute valeur probante à cet égard. La société Cofidur ne saurait dès lors être dédommagée pour la constitution de ce stock.

Sur la demande subsidiaire de désignation d'un expert judiciaire

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Cofidur tendant à la désignation d'un expert judiciaire, cette demande visant en réalité à suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.

Sur la procédure abusive

La société Recif Technologies ne démontrant pas que l'action engagée par la société Cofidur ait été irrémédiablement vouée à l'échec ou intentée dans le dessein de lui nuire, la demande tendant à sa condamnation au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts sera rejetée.

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Déboute la société Cofidur EMS de l'ensemble de ses demandes, Y ajoutant, Déboute la société Recif Technologies de sa demande pour procédure abusive, Condamne la société Cofidur EMS aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, La condamne à payer à la société Recif Technologies la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.