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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mars 2017, n° 16-10477

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Disanto (SA)

Défendeur :

Scadif (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Bellichach, Rota, Olivier, Janssens, Parleani

CA Paris n° 16-10477

15 mars 2017

Faits et procédure

La société coopérative d'approvisionnement de l'Ile-de-France (la " coopérative Scadif ") est une centrale régionale d'achat qui regroupe les centres distributeurs E. Leclerc situés au sud et à l'ouest de la région parisienne. Elle permet à ses coopérateurs de s'approvisionner en bénéficiant de conditions commerciales favorables.

La société Disanto exploitait un supermarché sous l'enseigne E. Leclerc à Antony (actuellement passé sous l'enseigne " Simply Market ") et a elle-même adhéré à la coopérative Scadif, en qualité de coopérateur de cette dernière.

Le 24 janvier 2002, la société Disanto a notifié son retrait à la coopérative Scadif, puis, le 27 mars 2002, est passée sous enseigne Atac (Groupe Auchan).

Le 4 juillet 2002, la coopérative Scadif, estimant que la société Disanto lui restait redevable de sommes au titre de marchandises livrées, facturées mais impayées, a réuni son conseil d'administration.

Par résolution en date du 4 juillet 2002, le conseil d'administration de la coopérative Scadif a décidé d'obtenir le paiement des marchandises non réglées par la société Disanto et de faire application à la société des deux clauses de pénalités figurant dans les statuts de la coopérative (Art. 11) :

- la première pénalité consistant pour la coopérative Scadif à " conserver en produits d'exploitation toute somme encaissée ou à recevoir restant à reverser à l'adhérent en cause au titre des ristournes, des excédents de gestion, des participations publicitaires, des produits accessoires commerciaux et en général, des autres avantages différés " ;

- la seconde pénalité consistant dans le paiement, par la société Disanto, d'une somme calculée selon une formule prévue à l'article 11 des statuts.

C'est dans ce contexte que, le 3 septembre 2002, la coopérative Scadif a assigné en référé-provision la société Disanto devant le Président du Tribunal de commerce de Nanterre, et a demandé sa condamnation à lui verser, à titre principal, une somme de 1 425 622 euros TTC ou de 824 084 euros TTC, relative aux marchandises impayées, avec intérêts de droit à compter de l'assignation. À titre subsidiaire, la coopérative Scadif a sollicité la désignation d'un expert afin d'établir les comptes entre les parties.

Par ordonnance de référé en date du 15 novembre 2002, le tribunal a fait droit à la demande subsidiaire de la coopérative Scadif, et a désigné, en qualité d'expert, Monsieur Xavier Fruchaud. Le 19 juin 2006, Monsieur Xavier Fruchaud a rendu son rapport concluant à l'existence d'une créance de la coopérative Scadif à l'encontre de la société Disanto s'élevant à la somme de 1 406 962 euros TTC.

Le 5 décembre 2011, la coopérative Scadif a assigné la société Disanto devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de la voir condamner à lui régler la somme de 1 406 962 euros, outre les intérêts de retard, en paiement de marchandises impayées, conformément aux conclusions de l'expertise.

Le 22 mai 2012, suite à l'annulation de l'assignation du 5 décembre 2011, la coopérative Scadif a assigné une seconde fois la société Disanto. Elle reprenait sa première demande en paiement de factures et en outre formulait une nouvelle demande au titre de la deuxième pénalité stipulée à l'article 11 des statuts de la Scadif et sollicitait, à ce titre, la condamnation de la société Disanto à lui verser la somme de 739 158 euros, outre intérêts. Les deux affaires ont été jointes devant le tribunal de commerce.

Au cours de l'instance, la société Disanto a notamment fait valoir, au titre de la seconde demande, en défense, le caractère illicite des pénalités prévues à l'article 11 des statuts de la coopérative Scadif, au motif que celles-ci auraient un objet anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

La coopérative Scadif a, quant à elle, sollicité du tribunal qu'il se déclare incompétent pour connaître de la présente affaire, la société Disanto ayant invoqué l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et qu'il renvoie, en conséquence, l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris.

La société Disanto, dans ses écritures postérieures, a indiqué au Tribunal de commerce de Nanterre qu'il lui incombait d'opposer d'office une fin de non-recevoir à l'encontre des demandes de la coopérative Scadif conformément aux articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce.

