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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 24 mars 2017, n° 17-00938

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

KBL Richelieu Banque Privée (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kerner-Menay

Conseillers :

M. Vasseur, Mme de Gromard

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Hay, Benech

T. com. Paris, prés., du 16 déc. 2016

16 décembre 2016

Exposé du litige

Mme Arielle X, exerce la profession de graphiste indépendante. En 2001, ont débuté des relations commerciales avec la société Richelieu Finance Gestion Privée qui se sont poursuivies sans discontinuer et se sont concrétisées par une première convention conclue le 17 avril 2008 entre elle et la société Richelieu Finance Gestion Privée aux termes de laquelle il était précisé que Mme X assurait la réalisation des documents de communication et de reporting à destination des clients de Richelieu France Finance. Sa rémunération était alors forfaitisée sur une base mensuelle de 10 000 euros HT. Cette convention était conclue pour une durée indéterminée à compter du 1er avril 2008.

Une seconde convention, intitulée " convention d'assistance artistique " était ensuite conclue le 29 avril 2009 entre Mme Arielle X et la société Banque Richelieu Banque Privée qui avait racheté la société Richelieu Finance. Sa mission était notamment définie comme consistant en une participation à l'élaboration de la stratégie graphique et artistique de communication. Mme X s'engageait à consacrer 10 jours par mois à cette activité et était pour ces 10 jours rémunérée de façon forfaitaire à hauteur de 500 euros HT par jour travaillé et au-delà à un forfait journalier de 900 HT. Le contrat prévoyait également que les parties demeuraient des partenaires professionnels indépendants et qu'il était conclu pour une période de 21 mois reconductible par périodes successives d'une année à compter du 31 décembre 2010.

Par courrier recommandé du 20 juillet 2016, Mme X a été rendue destinataire d'un courrier de son cocontractant l'informant de sa décision de mettre fin à ce contrat à compter du 31 décembre 2016 au visa de l'article 4 de la convention les liant.

Aux termes d'une ordonnance du 25 novembre 2016 rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris, autorisant Mme X à assigner en référé d'heure à heure, celle-ci a demandé au juge des référés du Tribunal de commerce de Paris par acte du 28 novembre 2016 d'ordonner à la société KBL Richelieu Banque privée, sous astreinte du paiement d'une somme de 5 000 euros, de poursuivre sa relation commerciale avec elle, résultant du contrat susmentionné pendant une période de préavis ne pouvant être inférieure à 30 mois. Elle a également demandé au juge des référés du Tribunal de commerce de Paris d'ordonner à la KBL Richelieu Banque privée d'exécuter, pendant la période de préavis susmentionnée, l'ensemble des obligations résultant du contrat du 29 avril 2009 et de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par une ordonnance contradictoire en date du 16 décembre 2016, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a :

- Ordonné à la SA KBL Richelieu Banque privée, de poursuivre du 1er janvier 2017 au 21 février 2017, sa relation commerciale avec Mme X résultant du contrat conclu le 29 avril 2009 sous astreinte du paiement d'une somme de 500 euros par jour de retard ;

- Condamné la SA KBL Richelieu Banque privée à payer à Mme X la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de l'instance ;

- Rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

- Condamné la SA KBL Richelieu Banque privée aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 46,34 euros TTC dont 7,51 euros de TVA.

Le juge des référés a observé s'agissant du dommage imminent qui s'entend a-t-il précisé de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer, que Mme Z se prévaut de la perte d'un revenu, qui découlera, non de la brutalité de la rupture mais de la rupture elle-même.

Il a également considéré, au regard du trouble manifestement illicite que le préavis de quatre mois et 10 jours accordé par la société KBL Richelieu Banque privée à Mme X s'il correspondait aux termes du contrat liant les parties, n'était pas conforme à la loi en ce que sa durée était inférieure à six mois, compte tenu de la durée de quinze années de relation commerciale, Mme X invoquant au surplus sa situation de dépendance économique envers la société KBL Richelieu Banque privée.

Par déclaration en date du 11 janvier 2017, Mme X a interjeté appel de cette ordonnance.

Autorisée par le délégataire du premier président à assigner son adversaire à jour fixe, Mme X a, par acte d'huissier en date du 26 janvier 2017, assigné la société KBL Richelieu banque privée pour l'audience du 23 février 20107 et a demandé à la Cour de :

- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenu la compétence matérielle de la juridiction des référés pour ordonner à la SA KBL Richelieu banque privée, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la poursuite de sa relation commerciale avec elle,

- réformer pour le surplus l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau,

- ordonner à la société KBL Richelieu banque privée, sous astreinte du paiement d'une somme de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, de poursuivre sa relation commerciale avec elle résultant du contrat du 29 avril 2009, pendant une période de préavis de 30 mois à compter de la lettre de résiliation du 20 juillet 2015 soit jusqu'au 20 janvier 2019,

- ordonner à la société KBL Richelieu banque privée, pendant cette période, sous astreinte du paiement d'une somme de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration des délais visés ci-après, d'exécuter l'ensemble des obligations résultant du contrat du 29 avril 2009,

- condamner la société KBL Richelieu banque privée au paiement d'une somme de10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Mme X fait valoir en premier lieu qu'il est de jurisprudence constante que le juge des référés tire de l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile, le pouvoir d'ordonner sous astreinte la poursuite d'une relation commerciale établie afin que la victime de la rupture brutale bénéficie d'un préavis conforme aux dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce.

