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Décisions

TA Caen, 1re ch., 6 avril 2017, n° 1500353

CAEN

Jugement

PARTIES

Demandeur :

Département de la Manche

Défendeur :

Signalisation France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guillou (rapporteur)

Rapporteur public :

M. Bonneu

Conseillers :

M. Berrivin, Mme Bonfils

Avocats :

Mes Cabanes, Aymard de la Ferté-Sénectère

TA Caen n° 1500353

6 avril 2017

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 février 2015 et 13 juillet et 10 novembre 2016, le département de la Manche, représenté par Me Cabanes, demande au tribunal :

1°) de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme de 2 235 742 euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles caractérisées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 10-D-39 avec intérêt à compter du moment où le dommage est survenu ;

2°) de mettre à la charge de la société Signalisation France la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence a révélé que plusieurs sociétés fabriquant des panneaux de signalisation routière verticale, dont la société Signature SA, ont constitué un cartel afin de se répartir les marchés publics sur l'ensemble du territoire ; cette pratique a duré de 1997 à 2006 ; la société Signature SA est devenue en 2012 la société Signalisation France ;

- il a conclu avec la société Jean Neuhaus, devenue Signature SA, un marché n° 96-010 renouvelé deux fois jusqu'en 1998 et un marché n° 02-006 avec la société Signature SA renouvelé deux fois jusqu'à la fin 2004 ;

- les articles de presse invoqués par la société Signalisation France ne lui permettaient pas de savoir qu'il était titulaire d'un droit à réparation ; il ne pouvait agir avant que le dommage ne soit constaté par l'autorité de la concurrence, dont la décision, qui lui a permis de connaitre les faits lui permettant d'exercer une action, a été rendue le 22 décembre 2010 ; on ne peut déduire de ce que des départements, parmi lesquels il ne figure pas, ont communiqué à l'Autorité de la concurrence des informations, qu'il aurait dû agir dès 2006 ; de même la chute des prix du marché en 2006 ne pouvait, par elle-même, lui révéler les faits ;

- l'arrêt du Conseil d'Etat n° 395194 du 24 février 2016 écarte la jurisprudence " Préfet de l'Eure " s'agissant d'une demande indemnitaire suite à des pratiques anticoncurrentielles ;

- il recherche la responsabilité sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle de la société Signalisation France en raison des surcoûts pratiqués dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles auxquelles cette dernière s'est livrée ;

- l'analyse de l'expert est préconisée par la commission européenne ; l'expert s'est fondé sur des éléments contractuels et comptables ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin 2015, 12 juillet 2016 et 8 février 2017, la société Signalisation France conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre la somme de 5 000 euros à la charge du département de la Manche sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action est prescrite, en application de l'article 2224 du Code civil ; le département de la Manche a eu connaissance des pratiques anticoncurrentielles par les articles parus en 2006 dans les journaux La voix du Nord, Ouest France, La Dépêche du midi et Le parisien libéré ; la chute des prix constatée en 2006 a révélé les pratiques anticoncurrentielles ; le département de la Manche a été interrogé par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'instruction ; le délai de prescription a couru à compter du lendemain de la publication de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, et le délai a donc expiré le 20 juin 2013 ; le département était nécessairement informé du démantèlement de l'entente par la chute des prix constatée lors de la passation du marché n° 09-019 du 3 février 2009 ;

- le département n'ayant pas émis de titre exécutoire pour recouvrer la créance dont il se prévaut, sa requête est irrecevable ; le revirement jurisprudentiel du Conseil d'Etat dans l'arrêt n° 395193 n'est pas motivé et il n'est pas permis de savoir si les cours administratives d'appel confirmeront cette jurisprudence ;

- en demandant une extension de sa mission à des marchés conclus en 2005, en raison de la carence du département qui n'a pas fourni d'éléments relatifs aux marchés conclus en 1996 et 2002, l'expert a manqué d'impartialité ;

- l'expert ne disposait pas des éléments lui permettant de faire les extrapolations sur le marché n° 2002-006 ;

- l'évolution de la pondération du critère du prix, passée de 30 % à 50 % puis 60 % entre les marchés de 2005, 2009 et 2012, explique la baisse des prix constatée ;

- la méthode contrefactuelle retenue par l'expert est, par construction, impropre à permettre d'établir l'existence d'un préjudice et à fortiori son quantum ;

- la répercussion des surcoûts sur les administrés n'a pas été prise en compte par l'expert ;

