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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 mars 2017, n° 15-24327

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Meubles Ikea France (SAS)

Défendeur :

Vella

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Hardouin, Alemany, Miquel, Bringer

T. com. Marseille, du 14 avr. 2015

14 avril 2015

Faits et procédure :

M. Christian Vella, qui était artisan poseur de cuisines et de salles de bains établi à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), a noué à compter de l'année 2006 des liens contractuels avec la société Meubles Ikea France (ci-après dénommée Ikea) afin de poser des cuisines chez les particuliers, clients du magasin Ikea de la banlieue de Toulon (Var).

Au début de la relation, M. Christian Vella facturait ses interventions directement aux clients d'Ikea, puis à compter de 2007, la société Ikea a inclus le coût de la pose dans le prix de vente qu'elle facturait à ses clients et M. Christian Vella établissait ses factures après l'exécution de sa prestation, celles-ci étant payées par Ikea au moyen de virements bancaires dans un délai variant entre 15 et 30 jours.

Estimant que les demandes d'interventions qui lui étaient transmises par la société Ikea avaient, sans le moindre avertissement préalable, progressivement diminué fin d'année 2009 et totalement cessé à compter de janvier 2010, M. Christian Vella a fait assigner celle-ci, le 26 mai 2014, en indemnisation pour rupture abusive de relation commerciale établie.

Par jugement rendu le 14 avril 2015, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- constaté que la société Ikea France SAS avait rompu de manière abusive et sans préavis ses relations commerciales avec M. Christian Vella ;

- condamné la société Meubles Ikea France à payer à M. Christian Vella la somme de 25 721,49 euros, à titre de dommages et intérêts (correspondant à six mois de préavis), ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux dépens

- prononcé l'exécution provisoire et rejeté le surplus des demandes.

Vu l'appel interjeté par la société Ikea le 2 décembre 2015 contre cette décision ;

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Meubles Ikea France le 17 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1382 et suivants du Code civil.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a imputé la rupture des relations commerciales entre les parties sur la société Ikea et condamné celle-ci à payer à M. Vella les sommes de 25 721,49 euros à titre de dommages et intérêts et de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau

A titre principal

- Rejeter les demandes, fins et moyens adverses formés par M. Christian Vella à l'encontre de la société Ikea, ainsi que son appel incident.

A titre reconventionnel

- Condamner M. Christian Vella à verser à la société Ikea une somme de 5 000 euros au titre de la procédure abusive et une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les dépens dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats en la personne de Me Patricia Hardouin et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 avril 2016 par M. Christian Vella, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce ;

I/ Sur l'appel principal

- Rejetant l'appel principal de la société Meubles Ikea France,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

Jugé que la société Meubles Ikea France a de manière abusive et sans préavis rompu les relations contractuelles qu'elle entretenait avec M. Christian Vella en réduisant le volume de commandes fin 2009 et en cessant de passer commande fin janvier 2010.

Condamné la société Meubles Ikea France à réparer le préjudice subi par M. Christian Vella.

Condamné la société Meubles ikea France à payer à M. Christian Vella la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

II/ Sur l'appel incident

Faisant droit à l'appel incident de M. Christian Vella :

- Condamner la société Meubles Ikea France à payer à M. Christian Vella.

- En réparation des préjudices économique et moral soufferts la somme de 64 303.75 euros (correspondant à 15 mois de préavis),

- Au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel la somme de 5 000 euros,

- Condamner la société Meubles Ikea France aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 décembre 2016.

Motifs :

L'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, tel que modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...)

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Dans le présent cas, la société Ikea ne conteste pas avoir noué une relation commerciale établie au sens de ce texte avec M. Christian Vella, faisant valoir que c'est ce dernier, et non elle-même, qui est à l'origine de la rupture de cette relation, ce, de façon fautive, ce dernier ayant créé sa société le 21 mai 2010 dans l'Aveyron et alors déménagé dans cette région sans l'avertir et ne l'ayant en réalité assignée en justice, 4 ans après, qu'en raison du manque de succès escompté de cette reconversion.

