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Décisions

Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-21.268

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Flashmer (SAS)

Défendeur :

Grauvell France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

Me Bertrand, SCP Bénabent, Jéhannin

Toulouse, 2e ch. sect. 1, du 8 janv. 201…

8 janvier 2013

LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués (Toulouse, 8 janvier 2013 et 28 mai 2014), que la société Flashmer commercialise des leurres de pêche, dits " turluttes ", dont certains font l'objet de modèles enregistrés, notamment à la suite d'un dépôt n° 005313, publié le 5 janvier 2001, ainsi que des " bas de lignes " ; qu'elle a assigné la société Grauvell France en contrefaçon de modèle et de droit d'auteur ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire ; qu'un jugement ayant accueilli ces demandes, le liquidateur amiable de la société Grauvell France en a relevé appel ; que la société Flashmer ayant fait valoir devant le conseiller de la mise en état, que cette instance d'appel était périmée, il a été fait droit à cette demande, au motif qu'entre le 22 septembre 2008 et le 11 février 2011, il n'existait pas de diligences propres à interrompre le délai de péremption ; que, sur déféré, un arrêt du 8 janvier 2013 a déclaré cette demande irrecevable ; que, statuant au fond par arrêt du 2 mai 2014, la cour d'appel a annulé le dépôt n° 005313, en ce qu'il concerne les modèles dits " Kariba ", et débouté la société Flashmer de ses demandes ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Flashmer fait grief à l'arrêt du 8 janvier 2013 de déclarer irrecevable sa demande de constatation de la péremption d'instance alors, selon le moyen, que si la péremption d'instance doit, à peine d'irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen, il n'y a lieu de considérer que les dernières conclusions pour déterminer si cette condition est remplie ; qu'après avoir constaté que si, dans les conclusions par lesquelles elle avait initialement saisi le magistrat chargé de la mise en état aux fins de constatation de la péremption d'instance, la société Flashmer avait demandé de déclarer nulles les conclusions signifiées par la société Grauvell France le 11 février 2011 et de constater la péremption d'instance, elle avait abandonné ce moyen de nullité des conclusions dans ses dernières écritures du 19 décembre 2011, de sorte que, en application de l'article 954 du Code de procédure civile, elle était réputée avoir abandonné le moyen de nullité dont le magistrat chargé de la mise en état ne se trouvait plus saisi ; qu'en décidant néanmoins que " le moyen " de péremption d'instance avait été soulevé après un moyen de nullité de sorte que la demande tendant à la constatation de la péremption d'instance était irrecevable, la cour d'appel a méconnu la portée de ses propres constatations en violation des articles 388 et 954 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que la péremption doit, à peine d'irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen dans les premières conclusions postérieures à l'expiration du délai de péremption ; qu'ayant constaté que, dans celles saisissant le conseiller de la mise en état, la société Flashmer avait demandé de déclarer nulles les conclusions signifiées par la société Grauvell France le 11 février 2011, puis de constater la péremption d'instance, c'est à bon droit que la cour d'appel a dit, peu important l'abandon ultérieur de cette exception de nullité, que cette demande de péremption d'instance n'était pas recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Flashmer fait grief à l'arrêt du 28 mai 2014 d'annuler le modèle publié le 5 janvier 2001 sous le n° 005313, en ce qu'il concerne le modèle de leurre dit " Kariba ", alors, selon le moyen : 1°) que dans la rédaction de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle applicable en l'espèce, est protégeable tout dessin nouveau, toute forme plastique, tout objet industriel qui se différencie de ses similaires soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle ; que le modèle dont les éléments sont séparables des fonctions utilitaires et dont la combinaison des éléments peut être dissociée des impératifs techniques est protégeable dès lors que ces éléments expriment la personnalité de l'auteur et résultent d'un effort de création ; que pour décider que le modèle de leurre de la société Flashmer n'était pas protégeable sur le fondement des dispositions du Livre V du Code de la propriété intellectuelle relatif aux dessins et modèles, la cour d'appel s'est bornée à relever que la fonction de la turlutte était d'attirer l'attention des céphalopodes à la capture desquels elle était destinée en reproduisant un poisson susceptible de constituer leur proie et en a déduit que les caractéristiques de cet objet étaient exclusivement destinées à assurer cette destination ; qu'en statuant de la sorte sans procéder à aucune analyse des éléments constitutifs de l'objet en cause et de leur combinaison afin de rechercher, comme elle y était invitée, si la combinaison de la forme, des matériaux et des couleurs de ces éléments n'était pas indépendante de la fonction qu'ils exerçaient et ne procédait pas d'un choix arbitraire, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que ces différents éléments et leur combinaison fussent inséparables de leur fonction utilitaire et ne pouvaient être dissociés des impératifs techniques, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001 ; 2°) que la protection d'un modèle au titre du droit d'auteur est soumise à la seule condition que le modèle soit original, c'est-à-dire qu'il exprime la personnalité de son auteur ; qu'en refusant toute protection au modèle de leurre au titre du droit d'auteur au motif que cet objet a pour fonction d'attirer l'attention des céphalopodes en reproduisant un poisson susceptible de constituer une proie sans rechercher, comme elle y était invitée, si la combinaison de la forme, des matériaux et des couleurs de ces éléments ne procédait pas, indépendamment de leur caractère fonctionnel, de choix arbitraires exprimant la personnalité de leur auteur et était pourvue d'une originalité rendant le modèle éligible à la protection au titre du droit d'auteur, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que ces éléments