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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 4 avril 2017, n° 15-01416

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Wright Medical France (SAS)

Défendeur :

Ceramtec GmbH (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bonnemaison

Conseillers :

Mmes Grevin, Sansot

TGI Béthune, du 29 nov. 2011

29 novembre 2011

Débats & délibéré :

L'affaire est venue à l'audience publique du 08 novembre 2016 devant la cour composée de Mme Fabienne Bonnemaison, Président de chambre, Mme Odile Grevin et Mme Françoise Sansot, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la Cour était assistée de Mme Vitalienne Balocco, greffier.

Sur le rapport de Mme Fabienne Bonnemaison et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 février 2017, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Prononcé :

Les parties ont été informées par voie électronique du prorogé du délibéré au 04 avril 2017 et du prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe.

Le 4 avril 2017, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Fabienne Bonnemaison, Présidente et Mme Charlotte Rodrigues, greffier.

Décision :

Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de Béthune en date du 29 novembre 2011 qui, statuant sur l'action en responsabilité exercée par Marie C. épouse D. à l'encontre des sociétés Wright Medical France, Ceramtec et le le groupe Opale, dit irrecevable l'action formée contre cette dernière, mise hors de cause , dit les sociétés Wright Medical France et Ceramtec solidairement responsables du fait du produit défectueux livré, les condamne solidairement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire à indemniser Mme D. de son préjudice corporel à hauteur de 47 339,15euro et la CPAM à hauteur de 33 117,39euro, avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2009 pour Mme D. et du jugement pour la CPAM , et à verser diverses indemnités de procédure, et, dans leurs rapports entre elles, dit les sociétés Wright Medical France et Ceramtec tenues chacune pour moitié des condamnations prononcées,

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Douai en date du 14 mars 2013 qui confirme le jugement déféré excepté en ce qu'il dit irrecevable le recours de la victime contre le groupe Opale (néanmoins mis hors de cause ), la répartition des condamnations entre les sociétés Wright Medical France et Ceramtec et le montant des sommes allouées à la CPAM et, statuant de ces chefs, majore à 47238,15euro l'indemnité allouée à la CPAM augmentée des intérêts de retard à compter du 30 avril 2009, y ajoutant une indemnité de procédure de 500euro, dit la société Ceramtec tenue de garantir entièrement la société Wright Medical France des condamnations prononcées au profit de Mme D. et déboute les sociétés Wright Medical France et Ceramtec de leurs demandes d'indemnité de procédure,

Vu l'arrêt de la cour de cassation en date du 26 novembre 2014 qui casse et annule l'arrêt précité mais seulement en ce qu'il dit que la société Ceramtec est tenue de garantir entièrement la société Wright Medical France des condamnations solidaires prononcées contre elles et les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens,

Vu la saisine de la cour de céans par la société Wright Medical France le 20 mars 2015 et ses conclusions transmises le 29 septembre 2015 tendant à voir réformer le jugement du 29 novembre 2011 en ce qu'il a considéré que les condamnations prononcées devaient être supportées par moitié par les sociétés Wright Medical France et Ceramtec, à voir constater que seule la tête en céramique de la prothèse de Mme D. s'est rompue, que le préjudice de cette dernière est donc imputable au seul composant défectueux fourni par Ceramtec, dire celle-ci contractuellement responsable envers la société Wright Medical France à raison d'un manquement à son obligation de sécurité, condamner par suite la société Ceramtec à la garantir entièrement des condamnations prononcées solidairement à leur encontre et au profit de Mme D. ainsi qu' au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000euro,

Vu les conclusions transmises le 28 janvier 32016 par la société Ceramtec qui demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit les deux sociétés, dans leurs rapports, tenues chacune pour moitié du montant des condamnations prononcées, de constater l'absence de manquement de la société Ceramtec, de débouter la société Wright Medical France de toutes ses demandes et de la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 5000euro,

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 19 octobre 2016 et les débats du 8 novembre 2016,

Sur Ce

Il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties au jugement entrepris duquel il résulte essentiellement que:

- le 14 janvier 2003, Mme D. a subi l'implantation d'une prothèse de hanche qui avait été conçue et réalisée par la société Wright Medical France et dont l'un des composants, la tête fémorale en céramique, avait été fabriqué par la société Ceramtec,

