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Décisions

Cass. 1re civ., 29 mars 2017, n° 16-13.050

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Chedebois (Epoux)

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance (SA) , Ceprima (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Truchot

Avocat général :

M. Ingall-Montagnier

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer

Paris, pôle 5 ch. 6, du 31 déc. 2015

31 décembre 2015

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant offre de prêt acceptée le 11 novembre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. Chedebois et à Mme Rouille, épouse Chedebois, avec lesquels elle avait été mise en relation par la société Ceprima, courtier en prêts immobiliers (le courtier), un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet Immo ; qu'invoquant l'irrégularité de la clause du contrat prévoyant la révision du taux d'intérêt en fonction des variations du taux de change, ainsi qu'un manquement de la banque et du courtier à leur obligation d'information et de mise en garde, M. et Mme Chedebois les ont assignés en annulation de la clause litigieuse, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que M. et Mme Chedebois font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en annulation de la clause d'indexation et du contrat de crédit, alors, selon le moyen, qu'une clause d'indexation sur une monnaie étrangère n'est valable que lorsqu'elle est en relation directe avec l'objet du contrat ou avec l'activité de l'une des parties ; que ne présente pas de lien avec l'activité de l'une des parties la clause, contenue dans un prêt consenti par une banque française pour financer l'acquisition d'un bien immobilier en France par des emprunteurs français, domiciliés en France, indexant le montant du remboursement du prêt consenti sur une monnaie étrangère, peu important que la banque ait fait le choix, en dépit du caractère purement interne du prêt, de le financer par un emprunt sur les marchés internationaux ; qu'en l'espèce, la clause d'indexation sur le franc suisse était contenue dans un prêt consenti par la banque française BNP Personal Finance, banque française, à M. et Mme Chedebois, français et domiciliés en France, et destiné à financer l'acquisition d'un immeuble situé dans la région d'Arcachon ; qu'en retenant, pour considérer cette clause comme licite, que le prêteur avait la qualité de banquier et qu'il résultait de l'offre de crédit que la banque aurait financé le prêt par un emprunt en francs suisses, cependant que ces circonstances n'étaient pas de nature, en l'état du caractère purement interne de l'opération, à caractériser un lien direct entre la clause d'indexation et l'activité de la banque, la cour d'appel a violé l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier ;