Par jugement du 6 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- joint les affaires enrôlées sous les numéros n° 2011F4800 et n° 2012F2055,

- dit la Scadif recevable et bien fondée en son exception d'incompétence au profit du Tribunal de commerce de Paris, et s'est déclaré incompétent au profit de ce tribunal,

- dit qu'à défaut de contredit dans le délai légal, il sera fait application de l'article 97 du Code de procédure civile,

- débouté la Scadif de sa demande au titre de dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu, dans la présente partie de l'instance, à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la Scadif aux dépens de l'incident,

- liquidé les dépens du greffe à la somme de 88,37 euros, dont TVA 14,73 euros.

Le contredit

Le 20 novembre 2014, la société Disanto a formé un contredit contre le jugement d'incompétence du Tribunal de commerce de Nanterre devant la Cour d'appel de Versailles. La société Disanto, au soutien de son contredit, a fait valoir que le tribunal de commerce ne pouvait renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris, mais seulement inviter les parties à mieux se pourvoir et mettre ainsi fin à l'instance, dès lors que l'incompétence tirée des articles L. 420-7 et R. 420-3 constitue en réalité une fin de non-recevoir fondée sur le défaut de pouvoir juridictionnel du juge saisi.

Par arrêt du 14 avril 2015, la Cour d'appel de Versailles a renvoyé le contredit à la Cour d'appel de Paris, seule compétente pour statuer sur les contredits formés contre les jugements rendus dans les litiges faisant l'objet d'une spécialisation des juridictions.

Par arrêt en date du 25 mars 2016, la Cour d'appel de Paris a déclaré le contredit irrecevable, en estimant que la décision qui lui était déférée par la voie du contredit devait l'être par celle de l'appel.

Dans cet arrêt, la cour d'appel a considéré que le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce pour connaître de l'affaire en application des articles L. 420-1, L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce constituait une fin de non-recevoir et non une exception d'incompétence. Elle a donc jugé que la voie de recours appropriée était l'appel et non le contredit. Elle a estimé que le Tribunal de commerce de Nanterre n'aurait pas dû se déclarer incompétent et désigner le Tribunal de commerce de Paris comme seul compétent, mais aurait dû, en conséquence de la fin de non-recevoir, inviter les parties à mieux se pourvoir. Elle a donc :

- rejeté la fin de non-recevoir tiré du défaut d'intérêt à agir de la société Disanto,

- déclaré irrecevable le contredit,

- dit que la cour devait être saisie par la voie de l'appel,

- enjoint en conséquence aux parties de constituer avocat dans le délai d'un mois courant à compter de l'avis qui leur en sera donné par le greffier,

- renvoyé l'affaire à la chambre 4 du pôle 5 de la Cour d'appel de Paris afin de connaître de l'appel du jugement rendu entre les parties le 6 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Nanterre,

- rejeté la demande des parties présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Faisant application de l'article 91 du Code de procédure civile, la chambre 1-8 de la Cour d'appel de Paris, qui a rendu l'arrêt du 25 mars 2016, a donc renvoyé l'affaire à la chambre 4 du pôle 5 de la Cour d'appel de Paris, afin de connaître de l'appel du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la société Disanto et ses dernières conclusions notifiées et déposées le 23 décembre 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

sur l'appel de la société Disanto

à titre principal

sur la recevabilité de l'appel immédiat comme voie de recours à l'encontre du jugement du 6 novembre 2014,

- constater que la fin de non-recevoir soulevée devant le Tribunal de commerce de Nanterre a mis fin à l'instance au sens de l'article 544 alinéa 2 du Code de procédure civile,

en conséquence,

- dire recevable l'appel immédiat interjeté par la société Disanto à l'encontre du jugement du 6 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Nanterre,

sur l'infirmation du jugement du 6 novembre 2014,

- constater que si, dans son jugement du 6 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Nanterre a admis implicitement la fin de non-recevoir comme sanction du défaut de pouvoir juridictionnel au sens des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce, il n'en a pas tiré les conséquences légales en renvoyant l'affaire au Tribunal de commerce de Paris ;

en conséquence,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en date du 6 novembre 2014 en ce qu'il a renvoyé l'affaire au Tribunal de commerce de Paris,

statuant à nouveau,

- déclarer l'ensemble des demandes de la Coopérative Scadif irrecevables, et ce qu'il s'agisse de sa demande en paiement de marchandises ou de ses demandes portant sur l'application des deux pénalités statutaires, chacune de ces demandes impliquant au préalable de se prononcer sur les arguments de la société Disanto fondés sur l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- inviter la Coopérative Scadif à mieux se pourvoir, et ce pour l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire :

sur la recevabilité de l'appel-nullité comme voie de recours à l'encontre du jugement du 6 novembre 2014 :

