CA Riom, 1re ch. civ., 10 avril 2017, n° 16-02033
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Lafarge (SA) , Maaf Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Straudo
Conseillers :
Mme Pirat, M. Acquarone
Faits et procédure:
M. et Mme X ont fait édifier en juin 1984 leur maison d'habitation.
Dans le cadre de l'exécution du lot de maçonnerie et béton armé, il a été prévu la réalisation de la dalle béton avec fourniture d'un produit Unimat 401 vendu par la société Lafarge.
Se plaignant de fissures affectant le carrelage de son salon et en l'état d'un constat d'huissier dressé le 5 mai 2015, M. X a sollicité la prise en charge du sinistre par son assureur multirisque habitation la SA Maaf Assurances, laquelle a dénié sa garantie.
Par exploit délivré les 26 février et 1er mars 2016 M. X a fait assigner la SA Lafarge et la SA Maaf Assurances en référé-expertise sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.
Au cours de l'instance la SA Lafarge a sollicité sa mise hors de cause en invoquant le défaut d'intérêt à agir à son encontre de M. X, et subsidiairement s'est prévalue de la prescription de toute action tant au titre de l'obligation de sécurité du vendeur qu'au titre des vices cachés. Elle a sollicité par ailleurs l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA Maaf Assurances s'est également opposée aux demandes et sollicité également sa mise hors de cause ainsi qu'une indemnité procédurale.
Par ordonnance rendue le 5 juillet 2016 le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Aurillac a :
- rejeté l'exception d'irrecevabilité pour défaut de qualité pour agir soulevée par la SA Lafarge;
- débouté M. X de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. X à payer à la SA Lafarge la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Dans des conditions de forme et de délais non contestés M. X a interjeté appel général de cette décision le 12 août 2016.
L'affaire a été fixée à l'audience du 23 février 2017 en application de l'article 905 du Code de procédure et a fait l'objet d'une clôture le 2 février 2017.
Prétentions des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et signifiées le 14 novembre 2016 M. X demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de faire droit à sa demande d'expertise et de condamner les intimées à lui verser la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme identique sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des entiers dépens.
En l'état de ses dernières écritures déposées et signifiées les 13 et 14 décembre 2016 la SA Lafarge demande à titre principal de prononcer sa mise hors de cause en raison de son statut de société holding d'un groupe et en l'absence d'une quelconque implication dans la fourniture du produit en cause.
A titre subsidiaire elle soulève la prescription de l'action engagée à son encontre tant sur le fondement de l'obligation de sécurité du vendeur que sur celui de la garantie des vices cachés.
A titre infiniment subsidiaire elle conclut au débouté en soutenant qu'il n'existe aucun motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige.
En tout état de cause elle demande à la cour de lui donner acte de ses plus expresses protestations et réserves à la mesure sollicitée et réclame par ailleurs l'allocation d'une somme complémentaire de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens d'appel.
En l'état de ses dernières écritures déposées et signifiées le 13 janvier 2017 la SA Maaf Assurances conclut à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de M. X aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions ainsi qu'à l'ordonnance entreprise.
