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Décisions

CE, 3e et 8e ch. réunies, 31 mars 2017, n° 401059

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Altice Luxembourg (Sté); Numéricable-SFR (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Lombard

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

Avocat général :

M. Daumas

CE n° 401059

31 mars 2017

LE CONSEIL : - Vu la procédure suivante : - Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juin 2016 et le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Altice Luxembourg et Numericable-SFR demandent au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler la décision n° 16-D-07 de l'Autorité de la concurrence du 19 avril 2016 relative au respect de l'engagement de cession des activités de téléphonie mobile d'Outremer Telecom à La Réunion et à Mayotte figurant dans la décision autorisant l'acquisition de SFR par le groupe Altice ; 2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de supprimer cette décision de son site internet, ainsi que le communiqué de presse la diffusant, et d'y publier la décision du Conseil d'Etat dans les mêmes conditions que celles de la décision du 19 avril 2016 ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. - Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - le Code de commerce ; - le Code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que par une décision du 30 octobre 2014, l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la société SFR par la société Numericable, filiale du groupe Altice. Cette autorisation était subordonnée à la réalisation effective de plusieurs engagements, en particulier d'engagements relatifs à la cession des activités de téléphonie mobile de la société Outremer Telecom (OMT), filiale du groupe Altice depuis juillet 2013, à la Réunion et à Mayotte. Les sociétés Altice et Numericable s'étaient engagées non seulement à céder les activités de téléphonie mobile d'OMT, mais aussi à préserver " la viabilité économique, la valeur marchande et la compétitivité de l'activité cédée " ainsi qu'à faire leurs " meilleurs efforts pour éviter tout risque de perte de compétitivité de l'Activité cédée Outre-mer ", ce qui impliquait, notamment, de " ne pas mener d'actions sous leur propre responsabilité qui produiraient un effet négatif significatif sur la valeur, la gestion ou la compétitivité de l'Activité cédée Outre-mer, ou qui pourraient altérer la nature et le périmètre de l'Activité cédée Outre-mer, ou la stratégie commerciale de l'Activité cédée Outre-mer " (point 2.1.3.1 des engagements).

2. Après l'entrée en vigueur des engagements, OMT a procédé, durant les derniers mois de 2014 et le 1er janvier 2015, à plusieurs augmentations des prix de ses forfaits mobiles à la Réunion et à Mayotte. Par une décision n° 15-SO-01 du 22 janvier 2015, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office, sur proposition de la rapporteure générale, des conditions dans lesquelles étaient exécutés, par Altice et Numericable, les engagements annexés à sa décision du 30 octobre 2014 et relatifs à la cession des activités de téléphonie mobile d'OMT à La Réunion et à Mayotte. Par une décision n° 16-D-07 du 19 avril 2016 relative au respect de l'engagement de cession des activités de téléphonie mobile d'Outremer Telecom à La Réunion et à Mayotte figurant dans la décision autorisant l'acquisition de SFR par le groupe Altice, l'Autorité de la concurrence a constaté l'inexécution de l'engagement 2.1.3.1 et décidé d'infliger solidairement aux sociétés Altice Luxembourg et Numericable-SFR une sanction pécuniaire de 15 millions d'euros. Ces deux sociétés demandent l'annulation de cette décision.

Sur la régularité de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence :

3. Aux termes du IV de l'article L. 430-8 du Code de commerce : " Si l'Autorité de la concurrence estime que les parties n'ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement figurant dans sa décision, l'Autorité de la concurrence constate l'inexécution. Elle peut : / (...) infliger aux personnes auxquelles incombait l'obligation non exécutée une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I. / La procédure applicable est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés. / L'Autorité de la concurrence se prononce dans un délai de soixante-quinze jours ouvrés ". Le deuxième alinéa de l'article L. 463-2 du même Code prévoit que le rapport rédigé par le rapporteur général de l'Autorité est " notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés ".

4. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue d'accorder un délai supplémentaire au délai de quinze jours ouvrés qu'elles impartissent aux parties pour produire leurs observations. D'autre part, le délai de soixante-quinze jours ouvrés imparti à l'Autorité de la concurrence pour se prononcer commence à courir à compter de la réception, par celle-ci, des observations des parties en réponse à la communication du rapport mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 du Code de commerce ou, en l'absence de telles observations, à l'expiration du délai de quinze jours ouvrés prévus au cinquième alinéa du IV de l'article L. 430-8 du même Code. Ces dispositions n'imposent cependant pas à l'Autorité de la concurrence de se prononcer dans ce délai à peine de dessaisissement ou d'irrégularité de la procédure.

5. En l'espèce, les sociétés requérantes ont produit leurs observations en réponse au rapport de l'Autorité le 7 décembre 2015, soit au terme du délai de 15 jours ouvrés qui leur était imparti. La circonstance que la décision de l'Autorité n'est intervenue que le 19 avril 2016 n'entache pas, par elle-même, la procédure suivie d'irrégularité. Par ailleurs, comme il a été dit ci-dessus, l'absence de délai supplémentaire donné aux sociétés requérantes pour présenter leurs observations est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie devant l'Autorité. Il suit de là que le moyen, pris en ces deux branches, tiré de ce que l'Autorité aurait adopté sa décision au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'engagement de préservation de la viabilité économique, de la valeur marchande et de l'activité cédée (point 2.1.3.1 des engagements) impliquant les obligations de faire et de ne pas faire citées au point 1 ci-dessus constituait un engagement à part entière dont le non-respect était susceptible, conformément au paragraphe IV de l'article L. 430-8 du Code de commerce, d'être sanctionné par de l'Autorité de la concurrence. Quand bien même il constituait un engagement lié à celui du principe de la cession des activités de téléphonie mobile d'OMT à la Réunion et à Mayotte, il en était autonome. Il en résulte que la cession de ces activités au groupe Hiridjee, le 31 juillet 2015, cession dont l'approbation par l'Autorité le 15 juin 2015 n'a pas conduit celle-ci à prendre position sur le respect de l'engagement comportemental 2.1.3.1., est sans incidence sur la portée de cet engagement, formulé de façon suffisamment claire et précise, et sur l'appréciation par l'Autorité du respect par les parties des obligations qu'il leur imposait. Le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence aurait inexactement interprété la portée de l'engagement comportemental 2.1.3.1. et méconnu le principe de légalité des délits et des peines ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, il résulte de la lettre même de l'engagement 2.1.3.1, d'une part, que les sociétés requérantes devaient faire leurs meilleurs efforts pour éviter tout risque de perte de compétitivité d'OMT et, d'autre part, qu'elles ne pouvaient pas mener d'actions qui pourraient altérer la stratégie commerciale d'OMT.

8. Il résulte de l'instruction, d'une part, que les hausses tarifaires intervenues durant les derniers mois de 2014 et au 1er janvier 2015 ont concerné tant les nouvelles souscriptions que les abonnements en cours et ont visé une large gamme de forfaits mobiles. Elles ont ainsi touché 26 300 clients d'OMT alors que l'opérateur comptait, à la fin du mois d'octobre 2014, 66 000 clients en offres post-payées. Ces augmentations tarifaires, s'élevant de 17 % à 60 % selon les forfaits, ont entraîné une diminution des ventes allant jusqu'à 65 % pour l'un d'entre eux. Pour les abonnements en cours, le taux de résiliation des contrats a fortement augmenté, ne revenant au niveau auquel il était avant les augmentations en cause qu'au mois de mai 2015. En outre, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, ces augmentations tarifaires n'étaient pas justifiées par une amélioration du contenu des offres. Enfin, comme l'a relevé l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) dans son avis du 3 mars 2015, rendu sur saisine de l'Autorité de la concurrence en application de l'article R. 463-9 du Code de commerce, " il y a de fortes chances que la modification tarifaire ait engendré une dégradation de l'image de l'opérateur, dans la mesure où Outremer Télécom est un opérateur réputé peu cher à la Réunion (...) dont la cible de clientèle (...) paraît être constituée de consommateurs principalement intéressés par des tarifs peu élevés plutôt que par d'autres éléments qualitatifs ". Ces augmentations tarifaires ont donc entraîné une perte d'attractivité des offres d'OMT à Mayotte et à la Réunion. Elles ont ainsi fait peser sur OMT un risque de perte de compétitivité de son activité sur le marché de la téléphonie mobile dans ces deux îles.

