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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 28 avril 2017, n° 14-05138

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Empreinte Publicitaire (EURL)

Défendeur :

Ryvia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Nadjar, Kieffer Joly

T. com. Lille Métropole, du 22 janv. 201…

22 janvier 2014

La société Empreinte Publicitaire, spécialisée dans l'impression numérique et la publicité adhésive, a entretenu, à partir de février 2010, une relation commerciale avec la société Ryvia qui fabrique et distribue des vêtements pour femmes et qui commandait à Empreinte Publicitaire du matériel de publicité sur le lieu de vente pour son réseau de magasins. L'activité s'est développée jusqu'en juin 2012. La société Rivya a cessé ses commandes par la suite.

Estimant qu'elle avait subi une rupture brutale des relations commerciales, la société Empreinte Publicitaire a assigné le 10 janvier 2013 la société Rivya devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par jugement du 22 janvier 2014, ce tribunal a débouté la société Empreinte Publicitaire de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Rivya la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a retenu qu'il n'y avait pas eu de relation stable et établie et que la rupture des relations commerciales ne pouvaient pas être qualifiée de brutale.

La société Empreinte Publicitaire a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

La société Empreinte Publicitaire, par conclusions signifiées par le RPVA le 5 janvier 2017, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

- condamner la société Ryvia à lui payer la somme de 5 280 euros à titre de dommages et intérêts avec les intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation, la somme de 14 860,15 euros à titre de remboursement des sommes versées à Pôle Emploi du fait des licenciements économiques devant nécessairement être mis en place à la suite de la rupture ;

- condamner la société Ryvia à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice commercial, assortis des intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ainsi qu'un montant de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

- la condamner à lui payer un montant de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle estime que les relations commerciales ont duré de février 2010 à juin 2012, qu'il ne peut être contesté que les relations entre les parties étaient établies, que les commandes, bi-mensuelles, étaient importantes et ne cessaient d'augmenter au vu de la progression du chiffre d'affaires réalisé avec Ryvia, lequel est passé de 16 516,77 euros en 2010 à 52 878,75 euros en 2011. Elle soutient également qu'elle se trouvait en état de dépendance économique, même si cet élément n'est pas une condition à l'application des dispositions régissant la rupture brutale.

Elle indique qu'il n'y a eu, de la part de Rivya, aucun préavis écrit à la rupture de juin 2012 (et non du 3 janvier 2013), rupture qui a donc été brutale dès lors qu'à partir de cette date, il n'y a plus eu aucune commande. La brutalité de cette rupture ne peut être justifiée par Rivya par le départ d'une de ses salariées qui a créé sa propre entreprise. Elle ajoute qu'elle a été maintenue par Ryvia dans l'incertitude sur son intention de rompre avant le 3 janvier 2013.

Elle en infère que le préavis de rupture aurait dû être de trois mois et elle réclame avec une marge brute mensuelle moyenne de 1 760 euros (attestation de l'expert-comptable), soit un montant de 5 280 euros. Elle réclame en outre la réparation au titre du préjudice moral lié à la désorganisation qu'elle a subie et au titre du préjudice commercial constitué par les licenciements de deux salariés et une situation économique difficile ainsi que pour résistance abusive.

La société Ryvia représentée par la SCP Crozat Barault Maigrot ès qualités de mandataire judiciaire de la société Ryvia et la Selarl Contant-Cardon ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Ryvia, par conclusions signifiées par le RPVA le 3 décembre 2015, conclut à la confirmation du jugement entepris et à la condamnation de la société Empreinte Publicitaire à payer à la société Ryvia la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que la demande de la société Empreinte Publicitaire résulte d'un montage visant à lui permettre de couvrir une situation économique difficile dont elle n'est pas la cause. Elle précise que les commandes de Ryvia n'étaient pas en forte progression, mais étaient fonction de ses besoins. Elle explique que la rupture est le fait d'Empreinte Publicitaire comme le montre son courrier de décembre 2012. Elle conteste toute dépendance économique, alors que sa part dans le chiffre d'affaires d'Empreinte Publicitaire était de 2,70 % en 2010, 6 % en 2011et 3,46 % en 2012.

Elle conteste qu'Empreinte Publicitaire ait procédé à des investissements en raison de ses relations commerciales avec elle, les investissements réalisés résultant de la mise en place d'une stratégie commerciale choisie par Empreinte Publicitaire ; elle précise que le licenciement de deux de ses salariés résulte de difficultés globales rencontrées par Empreinte Publicitaire. A titre subsidiaire, elle conteste les montants réclamés qui procèdent d'une confusion entre marge brute et chiffre d'affaires.

Sur ce

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : ... 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) "

que l'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ; qu'en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent ;

Considérant qu'en l'espèce, il ne peut être contesté que les relations commerciales consistant en des commandes de Ryvia à Empreinte Publicitaire ont débuté en février 2010 et ont perduré soit jusqu'en juin 2012 selon la société Empreinte Publicitaire, soit jusqu'en janvier 2013 comme le soutient Ryvia ; que les commandes étaient régulières et représentaient un pourcentage non négligeable du chiffre d'affaires d'Empreinte Publicitaire, la facturation sur l'exercice 2009/2010 s'élevant à 10 396,03 euros TTC, 42 296,01 euros TTC sur l'exercice 2010/2011 et 30 741,97 euros TTC sur l'exercice 2011/2012 ;

Que le relations revêtaient donc un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les parties ;