- dire que le Tribunal de commerce de Nanterre a commis un excès de pouvoir en faisant droit à une fin de non-recevoir sans mettre fin à l'instance,

en conséquence,

- dire recevable l'appel-nullité interjeté par la société Disanto à l'encontre du jugement du 6 novembre 2014 du Tribunal de commerce de Nanterre ;

sur l'annulation du jugement du 6 novembre 2014

- annuler le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 6 novembre 2014 en ce qu'il a commis un excès de pouvoir,

et statuant à nouveau,

- déclarer l'ensemble des demandes de la Coopérative Scadif irrecevables, et ce qu'il s'agisse de sa demande en paiement de marchandises ou de ses demandes portant sur l'application des deux pénalités statutaires, chacune de ces demandes impliquant au préalable de se prononcer sur les arguments de la société Disanto fondés sur l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- inviter la coopérative Scadif à mieux se pourvoir, et ce pour l'ensemble de ses demandes,

sur les demandes au fond de la coopérative Scadif

à titre principal :

- constater que le Tribunal de commerce de Nanterre a en réalité statué sur une fin de non-recevoir et non sur une exception d'incompétence,

en conséquence,

- dire que les articles 79, 89 et 568 du Code de procédure civile ne peuvent trouver à s'appliquer en l'espèce,

- dire que la cour ne dispose, en l'espèce, d'aucun pouvoir pour statuer au fond, après avoir tranché la fin de non-recevoir soumise au premier juge,

à titre subsidiaire :

- constater que la demande de la Coopérative Scadif tendant au paiement de créances de marchandises, en date du 5 décembre 2011, est prescrite,

- constater que la demande de la Coopérative Scadif relative à la première pénalité prévue à l'article 11 de ses statuts du 30 juin 1993, en date du 7 novembre 2012, est prescrite,

en conséquence :

- déclarer ces demandes irrecevables,

à titre très subsidiaire :

- constater que le chiffre retenu dans le rapport d'expertise à titre de solde des créances de marchandises alléguées par la Coopérative Scadif est sujet à réserves au dire même de l'expert judiciaire et ne saurait constituer une créance certaine, liquide et exigible,

en conséquence :

- débouter purement et simplement la Coopérative Scadif de sa demande tendant au paiement de créances de marchandises,

- constater que la clause prévoyant la première pénalité prévue à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif est nulle en raison de son objet indéterminé au sens des articles 1108 et 1126 anciens du Code civil,

- constater que la Coopérative Scadif ne démontre pas que l'article 11 de ses statuts du 30 juin 1993 est opposable à la société Disanto qui a adhéré à la Coopérative Scadif en 1988,

- constater que la clause prévoyant la première pénalité prévue à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif est nulle en raison de son objet anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- constater la carence de la Coopérative Scadif pour justifier du quantum de sa demande relative à la première pénalité prévue à l'article 11 de ses statuts,

en conséquence :

- débouter la Coopérative Scadif de sa demande relative à la première pénalité prévue à l'article 11 de ses statuts du 30 juin 1993,

- constater que la Coopérative Scadif ne démontre pas que l'article 11 de ses statuts du 30 juin 1993 est opposable à la société Disanto qui a adhéré à la Coopérative Scadif en 1988,

- constater que la clause prévoyant la seconde pénalité prévue à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif est nulle en raison de son objet anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- constater la carence de la Coopérative Scadif pour justifier du quantum de sa demande relative à la seconde pénalité prévue à l'article 11 de ses statuts,

en conséquence :

- débouter la Coopérative Scadif de sa demande relative à la seconde pénalité prévue à l'article 11 de ses statuts du 30 juin 1993,

à titre reconventionnel :

- dans l'hypothèse où la cour retiendrait les conclusions du rapport Gefi, débouter la Coopérative Scadif de sa demande tendant au paiement de créances de marchandises et la condamner à titre reconventionnel à verser à la société Disanto la somme de 63 038 euros, outre les intérêts de droit à compter de la décision à intervenir,

- ordonner la compensation entre les créances réciproques de la société Disanto et de la Coopérative Scadif,

- condamner la Coopérative Scadif à payer le solde des sommes restant dues à la société Disanto,

à titre plus subsidiaire

- dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas les conclusions du rapport GEFI, dire et juger que les créances de marchandises de la Coopérative Scadif ne sauraient excéder la somme de 185 887,01 euros TTC, avec intérêts de droit à compter de la date de reddition du jugement à intervenir,

