CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 21 février 2017, n° 16-00094
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mediavenue (SARL)
Défendeur :
Oxialive (SARL), Oxial (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Uguen-Laithier, M. Marcel
Faits et prétentions des parties
La Sarl Mediavenue, implantée depuis plusieurs années à Besançon, a pour objet social la location d'espaces publicitaires et exploite notamment un panneau tri-vision situé depuis 2005 à hauteur du (...), qu'elle avait le projet de remplacer par un panneau Led.
La Sarl Oxial, qui installe et exploite des panneaux publicitaires numériques sur le territoire français, a installé le 12 mars 2014 à hauteur du (...) un panneau numérique, exploité par la Sarl Oxialive (régie publicitaire).
Estimant que ce panneau constitue un acte de concurrence déloyale à son détriment la Sarl Mediavenue a, par acte délivré le 25 avril 2014, fait assigner la Sarl Oxialive devant le tribunal de commerce de Besançon puis la Sarl Oxial en intervention forcée aux fins d'obtenir, au principal, l'enlèvement sous astreinte du panneau publicitaire litigieux et l'indemnisation de son préjudice.
Suivant jugement du 9 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Besançon, après avoir retenu sa compétence territoriale, a :
- déclaré la Sarl Mediavenue recevable en ses demandes mais l'en a déboutée,
- débouté les Sarl Oxialive et Oxial de leur demande fondée sur l'article 1382 du Code civil,
- condamné la Sarl Mediavenue à verser aux Sarl Oxial et Oxialive une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Suivant déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 15 janvier 2016, la Sarl Mediavenue a relevé appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières écritures déposées le 23 mars 2016, elle conclut à son infirmation sauf en ce qu'il a retenu la compétence du tribunal de commerce et demande à la Cour de retenir une faute consistant en un acte de concurrence déloyale et de :
- condamner solidairement les Sarl Oxialive et Oxial à démonter le panneau publicitaire sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- condamner solidairement les Sarl Oxialive et Oxial à la publication de la décision dans un journal d'annonces légales à Besançon, à leurs frais et dans la limite de 3 000 euros,
- condamner solidairement les Sarl Oxialive et Oxial à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouter la Sarl Oxialive de ses demandes,
- condamner solidairement les Sarl Oxial et Oxialive aux entiers frais et dépens de l'instance.
Suivant derniers écrits déposés le 20 mai 2016, les Sarl Oxialive et Oxial, demandent à la Cour de :
- à titre principal, dire la Sarl Mediavenue irrecevable en sa demande à défaut d'intérêt à agir
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris,
- en tout état de cause, condamner la Sarl Mediavenue à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre celle de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles en sus des dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions susvisées de celles-ci, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 8 août 2016.
Motifs de la décision
* Sur la recevabilité de l'action de la Sarl Mediavenue :
Attendu que les Sarl Oxial et Oxialive réitèrent à hauteur de Cour la fin de non-recevoir écartée par les premiers juges tirée du défaut d'intérêt à agir de la Sarl Mediavenue au motif qu'elle ne serait pas l'exploitante du panneau implanté à hauteur du (...), tirant ici argument de la mention "Akmedia" encore visible sur ledit panneau en avril 2014 ;
Attendu que si l'appelante n'a pas cru devoir répondre à ce moyen à hauteur de Cour, il résulte des pièces qu'elle verse aux débats qu'en vertu d'un contrat de cession de bail d'un emplacement publicitaire intervenu le 9 novembre 2013 entre elle et l'Eurl Akmedia prenant effet au 1er décembre 2013, elle était bien l'exploitante du panneau tri-vision susvisé à la date de l'acte introductif d'instance et recevable à ce titre à agir en la cause ;
Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré son action recevable dès lors qu'elle justifie d'un intérêt à agir ;
* Sur la concurrence déloyale :
Attendu que la Sarl Mediavenue se prévaut des dispositions de l'article 1382 ancien du Code civil (devenu 1240), selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, pour soutenir que la concurrence déloyale dont elle est l'objet de la part des intimées justifie l'indemnisation de son préjudice et la cessation de l'exploitation du panneau implanté à proximité du sien dans des conditions fautives ;
Qu'il lui incombe par conséquent d'apporter la preuve d'une faute imputable à ses contradicteurs et d'un préjudice direct qui en serait résulté à son détriment ;
Attendu que la Sarl Mediavenue exploite depuis le 1er décembre 2013 un panneau publicitaire tri-vision implanté à hauteur du n° (...), qui présente alternativement trois messages publicitaires grâce à un système mécanique ; qu'en vertu d'une autorisation administrative délivrée le 22 janvier 2014, la Sarl Oxial a fait procéder le 12 mars 2014 à l'installation d'un panneau publicitaire numérique à hauteur du n° (...) ;
Attendu que s'il est démontré que la Sarl Mediavenue avait le projet de substituer à son dispositif tri-vision un panneau à led, il n'est pas contesté que l'implantation de son support publicitaire, quelque soit le mode de diffusion de la publicité, était préexistant ; que les intimées sont donc mal fondées à contester en l'espèce l'antériorité du panneau exploité par leur contradicteur ;