- ensuite de la fracture de cette tête fémorale, diagnostiquée le 24 octobre 2003, le docteur C., chirurgien orthopédiste salarié du Groupe Opale, a procédé au remplacement de la prothèse le 28 octobre suivant,

- après une expertise judiciaire du docteur C., ordonnée en référé le 1er décembre 2004, Mme D. a assigné en responsabilité et aux fins d'indemnisation le Groupe Opale et les sociétés Wright Medical France et Ceramtec.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris qui a notamment dit irrecevable le recours exercé par Mme D. contre le Groupe Opale, a dit au visa des articles 1386-8 et suivants du Code civil , les sociétés Wright Medical France et Ceramtec de plein droit solidairement responsables du préjudice de la victime, les condamnant par suite solidairement à indemniser la victime, et a débouté la société Wright Medical France de son appel en garantie contre Ceramtec, opérant entre elles un partage de responsabilité à parts égales dès lors qu'aucune de ces sociétés n'établissait une circonstance exonératoire de sa responsabilité selon les dispositions de l'article 1386-11 du Code civil.

A titre liminaire, la Cour constate au regard des limites de la cassation que le jugement déféré est devenu définitif en toutes ses dispositions excepté celle relative à l'action récursoire de la société Wright Medical France à l'encontre la société Ceramtec.

Sur la garantie de la société Ceramtec

La société Wright Medical France réitère sa demande de garantie totale de la société Ceramtec aux motifs d'une part qu'elle n'a pas contribué au dommage, d'autre part que Ceramtec a manqué à son obligation de sécurité.

Sur le premier moyen, elle rappelle que la responsabilité objective que fait peser, dans un souci d'indemnisation des victimes, sur les fabricants du produit implanté l'article 1386-8 du Code civil ne préjuge en rien de la répartition de la charge finale de la dette qui doit être en l'espèce supportée, en application du principe de la causalité adéquate, par la société Ceramtec dès lors que la cause exclusive du dommage corporel subi par Mme D. est la fragmentation de la tête fémorale qu' a fournie cette société, qu'aucune autre anomalie n'a été identifiée par l'expert judiciaire sur les implants composant la prothèse, la série de prothèses commercialisées par Wright Medical France à laquelle appartenait celle de Mme D. n'ayant révélé aucune anomalie et Ceramtec étant dans l'incapacité d'établir une autre cause du dommage.

Sur le second moyen, elle fait valoir qu'indépendamment du recours en contribution en matière de responsabilité des produits défectueux , elle dispose sur le fondement des dispositions des articles L. 1110-5 du Code de la santé publique et L. 221-1 du Code de la consommation d'une action contractuelle autonome à l'encontre du fournisseur d'un sous-composant défectueux, à ce titre assujetti à une obligation de sécurité et tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger, c'est à dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitimement attendre.

La fragmentation de la tête fémorale livrée par Ceramtec caractérise ce défaut de sécurité.

La société Ceramtec, qui rappelle que les investigations de l'expert judiciaire n'ont pas permis d'identifier la cause de la rupture de la tête fémorale, objecte successivement que l'implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à démontrer son défaut au sens de l'article 1386-1 du Code civil, qu'en l'absence de défaut établi de son composant et de toute faute démontrée à son encontre, l'arrêt du 26 novembre 2014, rejetant le principe d'une contribution à la dette fondée sur un critère de causalité telle que revendiquée par la société Wright Medical France, postule une répartition à parts égales de la dette entre les coresponsables solidaires.

Elle conteste être assujettie à une obligation de sécurité envers un acquéreur professionnel et se défend de tout manquement à son obligation de sécurité lorsque les tests et contrôles dont avait fait l'objet la tête fémorale litigieuse n'avaient révélé aucun défaut.