- la cession au groupe Eurovia de l'activité de signalisation verticale le 31 décembre 2007 n'a pas été prise en compte par l'expert qui a considéré à tort que le département avait gardé le même fournisseur avant et après l'entente ; les comparaisons qu'il établit entre les marchés conclus avant et après le 1er janvier 2008 ne sont donc pas fondées ;

- l'expert n'a pas pris en compte la baisse du prix des films rétro-réfléchissants, ni les baisses du coût de revient issues des modifications de traitement de surface des supports ;

- l'expert n'a pas pris en compte que l'offre de la société Signature SA présentée pour le marché n° 05-019 était inférieure à l'estimation prévisionnelle du département ; les pièces versées au dossier ne permettent pas de savoir quels prix ont été proposés par les autres candidats ; visiblement la société Sud-Ouest Signalisation, non membre de l'entente, a proposé un prix inférieur, mais n'a pas été retenue ; l'expert, faute de pièce probante, ne pouvait valablement comparer les prix proposés pour les marchés n° 09-019 et 2012-2195 ; la structure des appels d'offres n'a pas été prise en compte ;

- le surprix évalué par l'Autorité de la concurrence n'est que de 5 à 10 % des prix pratiqués.

Le département de la Manche a produit un mémoire enregistré le 10 février 2017 qui n'a pas été communiqué.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 7 mars 2016, par laquelle le président du tribunal a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. Tessier.

Vu :

- le Code civil ;

- le Code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillou,

- les conclusions de M. Bonneu, rapporteur public,

- et les observations de Me Cabanes, représentant le département de la Manche, et de Me Aymard de la Ferté-Sénectère, représentant la société Signalisation France.

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence et de l'arrêt du 29 mars 2012 de la Cour d'appel de Paris n° 2011/01228, que plusieurs sociétés fabriquant des panneaux de signalisation routière verticale ont constitué un cartel afin de se répartir les marchés publics sur l'ensemble du territoire, notamment en ce qui concerne les marchés conclus par les collectivités territoriales, que cette pratique a duré de 1997 à 2006 et que la société Signature SA est parmi les membres fondateurs de ce cartel et y a activement participé tout au long de la période concernée ; que le département de la Manche a conclu avec la société Signature SA les marchés à bons de commande n° 02-006 du 21 janvier 2002 et 05-19 du 31 mars 2005 ; que le département de la Manche recherche la responsabilité de la société Signalisation France, anciennement Signature SA, sur le fondement quasi-délictuel en raison des surcoûts pratiqués dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles auxquelles cette dernière s'est livrée ;

Sur la recevabilité :

2. Considérant qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre ; qu'en particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance ; que lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait cependant pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement ; que, toutefois, l'action tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de sociétés en raison d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit une personne publique à contracter avec elles à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d'un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales, doit être regardée, pour l'application des principes précités, comme trouvant son origine dans le contrat ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Signalisation France tirée de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par le département de la Manche doit être écartée ;

Sur l'exception de prescription :

3. Considérant que l'article 2224 du Code civil dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 17 juin 2008 susvisée, entrée en vigueur le 19 juin suivant, dispose : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer " ; qu'aux termes de l'article 2222 du même Code : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure " ;

4. Considérant que la société Signalisation France soutient que l'action du département de la Manche est prescrite, en application de l'article 2224 du Code civil, dès lors qu'il a eu connaissance des pratiques anticoncurrentielles par les articles parus en 2006 dans les journaux La voix du Nord, Ouest France, La Dépêche du midi et Le parisien libéré, que la chute des prix constatée en 2006 a révélé ces pratiques anticoncurrentielles et que le département de la Manche a été interrogé par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'instruction ; qu'ainsi le délai de prescription a couru à compter du lendemain de la publication de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, et le délai a donc expiré le 20 juin 2013, qu'en outre le département était nécessairement informé du démantèlement de l'entente par la chute des prix constatée lors de la passation du marché n° 09-019 du 3 février 2009 ; que, toutefois, eu égard à leur caractère général, les articles de presse allégués ne permettaient pas au département de connaître les manœuvres dolosives mises en œuvre par la société avec laquelle il a contracté et dont il a été victime, et encore moins leur ampleur ; que, si l'Autorité de la concurrence a en effet consulté certains départements, de façon aléatoire, pour recueillir des données sur les attributaires des marchés passés pendant la période au cours de laquelle a sévi le cartel, il n'est pas établi que le département de la Manche aurait été consulté ; que, de plus, une telle consultation n'était pas de nature à lui permettre d'identifier les manœuvres dolosives dont il a été victime ; qu'enfin la baisse des prix intervenue en 2006, et que le département de la Manche a pu constater à l'occasion de la passation du marché du 3 février 2009, n'était pas par elle-même susceptible de révéler les faits permettant au département d'exercer son action contre les membres du cartel ;