- dire et juger que la première et la seconde pénalités prévues à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif doivent recevoir la qualification de clause pénale,

- constater le caractère manifestement excessif de ces clauses pénales dont se prévaut la Coopérative Scadif,

en conséquence :

- réduire le montant des clauses pénales à proportion de l'importance de la perte subie par la Coopérative Scadif du fait du départ de la société Disanto, soit à la somme de l'euro symbolique,

en tout état de cause ;

- rejeter toutes prétentions adverses,

- condamner la coopérative Scadif à payer à la société Disanto une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la coopérative Scadif aux entiers dépens et autoriser Maître Bellichach à les recouvrer, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 6 janvier 2017 par la société Scadif, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire irrecevables l'appel ainsi que l'appel-nullité formés par la société Disanto à l'encontre du jugement entrepris,

- ordonner le renvoi de l'affaire au Tribunal de commerce de Paris,

- à titre subsidiaire, dire irrecevable, et en tout état de cause sans effet sur les demandes de la société Scadif, le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Disanto devant le Tribunal de commerce de Nanterre,

- statuer ce que de droit sur les demandes de la Scadif,

- à titre plus subsidiaire, dire que seules les demandes portant sur l'application des deux pénalités statutaires seraient irrecevables, le Tribunal de commerce de Nanterre, ou le cas échéant, la cour de céans, ayant le pouvoir juridictionnel de statuer sur la demande en paiement de marchandises d'un montant de 1 406 962 euros TTC, non atteinte par l'irrecevabilité alléguée,

- dire la société Scadif recevable et bien fondée en ses demandes,

y faisant droit,

- condamner la société Disanto à verser à la Scadif la somme de 1 406 962 euros TTC, avec intérêts de droit à compter, à titre principal, du 3 septembre 2002, avec capitalisation des intérêts, dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à compter de cette même date, et, subsidiairement, à compter du 5 décembre 2011, date de l'acte introductif d'instance, avec capitalisation à compter de cette même date,

à titre principal,

- dire que la demande de la société Disanto tendant à voir prononcer nullité de la première pénalité statutaire pour indétermination, est prescrite, subsidiairement,

- dire que la demande de la société Disanto tendant à voir prononcer la nullité de la première pénalité statutaire pour indétermination, est dépourvue de tout fondement, et, en conséquence, dire que la Scadif est bien fondée à conserver dans ses livres la somme de 1 160 510 euros TTC relative aux " acquis ",

plus subsidiairement encore,

- dire que la Scadif est bien fondée, à tout le moins, à conserver dans ses livres la somme de 836 992,59 euros relative aux " acquis ",

- condamner la société Disanto à verser à la Scadif la somme de 739 158 euros, avec intérêts de droit à compter de la date de l'assignation délivrée le 22 mai 2012, et avec capitalisation des intérêts, dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à compter de cette même date,

en tout état de cause,

- débouter la société Disanto de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner la société Disanto à payer à la Scadif la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'expertise ;

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'appel

La société Disanto soutient qu'il est manifeste que, dans le prolongement de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 mars 2016, l'appel immédiat au sens de l'article 544 alinéa 2 du Code de procédure civile est recevable comme voie de recours à l'encontre du jugement entrepris. La société Disanto soutient en effet que les premiers juges ont inexactement qualifié le moyen qui leur était soumis sur le fondement des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce, d'exception d'incompétence, alors qu'il s'agissait d'une fin de non-recevoir mettant fin à l'instance.

La coopérative Scadif considère qu'il ne peut être soutenu en l'espèce que le jugement entrepris aurait mis fin à l'instance, puisque celle-ci, selon les termes mêmes du jugement, devait à défaut de contredit se poursuivre devant le Tribunal de commerce de Paris. Or, la coopérative Scadif rappelle que l'appel immédiat n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions qui tranchent tout ou partie du principal ou qui mettent fin à l'instance, ce qui n'est pas le cas du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre. Dès lors, la coopérative Scadif estime que l'appel immédiat interjeté par la société Disanto est irrecevable.

Si la cour d'appel a jugé, dans son arrêt du 25 mars 2016, que la voie du contredit était inappropriée, elle n'en a pas pour autant préjugé de la recevabilité de l'appel immédiat, renvoyant à la chambre de céans le soin de " statuer sur l'ensemble des demandes et fins de non-recevoir soutenues par les parties et notamment sur l'irrecevabilité d'un appel immédiat invoquée par la société Scadif au regard de l'article 544, alinéa 2, du Code de procédure civile et sur la recevabilité devant le Tribunal de commerce de Nanterre de la demande en paiement de marchandises ".

