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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 17 mars 2017, n° 15-24066

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pin (SA)

Défendeur :

Coty France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Renard, Douillet

Avocats :

Mes Sion, Guerre, Riahi, Ponthieu

TGI Paris, du 23 oct. 2015

23 octobre 2015

Faits et procédure

La société Coty France est une filiale du groupe international Coty dont le siège social est aux Etats Unis et qui est l'un des plus gros producteurs mondiaux de parfums avec une division en deux branches, Coty Prestige pour les marques de luxe et Coty Beauty pour les autres.

La commercialisation est réalisée dans le cadre d'un réseau de distribution sélective qui est gérée en France par la société Coty France.

La société Pin est une société de droit luxembourgeois créée le 21 février 2011 qui a pour objet social la vente par Internet et par correspondance de parfums de luxe en Europe.

Au mois de septembre 2011, la société Coty France a a fait constater par huissier de justice que la société Pin reproduisait le nom de certaines de ses marques, ainsi que le nom de parfums de luxe qu'elle avait créés sous lesdites marques, sur le site Internet www.pirate-parfum.fr à savoir les marques Chloe (" Chloé "), Davidoff (" Cool Water "), Calvin Klein (" Eternity for women " ; " Obsession " " Eternity for men ", " CK One "), et Cerruti (" 1881") afin de promouvoir en France ses propres parfums.

Par courrier recommandé du 28 septembre 2011 elle a mis en demeure la société Pin de cesser l'utilisation des marques et noms de parfum.

Ayant constaté que la société Pin avait poursuivi cet usage et avait au contraire développé son activité et sa notoriété en créant ses propres fragrances, elle l'a assignée par acte du 5 juin 2012 sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme devant le Tribunal de commerce de Marseille qui par jugement du 5 février 2013 s'est déclaré incompétent.

La société Coty France a repris son action devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 23 octobre 2015, assorti de l'exécution provisoire a :

- dit que la société Pin a commis des actes de parasitisme et a tenu des propos constitutifs de dénigrement lui a interdit la poursuite de ces agissements sous astreinte de 150 euros par infraction constatée

- condamné la société Pin à payer à la société Coty la somme de 20 000 euros

- autorisé la publication du jugement devenu définitif dans deux journaux ou revues

- ordonné la publication d'un extrait sur le site Internet de la société Pin

- condamné la société Pin aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 27 novembre 2015 la société Pin a interjeté appel de cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 7 décembre 2016 par lesquelles la société Pin demande à la cour de :

- saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle telle que rédigée dans les conclusions précitées

- ordonner le sursis à statuer dans la présente instance dans l'attente de la réponse de la CJUE à la question préjudicielle, en application des dispositions de l'article 378 du Code de procédure civile,

subsidiairement,

- réformer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 23 octobre 2015 en ce qu'il l'a condamnée pour parasitisme et dénigrement,

en conséquence,

en application des dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, de l'article 5 de la directive 89/104 et de l'article 3 bis de la directive 84/450,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme à l'égard de la société Coty France,

en conséquence,

- débouter la société Coty France de l'intégralité de ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Annette Sion en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 octobre 2016 par lesquelles la société Coty France demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 23 octobre 2015, sauf en ce qu'il a fixé le montant des dommages-intérêts à 20 000 euros seulement,

- fixer, en conséquence, le montant des dommages-intérêts dus par la société Pin à 50 000 euros,

- condamner la société Pin au paiement de la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2016.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la saisine de la CJUE et la demande de sursis à statuer

Considérant que la société Pin demande à la cour de prononcer un sursis à statuer afin que soit posée une question préjudicielle à la CJUE portant sur l'interprétation de l'article 3 bis paragraphe 1 sous h) de la directive n° 84/450 du Conseil du 10 septembre 1984 relative au rapprochement de dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité trompeuse, telle que modifiée par la Directive n° 97/55/CE du 6 octobre 1997.

Qu'elle expose qu'une procédure identique a été engagée par la société Coty Allemagne à son encontre alors que son site allemand était absolument identique au site français litigieux et que la cour d'appel de Berlin, a rendu un arrêt le 18 septembre 2015 par lequel elle a jugé que l'usage des marques de la société Coty Allemagne comme " appartenant à la même famille olfactive " est licite.

Considérant que la société Pin demande que la CJUE interprète les dispositions de l'article 3 bis, paragraphe 1 sous h.

Considérant que la directive n° 84/450 susvisée a été abrogée et remplacée par la directive n° 2006/114/CE du 12 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative; que la question préjudicielle porte dès lors non pas sur l'interprétation de l'article 3 bis, paragraphe 1, sous h) mais sur l'article 4 g) de la directive n° 2006/114/CE, en vertu duquel :

" Article 4 Pour ce qui concerne la comparaison, la publicité comparative est licite dès lors que les conditions suivantes sont remplies :

g) elle ne présente pas un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service portant une marque ou un nom commercial protégés ;

(...) .

Qu'il s'ensuit que la question préjudicielle porte donc sur l'interprétation des dispositions relatives à l'une des conditions de licéité de la publicité comparative, lesquelles ont été codifiées dans le Code de la consommation sous les articles L. 121-9 et suivants.

Considérant que la société Coty s'oppose à la demande en faisant valoir que le litige ne porte pas sur des faits de publicité comparative de sorte qu'une telle saisine est sans intérêt pour la solution du litige.

Que le tribunal ne s'est pas prononcé sur la publicité comparative mais sur les actes de concurrence déloyale allégués par la société Coty France et constitués par le dénigrement et le parasitisme.