9. D'autre part, OMT avait adopté une stratégie de conquête du marché de la téléphonie mobile à la Réunion et à Mayotte en proposant des prix pour ses forfaits mobiles sensiblement inférieurs à ceux de ses concurrents. Les hausses de prix significatives, en termes relatifs, sur une large gamme de forfaits " en parc " ou " en conquête ", sont ainsi intervenues après une longue période sans hausse tarifaire, réduisant ou faisant même parfois disparaître l'écart tarifaire des offres d'OMT par rapport aux offres concurrentes. Enfin, comme l'a relevé l'Arcep dans son avis du 3 mars précité, " ces mouvements tarifaires ont altéré la stratégie commerciale de l'activité, et ce d'autant plus au regard de leurs conditions tout à fait particulières : les modifications unilatérales de contrat en vue d'augmenter les tarifs sont en effet rarissimes sur les marchés mobiles français et les opérateurs privilégient habituellement la commercialisation active de nouvelles offres auprès de leurs clients, en recueillant leur assentiment volontaire ". Ces augmentations tarifaires ont donc altéré la stratégie commerciale d'OMT.

10. Les sociétés requérantes, qui soutiennent que les hausses tarifaires pratiquées à Mayotte et à la Réunion étaient nécessaire pour préserver la viabilité économique et la valeur marchande de l'activité cédée, ne l'établissent pas. Ainsi, en tout état de cause, l'Autorité de la concurrence n'a pas, en estimant que ces hausses tarifaires constituaient un manquement à l'engagement 2.1.3.1, commis d'erreur de qualification juridique.

11. En dernier lieu, d'une part, le paragraphe I de l'article L. 430-8 du Code de commerce prévoit que le plafond de la sanction pécuniaire mentionnée au point 3 de cette décision s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France la partie acquise. Il en résulte que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que l'Autorité de la concurrence a pris en compte, pour le calcul du plafond de leur sanction, le chiffre d'affaires réalisé en France par SFR. Par ailleurs, à supposer même que l'Autorité de la concurrence ait, à tort, pour le calcul du plafond de la sanction, comptabilisé deux fois le chiffre d'affaires de la société SFR en France pour le mois de décembre 2014, cette erreur de calcul est sans incidence sur la légalité de la sanction, le montant de celle-ci restant toujours très significativement inférieur au seuil légal de 5 % du chiffre d'affaires réalisé en France.

12. D'autre part, le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionné à la gravité des manquements reprochés aux sociétés requérantes. Comme il a été dit au point 8, les augmentations tarifaires ont concerné une large gamme de forfaits et ont touché massivement les clients " en parc ", ainsi que les clients " en conquête ". En outre, ces augmentations tarifaires sont intervenues trois semaines après l'obtention de la décision d'autorisation à laquelle les engagements étaient attachés. Leurs effets n'ont pas cessé malgré les mesures d'annulation des hausses tarifaires prises par les sociétés requérantes aux 1er février et 1er mars 2015. Les manquements ainsi constatés ont eu pour conséquence de produire une partie des effets que l'engagement comportemental 2.1.3.1, qui se trouvait au coeur du dispositif des mesures correctives prévues par la décision d'autorisation concernant le marché de la téléphone mobile sur les îles de La Réunion et de Mayotte, avait pour objet de prévenir. Le moyen tiré de ce que la sanction pécuniaire de 15 millions d'euros serait disproportionnée au regard de la faible importance de l'engagement et de la gravité limitée du manquement des sociétés requérantes à cet engagement ne peut donc qu'être écarté.

13. Par suite, les sociétés Altice Luxembourg et Numericable-SFR ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision qu'elles attaquent.

14. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de supprimer la décision du 19 avril 2016 de son site internet et le communiqué de presse la diffusant. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Autorité de la concurrence, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : La requête des sociétés Altice Luxembourg et Numericable-SFR est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Altice Luxembourg et Numericable-SFR, et à l'Autorité de la concurrence.