La Cour rappelle qu'au terme de ses investigations, l'expert judiciaire n'a pu identifier l'origine de cette rupture brutale de la tête fémorale:

- il a exclu toute faute dans le geste chirurgical comme dans le suivi de la patiente (ce qui a conduit l'arrêt précité, sur ce point définitif, à exclure la responsabilité de l'établissement hospitalier) et exclu un quelconque comportement anormal de la victime,

- il a rappelé les avantages des prothèses en céramique qui permettent d'éviter une usure prématurée, la littérature médicale évoquant néanmoins des cas de rupture,

- il a observé, au cas d'espèce, que la tête fémorale litigieuse appartenait à une série répertoriée qui n'avait pas posé de problèmes de structure,

- il a de même souligné que l'AFSSAP avait confirmé que les renseignements relatifs à la série de tiges fémorales (fabriquées par Wright Medical France) dont faisait partie celle assemblée avec la tête fournie par Ceramtec ne révélaient aucune non conformité.

L'expert judiciaire en a déduit l'absence de toute anomalie dans le processus de fabrication des implants composants la prothèse et émis l'hypothèse d'une rupture accidentelle, d'un accident isolé qu'il assimilait à un " aléa thérapeutique ", des cas de rupture isolée d'implants en céramique étant évoqués par la littérature médicale.

De cette expertise, la cour déduit qu'au-delà du rôle de la fragmentation de la tête fémorale dans le dommage subi par Mme D. dont elle constitue le fait générateur, aucun défaut du composant fourni par Ceramtec n'a été mis en évidence (si ce n'est à l'égard de la victime le défaut de sécurité qui lui était dû en vertu des dispositions protectrices de l'article 1386-4 du Code civil), que les causes de son éclatement restent inconnues, aucune anomalie n'ayant été détectée par l'expert judiciaire à l'examen des radiographies sur les modalités d'assemblage des implants composant la prothèse.

Il s'infère de l'arrêt du 26 novembre 2014 qu'en l'absence de faute, la contribution à la dette de coobligés s'effectue à parts égales, la haute juridiction censurant la Cour d'appel de Douai pour avoir consacré la garantie de Ceramtec au motif que son composant était la cause exclusive du dommage et qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une faute commise par Wright Medical France dans la conception et/ou l'assemblage de la prothèse.

La demande de garantie formée par la société Wright Medical France en tant qu'elle est fondée sur le rôle causal exclusif du composant fourni par Ceramtec dans la survenance du dommage ne peut donc plus prospérer.

D'autre part, s'agissant de l'action en responsabilité contractuelle qu'invoque désormais la société Wright Medical France devant la cour de renvoi à l'encontre de son fournisseur au visa des articles L. 221-1 du Code de la consommation et L. 1110-5 du code de la santé publique, la société Ceramtec fait à raison observer, d'une part, que ces textes, de portée générale, posent des principes relatifs à la sécurité des produits et services due aux consommateurs (ainsi l' article L. 221-1 du Code de la consommation est issu des dispositions de la loi du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs et figure dans un chapitre instaurant des mesures de prévention tandis que l'article L. 1110-5 du Code de la santé publique rappelle le principe de l'obligation de sécurité pesant sur les fournisseurs de produits de santé à l'égard des malades et usagers du système de santé) dont on ne peut déduire un régime spécifique de responsabilité entre professionnels, d'autre part que l'obligation jurisprudentielle de sécurité de résultat évoquée par la société Wright Medical France, destinée à pallier les conséquences de la tardiveté de la transposition de la directive européenne du 25 juillet 1985, n'a plus vocation à s'appliquer depuis l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 portant transposition de cette directive.

La Cour considère, par ailleurs, qu'à partir du moment où les causes de la rupture de la tête fémorale restent inconnues, où la thèse d'une rupture accidentelle est privilégiée par l'expert judiciaire, la société Wright Medical France ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du défaut de fabrication du composant de Ceramtec propre à engager sa responsabilité contractuelle envers elle.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il répartit par parts égales la contribution des deux fabricants à la réparation du dommage.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Ceramtec exclusivement suivant modalités prévues au dispositif.

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Douai en date du 14 mars 2013, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du du 26 novembre 2014, Confirme le jugement du 29 novembre 2011 en ce qu'il dit que, dans leurs rapports entre elles, les sociétés Wright Medical France et Ceramtec seront tenues chacune pour moitié des condamnations prononcées au profit de Mme D. Condamne la société Wright Medical France à verser à la société Ceramtec une indemnité de procédure de 3 000euro. Condamne la société Wright Medical France aux dépens.