Elle soutient également que conformément à l'article précité, une relation commerciale établie ne saurait être rompue brutalement même partiellement sans un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Elle ajoute que la violation de cette règle engage la responsabilité de son auteur, et l'oblige à réparer le préjudice causé.

Elle précise que le trouble manifestement illicite s'entend d'une perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit et autorise le juge des référés à ordonner, à titre de mesure conservatoire ou de remise en état, l'obligation de respecter ses engagements contractuels et ce sous astreinte. Elle considère que l'appréciation du caractère brutal de la rupture résulte de l'analyse in concreto qui se fonde sur différents facteurs et s'apprécie au jour de la notification de la rupture. Elle soutient que le principal critère consacré par la jurisprudence s'agissant de l'évaluation de la durée du préavis accordé est celui qui résulte de la durée de la relation commerciale.

Selon elle, il résulte de la jurisprudence que la durée de préavis est généralement au moins égale à un mois de préavis pour une année de relations commerciales, hors circonstances particulières de nature à allonger cette durée, comme c'est le cas en l'espèce, à raison de l'état de dépendance économique.

Mme X ajoute en effet que son état de dépendance économique à l'égard de la société KBL Richelieu banque privée est de nature à augmenter la durée du préavis. Elle expose, à ce titre, que son chiffre d'affaires réalisé avec la SA KBL Richelieu banque privée a représenté 72 % de ses revenus au cours des 15 dernières années soit 85 % en 2013, 77 % en 2014 et 63 % en 2015. De ce fait, la réorganisation de son activité s'avère inévitablement compromise par la brutalité de la rupture.

De plus précise-t-elle, le contrat du 29 avril 2009 dont la continuation a été ordonnée lui a imposé à l'égard de tout tiers, sans limitation de durée de ne faire état d'aucune des prestations réalisées au cours de ces 15 années de collaboration avec la société KBL Richelieu Banque privée alors qu'il est de l'essence même d'un graphiste de pouvoir montrer ce qu'il sait faire ; qu'en outre le contrat a prévu qu'elle cède l'intégralité de ses droits d'auteur sur l'ensemble de sa production réalisée au cours de ces quinze années.

Dans ses conclusions en date du 14 février 2017, la société KBL Richelieu Banque privée demande à la cour de :

- débouter Mme Arielle X de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;

- confirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 16 décembre 2016 en ce qu'elle a ordonné la poursuite de la convention d'assistance artistique du 29 avril 2009 jusqu'au 21 février 2017 ;

- infirmer ladite ordonnance pour le surplus ;

- condamner Mme Arielle X à payer à la société KBL Richelieu Banque privée une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Mme Arielle X aux dépens.

La société KBL Richelieu Banque privée, par dernières conclusions du 14 février 2017, soutient que Mme X n'explique pas en quoi la durée de préavis retenu par le président du Tribunal de commerce de Paris serait insuffisante au sens de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.

Elle rappelle qu'il résulte de la combinaison de ce texte et de l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile que le juge des référés peut ordonner la poursuite d'une relation commerciale établie qui aurait été rompue brutalement dans la mesure où de ce caractère brutal résulte un trouble manifestement illicite et/ou un dommage imminent.

Elle considère que le pouvoir du juge d'ordonner la poursuite du contrat pour lui permettre de bénéficier d'un préavis suffisant suppose que le demandeur justifie, avec l'évidence requise en référé, le caractère brutal de la rupture. Elle précise que la rupture pourrait être qualifiée de brutale en l'absence de préavis écrit suffisant ; que l'objet du préavis est d'offrir à la victime de la rupture le temps qui lui est nécessaire pour pallier les conséquences de la rupture, réorganiser ses affaires, se reconvertir et réorienter son activité vers d'autres clients ; que la durée du préavis doit être appréciée au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture.

Elle soutient que le caractère brutal de la rupture n'est pas démontré, que le préavis de plus de 5 mois qu'elle a donné, porté à 7 mois par l'ordonnance entreprise est suffisant pour pallier les conséquences économiques de cette rupture qui ne cause ni trouble manifestement illicite, ni dommage imminent.

Elle analyse les circonstances de l'espèce au moment de la rupture à savoir le fait que les prestations de Mme X par nature purement intellectuelles sont immédiatement adaptables aux besoins de nouveaux clients, l'absence d'investissement matériel à réaliser, le caractère déterminé de la convention, le fait qu'en 2016 la part de l'activité de Mme Z pour son compte dans son chiffre d'affaires ne dépassera pas les 50 % ; que la convention ne prévoyait aucune exclusivité, de sorte que l'intimé estime que la dépendance économique de l'appelante n'est due qu'à ses choix professionnels. Elle estime que les clauses de la convention n'ont ni pour effet, ni pour objet d'empêcher l'appelante de redéployer son activité et de conquérir une nouvelle clientèle ; que la cession de ses droits d'auteur sur les travaux réalisés pour elle est normale s'agissant de travaux portant sur la marque et le logo de KBL. Quant à la clause de confidentialité lui interdisant de faire état de ses travaux pour KBL elle précise que c'est la nature même des activités de KBL, soumises au secret bancaire qui l'impose.

Sur ce, LA COUR

L'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

L'article L. 442-6 IV du Code de commerce prévoit que le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire.

Pour que la mesure puisse être prononcée, il doit nécessairement être constaté, avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.

La convention d'assistance artistique du 29 avril 2009 conclue entre les parties prévoyait, en son article 4, pour chacune d'entre elles la possibilité d'y mettre fin par lettre recommandée avec accusé de réception trois mois avant la fin du contrat ou selon le cas, avant la fin de l'une quelconque des périodes de reconduction, ce contrat se renouvelant tacitement pour des périodes successives d'une durée d'une année à compter du 31 décembre 2010.

Dès la notification de sa décision de ne pas renouveler la convention en date du 20 juillet 2016, la société KBL Richelieu Banque privée a accordé un préavis de 5 mois et 10 jours, admettant implicitement que le délai contractuel de préavis était insuffisant au regard de la situation de son cocontractant.

Par ailleurs, il est acquis que le délai de préavis doit être apprécié au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture.

Le délai de 5 mois et 10 jours consenti par la société KBL Richelieu Banque privée à compter de la lettre du 20 juillet 2016 et portant cessation des fonctions au 31 décembre 2016, est manifestement insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale non interrompue qui lie les parties depuis quinze années.

Au-delà de cette durée, il importe de prendre en compte la situation de dépendance économique dans laquelle, avec l'évidence requise en référé, Mme X se trouvait à l'égard de la société KBL Richelieu Banque privée. En effet, Mme X justifie que son activité pour le compte de ce cocontractant a représenté, en moyenne, 65 % de son chiffre d'affaires entre 2001 et 2013, puis 80,84 % en 2014 et 66,12 % en 2015. Par ailleurs pour autant que Mme X ait accepté la cession de ses droits d'auteur sur les œuvres réalisées au bénéfice de KBL ainsi qu'une confidentialité dans les informations ou savoir-faire dont elle a eu connaissance au cours de ses prestations, ces clauses n'en constituent pas moins des obstacles objectifs à la recherche d'une autre clientèle. Enfin, il était difficile pour Madame X de rechercher une clientèle accessoire très développée en raison des contraintes de disponibilité imposées par le contrat KBL.

Dès lors est caractérisé le trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Code de procédure civile résultant du caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies.

Au vu des circonstances de l'espèce, il convient de mettre fin à ce trouble manifestement illicite et de prévenir le dommage imminent en résultant et de dire que le préavis dû par la société KBL Richelieu Banque privée à Mme Arielle X ne saurait être inférieur à 15 mois.

La décision déférée qui a ordonné sous astreinte la prolongation de la relation commerciale entre les parties jusqu'au 21 février 2017 sera confirmée sur le principe mais infirmée sur la durée retenue pour le préavis.

La décision sera confirmée pour le surplus s'agissant de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

La cour ajoutera une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile à la charge de la société KBL Richelieu Banque privée pour la procédure d'appel ainsi que la charge des entiers dépens de la présente procédure d'appel.

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris en date du 16 décembre 2016 en ce qu'elle a ordonné, sous astreinte, la prolongation de la relation commerciale entre la société KBL Richelieu Banque privée et Mme Arielle X résultant de la convention du 29 avril 2009 ; L'infirme quant au délai de préavis, Statuant à nouveau sur ce point, Ordonne à la société KBL Richelieu Banque privée, sous astreinte du paiement d'une somme de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, de poursuivre sa relation commerciale avec Mme Arielle X résultant du contrat du 29 avril 2009 dans les conditions prévues par ledit contrat, pendant une période de préavis de 15 mois à compter de la lettre de résiliation du 20 juillet 2015 soit jusqu'au 20 octobre 2017 ; Dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte ; Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société KBL Richelieu Banque privée à payer à Mme Arielle X la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens de cette instance ; Y ajoutant, Condamne la société KBL Richelieu Banque privée à payer à Mme Arielle X la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de Cour ; Condamne société KBL Richelieu Banque privée aux entiers dépens de la procédure de d'appel.