Sur la régularité des opérations d'expertise :

5. Considérant que le tribunal a désigné un expert, M. Tessier, par une ordonnance du 27 février 2015 en vue notamment de déterminer le montant du préjudice subi par le département de la Manche ; que l'expert a déposé son rapport le 20 janvier 2016 ; que la société Signalisation France met en doute l'impartialité de l'expert ; que, toutefois, les circonstances que l'expert a demandé l'extension de sa mission aux marchés attribués en 2005 à la société Signalisation France, qu'il a constaté que la société Signalisation France ne produisait pas de pièces relatives aux marchés litigieux, qu'il a proposé d'extrapoler une estimation relative au marché n° 05-019 conclu en 2005 à des marchés antérieurs, pour lesquels seuls des éléments issus de la comptabilité du département existaient, ne sont pas de nature à établir un doute sur l'impartialité de l'expert ; que l'expert s'est borné à accomplir les démarches et à demander les documents utiles à l'accomplissement de sa mission ; que si on peut en contester le principe ou la portée, les extrapolations qu'a pu faire l'expert, ou les positions qu'il a pu adopter quant à la méthode d'évaluation du préjudice, ne révèlent pas un manque d'impartialité ;

6. Considérant qu'en supposant que la société Signalisation France puisse être regardée comme se prévalant des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 621-9 du Code de justice administrative en vertu desquelles les parties sont invitées par le greffe de la juridiction à fournir leurs observations dans le délai d'un mois, il résulte de l'instruction, d'une part, que le rapport d'expertise comprend les dires des parties et, d'autre part, que la société Signalisation France a pu utilement présenter ses observations dans le cadre du débat contradictoire devant le tribunal ; qu'ainsi, la circonstance que le greffe ne l'ait pas invitée à présenter ses observations sur le rapport d'expertise dans le délai d'un mois après sa remise au tribunal ne l'a privée d'aucune garantie ;

Sur la responsabilité :

7. Considérant que les marchés en litige ont été conclus au cours de la période pendant laquelle l'entente anticoncurrentielle, à laquelle la société Signature SA a activement participé, est établie ; que dans ces conditions, le département de la Manche établit suffisamment l'existence d'agissements dolosifs au sens de l'article 1116 du Code civil susceptibles d'engager la responsabilité de la société Signalisation France ;

Sur le préjudice :

8. Considérant que la société Signalisation France soutient que la méthode utilisée par l'expert, dite "contrefactuelle" n'aboutit qu'à des chiffres approximatifs résultant d'hypothèses théoriques ; que, toutefois, la nature même des pratiques anticoncurrentielles constatées, qui ont pour objet et pour effet de faire obstacle au libre jeu de la concurrence, et donc à la formation de prix optimaux pour le pouvoir adjudicateur, suppose une approche du type de celle retenue ;

9. Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert que celui-ci a regroupé l'ensemble des bons de commandes disponibles, afférents à l'exécution des marchés concernés ; que s'il n'a pu disposer de bons de commande antérieurs à l'année 2005, il a pu se référer aux montants versés par le département à la société Signature SA à partir de 2002 ; que, pour évaluer le niveau du surprix sur la période de l'entente, il a utilisé une méthode basée sur la comparaison des prix pratiqués en 2005 et des prix pratiqués au cours de la période postérieure à 2008, soit les prix des marchés conclus en 2009 et 2013 ; qu'il a raisonné en euro constant ; qu'il a pris en compte l'incidence de l'évolution du coût des matières premières utilisées et a inclus la TVA ; qu'il a extrapolé les résultats de cette comparaison à la période d'exécution du marché n° 02-006, soit 2002 à 2004 inclus ; qu'il a en définitive conclu à un surcoût de 28 %, soit un préjudice de 2 235 742 euros ;

10. Considérant que la société Signalisation France soutient que l'expert ne disposait pas des éléments lui permettant de faire les extrapolations sur le marché n° 2002-006 ; que, toutefois, eu égard à la constance des pratiques anticoncurrentielles en cause, lesquelles ont concouru à un lissage des prix sur la période, à la similitude des produits et à la connaissance des montants facturés pour la période comprise entre 2002 et 2004, l'extrapolation du taux de surprix constaté en 2005 à cette période n'est pas injustifiée ;

11. Considérant que la société Signalisation France soutient que l'évolution de la pondération du critère du prix, passée de 30 % à 50 % puis 60 % entre les marchés de 2005, 2009 et 2012, explique la baisse des prix constatée ; que, toutefois, dès lors que les prix pratiqués résultaient d'une entente, et non du mécanisme de formation des prix propre à un marché concurrentiel, le niveau de pondération du critère du prix n'a pu, en l'espèce, influer sur le niveau des prix stipulés aux contrats concernés ;

