CA Colmar, 3e ch. civ. A, 13 mars 2017, n° 15-05739
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Coiffure Paula (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martino
Conseillers :
Mmes Wolf, Fabreguettes
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Le 3 janvier 2014, Mme Tamara V., qui portait les cheveux blonds longs, s'est rendue au salon de coiffure de Wattwiller dénommé Coiffure Paula et a demandé à bénéficier d'une application de kératine.
Arguant de ce qu'après quelques minutes de traitement, ses cheveux ont commencé à chuter, Mme V. épouse B. a assigné la Sarl Coiffure Paula devant le Tribunal d'instance de Guebwiller aux fins de la voir condamner à l'indemniser de son préjudice.
Par jugement en date du 13 octobre 2015, le Tribunal d'instance de Guebwiller a débouté Mme Tamara V. de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Coiffure Paula de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné Mme Tamara V. aux dépens de la procédure.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a retenu que la coiffeuse, qui est intervenue auprès de Mme Tamara V. et qui ne la connaissait pas, lui a posé des questions permettant de connaître les traitements subis par les cheveux de celle-ci antérieurement ; que Mme Tamara V. a seulement déclaré avoir fait une petite coloration et aucune décoloration, ainsi qu'un seul défrisage à la kératine quelques années auparavant ; que les attestations déposées par la défenderesse font apparaître que Mme Tamara V. a caché à la coiffeuse le fait qu'elle avait effectué une décoloration peu de temps auparavant alors qu'elle avait été informée des risques encourus ; qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de la défenderesse.
Mme Tamara V. a interjeté appel de cette décision le 3 novembre 2015.
Par dernières écritures transmises par voie électronique le 11 avril 2016, elle conclut à la recevabilité de son appel, à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
- donner acte à l'intimée qu'elle reconnaît dans le courrier officiel de 3 pages de son conseil du 31 janvier 2014 - annexe 6.1 :
- ne pas être en mesure, avec 30 ans d'expérience, de déterminer si un cheveu a été ou non précédemment décoloré,
- qu'elle n'a pas effectué de touche d'essai sur une nouvelle cliente aux yeux bleus et avec cheveux fragiles,
- que la casse des cheveux s'est produite après six minutes d'application, que l'appelante a tenté de remédier à la situation par la pose d'extension, par un autre coiffeur,
- dire et juger que le premier juge a porté atteinte au principe du contradictoire en évoquant de sa propre initiative un fait, à savoir la casse des cheveux, qui était d'autant moins dans le débat que ce fait était unanimement admis par les deux parties au litige, et qu'il résultait tant de leurs propres pièces (courrier officiel de Me B. du 31 janvier 2014 ou annexes 3.1 à 4.2 de Mme B.),
- dire et juger que la casse des cheveux après six minutes d'application du produit, est également mentionnée dans les conclusions de Me B. du 22 mai 2015, en page 6, §5,
- dire et juger que le premier juge a statué ultra petita en affirmant que la preuve de la casse des cheveux n'était pas rapportée, alors qu'elle est expressément reconnue par les deux parties au litige,
- dire et juger que la Sarl Coiffure Paula était tenue à une obligation de sécurité c'est-à-dire de résultat à laquelle elle n'a pas satisfait,
- dire et juger qu'une erreur dans le dosage du produit actif est d'autant plus probable que la casse des cheveux est intervenue six minutes seulement après l'application, et que l'intimée a pris soin de masquer le bas de page du site internet - annexe 7.1 - appelant le coiffeur à juger lui-même du dosage à effectuer, selon le cheveux et l'effet souhaité,
- dire et juger que la Sarl Coiffure Paula, dont la gérante est une coiffeuse diplômée, ayant 30 ans d'expérience - annexe 6.1 -, ne saurait s'exonérer de ses obligations de prudence et de sécurité, lesquelles sont des obligations de résultat, au seul motif que la cliente consommatrice, non professionnelle, aurait fourni une explication technique inexacte sur les traitements précédemment appliqués à sa coiffure,
- dire et juger que l'argumentation du professionnel, selon laquelle la cliente devrait être plus compétente que le professionnel lui-même, est inopérante, pour exonérer ce professionnel de sa responsabilité,
- dire et juger que la Sarl Coiffure Paula a également manqué à une règle de prudence élémentaire consistant à procéder à un essai d'un produit sur une mèche d'une nouvelle cliente afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de contre-indications, et que le cheveu réagisse positivement au produit dont l'application est envisagée,
- dire et juger que la défenderesse a procédé à une application de kératine sur des cheveux blonds colorés, sans avoir lu au préalable le mode d'emploi, lequel lui aurait permis de découvrir avant l'application et la chute des cheveux, que ce produit ne pouvait pas être appliqué sur des cheveux longs colorés,
- dire et juger que la Sarl Coiffure Paula doit réparation du préjudice subi par la demanderesse,
- condamner la Sarl Coiffure Paula à payer à Mme Tamara B. née V. les sommes suivantes :
- 3 940 euros de dommages et intérêts représentant le prix d'une perruque blonde en cheveux naturels,
- 318 euros représentant la pose temporaire de cinquante extensions de cheveux naturels,
- 3 000 euros pour le préjudice moral,
- 2 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive depuis quatorze mois,
- condamner la société Coiffure Paula à payer à Me G. la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 alinéa 2 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'intimée aurait dû procéder à un essai sur une mèche de cheveux avant d'appliquer un nouveau produit sur la totalité de sa chevelure ; que le produit était précisément contre-indiqué sur des cheveux teints en blond ; que les extensions appliquées par la coiffeuse pour remédier aux dégâts sont également tombées une semaine après leur application ; que contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge, elle a rapporté la preuve que ses cheveux sont tombés rapidement après l'intervention de l'intimée ; que le premier juge a statué ultra petita en contestant la matérialité des faits admis expressément par les deux parties ; qu'elle rapporte de même la preuve de ce qu'un autre coiffeur a mis en place des extensions à la kératine.
