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Décisions

Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-23.078

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fenwick Linde (SARL)

Défendeur :

Lenormant, Lenormant Finances (SAS), Lenormant Manutention (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel

T. com. Beauvais, du 15 déc. 2011

15 décembre 2011

LA COUR : - Donne acte à la société Fenwick Linde de son désistement partiel à l'égard de M. Lenormant et de la société Lenormant finances ; - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 2 juin 2015), que les Etablissements Lenormant, dont l'activité a été reprise par la société Lenormant manutention (la société Lenormant) ont conclu le 29 juin 1975 avec la société Linde manutention, aux droits de laquelle est venue la société Fenwick Linde (la société Fenwick), un contrat de concession exclusive de vente de chariots ainsi que de leurs équipements et accessoires de la marque Linde ; que les parties se sont liées par un contrat de concession exclusive portant sur la vente et l'après-vente des chariots de manutention Fenwick Linde ; que, par un nouveau contrat du 6 juin 1995, a été prévu un préavis de neuf mois en cas de rupture au-delà de la cinquième année ; qu'invoquant la restructuration de son réseau en Picardie, la société Fenwick, par lettre du 29 décembre 2008, a résilié le contrat avec effet au 30 septembre 2009 et proposé à la société Lenormant, qui l'a accepté, de proroger de trois mois la durée du préavis ; que soutenant qu'un préavis d'un an était insuffisant, la société Lenormant a assigné la société Fenwick en réparation de ses préjudices sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Attendu que la société Fenwick fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que les parties sont libres, au moment de la rupture des relations commerciales, d'en aménager les modalités et de fixer la durée du préavis par la conclusion d'une convention qui échappe au contrôle du juge ; qu'en retenant que le respect par la société Fenwick du préavis conventionnel de neuf mois, porté à douze mois à la suite de l'accord conclu par les parties après la décision de mettre fin au contrat, n'était pas en lui-même suffisant, cependant que les parties pouvaient, après la rupture des relations contractuelles, renoncer à la protection de L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en s'accordant sur la durée du préavis devant être appliquée, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, par fausse application ; 2°) que le caractère suffisant du préavis devant précéder la rupture de relations commerciales établies doit être apprécié au regard des capacités de reconversion dont dispose le partenaire évincé au moment de la rupture ; qu'en retenant qu'une reconversion réussie du concessionnaire était insuffisante à exonérer la société Fenwick des conséquences de la rupture brutale des relations commerciales, sans rechercher si, au moment de la rupture, la société Lenormant n'était pas à même de réorganiser son activité avec la société Nissan Forklift, dans la mesure où un rapprochement avec cette société était à l'étude dès l'été 2008, soit plusieurs mois avant la rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) que le caractère suffisant du préavis devant précéder la rupture de relations commerciales établies s'apprécie en considération de l'état de dépendance économique du partenaire évincé eu égard au groupe auquel il appartient ; qu'en jugeant qu'il n'y avait pas lieu de retenir que la société Lenormant appartenait à un groupe pour apprécier son état de dépendance économique, refusant ainsi de rechercher si cette société ne disposait pas de moyens offerts par le groupe pour assurer sa reconversion dans le délai du préavis contractuel d'un an, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que l'état de dépendance économique ne doit pas être pris en compte pour apprécier le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies s'il résulte d'un choix délibéré de la société évincée ; qu'en retenant l'état de dépendance économique de la société Lenormant Manutention à l'égard de la société Fenwick pour fixer la durée du préavis qui aurait dû être respecté, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cet état ne résultait pas de la décision délibérée du groupe Lenormant de créer une filiale dédiée au commerce des produits Fenwick, ce dont il résultait que la société Lenormant s'était volontairement rendue dépendante de la société Fenwick, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 5°) que seul le préjudice résultant de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies peut être réparé ; qu'en jugeant que l'ensemble de l'activité de la société Lenormant avait été impacté par la rupture des relations entretenues avec la société Fenwick Linde et qu'il n'y avait pas lieu de distinguer entre les différents secteurs d'activités, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Lenormant n'avait pas continué, après la rupture, à percevoir des bénéfices au titre des contrats de maintenance relatifs aux matériels déjà vendus ou loués, ainsi qu'au titre de ses activités de vente et de location des chariots d'occasion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 6°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, pour évaluer le préjudice subi, que la société Lenormant " se trouv[ait] privée à la fois des ventes de chariots neufs mais également des nouveaux contrats de location et de maintenance y afférents pendant la période de préavis qui est seule indemnisée ", tout en relevant qu'au vu des éléments comptables produits, le préjudice subi par la société Lenormant s'élevait à 9 millions d'euros, adoptant ainsi les conclusions de l'expert Demilly, qui avait retenu une telle offre en se fondant sur l'ensemble de l'activité en liaison avec les produits Fenwick, en ce compris les activités de maintenance relatives aux produits déjà loués ou vendus, toujours exercées par le concessionnaire, la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions de la société Fenwick, que celle-ci ait soutenu qu'en acceptant, au moment de la rupture, la prorogation de trois mois du délai de préavis conventionnel, la société Lenormant avait renoncé à se prévaloir, après la rupture, de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; que le moyen est nouveau, et mélangé de fait et de droit ;

Attendu, en deuxième lieu, que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte, au moment de la notification de la rupture, de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique du partenaire évincé ; que la dépendance économique résulte notamment de la difficulté pour le concessionnaire d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents dans des conditions économiques comparables ; qu'après avoir constaté que le partenariat avait duré trente-cinq ans et que la société Fenwick avait mis à la charge de la société Lenormant une obligation de non-concurrence, l'arrêt relève qu'au cours des deux dernières années, la société Lenormant, entretenue par sa partenaire dans l'idée du maintien de leurs relations, a procédé à des investissements spécifiques et réalisé avec ce fournisseur 89 % et 91 % de son chiffre d'affaires ; qu'il ajoute que du fait de la particularité du marché de la manutention industrielle et de l'importance de la société Fenwick sur ce marché, l'organisation de la reconversion sur une ou plusieurs marques, sur un territoire éventuellement étendu, passant par la formation du personnel, la prise en compte des contraintes liées aux stocks de pièces de rechange, la recherche de nouveaux marchés, nécessite un délai important ; qu'il en déduit que la durée du préavis doit être fixée à deux ans ; qu'ayant, par ces constatations et appréciations, caractérisé l'état de dépendance économique de la société Lenormant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder aux recherches devenues inopérantes, invoquées aux deuxième, troisième et quatrième branches, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, enfin, qu'après avoir rappelé que seule la période d'insuffisance du préavis est indemnisée, l'arrêt relève que du fait de la brutalité de la rupture, la société Lenormant a été privée à la fois des ventes des chariots neufs mais également des nouveaux contrats de location et de maintenance qui y étaient liés ; qu'il en déduit que l'ensemble de l'activité de la société Lenormant s'est trouvé affecté, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les activités de vente, de location et de maintenance ; que de ces constatations et appréciations, faisant ressortir le lien de dépendance entre ces activités, la cour d'appel a répondu, en l'écartant, au moyen invoqué à la cinquième branche, et souverainement évalué, sans se contredire, le montant du préjudice dont elle a retenu l'existence ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.