Considérant qu'il convient néanmoins de déterminer si la rupture a été brutale et à qui cette rupture incombe ;

Considérant qu'en juin 2012, les commandes se sont interrompues (à l'exclusion d'une commande de 47,84 euros TTC en octobre 2012) jusqu'au courriel du 24 décembre 2012 par lequel Ryvia sollicitait un devis ; que les périodes d'été étant des périodes de commandes (17 368,31 euros en 2011), Empreinte Publicitaire a répondu qu'elle était étonnée de cette demande de devis : " Nous prenons note de votre demande de devis, qui nous surprend assez eu égard à l'absence de commande de votre part depuis plusieurs mois, alors que depuis l'année 2009, vous sollicitez notre société pour des commandes assez importantes. " Nous tenons à vous informer que l'absence totale (ou partielle) de commandes depuis le mois de juin, a engendré une baisse importante de notre chiffre d'affaires et a mis notre société dans une mauvaise situation financière eu égard, notamment, aux investissements que nous avions réalisés afin de répondre au mieux à vos demandes et vous satisfaire dans les meilleurs délais. Ainsi, si nous devons répondre, à nouveau, à une demande de votre part, sachez que le préjudice précédemment subi subsiste et que nous devons savoir dans quelles conditions vous envisagez de travailler avec notre société. Devons-nous nous attendre à une nouvelle relation commerciale à long terme ou ne s'agit-il qu'une demande ponctuelle de votre part " ;

Qu'il apparaît au vu des pièces produites, que Ryvia a passé commande de juin 2012 à octobre 2012 pour un montant de 131 415,53 euros auprès de la société Print and Cut, société ayant le même objet qu'Empreinte Publicitaire, créée par une salariée d'Empreinte Publicitaire qui a démissionné de la société Empreinte Publicitaire le 2 mai 2012 ;

Que l'ensemble de ces éléments démontre que la rupture a eu lieu en juin 2012 du fait de la société Ryvia, et non en décembre 2012 ou janvier 2013 comme le soutient la société Ryvia ; que l'absence de commandes caractérise la rupture sans préavis, par Ryvia, de la relation commerciale ; qu'en l'absence de préavis, la rupture doit être qualifiée de brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° ; qu'il importe peu que la société Empreinte Publicitaire ait été ou non en situation de dépendance économique vis-à-vis de Ryvia (dépendance économique d'ailleurs non établie au vu de la part minime des commandes de Ryvia dans le chiffre d'affaires d'Empreinte Publicitaire), cet élément n'étant pas nécessaire pour l'application de l'article sus-visé ;

Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris qu'il [sic] a débouté Empreinte Publicitaire de sa demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ;

Sur le préavis et le préjudice

Considérant que la durée des relations commerciales (28 mois) et la spécificité du marché (impression numérique et publicité adhésive), justifiaient l'octroi d'un préavis de trois mois ;

Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6 I 5° que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ; qu'en l'espèce, le préjudice qui doit être indemnisé est le préjudice réel subi par la société Empreinte Publicitaire du fait du caractère brutal de la rupture calculé en fonction de la perte de marge bénéficiaire que cette dernière pouvait escompter de la continuation des relations commerciales avec la société Ryvia ; que la marge brute mensuelle moyenne s'élève au montant de 1 760 euros selon l'attestation de l'expert-comptable ; qu'il convient donc de condamner la société Ryvia à payer à Empreinte Publicitaire la somme de 5 280 euros au titre du préjudice correspondant à la rupture brutale de la relation commerciale ;

Sur les autres préjudices

Considérant qu'Empreinte Publicitaire soutient qu'elle a subi un préjudice résultant des investissements (achat de matériels) qu'elle a réalisés pour répondre aux commandes de Ryvia ;

Mais considérant qu'il résulte des pièces communiquées qu'une facture est datée du 5 février 2010, soit avant la première commande de Ryvia du 9 février 2010 ; qu'une autre facture date du 9 mars 2010, soit un mois après que les parties aient noué leur relation commerciale ; qu'aucun lien n'est donc établi entre les investissements invoqués par Empreinte Publicitaire et les relations commerciales avec Ryvia ; que le préjudice commercial a en outre été déjà indemnisé au titre de la perte de marge brute ;

Que, si Empreinte Publicitaire soutient également avoir été contrainte de licencier deux de ses salariés compte tenu de la perte de la société Ryvia et de verser la somme de 14 860,15 euros à Pôle Emploi, les lettres de licenciements produites, datées du 1er mars 2013, motivent le licenciement par " une baisse des commandes clients très importante " sans mentionner la perte de Ryvia ; que le lien direct entre les licenciements et la perte de Ryvia n'est donc pas établi ; qu'il en est de même pour le préjudice moral qui n'est pas démontré ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Empreinte Publicitaire de ses demandes de préjudice ;

Considérant que la société Empreinte Publicitaire n'a pas démontré une résistance abusive de la part de Ryvia, cette société n'ayant fait qu'user de son droit d'ester en justice ; que cette demande sera donc rejetée ;

Considérant que l'équité impose de condamner la société Ryvia de payer à la société Empreinte Publicitaire la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Empreinte Publicitaire de ses demandes autres que celle fondée sur la perte de marge brute, statuant à nouveau, condamne la société Ryvia à payer à la société Empreinte Publicitaire la somme de 5 280 euros au titre de son préjudice issu de la rupture brutale de ses relations commerciales avec Ryvia, déboute la société Empreinte Publicitaire de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, condamne la société Rivya à payer à la société Empreinte Publicitaire la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.