Elle maintient que l'intimée a commis une faute, alors qu'elle était en mesure de par sa profession de déterminer si ses cheveux avaient été ou non précédemment décolorés ; qu'il s'agissait de la première visite qu'elle faisait au salon de coiffure, de sorte qu'une touche d'essai aurait dû être pratiquée ; que le professionnel avait le devoir de refuser d'effectuer une prestation susceptible de faire courir un risque à son client ; que selon la notice du produit, l'intimée a procédé à une application défectueuse du produit et n'a pas maîtrisé le temps de pause ; qu'il existe donc une multiplicité de facteurs ayant entraîné la chute de ses cheveux.
Par dernières écritures transmises par voie électronique le 23 mai 2016, la Sarl Coiffure Paula a conclu à la confirmation de la décision entreprise, au débouté de la partie demanderesse de son appel en le déclarant irrecevable et mal fondé et à la condamnation de l'appelante aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à lui verser la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif et la somme de 1 100 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle maintient que la salariée qui a accueilli Mme Tamara V. lui a demandé à plusieurs reprises si ses cheveux n'avaient pas fait l'objet d'une décoloration ; que l'appelante a répondu négativement ; qu'il lui avait pourtant été indiqué précisément qu'il n'était pas possible de procéder à un lissage de cheveux après une décoloration, au risque de fragiliser les cheveux ; qu'il a été constaté après six minutes d'application du produit une réaction sur les cheveux dont une partie a commencé à s'effilocher ; que des extensions provisoires ont donc été mises en place ; qu'il est apparu que Mme Tamara V. avait reconnu devant témoin avoir fait pratiquer huit jours auparavant par un autre coiffeur une opération de décoloration contrairement à ses affirmations ; qu'elle est donc à l'origine de son propre préjudice ; qu'elle-même n'a commis aucune faute.
Elle affirme n'avoir pas reconnu que les cheveux de la demanderesse étaient tombés après son intervention, mais a simplement admis qu'une partie des cheveux ont commencé à s'effilocher et qu'ils cassaient.
Subsidiairement, elle conteste les préjudices mis en compte sans production du moindre justificatif.
MOTIFS
Vu les dispositions de l'article 1147 du Code civil ;
Dans le cadre de l'exécution de sa prestation, le coiffeur, qui utilise des produits de lissage, est tenu d'assurer la sécurité corporelle du créancier de l'obligation.
Il s'agit d'une obligation de moyens, nécessitant que soit rapportée la preuve d'une faute en relation de causalité ave le préjudice allégué.
Il ressort des explications non contraires des parties et notamment du courrier de maître B., avocat de la Sarl Coiffure Paula, qu'après six minutes de pose du produit de défrisage sur les cheveux de Mme V. épouse B., il a été constaté une réaction, une partie des cheveux commençant à s'effilocher ; que la gérante Mme B., prenant le relai de sa coiffeuse Mme F., s'est rendue compte que les cheveux cassaient ; que pour remédier à cette situation inesthétique, des extensions provisoires ont été mises en place.
Contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, la Sarl Coiffure Paula ne rapporte aucune preuve de ce que Mme V. épouse B. aurait donné de fausses informations à la coiffeuse, en dissimulant le fait qu'elle avait subi une décoloration peu de temps auparavant.
Il ne résulte en effet nullement de l'attestation de Mme Audrey H., que Mme B. aurait été interrogée par la coiffeuse sur les traitements subis et qu'elle aurait affirmé à plusieurs reprises qu'elle n'avait pas été décolorée mais avait seulement fait faire une " petite " coloration, ainsi que l'affirme l'intimée, puisque le témoin, cliente habituelle du salon de coiffure, se trouvait dans la réserve où elle prenait un café ; qu'elle n'a pas assisté au traitement dont l'appelante a bénéficié, mais ne fait que rapporter des propos qui auraient été tenus par le mari de Mme B., selon lesquels sa femme se serait rendue chez des coiffeurs en France ou à l'étranger pour y faire effectuer décolorations et lissage à la kératine sur les derniers mois et qu'elle n'était jamais satisfaite.