12. Considérant que la société Signalisation France soutient que l'expert n'a pas examiné la question de savoir si les surprix ont été répercutés sur les administrés ; que, s'il est exact que l'analyse de l'incidence économique et financière d'une entente sur l'acheteur victime de cette entente doit intégrer l'éventuelle répercussion sur les clients de la victime, s'agissant d'un acheteur public, en l'espèce d'un département, et de routes sans péage, aucune répercussion ne pourrait être prise en compte autre que celle pesant sur les contribuables ;

13. Considérant que la société Signalisation France soutient que la cession au groupe Eurovia de l'activité de signalisation verticale le 31 décembre 2007 n'a pas été prise en compte par l'expert qui a considéré à tort que le département avait gardé le même fournisseur avant et après l'entente et qu'ainsi les comparaisons qu'il établit entre les marchés conclus avant et après le 1er janvier 2008 ne sont pas fondées ; que, toutefois, la circonstance ainsi alléguée n'est pas de nature à priver de pertinence les comparaisons faites par l'expert entre les prix pratiqués pendant et après la période de l'entente anticoncurrentielle ;

14. Considérant que la société Signalisation France fait valoir que l'expert n'a pas tenu compte de l'incidence de la baisse sensible du prix des films rétro-réfléchissant en 2007, produits entrant dans le coût de fabrication des signaux objets des marchés, et qui est pourtant de nature à expliquer une part de la baisse des prix pratiqués après la fin des pratiques anticoncurrentielles ; que, toutefois, l'expert a longuement analysé ce point en son rapport, dont il ressort que l'essentiel de la baisse du prix des films intervient avant 2005 ; que, de plus, l'expert a tenu compte, dans sa comparaison, d'une baisse des prix des matières premières de 5 % après la période de l'entente ;

15. Considérant que la circonstance que le département de la Manche ait retenu, en ce qui concerne le marché n° 05-019, une estimation prévisionnelle du prix du marché supérieure à l'offre de la société Signature SA est sans incidence sur l'existence et l'évaluation du préjudice, dès lors qu'il est établi que le prix proposé par la société Signature SA était biaisé par les pratiques anticoncurrentielles alors mises en œuvre ;

16. Considérant que la circonstance que la société Sud-Ouest Signalisation, non membre de l'entente, ait proposé, pour le marché n° 05-019, un prix inférieur à la société Signalisation France, attributaire du marché, mais n'a pas été retenue, alors que le critère du prix n'était pas prépondérant, est sans incidence ;

17. Considérant que la société Signalisation France fait valoir que l'Autorité de la concurrence a estimé que le surprix consécutif aux pratiques anticoncurrentielles est dans un ordre de grandeur de 5 % à 10 %, et qu'ainsi l'estimation de l'expert, soit 28 %, serait excessive ; que, toutefois, l'Autorité de la concurrence, qui n'avait pas pour mission de déterminer un surprix précis par marché concerné, a seulement donné un ordre de grandeur à l'échelle d'une entente qui a concerné l'ensemble du territoire, et la circonstance que l'examen d'une situation particulière révèle des surprix plus importants n'est pas de nature à révéler une erreur d'appréciation ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le département de la Manche est fondé à demander la condamnation de la société Signalisation France à lui payer la somme de 2 235 742 euros retenue par l'expert en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles auxquelles elle s'est livrée dans le cadre d'un cartel ;

Sur les intérêts :

19. Considérant qu'en application de l'article 1153 du Code civil, il y a lieu de mettre à la charge de la société Signalisation France le paiement d'intérêts à compter de la date d'enregistrement de la requête, soit le 16 février 2015, et non pas à compter de la survenance des dommages, comme le demande le département de la Manche ;

Sur les frais d'expertise :

20. Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés à hauteur de 16 069,52 euros par une ordonnance n° 1402286 du 7 mars 2016, à la charge définitive de la société Signalisation France ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

21. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Manche, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Signalisation France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Signalisation France une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de la Manche et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La société Signalisation France est condamnée à verser au département de la Manche la somme de 2 235 742 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 16 février 2015.

Article 2 : Les frais d'expertise, taxés à un montant de 16 069,52 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge définitive de la société Signalisation France.

Article 3 : La société Signalisation France versera la somme de 1 500 euros au département de la Manche en application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du département et les conclusions de la société Signalisation France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au département de la Manche et à la société Signalisation France.