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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 23 mars 2017, n° 2017-04010

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ravate Professionnel (SAS), Ravate Distribution (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Douvreleur

Conseillers :

M. Mollard, Mme Faivre

Avocats :

Mes Teytaud, Hovnanian, Lazarus

CA Paris n° 2017-04010

23 mars 2017

Faits et procédure

Par décision n° 16-D-09 du 12 mai 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs des armatures métalliques et des treillis soudés sur l'île de la Réunion, l'Autorité de la concurrence a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de plusieurs entreprises auxquelles il était reproché d'avoir participé, entre juin 2006 et mars 2011, à différentes ententes.

C'est ainsi, en particulier, qu'elle a infligé à la société Ravate Professionnel, solidairement avec sa société mère, la société Ravate Distribution, une sanction pécuniaire de 515 000 euros pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en participant, avec les sociétés Arma Sud Réunion, Réunion Armatures et Sermétal Réunion, de juin 2006 à avril 2007, sur le territoire de la Réunion, à une entente sur le marché de la transformation des treillis soudés, en s'accordant sur les modalités de production des treillis soudés et sur la répartition du marché.

La société Arma Sud Réunion n'ayant pas contesté les griefs qui lui avaient été notifiés au titre de ces pratiques, l'Autorité de la concurrence lui a accordé une réduction de 10 % du montant de la sanction pécuniaire qu'elle lui a infligée.

Les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution ont formé le 30 juin 2016 un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de celle décision. Elles ont déposé l'exposé de leurs moyens le 1er août 2016.

Par un mémoire du 23 février 2017, ces sociétés ont demandé à la cour de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions de l'article L. 464-2 III du Code de commerce.

LA COUR,

Vu le mémoire à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée le 23 février 2017 par les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution

Vu les observations écrites déposées le 3 mars 2017 par le ministre chargé de l'Economie

Vu les observations écrites déposées le 8 mars 2017 par l'Autorité de la concurrence;

Vu l'avis dit Ministère public en date du 8 mars 2017;

Vu la note en délibéré déposée le 14 mars 2017 par les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 9 mars 2017 le conseil des requérantes, qui a été mis en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public;

Sur ce,

Dans leur mémoire déposé le 23 février 2017, les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution rappellent qu'elles contestent le grief au titre duquel elles ont été sanctionnées à hauteur de 515 000 euros et qu'elles soutiennent que les comportements qui leur sont reprochés ne sont pas condamnables, puisqu'ils ne relèvent que d'une simple tentative de parvenir à un accord avec leurs concurrents et ne constituent donc pas une entente prohibée.

Elles font valoir que l'Autorité de la concurrence a fait application à leur égard de la jurisprudence, dite " jurisprudence Manpower ", consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 mars 2011, en décidant, au paragraphe 190 de sa décision, que " La renonciation à contester les griefs suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause est établi à l'égard des parties qui ont fait ce choix procédural. Seule doit être discutée la question de la participation aux pratiques anticoncurrentielles des parties qui n'ont pas renoncé à contester les griefs (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., RG n° 2009/03532, page 10, et sur pourvoi arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 201], Manpower France e.a., n° 10-12.913; voir également les décisions n° 04-D-42 relative à des pratiques mises en œuvre dans te cadre du marché de la restauration de la flèche de la cathédrale de Tréguier, paragraphe 12, et n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 113)".

Les requérantes considèrent que cette jurisprudence constitue une interprétation constante de l'article L. 464-2 III du Code de commerce, qu'elles jugent non conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, en ce qu'elle porterait une atteinte grave aux droits de la défense. Elles demandent, en conséquence, à la cour de transmettre à la Cour de cassation, en vue de la saisine du Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité suivante " L'interprétation constante de l'article L. 464-2 III du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, par la jurisprudence initiée par la Cour de cassation, est-elle conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit ? ".

Dans ses observations déposées le 8 mars 2017, le ministre chargé de l'Economie soutient que les conditions de transmission d'une QPC ne sont pas réunies puisque la jurisprudence en cause ne s'est pas développée sur le fondement de l'article L. 464-2 III du Code de commerce et qu'en outre, la non-contestation de griefs par une entreprise ne dispense pas l'Autorité de la concurrence d'établir la matérialité et la qualification des pratiques reprochées.

Dans ses observations du 8 mars 2017, l'Autorité de la concurrence soulève, à titre principal, l'irrecevabilité de la demande de transmission de la QPC, au motif qu'elle aurait dû être présentée dans les deux mois suivant la notification de sa décision. A titre subsidiaire, elle considère que la jurisprudence Manpower ne constitue pas une interprétation de l'article L. 464-2 III du Code de commerce et que la question est dépourvue du caractère sérieux requis par les textes.