Mais attendu que l'arrêt énonce qu'en application de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier, la validité d'une clause d'indexation fondée sur une monnaie étrangère est subordonnée à l'existence d'une relation directe avec l'objet de la convention ou l'activité de l'une des parties ; qu'il constate qu'en l'espèce, la relation directe du taux de change, dont dépendait la révision du taux d'intérêt initialement stipulé, avec la qualité de banquier de la société BNP Personal Finance était suffisamment caractérisée ; que la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la clause litigieuse, fût-elle afférente à une opération purement interne, était licite ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé : - Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que M. et Mme Chedebois font grief à l'arrêt de rejeter leur action en responsabilité à l'égard de la banque fondée sur l'existence d'un manquement à ses obligations d'information et de mise en garde, alors, selon le moyen : 1°) que l'emprunteur averti est celui qui est à même d'appréhender les risques et l'opportunité du crédit qu'il se prépare à souscrire ; que, pour apprécier le caractère averti de l'emprunteur, le juge doit s'assurer qu'il était à même de comprendre par lui-même précisément l'ensemble des caractéristiques inhérentes au prêt envisagé ; qu'en l'espèce, il ressortait des constatations de l'arrêt que M. Chedebois n'avait jamais contracté un prêt d'un fonctionnement comparable au prêt Helvet Immo impliquant une variabilité du capital emprunté, et que, s'agissant du taux d'intérêt, le prêt Helvet Immo appliquait un " taux swap francs suisses cinq ans ", sans définir cet indice, qui serait en réalité " une référence pour les prêts en francs suisses à moyen terme ", un " indicateur journalier publié sur les pages financières d'organisme de référence " ; qu'en retenant la qualité d'emprunteur averti de M. Chedebois sans s'assurer qu'il aurait eu les compétences et l'expérience nécessaires pour appréhender les caractéristiques et les risques propres au fonctionnement du prêt Helvet Immo liés tant au montant du capital emprunté qu'au taux d'intérêt applicable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2°) que l'emprunteur averti est celui qui est à même d'appréhender les risques et l'opportunité du crédit qu'il se prépare à souscrire ; qu'il ressortait des constatations de la cour d'appel que Mme Chedebois n'avait jamais contracté un prêt d'un fonctionnement comparable à celui du prêt Helvet Immo et que, sans emploi lors de la conclusion du prêt Helvet Immo, elle avait antérieurement exercé la profession de responsable du personnel et comptable ; qu'en la considérant, néanmoins, comme emprunteur averti, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 3°) que le banquier prêteur est tenu d'une obligation de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; que, pour exclure l'existence d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, la cour d'appel a retenu qu'à la date du prêt, le crédit était adapté aux capacités financières de M. et Mme Chedebois, que l'échéance mensuelle en euros qui devrait être payée par les emprunteurs était fixe, que l'allongement de la période d'amortissement n'était possible que dans la limite de cinq ans et que les emprunteurs pouvaient opter tous les cinq ans pour la conversion de leur prêt en euros ; qu'en se déterminant ainsi, sans prendre en compte, comme elle y était invitée, pour apprécier l'existence d'un risque d'endettement, l'évolution prévisible de la situation de M. et Mme Chedebois pendant la durée d'amortissement du prêt et la circonstance qu'aux termes du contrat de crédit, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, et ce, sans plafond dans les cinq dernières années, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 4°) que l'établissement bancaire est tenu d'une obligation de mise en garde à l'égard de son client sur les risques encourus dans les opérations spéculatives ; que le prêt Helvet Immo, en ce qu'il indexait le montant du capital à rembourser sur l'évolution du taux de change, exposait l'emprunteur à un risque de perte non mesurable et d'une ampleur imprévisible ; qu'en retenant, pour considérer que la banque avait satisfait à ses obligations par la seule délivrance de l'offre et de ses annexes, que ce produit ne revêtait pas un caractère spéculatif, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 5°) que, lorsque le prêt consenti revêt une nature complexe et est de nature à créer un risque particulier pour l'emprunteur, le banquier prêteur, tenu d'informer l'emprunteur, ne peut se contenter de présenter à l'emprunteur le fonctionnement du prêt mais doit attirer son attention sur les risques particuliers que lui fait encourir la spécificité du prêt envisagé ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour écarter la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation d'information sur les stipulations du contrat de prêt, les simulations, la notice figurant en annexe, et l'acceptation par M. et Mme Chedebois de l'offre de crédit, cependant qu'il résultait de ses constatations que ces documents se contentaient de décrire en termes neutres le fonctionnement du prêt et n'attirait pas précisément l'attention des emprunteurs sur le risque d'augmentation du capital restant dû lié à l'évolution du taux de change, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate, en premier lieu, qu'au jour de la conclusion du contrat de prêt, M. Chedebois exerçait les fonctions de directeur-adjoint des opérations d'une chambre de compensation, et que, si Mme Chedebois était sans emploi, elle avait occupé, par le passé, les fonctions de responsable du personnel et de comptable, tandis que M. Chedebois avait été commis d'agent de change ; qu'il relève, en deuxième lieu, que, depuis 1999, M. et Mme Chedebois remboursent un crédit souscrit pour l'acquisition d'un bien immobilier, en application de la loi Périssol ; que l'arrêt énonce, en troisième lieu, que l'offre de prêt adressée aux emprunteurs indique de manière claire que le crédit est contracté en francs suisses, que l'amortissement de ce prêt se fait par la conversion des échéances fixes payées en euros, selon les modalités prévues au contrat, que la conversion s'opérera selon un taux de change qui pourra évoluer, et que la variation du taux, rappelée à plusieurs reprises dans l'offre, peut avoir une incidence sur la durée de remboursement, ainsi que sur le montant des échéances, à compter de la cinquième année, et, par conséquent, sur la charge totale de remboursement du prêt ; qu'il ajoute que M. et Mme Chedebois, qui ont signé le document intitulé "accusé de réception et acceptation de l'offre", ne peuvent prétendre n'avoir pas été informés des risques de change encourus ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a pu déduire que, compte tenu de la profession exercée ou ayant été exercée par M. et Mme Chedebois et de leur expérience en matière de crédit immobilier, ceux-ci devaient être considérés comme des emprunteurs avertis, aptes à comprendre les informations qui leur étaient fournies et capables d'apprécier la nature et la portée de leurs engagements, ainsi que de mesurer les risques encourus, et que la banque avait satisfait à son obligation d'information, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche visée par la première branche, que ses constatations rendaient inopérante, a décidé, à bon droit, que la banque n'était débitrice à leur égard d'aucune obligation de mise en garde ; qu'abstraction faite des motifs surabondants, relatifs à l'absence de risque d'endettement des emprunteurs et de caractère spéculatif du prêt souscrit, critiqués par les troisième et quatrième branches, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le même moyen, pris en sa sixième branche, ci-après annexé : - Attendu que ce grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : - Sur la recevabilité du moyen, contestée par le courtier : - Attendu que le courtier soutient que la faculté pour le juge de relever d'office la disproportion manifeste d'une clause dans un contrat de consommation ne permet pas aux parties, qui, comme en l'espèce, ne l'ont pas alléguée dans leurs conclusions d'appel, de présenter pour la première fois devant la Cour de cassation un moyen, mélangé de fait et de droit, fondé sur le caractère abusif d'une clause ;

Mais attendu que le moyen, qui n'invoque pas la faculté pour le juge de relever d'office la disproportion manifeste d'une clause dans un contrat de consommation, mais l'obligation pour celui-ci, nécessairement soumise au contrôle de la Cour de cassation, d'examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause, est recevable ;

Et sur ce moyen : - Vu l'article L. 132-1 du Code de la consommation, devenu L. 212-1 du même Code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; - Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08) ; qu'aux termes du texte susvisé, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu que l'arrêt juge régulière la clause d'indexation et rejette les demandes en responsabilité et indemnisation formées par M. et Mme Chedebois ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, de sorte qu'il lui incombait de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 624 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation de l'arrêt sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le quatrième moyen, relatif au rejet de la demande en dommages-intérêts formée par M. et Mme Chedebois à l'encontre du courtier ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de sursis à statuer et en ce qu'il rejette les demandes d'annulation du contrat de prêt fondées sur l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier et sur l'existence d'un vice du consentement, l'arrêt rendu le 31 décembre 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.