Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-23.010
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Cogep (SA)
Défendeur :
Quéro, Association Institut de gestion et d'audit des métiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Quéro, après avoir été embauché en 1972 en qualité de comptable par la société Comptarmor aux droits de laquelle vient la société Cogep, en est devenu également actionnaire, puis administrateur ; qu'il a mis fin à son contrat de travail et démissionné de son mandat d'administrateur en janvier 1998, puis a été embauché par une association de gestion agréée, l'Institut de gestion et d'audit des métiers (l'IGAM) en juillet 1998 ; que la société Cogep a, le 7 août 1998, assigné M. Quéro et l'IGAM en paiement de dommages-intérêts au titre d'actes de concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 1411-1 du Code du travail ; - Attendu que le conseil de prud'hommes dispose d'une compétence exclusive pour régler les différends qui opposent les employeurs et leurs salariés et qui naissent à l'occasion du contrat de travail qui les unit ;
Attendu que pour rejeter les demandes de la société Cogep relatives aux fautes imputées à M. Quéro avant l'expiration de son contrat de travail, l'arrêt relève que la chambre sociale de la cour d'appel est seule compétente pour examiner les fautes reprochées à M. Quéro pendant cette période, peu important qu'il ait à cette époque également eu la qualité d'administrateur de la société ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la société Cogep reprochait à M. Quéro d'avoir manqué à ses obligations d'actionnaire et d'administrateur de la société Comptarmor, et non d'avoir commis des fautes à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le même moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 1351, devenu 1355, du Code civil ; - Attendu que l'autorité de la chose jugée requiert que le demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ;
Attendu que, pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que l'autorité de chose jugée interdit à la société Cogep de demander, devant la juridiction civile, l'indemnisation de faits que la chambre sociale de la cour d'appel a déjà définitivement jugés non fautifs par arrêt du 8 septembre 2009 ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la responsabilité de M. Quéro était recherchée devant elle en ses qualités d'actionnaire et d'administrateur de la société Comptarmor, et non en qualité de salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le même moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1351, devenu 1355, du Code civil ; Attendu que l'autorité de chose jugée requiert que la chose demandée soit la même et que la demande soit fondée sur la même cause ;
Attendu que, pour statuer comme il fait, l'arrêt relève encore que l'autorité de chose jugée interdit à la société Cogep de demander, devant la juridiction civile, l'indemnisation de faits que la chambre sociale de la cour d'appel a déjà définitivement jugés non fautifs par arrêt du 8 septembre 2009 et retient que la demande de la société Cogep n'est recevable qu'en ce qu'elle porte sur des fautes imputées à M. Quéro après l'expiration de son contrat de travail ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la chambre sociale de la cour d'appel avait statué sur les conditions de la rupture du contrat de travail de M. Quéro, et non sur les manquements qui lui ont été reprochés au titre d'une concurrence déloyale en ses qualités d'actionnaire et d'administrateur de la société Cogep, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur les deuxième et troisième moyens, pris en leur deuxième branche, réunis : - Vu l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que pour rejeter les demandes de la société Cogep formées contre M. Quéro et l'IGAM, relatives au détournement de sa clientèle après l'expiration du contrat de travail de M. Quéro, l'arrêt relève qu'il n'est allégué à l'encontre de ce dernier, dans l'exécution de son mandat social, aucune faute distincte et indépendante de l'exécution de son contrat de travail et qu'aucune obligation ne découlait de son statut d'actionnaire ultra minoritaire ; qu'il constate que celui-ci n'était lié par aucune clause de non-concurrence et en déduit qu'il pouvait soumettre sa candidature à tout nouvel employeur potentiel ; qu'il relève encore que M. Quéro pouvait également se prévaloir auprès de tout nouvel employeur, sans que ce comportement ne puisse, en lui-même, être jugé fautif, de l'espoir de voir des entreprises dont il avait assumé à titre exclusif la comptabilité depuis plusieurs années lui maintenir leur confiance, dès lors que leur décision n'était pas obtenue par des manœuvres de dénigrement, la promesse d'avantages anormaux ou encore l'utilisation de données confidentielles obtenues dans le cadre de ses précédentes fonctions ; qu'il ajoute que le déplacement de clientèle était prévisible et légitime s'agissant d'entreprises, souvent modestes, dont M. Quéro avait été l'interlocuteur exclusif pendant près de vingt-cinq années dans le cadre d'une activité impliquant un intuitu personae ; qu'il retient, s'agissant des actes reprochés à l'IGAM, que l'embauche de M. Quéro, trois mois après l'expiration de son contrat de travail, n'était pas fautive, dès lors que celui-ci n'était pas astreint à une obligation de non-concurrence, peu important que l'IGAM ait escompté de cette embauche des retombées positives en terme d'accroissement de clientèle, dans la mesure où cette attente reposait sur la compétence de son nouveau salarié et la confiance qu'il avait suscitée et non sur des manœuvres déloyales perpétrées envers l'ancien employeur ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si le déplacement de clientèle invoqué ne résultait pas d'un démarchage systématique et ciblé des cent quarante-huit clients de la société Comptarmor qui figuraient sur la liste communiquée par M. Quéro à son nouvel employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Cogep formées à l'encontre de M. Quéro et de l'association Institut de gestion et d'audit des métiers au titre d'une concurrence déloyale et condamne la société Cogep à leur payer respectivement les sommes de 5 000 euros et 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 28 avril 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Rennes, autrement composée.