Le Ministère public souligne que le mémoire à l'appui de la QPC soulevée par les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution a été déposé le 23 février 2017, soit le même jour que leur mémoire en réplique sur le fond, respectant ainsi le calendrier de procédure. Il en conclut que la demande est recevable, mais il soutient que la question est dépourvue de caractère sérieux.

Dans leur note en délibéré du 14 mars 2017, les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Distribution défendent la recevabilité de leur demande de transmission d'une QPC, en soutenant qu'elle ne constitue pas un moyen, mais une prétention.

Sur la recevabilité de la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité

Selon le dernier alinéa de l'article R. 464-12 du Code de commerce, lorsque la déclaration de recours ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, " le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les deux mois qui suivent la notification de la décision de l'Autorité de la concurrence ".

Il est constant qu'en l'espèce, la décision en cause a été notifiée le 1er juin 2016 et que l'inconstitutionnalité de l'article L. 464-2 III du Code de commerce, tel qu'interprété par la jurisprudence, a été invoquée par les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Diffusion, à l'appui de leur demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, dans leur mémoire déposé le 23 février 2017.

Dans leur note en délibéré, les requérantes soutiennent que le délai de deux mois fixé par l'article R. 464-12 précité ne peut leur être opposé et que leur demande de transmission de la QPC déposée après l'expiration de ce délai est en conséquence recevable. Elles font valoir, en effet, que, contrairement à ce qu'affirme l'Autorité de la concurrence, cette demande constitue non pas un " moyen " qui viendrait au soutien de leurs prétentions, mais la " prétention de voir une question de droit soumise au Conseil constitutionnel " et qu'en conséquence, elle n'est pas enfermée dans le délai de deux mois fixé par cet article.

Mais l'inconstitutionnalité d'une disposition législative soulevée, dans le cadre d'un litige, par une partie constitue un moyen au soutien de ses prétentions, ainsi qu'il résulte des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée, lesquels visent expressément " le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ". Au demeurant, doit être déclaré irrecevable un recours dont le seul objet est de contester la constitutionnalité d'un texte de loi.

Ainsi, les prétentions soumises à la cour par les requérantes dans le cadre du présent recours consistent - conformément à la lettre même du premier alinéa de l'article L. 464-8 du Code de commerce - dans l'annulation et, subsidiairement, la réformation de la décision déférée, et l'inconstitutionnalité qu'elles allèguent fonde, non pas une prétention qui serait distincte des précédentes, mais un moyen qu'elles développent en vue d'obtenir de la cour qu'elle annule ou réforme cette décision.

Dès lors, la demande de transmission d'une QPC doit suivre le régime particulier, dérogatoire au droit commun processuel, fixé par l'article R. 464-12 du Code de commerce et, en conséquence, figurer, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct déposé au greffe de la cour d'appel le même jour que la déclaration de recours ou, à défaut, dans les deux mois suivant la notification de la décision de l'Autorité de la concurrence.

A cet égard, l'argument des requérantes tiré de ce que l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 prévoit que le moyen d'inconstitutionnalité peut être soulevé par la voie d'une QPC " pour la première fois en cause d'appel " est inopérant, puisque, outre qu'en l'espèce, la cour statue, non sur l'appel d'un jugement rendu par une juridiction du premier degré, mais sur le recours contre une décision de nature administrative rendue par une autorité non juridictionnelle, ledit article ne précise pas les modalités et délais qu'un moyen d'inconstitutionnalité doit respecter lorsqu'il est soulevé devant une cour d'appel. La cour ajoute que la circonstance que, conformément à l'article 23-5 de la même ordonnance, un moyen d'inconstitutionnalité peut être soulevé pour la première fois en cassation n'empêche pas qu'il doive l'être, à peine d'irrecevabilité, dans le délai imparti par l'article 978 du Code de procédure civile pour remettre le mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision frappée de pourvoi.

Il en résulte que la demande des requérantes tendant à la transmission d'une QPC portant sur la conformité de l'article L. 464-2 III du Code de commerce aux droits et libertés garantis par la Constitution, est irrecevable, faute d'avoir été déposée dans le délai imparti à l'article R. 464-12 du même Code.

Par ces motifs, déclare irrecevable la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Diffusion et enregistrée sous le numéro de RG 17/04010. Condamne les sociétés Ravate Professionnel et Ravate Diffusion aux dépens exposés dans le cadre de la présente demande.