CA Montpellier, 2e ch., 7 mars 2017, n° 15-01258
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Paca Motoculture (SARL)
Défendeur :
Serpe (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourrel
Conseillers :
Mme Olive, M. Bertrand
Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties
La Sasu société d'entretien et de restauration du patrimoine et de l'environnement (la société Serpe), propose à des collectivités, des sociétés ou des particuliers l'entretien de leurs espaces verts, et notamment l'élagage et le débroussaillage.
Le 17 juin 2011, elle a acquis de la SARL Paca Motoculture, un tracteur forestier neuf de marque M., modèle Treemme, d'une valeur de 235 872,55 euros TTC, avec une garantie contractuelle de deux ans.
Suite à une panne de moteur survenue le 20 janvier 2012 à laquelle la société Paca Motoculture n'a pas pu remédier, l'assureur de la société Serpe a mandaté un expert qui a imputé l'avarie technique à un déplacement de l'huile moteur dans le carter inférieur au cours du travail de la machine et a retenu un défaut de conception.
Les réparations effectuées le 21 mars 2012 ont été prises en charge par la société Paca Motoculture et la société M. France, dans le cadre de la garantie contractuelle.
Une nouvelle panne est survenue le 26 mars 2012 due, selon l'expert mandaté par l'assureur de la société Serpe, à une pollution du carburant fourni par la société Dyneff ou à un mauvais nettoyage de la cuve.
Par courriers du 23 juillet 2012, la société Serpe a informé la société M. France, la société Paca Motoculture et la société Dyneff que le moteur du tracteur serait déposé le 31 juillet 2012 et réparé par la société Atelier Phocéen de mécanique et leur a laissé la possibilité d'assister aux opérations pour faire toutes suggestions utiles.
Par courriers des 25, 26 et 27 juillet 2012, des protestations et réserves ont été émises par les trois sociétés destinataires de l'information.
La réparation a été réalisée le 22 août 2012.
Sollicitant vainement la réparation d'un préjudice de jouissance, la société Serpe a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Montpellier, par actes d'huissier des 21 novembre et 11 décembre 2012, la société Paca Motoculture et la société Dyneff qui a appelé en la cause la société Actiol Distribution, sous-traitant du nettoyage de la cuve. Cette société a appelé en garantie la société K. International, fournisseur du produit de nettoyage.
Par jugement contradictoire du 21 janvier 2015, le tribunal a notamment :
- condamné la société Paca Motoculture à verser à la société Serpe la somme de 11 717,64 HT, au titre du manque à gagner occasionné par la panne du tracteur du 20 janvier 2012 au 25 mars 2012 ;
- condamné la société Paca Motoculture à verser à la société Serpe la somme de 1 672,90 euros, pour frais d'expertise ;
- dit que ces condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation et qu'ils se capitaliseront (article 1154 du Code civil)
- condamné la société Paca Motoculture à payer à la société Serpe, la somme de 2 000 euros, au titre des frais irrépétibles ;
- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes tant en ce qui concerne la société Dyneff que la société Actiol Distribution et K. International ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné la société Paca Motoculture aux dépens.
La SARL Paca Motoculture a relevé appel du jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 18 février 2015, en intimant la société Serpe.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 15 mai 2015, elle a conclu à l'infirmation du jugement, au rejet de l'ensemble des demandes de la société Serpe et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel que :
- le rapport d'expertise amiable réalisé à la demande de l'assureur de la société Serpe ne lui est pas opposable, faute de contradiction ;
- la société Serpe n'apporte pas la preuve lui incombant de ce que le tracteur était affecté d'un vice caché ;
- le tracteur a été réceptionné sans réserves et a été utilisé sans défaillance pendant 7 mois, ce qui ne permet pas de retenir un vice caché antérieur à la vente ;
- l'expert a déduit que la panne était due à un défaut de conception sans se poser la question des conditions d'utilisation de la machine ; il n'a pas exploré les autres causes possibles ;
- de toute évidence, la société Serpe a fait une mauvaise utilisation du tracteur forestier en l'utilisant sur des pentes dont le degré de verticalité a entraîné un déjaugeage et par suite une insuffisance de lubrification du moteur ;
- le défaut de conception n'est pas expliqué par l'expert qui l'a déduit de la prise en charge de la réparation par le motoriste (Fiat Iveco) et le constructeur (M.), dans le cadre de la garantie contractuelle ;
- cette garantie ne vaut pas reconnaissance implicite de l'existence d'un vice caché mais résulte de la stricte application du contrat de vente ;
- sa mauvaise foi n'étant pas démontrée, c'est à tort que le premier juge l'a condamnée à des dommages et intérêts ;
- les dommages et intérêts pour perte d'exploitation n'étaient pas prévus dans la convention et n'étaient pas prévisibles, au sens de l'article 1150 du Code civil.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 9 juillet 2015, la Sasu Serpe, formant appel incident, demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a fixé le manque à gagner à la somme de 11 717,64 euros au lieu de 22 950 euros et conclut à l'octroi d'une somme de 7 500 euros pour appel abusif outre celle de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance que :
- l'expert mandaté par son assureur, la société Sopea a convoqué la société Paca Motoculture qui a participé aux opérations d'expertise ;
- la société Paca Motoculture n'a pas critiqué les conclusions de l'expert et a accepté de supporter la réparation du tracteur consistant en une modification du carter inférieur ; le rapport est signé ;
- le vice n'était pas apparent et était antérieur à la vente, s'agissant d'un défaut de conception d'origine ;
- il n'est pas justifié d'une utilisation non-conforme du tracteur ;
- la résistance de la société Paca Motoculture n'est pas acceptable alors même qu'elle a admis le défaut de conception et a remis le tracteur en état à ses frais ;
- le vice caché obligeait la société Paca Motoculture à indemniser le préjudice d'exploitation, en vertu de l'article 1645 du Code civil ;
- le tracteur a été immobilisé du 20 janvier 2012 au 25 mars 2012, ce qui l'a contrainte à faire appel à des sous-traitants pour les chantiers qu'elle ne pouvait pas refuser ou différer ;
- le Tribunal a fixé arbitrairement une marge de 40 % alors qu'elle justifie d'un manque à gagner quotidien de 1 054 euros, soit 22 750 euros pour la période d'immobilisation.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 3 janvier 2017.