et leur combinaison fussent inséparables de leur fonction utilitaire et ne puissent être dissociés de ces impératifs techniques, a privé a décision de toute base légale au regard des articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'après avoir exactement rappelé qu'une combinaison de formes, de couleurs et textures, en elles-mêmes banales, peut être protégeable à condition qu'elle confère à l'objet, pris dans son ensemble, une physionomie propre, qui ne soit pas exclusivement dictée par sa fonction, la cour d'appel, qui a procédé aux constatations et recherches pertinentes en décrivant les caractéristiques du modèle en cause, a pu retenir, au terme d'une appréciation souveraine, qu'elles étaient exclusivement destinées à assurer sa destination, et ne révélaient pas un effort propre à caractériser l'empreinte de la personnalité d'un auteur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Flashmer fait grief à l'arrêt du 28 mai 2014 de rejeter son action en concurrence déloyale et parasitaire contre la société Grauvell France alors, selon le moyen : 1°) que la copie servile des produits n'est pas une condition nécessaire du succès de l'action en concurrence déloyale ; qu'il suffit que, en raison des ressemblances entre les produits, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; que la cour d'appel qui, pour rejeter l'action en concurrence déloyale, a relevé que les leurres commercialisés par la société Grauvell France n'étaient pas des copies serviles des leurres de la société Flashmer sans rechercher si, comme le soutenait cette société, les ressemblances entre les produits, tenant, en ce qui concerne les turluttes, à la reprise des moindres détails et des éléments de décor parfaitement arbitraires, à l'utilisation d'une même gamme de couleurs (vert, orange, bleu et rose) et à la présence d'un grappin simple ou d'un double grappin, et, en ce qui concerne les bas de lignes, à la reprise des mêmes caractéristiques pour chacun des produits de la gamme, n'étaient pas de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que constitue un acte de concurrence déloyale le fait de copier les produits d'un concurrent en reproduisant sa gamme de produits selon des modalités identiques ; qu'en rejetant l'action en concurrence déloyale au motif que les produits de la société Grauvell France ne constituaient pas la copie servile de ceux de la société Flashmer sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur le fait que la société Grauvell France avait cherché, en reproduisant la série des turluttes Kariba et Calmero dans la même forme de couleurs avec d'insignifiantes différences de détail, et la série des bas de lignes en reprenant la combinaison des caractéristiques de chaque produit, à profiter d'un effet de gamme, renforçant les similitudes entre les produits, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que l'originalité d'un produit n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale à raison de sa copie ; que pour débouter la société Flashmer de son action en concurrence déloyale, la cour d'appel, qui a constaté la ressemblance des modèles vendus par les parties, s'est fondée sur la " banalité " et la " simplicité " des produits ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui a méconnu que l'absence d'originalité des produits n'était pas de nature à priver la copie de son caractère fautif, sans que le fait que d'autres sociétés aient reproduit les caractéristiques des produits de la société Flashmer fasse disparaître ce caractère fautif, a violé l'article 1382 du Code civil ; 4°) que la cour d'appel ne pouvait, pour rejeter l'action en concurrence déloyale et parasitaire, se fonder sur la différence des produits en ce qui concerne leur dénomination et leur emballage sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur le fait que les produits étaient destinés aux revendeurs détaillants et aux acheteurs de la grande distribution, qui les sélectionnent à partir des catalogues et des échantillons qui leur sont présentés par des représentants des sociétés, en fonction de leur aspect et de leur prix, et non de leur emballage et du nom figurant sur celui-ci ; que faute de l'avoir fait, la cour d'appel, qui a elle-même constaté que les produits s'adressaient à une clientèle composée de grande surfaces spécialisées et de revendeurs détaillants en articles de pêche et non à des consommateurs non professionnels, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) que la cour d'appel, qui a constaté (au prix d'une interversion de la dénomination de certains des produits) que certains des bas de lignes de la société Grauvell France étaient commercialisés sous les dénominations Mini Larves, Dandinette Eperlans et Dandinette Mulet, constituant l'imitation voire la reproduction des dénominations des bas de lignes de la société Flashmer correspondants (Petites Larves, Dandinette à Perles Spécial éperlans et spécial mulets), ne pouvait énoncer que la gamme des bas de lignes de la société Grauvell France commençait par PLUM, ce qui n'était pas le cas des produits de la société Flashmer, pour en déduire l'existence de différences " particulièrement marquées " dans les dénominations des produits en présence, sans méconnaître la portée de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ; 6°) qu'un commerçant est en droit de poursuivre, sur le fondement du parasitisme, les agissements d'un concurrent qui cherche à tirer profit sans bourse délier des investissements qu'il a réalisés pour la promotion de ses produits ; que la cour d'appel qui, pour rejeter l'action en concurrence parasitaire, énonce que la société Flashmer ne démontre aucun investissement pour la mise au point de produits dont elle n'est pas le créateur sans s'expliquer sur les investissements réalisés par cette société pour assurer la promotion de ses produits, a statué par un motif inopérant et privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que saisie par la société Flashmer de conclusions faisant grief à la société Grauvell France de se livrer à la copie servile de ses produits, soulignant leur identité ou leur très forte similitude avec les siens et soutenant qu'ils les copiaient dans les moindres détails, la cour d'appel, en recherchant si ce grief de copie servile était justifié, a statué dans les limites des demandes et moyens qui lui étaient soumis ;