Motifs de la décision:
Attendu que l'article 145 du Code de procédure civile dispose " S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé " ;
Que la demande d'une mesure d'instruction doit ainsi être formée avant tout procès et tendre à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ultérieur raisonnablement prévisible ;
Que si le juge des référés n'a pas à caractériser l'intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que celui-ci se propose d'engager, il lui appartient néanmoins de caractériser l'existence du motif légitime, lequel résulte notamment du fait que l'action éventuelle au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec ;
Qu'il appartient en conséquence au demandeur d'établir la pertinence de sa demande en démontrant que les faits invoqués sont susceptibles de l'être dans un litige, et notamment que son action n'est pas frappée par la prescription ;
Attendu qu'en l'espèce il convient de relever que M. X entend rechercher la responsabilité de la SA Lafarge sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil tels que visés dans ses dernières écritures ;
Qu'il invoque également dans le corps de ses conclusions la responsabilité fondée sur la mise en œuvre de produits défectueux ;
Que les pièces produites aux débats permettent de constater que le produit Unimat 401 distribué sous la marque Lafarge a été mis en œuvre dans le cadre des opérations de construction réalisées en 1984 ;
Que les travaux de maçonnerie ont été réceptionnés le 30 août 1984 avec des réserves ;
Que ces réserves ont été levées en janvier 1985 et les factures définitivement réglées le 11 décembre 1985 ;
Que M. X a introduit la présente instance le 26 février 2016 en invoquant la révélation des vices au 8 décembre 2014, date de la régularisation d'une déclaration de sinistre auprès de son assureur ;
Attendu que si l'action en garantie des vices cachés instaure un bref délai à compter de la connaissance du dommage ou du vice, il est néanmoins constant que ce délai ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur de la prescription de droit commun, laquelle ne peut être interrompue que par une action en justice ;
Qu'au regard des dispositions combinées applicables aux délais de prescription à la date de la construction et celles de la loi du 17 juin 2008 il est constant que l'assignation délivrée par M. X le 26 février 2016 est intervenue moins de deux ans après la découverte des vices allégués mais plus de trente ans après la réalisation des travaux et leur règlement ;
Qu'il apparaît ainsi que les faits invoqués à l'appui de la demande d'expertise sont prescrits et ne peuvent être utilement invoqués dans un litige fondé sur la garantie des vices cachés ;
Que M. X ne démontre pas en conséquence un intérêt légitime à solliciter l'organisation d'une expertise dans le cadre de cette garantie ;
Attendu par ailleurs que l'action en responsabilité dirigée contre un fabricant ou un fournisseur d'un produit défectueux mis en circulation avant la loi du 19 mai 1998 transposant la directive du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux se prescrivait selon les dispositions du droit interne alors en vigueur ;
Que si le dommage allégué par M. X s'est révélé à la fin de l'année 2014, soit à une date postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi de transposition du 19 mai 1998, il est néanmoins constant que ce produit avait été mis en œuvre, et donc en circulation, en 1984 à une date antérieure à la directive du 25 juillet 1985 transposable en droit français avant le 30 juillet 1988 ;
Que par ailleurs les dispositions de cette directive n'avaient pas vocation à s'appliquer aux produits mis en circulation avant cette date ;
Attendu qu'en considération de ces éléments l'action engagée par M. X sur le fondement de la responsabilité (contractuelle ou extra contractuelle) de la SA Lafarge plus de trente ans après la mise en œuvre du produit prétendument défectueux et le règlement des prestations en cause est également prescrite et n'apparaît pas susceptible d'être recevable dans le cadre d'un litige futur ;
Que M. X ne démontre pas en conséquence un intérêt légitime à solliciter l'organisation d'une expertise dans la cadre de la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle de la SA Lafarge ;
Attendu que pour le surplus il convient de relever que l'appelant n'entend pas mettre en cause dans le cadre de la présente instance d'autres faits de nature à expliquer les fissures affectant le carrelage de son salon ;
Qu'il fonde exclusivement sa demande sur la nature du produit mis en œuvre lors de la construction de sa maison ;
Qu'il n'invoque nullement comme étant à l'origine des désordres des phénomènes extérieurs susceptibles d'être pris en charge par la SA Maaf Assurances au titre notamment de ses garanties, et notamment les garanties dégât des eaux ou catastrophes naturelles ;
Qu'en l'état de ces éléments il ne démontre pas à ce stade de la procédure un intérêt légitime à l'organisation d'une expertise au contradictoire de son assureur afin de voir mobiliser sa garantie dans le cadre d'un risque couvert par sa police d'assurance ;
Attendu qu'en considération de ce précède, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sir autres moyens, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a débouté l'appelant de sa demande d'expertise ;
Que succombant en ses prétentions M. X ne saurait par ailleurs se prévaloir d'une faute des intimées de nature à justifier l'allocation de dommages et intérêts et supportera les dépens de première instance et d'appel, ce qui exclut par ailleurs qu'il puisse prétendre bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que les situations respectives des parties sur le plan économique et des considérations d'équité commandent en revanche de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la SA Lafarge tant en première instance qu'en cause d'appel
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement, publiquement et en dernier ressort, Confirme l'ordonnance déférée hormis en ses dispositions ayant condamné M. Martial X à payer à la SA Lafarge la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Et statuant de ce chef, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance, Y ajoutant, Rejette les demandes plus amples ou contraires, Dit que les dépens d'appel seront supportés par M. Martial X et recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.