Motifs de la décision
S'il est constant que l'acheteur d'une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de ce bien ne peut plus invoquer l'action en garantie dès lors que le vice a disparu, il peut, néanmoins solliciter l'indemnisation du préjudice éventuellement subi du fait de ce vice.
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise établi par la Sopea, expert mandaté par l'assureur de la société Serpe, que le tracteur forestier acquis auprès de la société Paca Motoculture a été correctement entretenu et que son arrêt brutal est survenu le 20 janvier 2012 alors que le conducteur amorçait une descente. Lors du rapatriement de cet engin dans les locaux de la société Paca Motoculture, il a été constaté lors du démontage des injecteurs la présence d'huile dans le cylindre et le grippage du turbocompresseur. Les techniciens de la société Paca Motoculture ont préconisé un démontage du moteur fourni par la société Fiat Iveco dans un atelier spécialisé. L'expert s'est rendu à l'atelier phocéen de mécanique APM et en présence des représentants du fournisseur (la société M.) et de la société Fiat, il a été procédé au démontage du moteur et au constat de dommages affectant les pistons, une bielle et plusieurs coussinets de paliers, causés par une insuffisance de lubrification liée à un déplacement anormal de l'huile moteur dans le carter inférieur au cours du travail de la machine. La société Paca Motoculture, la société Fiat et la société M. ont admis que la modification du carter inférieur s'imposait et la remise en état du moteur a été prise en charge dans le cadre de la garantie contractuelle.
En admettant que la modification du carter inférieur s'avérait nécessaire pour éviter un déjaugeage, la société Paca Motoculture n'a pas remis en cause l'existence du défaut de conception retenu par l'expert judiciaire et n'est donc pas fondée à invoquer une mauvaise utilisation de la machine.
Un tel défaut qui affecte le moteur du tracteur et qui revêt les caractères d'antériorité, de gravité et d'impropriété à destination, constitue manifestement un vice caché.
La réparation du vice n'interdit pas à la société Serpe de solliciter l'indemnisation du préjudice résultant de l'immobilisation de la machine durant la période du 20 janvier 2012 au 25 mars 2012, étant observé que la société Paca Motoculture, en sa qualité de professionnelle, est tenue à réparation, en vertu de l'article 1645 du Code civil.
Au vu des justificatifs produits, c'est à juste titre que le premier juge a évalué le manque à gagner de la société intimée sur la base de la marge brute et non sur le chiffre d'affaires résultant du prix moyen de location du tracteur forestier et a fixé un taux d'emploi de 48,4 %.
Le préjudice engendré par l'immobilisation de l'engin forestier sera indemnisé par l'octroi de la somme de 11 717,64 euros, retenue par le tribunal. Les frais retenus à hauteur de 1 672,90 euros ne sont pas contestés.
La société Paca Motoculture sera condamnée à payer à la société Serpe la somme de 11 717,64 euros outre celle de 1 672,90 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement avec application de l'anatocisme, en vertu des anciens articles 1153-1 et 1154 du Code civil, désormais codifiés aux articles 1231-7 et 1343-2 dudit Code.
Le jugement sera confirmé sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts moratoires.
La société Serpe qui ne justifie pas du caractère abusif du recours exercé par la société Paca Motoculture, sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
La société Paca Motoculture, succombant en son appel, sera condamnée à payer à la société Serpe, en sus de l'indemnité allouée par le premier juge, la somme de 1 200 euros, au titre des frais non compris dans les dépens d'appel.
Elle sera condamnée à supporter les dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que le montant des condamnations mises à la charge de la société Paca Motoculture serait augmenté des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; Et statuant à nouveau sur le chef infirmé ; Dit que les sommes de 11 717,64 euros et 1 672,90 euros mises à la charge de la société Paca Motoculture au profit de la société d'entretien et de restauration du patrimoine et de l'environnement , produiront intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2015 ; Y ajoutant ; Déboute la société d'entretien et de restauration du patrimoine et de l'environnement de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour appel abusif ; Condamne la société Paca Motoculture à payer à la société d'entretien et de restauration du patrimoine et de l'environnement la somme de 1 200 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Paca Motoculture aux dépens d'appel.