Attendu, de deuxième part, que l'arrêt retient que, par rapport à chacune des gammes dont il était prétendu que les modèles étaient imités, les leurres commercialisés par la société Grauvell France présentaient des différences sur divers points, et notamment quant à leur taille ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a par là-même exclu que les produits incriminés reproduisent ces gammes selon des modalités identiques ;

Attendu, ensuite, qu'en relevant, quant aux " bas de lignes " visés dans la demande, tout à la fois la ressemblance entre les modèles vendus par les parties et ceux commercialisés par des tiers, ainsi que leur banalité et leur simplicité, la cour d'appel n'a pas érigé l'originalité des produits en condition de l'action en concurrence déloyale, mais constaté qu'aucun risque de confusion ne pouvait résulter de ces similitudes fonctionnelles partagées ;

Attendu, de quatrième part, que la cour d'appel a pu prendre en considération les différences de dénomination et de conditionnement pour examiner l'existence d'un tel risque, notamment en ce que la clientèle était en l'espèce constituée, non par des consommateurs, mais par de grandes surfaces spécialisées et des revendeurs détaillants en articles de pêche ;

Attendu, de cinquième part, que la cour d'appel a constaté que la société Grauvell France commercialisait " une " gamme de produits dont la dénomination commence par " Plum ", et non que toute sa gamme aurait présenté cette particularité ;

Et attendu, enfin, que l'arrêt retenant que la commercialisation de produits similaires à ceux d'un concurrent, à un prix inférieur, n'est pas fautive en elle-même, la libre concurrence permettant à tout commerçant de pratiquer la marge qui lui semble souhaitable, et écartant ainsi tout acte de parasitisme, le grief s'attaque à un motif surabondant ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi.