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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 27 mars 2017, n° 15-19716

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroën (SA)

Défendeur :

Garage Sylvestre (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mmes Simon-Rossenthal, Castermans

Avocats :

Mes Munnier, Grappotte-Benetreau, Bertin

T. com. Paris, du 3 sept. 2015

3 septembre 2015

Faits et procédure

Vu le jugement prononcé le 3 septembre 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a débouté la société Automobiles Citroën de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer à la société Garage Sylvestre la somme de 27 634,52 euros HT au titre des sommes indûment prélevées à la suite de l'audit du 14 octobre 2011 et celle de 109 000 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ainsi que celle de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et débouté la société Garage Sylvestre du surplus de ses demandes,

Vu les dernières conclusions du 12 janvier 2017 de la société Automobiles Citroën, appelante, qui demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société Garage Sylvestre à lui payer la somme de 49 558,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2012, date de la mise en demeure, ainsi que celle de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de débouter cette société de ses demandes,

Vu les dernières conclusions du 11 janvier 2017 de la société Garage Sylvestre qui demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1315 du Code civil et L. 442-6 I 5° du Code de commerce de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts formée au titre de la résiliation abusive et du préjudice en résultant, de condamner la société Automobiles Citroën à lui payer de ce chef la somme de 500 000 euros, de l'infirmer sur le quantum du préjudice subi au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie et de condamner l'appelante à lui verser la somme de 2 000 000 euros correspondant à deux ans de marge brute outre celle de 20 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Sur ce,

Considérant que les parties ont signé le 23 mars 2011, avec effet au 1er juin 2011, un contrat aux termes duquel la société Automobiles conférait à la société Garage Sylvestre le droit non-exclusif de se présenter comme réparateur agréé Citroën et d'effectuer auprès du client final la commercialisation et la vente du service après-vente, des prestations de carrosserie, des équipements et accessoires aux véhicules Citroën et des autres services préconisés par elle; que ce contrat à durée indéterminée faisait suite à de précédents contrats de réparateur agréé ; qu'après une expertise amiable contradictoire ayant révélé au mois d'octobre 2011 qu'un véhicule avait fait l'objet d'interventions facturées au mois d'avril 2011 mais non effectuées, la société Automobiles Citroën a fait réaliser le même mois un audit contractuel puis, estimant que les investigations ainsi menées avaient mis à jour des pratiques frauduleuses de la part de la société Garage Sylvestre, elle a résilié le contrat le 23 décembre 2011et mis en demeure cette société de lui régler la somme de 49 558,44 euros correspondant au solde des sommes dues au titre de l'indemnité contractuelle visée à l'article III du contrat et du remboursement de sommes indûment versées au titre de la garantie; que la société Garage Sylvestre, propriétaire des locaux d'exploitation de son entreprise, a cédé son fonds de commerce le 5 avril 2012 à la société Bayon, laquelle a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire prononcée par jugement du 1er juillet 2014 ; que la société Automobiles Citroën a fait opposition sur le prix de vente du fonds le 30 avril 2012 puis a fait assigner la société garage Sylvestre par acte du 27 septembre 2012 en payement de la somme provisionnelle de 49 558,44 euros et désignation d'un expert devant le Tribunal de commerce de Paris qui s'est prononcé tout d'abord sur sa compétence déniée par la société Garage Sylvestre puis au fond dans les termes susvisés ;

Considérant que la société Automobiles Citroën critique le jugement en ce qu'il a annulé l'audit motif pris de ce qu'il portait sur une période antérieure au 1er juin 2011 alors que le contrat n'imposait pas que la période sur laquelle portait l'audit soit strictement enfermée dans la durée du contrat en cours dès lors qu'il n'est pas contesté qu'un précédent contrat de réparateur agréé liait les parties prévoyant un même délai de conservation de pièces justificatives afférentes aux opérations de garantie ; qu'elle soutient que l'intention frauduleuse avérée de la société intimée fondait incontestablement la résiliation du contrat par application de l'article XI ; qu'elle oppose à la demande de dommages-intérêts formée par la société Garage Sylvestre au titre de la dépréciation prétendue de son fonds avant sa vente du fait de la résiliation l'absence de lien de causalité et fait observer que les cessionnaires du fonds ont été agréés par la marque de sorte qu'aucun préjudice ne peut être invoqué par l'intimée pas plus qu'elle ne peut réclamer des dommages-intérêts pour une perte d'exploitation non établie ;

que la société Garage Sylvestre objecte que l'audit diligenté à l'initiative de la société Automobiles Citroën ne pouvait, sauf à ce qu'il excède les limites des droits contractuels de l'appelante, porter sur une période antérieure à l'entrée en vigueur du contrat du 1er juin 2011 et qu'en tout état de cause cette société ne justifie pas du bienfondé de sa demande en payement de 49 558,44 euros ; qu'elle prétend que l'exécution du contrat par l'appelante durant deux mois l'empêchait de se prévaloir de bonne foi de l'article XI du contrat l'autorisant à le résilier immédiatement sans préavis, cette résiliation abusive ayant eu pour effet de diminuer le prix de cession de son fonds ;

Considérant, ceci exposé, qu'il est constant que les parties étaient, dès avant la prise d'effet du contrat signé le 23 mars 2011, liées par un contrat de réparateur agréé Citroën dont l'article III, intitulé " garantie-services " stipule que "le réparateur agréé facturera au concédant le coût des opérations qu'il aura réalisées au titre de la garantie, des actions de rappel et des autres prestations contractuelles susvisées, selon les barèmes alors en vigueur, et ce, dans le cadre de la procédure établie à cet effet par le concédant ; en contrepartie, le réparateur agréé :

- conservera, pendant un délai expirant à l'issue de la deuxième année civile suivant celle au cours de laquelle est intervenue l'opération dont il aura facturé le coût au concédant, la commande de travaux établie entre lui et le client final,

- conservera les pièces remplacées pendant la durée précisée dans le manuel " Garantie et contrats ", les retournera à la demande du concédant suivant la procédure décrite dans le manuel " Garantie et contrats ";

- tiendra à la disposition du concédant, sur simple demande de celui-ci, les documents et pièces susvisées " ;

que cet article prévoit également la faculté pour le concédant de réaliser ou de faire réaliser à tout moment un audit des dossiers du réparateur agréé relatifs aux opérations de garanties et autres prises en charge par le concédant et constituée au cours d'une période quelconque d'une durée de trois semaines au moins et cinq semaines au plus ;

Considérant que ces dispositions, d'ailleurs reprises dans le contrat entré en vigueur le 1er juin 2011, autorisaient la société Automobiles Citroën à vérifier la régularité des opérations visées à l'article III jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans depuis la réalisation desdites opérations ; qu'en l'espèce, l'analyse des demandes de travaux et des factures garantie (main d'œuvre et pièces de rechange) de la société Garage Sylvestre a porté sur les avis de crédit payés au mois d'avril 2011 ;

que c'est donc dans le respect des dispositions précitées que la société Automobiles Citroën a procédé au contrôle de ces dossiers de garantie ; qu'il ressort des documents versés aux débats (expertise amiable, audit, explications de M. Sylvestre recueillies au cours de l'analyse des éléments fournis par la société Garage Sylvestre) que la société intimée a facturé à la société Automobiles Citroën des travaux non exécutés ; que partant, celle-ci était en droit d'obtenir la restitution des sommes indûment perçues et le versement, à titre de dédommagement forfaitaire, d'une somme dont le montant est égal au montant total des facturations indues et surfacturations multiplié par cinquante-deux et divisé par le nombre de semaines entières constituant la période auditée (article III du contrat du 27 mai 2003) ; que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté la société Automobiles Citroën de sa demande en payement de la somme de 49 558,44 euros à laquelle sera condamnée la société Garage Sylvestre, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de payer du 4 avril 2012 ;

Considérant, néanmoins, que la seule sanction que pouvait exiger la société Automobiles Citroën en réparation du préjudice subi du fait des agissements commis par la société Garage Citroën était de nature financière dès lors que ces agissements avaient été perpétrés au cours d'une période antérieure à l'entrée en vigueur du nouveau contrat le 1er juin 2011 et ne pouvaient donc entraîner la résiliation de plein droit de ce contrat en l'absence de clause le prévoyant; qu'il convient dès lors de rechercher si la résiliation prononcée par l'appelante a causé un préjudice à la société Garage Sylvestre ; que cette société affirme que la résiliation a eu pour effet de diminuer la valeur de son fonds de commerce qu'elle avait mis en vente et qui avait été évalué entre 1 000 000 et 1 100 000 euros par la SCP d'avocats Brigitte Jamin et Philippe Lhuillier et entre 850 000 et 1 050 000 euros par Mme Creusot Rivière, expert-comptable, alors que les repreneurs lui avaient proposé, suite à la résiliation du contrat de réparateur agréé, la somme de 700 000 euros ; que toutefois, et ainsi que l'a relevé le tribunal, elle n'explique pas la raison pour laquelle son fonds a été vendu 515 000 euros au lieu des 700 000 euros proposés alors, en outre, que les acquéreurs ont obtenu l'agrément de la société Automobiles Citroën ; que l'intimée ne démontrant pas que la résiliation a été la cause de la réduction du prix de cession de son fonds de commerce, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef ;

Considérant que la société Garage Sylvestre réclame la somme de 2 000 000 euros sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, estimant que la société Automobiles Citroën aurait dû respecter un préavis compris entre 24 et 36 mois avant de lui notifier la résiliation du contrat ; que cet article énonce qu' " engage sa responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;

Mais considérant que ce texte ne peut trouver application en l'espèce dès lors que la société Garage Sylvestre informait la société appelante, par lettre du 28 novembre 2011, de son intention de céder son fonds de commerce à des acquéreurs intéressés lui demandant de réserver le meilleur accueil à ces derniers et que la lettre de la société Automobiles Citroën par laquelle celle-ci lui notifiait la résiliation lui a été adressée le 23 décembre suivant, la cession du fonds de commerce mettant nécessairement un terme à la relation commerciale établie entre les parties ;

que la société Garage Sylvestre ne peut davantage solliciter subsidiairement la somme de 2 000 000 euros correspondant à deux années de marge brute au motif que l'appelante aurait dû respecter le préavis de 24 mois prévu à l'article X 2° du contrat et ce, pour les mêmes motifs que ci-dessus ;

qu'il demeure qu'il vient d'être jugé que la société Automobiles Citroën ne pouvait résilier le contrat signé le 23 mars 2011 à effet du 1er juin 2011 pour des faits commis antérieurement à cette prise d'effet ; que cette résiliation qui a privé la société Garage Sylvestre de la qualité de réparateur agréé Citroën jusqu'au jour de la vente de son fonds de commerce, soit le 5 avril 2012, lui a causé un préjudice que la cour fixe, au vu des éléments comptables parcellaires produits par l'intimée, à la somme de 30 000 euros ;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre des frais irrépétibles, ces deux sociétés succombant chacune pour partie dans leurs demandes supporteront la charge de leurs propres dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, infirme le jugement, condamne la société Garage Sylvestre à payer à la société Automobiles Citroën la somme de 49 558,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2012, condamne la société Automobiles Citroën à payer à la société Garage Sylvestre la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, ordonne la compensation ; rejette toute autre demande, dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.