Ce témoignage apparaît peu crédible en ce que l'attestante affirme que Mme B. leur aurait " de son propre aveu, dit qu'elle n'ignorait pas la prise de risques en réitérant un lissage à la kératine seulement quelques mois après une première tentative qui s'était soldée par un échec ".
Il convient en effet de relever que selon ce qu'a indiqué Mme F., Mme B. lui a déclaré avoir déjà fait subir un défrisage à la kératine à ses cheveux quelques années plus tôt en Espagne, précisant entre parenthèses 8 mois auparavant ; que ce premier traitement n'a pas paru constituer pour la coiffeuse une contre-indication, dans la mesure où elle indique simplement qu'une touche d'essai d'intolérance au produit n'est nécessaire qu'en cas de première application, ce qui exclut que l'appelante ait pu avoir conscience de prendre un risque en réitérant le cas échéant le traitement.
Pour le surplus, cette attestation, qui émane de l'employée de l'intimée qui a précisément mis en œuvre le traitement litigieux, ne revêt pas un caractère probant suffisant pour que soit rapportée la preuve de ce que l'intimée aurait pris toutes les précautions nécessaires pour appliquer le produit en toute sécurité.
Il sera au contraire relevé que Mme B. n'avait jamais auparavant fréquenté ce salon de coiffure ; que le coiffeur devait en conséquence prendre toutes précautions avant de poser un produit présentant des risques pour l'intégrité corporelle de la cliente ; qu'il peut être attendu d'un coiffeur professionnel qu'il sache faire la différence entre un cheveu décoloré et un cheveu coloré, sur une cliente dont les photographies montrent une chevelure d'un blond manifestement artificiellement soutenu ; qu'aucun élément extrinsèque à l'attestation de Mme F. ne permet de plus d'établir que Mme B. avait été informée du risque résultant de la pose du produit sur un cheveu décoloré ; qu'il doit être tiré de ces fait que le défaut de sécurité de la chose, cause du dommage, est imputable à une faute de la part du coiffeur professionnel, qui engage de ce fait sa responsabilité contractuelle.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, d'examiner la demande d'indemnisation formée par Mme B., étant précisé que le lien de causalité entre la pose du produit et le dommage allégué n'est pas contesté.
L'appelante produit un devis de la Sarl Jolene, exploitant l'enseigne Coiffure Pastelle, en date du 18 janvier 2014, portant sur la pose de 50 mèches extensions de cheveux naturels en kératine et sur un réajustement de coupe et coiffage, pour un montant total de 318 euros.
Bien que la facture correspondant à cette prestation ne soit pas produite, il sera retenu que dans sa lettre du 31 janvier 2014, le conseil de l'intimée indiquait que Mme B. devait repasser au salon de coiffure quinze jours après la prestation pour la mise en place d'extensions de cheveux à la kératine, en remplacement des extensions provisoires qui ont été posées tout de suite après le dommage ; qu'il ne peut être fait grief à l'appelante de n'avoir plus confié sa chevelure à l'intimée ; que l'utilité de la pose de ces extensions à la kératine étant démontrée pour réparer le préjudice esthétique, il convient d'allouer le montant de 318 euros à titre de dommages et intérêts à Mme B..
Il n'est en revanche pas démontré que celle-ci ait dû avoir recours à une perruque en cheveux naturels, mise en compte à hauteur de la somme de 3 940 euros, dans la mesure où Mme B. n'a pas perdu la totalité de sa chevelure, mais seulement des longueurs de cheveux, où les extensions posées ont remédié au problème et où il n'est versé en tout état de cause aux débats aucune pièce justifiant de l'achat d'une telle perruque ni même de son coût.
Le préjudice moral subi par l'appelante, atteinte dans son apparence physique, justifie enfin l'allocation d'une somme de 700 euros de dommages et intérêts.
Il n'est pour le surplus pas démontré que l'intimée ait fait preuve d'une résistance abusive.
L'intimée sera ainsi condamnée à payer à l'appelante la somme totale de 1 018 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt.
La demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, formée par l'intimée sera rejetée, les demandes de l'appelante étant admises.
Sur les frais et dépens :
L'appelante voyant ses prétentions prospérer en appel, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'intimée, qui sera de même condamnée à payer la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 2° du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après débats publics, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la Sarl Coiffure Paula, Statuant à nouveau, Déclare la Sarl Coiffure Paula responsable du préjudice subi par Mme Tamara V. épouse B., Condamne la Sarl Coiffure Paula à payer à Mme Tamara V. épouse B. la somme de 1 018 euros (mille dix-huit euros) à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt, Condamne la Sarl Coiffure Paula à payer à Me G., avocat, la somme de 1 200 euros (mille deux cents euros) sur le fondement de l'article 700 2° du Code de procédure civile, Condamne la Sarl Coiffure Paula aux dépens de première instance et d'appel.