Toutefois, la société Ikea n'établit nullement avoir, à quelque moment que ce soit, commandé à M. Christian Vella des interventions de pose de meubles que celui-ci aurait décliné ou n'aurait pas honorées.

Par ailleurs, il résulte des éléments du dossier et il n'est d'ailleurs pas véritablement contesté par la société Ikea - qui précise à cet égard à juste titre qu'elle n'était tenue à aucune exclusivité - que ses demandes d'intervention auprès de M. Christian Vella ont baissé fin 2009 pour cesser totalement fin 2010, sa dernière commande de pose de cuisine datant de fin janvier 2010, ayant été facturée sous le n° 513 le 23 février 2010 pour 1 641,75 euros TTC et payée le 17 mars 2010.

Dès lors, la société Ikea ne peut faire grief à M. Christian Vella, confronté à la chute de ses commandes, de s'être réorganisé en effectuant le choix, légitime même s'il est personnel, de créer sa société, immatriculée le 21 mai 2010 au registre du commerce et des sociétés de Rodez, de pose de cuisines, salles de bain, placards et fenêtres, petites rénovations, vente en magasin.

C'est donc à bon droit au vu de ces divers éléments, que les premiers juges ont estimé qu'en cessant d'avoir recours aux services de M. Christian Vella fin janvier 2010 sans le moindre préavis, avait rompu de façon brutale la relation commerciale établie entre les parties.

S'agissant de la durée du préavis qui aurait dû être appliqué et qui a pour but de permettre à la victime de la rupture de se réorganiser, M. Christian Vella requiert que soit retenue une durée de 15 mois.

A cet égard, il soutient avec raison que pour apprécier cette durée, il convient de tenir compte de sa situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Ikea, avec laquelle en effet il réalisait 83 % de son chiffre d'affaires en 2008 et 2009 selon l'attestation non critiquée de son expert-comptable, ainsi que du fait - non contesté - que la société Ikea était leader dans la fourniture et la pose de cuisines dans la région concernée.

Il y a lieu également de prendre en compte, outre l'ancienneté de la relation des parties (d'une durée d'un peu plus de 4 ans), la nature de l'activité de la victime de la rupture, à savoir la pose de cuisines et salle de bains, mais également tout type de travaux de menuiserie, ce qui est une compétence recherchée et adaptable, ainsi que les possibilités de reconversion dans la région où elle exerçait, ici la région du Var et des Bouches-du-Rhône, qui est un bassin économique plus florissant que le Nord cité en comparaison, comme le relève exactement Ikea. A cet égard, au vu de ces éléments, M. Christian Vella ne démontre pas, ainsi qu'il le soutient, que ses possibilités de réorganisation étaient nulles dans la région de Toulon et qu'il a été contraint de s'installer dans l'Aveyron, où il aurait bénéficié d'une " opportunité ".

Par suite, compte tenu de ces éléments, des autres éléments du dossier et en particulier de ceux retenus par les juges consulaires, il s'avère que c'est à bon droit que ceux-ci ont estimé, par motifs adoptés, qu'un délai de préavis de 6 mois était raisonnablement nécessaire et suffisant pour permettre à M. Christian Vella de se réorganiser et aurait dû être appliqué par la société Ikea.

Concernant le montant de l'indemnité compensatrice de l'insuffisance de préavis, il est observé que M. Christian Vella ne critique pas le mode de calcul basé sur son résultat net moyen retenu par les premiers juges, mode de calcul qui est en effet conforme à ses prétentions initiales.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

La société Ikea qui succombe principalement, ne démontre pas le caractère abusif de la procédure intentée contre elle et sera donc déboutée de sa demande indemnitaire formée à ce titre.

Le jugement entrepris sera confirmé sur la charge des dépens et l'indemnité allouée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Ikea supportera également les dépens de l'appel. L'équité commande d'allouer à M. Christian Vella la somme supplémentaire de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Meubles Ikea France à payer à M. Christian Vella la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la société Meubles Ikea France aux dépens.