Attendu que la présence sur un fonds d'un dispositif publicitaire n'exclut pas la possibilité pour les propriétaires des fonds voisins d'y implanter un support de même nature sans porter atteinte au principe d'une concurrence libre et loyale ; que cette règle n'est susceptible de recevoir exception que lorsque l'implantation du second dispositif conduit à priver d'efficacité le premier ou à réduire cette efficacité dans des proportions anormales ;
Attendu qu'en l'espèce, il résulte des clichés photographiques produits ainsi que du procès-verbal de constat dressé le 13 mars 2014 par Maître R., huissier de justice à Besançon, que les deux panneaux sont implantés à 33,65 mètres de distance ; que le panneau de l'appelante permet un affichage publicitaire sur ses deux côtés ; qu'il est donc parfaitement visible, sans aucun masquage, par les conducteurs des véhicules ou les piétons empruntant la (...) en provenance de l'entrée de ville et se dirigeant vers le centre-ville dès lors que le panneau à led des intimés est situé en aval ; qu'à cet égard c'est en vain que l'appelante prétend que ces usagers seraient moins enclins à regarder les panneaux situés de l'autre côté de leur voie de circulation, l'appréciation étant en la matière fonction de la configuration des lieux ; qu'en l'occurrence la visibilité dont bénéficient les usagers empruntant la (...) en direction du centre-ville sur le panneau situé à leur gauche est excellente, ce d'autant que la rue est en pente à cet endroit ;
Attendu de même que les conducteurs des véhicules ou les piétons empruntant la (...) en provenance du centre-ville ne subissent absolument aucune gêne imputable au panneau des intimées pour voir les messages publicitaires diffusés par le panneau de la Sarl Mediavenue ;
Que s'agissant des conducteurs des véhicules ou des piétons empruntant la (...) en direction de la sortie de ville, s'il n'est pas contestable que le panneau numérique masque partiellement celui de la Sarl Mediavenue lorsque le consommateur potentiel est situé à 90 mètres et 70 mètres du passage piétons situé déjà en amont du panneau à led, soit à environ 140 et 100 mètres du panneau, il doit cependant être relevé qu'à ces distances le message publicitaire n'est pas déchiffrable pour un individu normalement vigilant, lequel doit, qui plus est, concentrer prioritairement son attention sur la conduite de son véhicule ; que l'occultation n'est donc ici pas source de préjudice pour la Sarl Mediavenue ;
Qu'en revanche, à partir de 25 mètres en amont du passage piétons, le panneau tri-vision est visible dans sa quasi-totalité, étant précisé que les usagers de la route disposent de plus de 30 mètres entre les deux panneaux pour prendre connaissance du message publicitaire diffusé par la Sarl Mediavenue ; qu'en toute hypothèse, le panneau est parfaitement visible par l'automobiliste arrêté au feu tricolore, à un moment où précisément son attention peut être la plus utilement mobilisée ;
Attendu qu'il résulte des développements qui précèdent que l'occultation pour l'un seulement des trois sens de circulation possibles demeure tout à fait résiduelle ; qu'elle n'est pas de nature à priver d'efficacité dans des conditions anormales les messages publicitaires diffusés par le panneau de l'appelante, aucun agissement fautif n'étant donc caractérisé en l'espèce ;
Qu'à cet égard, le motif avancé par deux clients de la Sarl Mediavenue pour justifier la résiliation des contrats publicitaires passés avec elle, à savoir que la visibilité du support publicitaire ne serait plus la même qu'initialement, outre qu'il est empreint de subjectivité, ne démontre pas une concurrence déloyale de la part des intimées, l'appelante n'apportant aucun élément justifiant d'une baisse de son chiffre d'affaires consécutivement à l'implantation du support publicitaire litigieux ;
Qu'enfin la question soulevée par l'appelante portant sur le point de savoir si les intimées avaient connaissance de son projet de transformer son panneau tri-vision en un panneau à led n'est pas de nature à modifier les données du litige dès lors qu'il n'a pas été démontré par la plaignante une occultation totale ou dans des conditions anormales du fait des intimées ;
Que c'est donc à bon droit que les premiers juges, retenant qu'aucune concurrence déloyale imputable aux Sarl Oxial et Oxialive n'était justifiée en l'espèce, ont débouté la Sarl Mediavenue de ses entières prétentions à l'encontre des intimées ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs ;
* Sur les demandes accessoires :
Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le caractère abusif de l'action engagée par la Sarl Mediavenue n'était pas caractérisé en l'espèce ; que la seule circonstance qu'une partie échoue en ses prétentions, tant en première instance qu'en appel, ce qui induit tout au plus une erreur d'appréciation par celui-ci sur l'étendue de ses droits, ne saurait à elle seule dégénérer en un abus du droit d'agir en justice ; que le jugement déféré qui a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par les Sarl Oxial et Oxialive sera par conséquent confirmé de ce chef ;
Attendu que la Sarl Mediavenue, qui succombe en ses prétentions à hauteur d'appel, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, dès lors que les intimées ont été contraintes d'exposer de nouveaux frais irrépétibles à hauteur de Cour ; que les dispositions accessoires du jugement déféré seront enfin confirmées ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement rendu le 9 décembre 2015 par le Tribunal de commerce de Besançon en toutes ses dispositions. Condamne la Sarl Mediavenue à payer aux Sarl Oxial et Oxialive, ensemble, la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la Sarl Mediavenue aux dépens d'appel.