L'article 544 du Code de procédure civile dispose que " Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance ".

L'article 544 du Code de procédure civile vise le jugement tel qu'il a été rendu et non tel qu'il aurait hypothétiquement dû être rendu, car si un appel immédiat est possible, c'est parce que l'instance a pris fin et que la partie qui entend contester la décision mettant fin à l'instance doit disposer d'une voie de recours immédiate. Tel n'est pas le cas lorsque l'instance se poursuit comme c'est le cas en l'espèce.

En effet, le jugement entrepris a renvoyé l'affaire devant la juridiction consulaire de Paris : " dit la société Scadif recevable et bien-fondée en son exception d'incompétence (...), dit qu'à défaut de contredit dans le délai légal, il sera fait application de l'article 97 du Code de procédure civile ".

Aux termes de l'article 97 du Code de procédure civile précité : " en cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l'affaire lui est aussitôt transmis par le secrétariat, avec une copie de la décision de renvoi. Toutefois la transmission n'est faite qu'à défaut de contredit dans le délai, lorsque cette voie était ouverte contre la décision de renvoi. Dès réception du dossier, les parties sont invitées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du secrétaire de la juridiction désignée à poursuivre l'instance et, s'il y a lieu, à constituer avocat ". Le jugement tel qu'il a été rendu n'a donc pas mis fin à l'instance.

Mais à supposer même que l'article 544 vise le jugement tel qu'il " aurait dû être rendu ", les premiers juges auraient dû opposer une irrecevabilité à la seule demande de la société Disanto fondée sur l'article L. 420-1, mais statuer sur les demandes de la société Scadif, au moins sur celles relatives aux factures qui étaient distinctes, en sorte qu'ils n'auraient pas dû mettre fin à l'instance.

En effet, une exception de nullité fondée sur l'article L. 420-1 du Code de commerce, soulevée en défense à une demande d'exécution d'un contrat, ne peut entraîner le défaut de pouvoir juridictionnel du juge saisi territorialement compétent au profit des juridictions spécialisées que relativement à cette demande principale et non relativement aux demandes dont il est également saisi, fondées sur des faits distincts.

Or, la société Scadif avait formulé deux demandes devant le Tribunal de commerce de Nanterre : une demande en paiement de factures, une demande en paiement de pénalités en exécution des statuts. Or, la demande en défense de la société Disanto, fondée sur l'objet anticoncurrentiel de l'article 11 des statuts, ne concernait que la demande en paiement de pénalités. S'agissant en revanche de la première demande, elle n'était pas visée par l'application de l'article L. 420-1. Par ailleurs, la société Disanto ne démontre pas que la demande en paiement de factures qui a fait l'objet d'une expertise aurait dû être jugée en même temps que la demande en paiement de pénalités résultant des statuts de la coopérative, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. La seule circonstance qu'elle ait formulé une demande de compensation entre les créances réciproques des parties relatives à ces deux demandes ne saurait créer un lien de connexité suffisant entre elles.

Il résulte de ce qui précède que, le jugement n'ayant pas mis fin à l'instance, l'appel n'est pas immédiatement recevable.

Sur la demande d'annulation pour excès de pouvoir du jugement entrepris

La société Disanto estime que le Tribunal de commerce de Nanterre a commis un excès de pouvoir en se déclarant incompétent et en renvoyant l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris alors que celui-ci n'avait pas les pouvoirs juridictionnels pour statuer sur sa compétence au vu des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce. La société Disanto sollicite donc de la cour l'annulation du jugement.

Mais la coopérative Scadif soutient à juste titre que l'appel-nullité n'est recevable qu'en cas d'excès de pouvoir, celui-ci se définissant comme la violation par les juges de la loi définissant les pouvoirs juridictionnels. Il ne saurait être considéré que le renvoi opéré par le Tribunal de commerce de Nanterre devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article 97 du Code de procédure civile, qui caractérise une erreur de droit du tribunal, celui-ci ayant suivi l'argumentation de la société Scadif, constitue un excès de pouvoir.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais irrépétibles

La société Disanto, succombant au principal, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la société Scadif la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, dit l'appel immédiat irrecevable, rejette l'appel-nullité formé par la société Disanto, En conséquence, ordonne le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris, condamne la société Disanto aux dépens de l'instance d'appel, condamne la société Disanto à payer à la société Scadif la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.