Considérant que si la société Pin a été condamnée par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 11 avril 2014 pour contrefaçon de marques et publicité comparative illicite et si, en cause d'appel, le sursis à statuer a été prononcé à raison d'une question préjudicielle, il est patent que la société Coty France qui est licenciée et non titulaire des marques agit dans la présente espèce sur le seul fondement de la concurrence déloyale ; que la société Pin a été condamnée sur ce fondement de sorte qu'elle ne saurait invoquer la nécessité pour la cour de poser une question préjudicielle sur le fondement du droit des marques alors que la CJUE a déjà été saisie par elle d'une telle demande à l'occasion d'une autre instance.

Considérant que le sursis à statuer ne pourrait être envisagé que si la réponse à la question posée était susceptible d'avoir des conséquences sur le litige en cours.

Considérant que, même si à l'issue de cette procédure, la société Pin était autorisée à comparer ses parfums avec des parfums notoires en indiquant aux consommateurs que ses produits sont composés des mêmes ingrédients essentiels que lesdits parfums notoires, il n'en demeure pas moins que la société Coty France serait en droit de solliciter sa condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale et notamment des actes parasitaires dès lors que la société Pin utilise le nom et la notoriété des marques litigieuses et des parfums créés par elle en vue de promouvoir ses propres fragrances, et ce sans bourse délier, et en tenant, par ailleurs, des propos dénigrants à l'égard des professionnels de la parfumerie.

Que le point f) de l'article 4 de la directive énonce également que pour être licite, la publicité comparative ne doit pas tirer " indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou de l'appellation d'origine de produits concurrents ".

Considérant que la question est de juger si les actes de la société Pin constituent un dénigrement ou sont parasitaires; que dès lors qu'ils le seraient, il n'y a pas lieu d'examiner les modalités de la publicité comparative et de solliciter une interprétation de la cour européenne; qu'il y a lieu de rejeter la demande de sursis à statuer.

Sur les agissements parasitaires allégués

Considérant que la société Coty France invoque le fait qu'elle est titulaire des " marques " Joop ! " et " Lancaster ", et sa qualité de licenciée des marques : " Bottega Veneta ", " Balenciaga Paris 10 Avenue George V ", " Calvin Klein ", " Cerruti ", " Chloe ", " Chopard ", " Davidoff ", " Gwen Stefani ", " Guess ", " Jil Sander ", " Jette Joop ", " Jennifer Lopez ", " Karl Lagarfeld ", " Kenneth Cole ", " Marc Jacobs ", " Nikos ", " Sarah Jessica Parker ", " Vera Wang " et " Vivienne Westwood ", reprochant à la société Pin d'en faire usage, sur son site Internet pour proposes ses propres parfums.

Considérant que la société Pin ne conteste pas l'usage sur son site des marques en cause, faisant valoir que les parfums de la société Coty France ne sont mentionnés que dans le cadre d'une comparaison de senteurs de sorte que le consommateur ne pourra se méprendre sur le parfum qu'il achète et qu'il s'agit d'une publicité comparative licite.

Considérant que la cour constate que la société Pin présente notamment ainsi sur son site son parfum Alexandra : " Produit concurrent composé des mêmes ingrédients principaux:

Chloé/Chloé

Famille olfactive : Floral

Sous famille : Rose Violette

Ingrédients clés : Muguet, Musc, Rose

Notes de tête : Muguet, Ylang-ylang, Fleur d'oranger

Notes de cœur : Jasmin, Rose, œillet, Iris

Notes de fond : Tubéreuse, Musc, Santal, Benjoin,

Que le parfum est ainsi présenté sous les mentions Chloé/Chloé soit la marque Chloé et le nom de parfum ; que les autres mentions apparaissent comme des caractères de celui-ci ; que cette présentation n'a pas pour objet de classer le parfum Alexandra au regard d'une famille de senteur commune avec le parfum Chloé quand bien même il est fait mention de la famille olfactive " Floral " et qu'il existe des tableaux de classification des parfums par senteur.

Considérant que la mention Chloé/Chloé n'est nullement utilisée afin de réaliser une publicité comparative car elle figure comme un support identitaire du nouveau parfum de la société Pin, laissant supposer que ses caractéristiques sont celles du parfum Chloé.

Considérant que par ce procédé de présentation la société Pin créé pour chacun de ses parfums une fiche identitaire ayant pour support un parfum et une marque bénéficiant d'une notoriété qui n'est pas contestée et dont la société Coty France est titulaire ou licenciée ; qu'ainsi elle s'immisce dans le sillage de la société Coty France profitant de la notoriété de ses marques et de ses parfums ainsi que des investissements réalisés pour asseoir celle-ci sans bourse déliée ; que ces agissements constituent des actes de parasitisme.

Sur le dénigrement

Considérant que la société Pin présente son site comme "Pirate-Parfum est la seule griffe qui peut prétendre à 95 % de produit et 5 % de marketing. Alors que cette formule s'inverse totalement chez les autres".

Considérant que la société Pin allègue ainsi qu'à la différence de la concurrence elle n'introduit que 5 % de marketing dans le prix de ses produits alors qu'elle s'exonère de cette charge en profitant indûment des investissement réalisés par des sociétés concurrentes comme la société Coty France; que de tels propos qui dissimulent la réalité et jettent le discrédit sur les pratiques commerciales de la concurrence constituent des actes de dénigrement.

Sur le préjudice

Considérant que la société Coty France demande à la cour de fixer son préjudice à la somme de 50 000 euros.

Considérant que les premiers juges l'ont évalué à juste titre à la somme de 20 000 euros, la société Coty France ne produisant aucune pièce nouvelle à l'appui de son évaluation de celui-ci à 50 000 euros.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Coty France a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Condamne la société Pin à payer à la société Coty France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Pin aux dépens.