CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 4 mai 2017, n° 15-04439
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Beaufils
Défendeur :
Mandin (ès qual.), Syn Energy (SARL), BNP Paribas Personal Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grasso
Conseillers :
Mmes Jeanjaquet, Mongin
Avocats :
Mes Rouland, Goutail
Le 26 février 2013, la société Syn Energy concluait avec madame Cécilia Beaufils un contrat d'achat et de prestation de services consistant en la commande d'un ensemble photovoltaïque d'un montant de 25 900 euros TTC ainsi que son installation qui devait, selon Madame Beaufils, être financé par la société Solfea laquelle refusait d'accorder le crédit.
Un contrat de crédit était signé avec la société Sygma Banque, aux droits de qui vient la société BNP Paribas Personal Finance.
Par jugement en date du 9 décembre 2013, la société Syn Energy faisait l'objet de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par acte d'huissier du 21 juillet 2014, Madame Beaufils a fait assigner Yannick Mandin en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Syn Energy ainsi que la société Sygma Banque devant le Tribunal d'instance du 9e arrondissement de Paris.
Par jugement rendu le 2 février 2015 le tribunal d'instance a prononcé l'annulation du contrat de vente aux torts de la société Syn Energy, dit que le contrat de prêt s'en trouve annulé de plein droit et que la société Sygma Banque n'a pas manqué à ses obligations notamment lors du déblocage des fonds. Il a, par ailleurs, débouté Madame Beaufils de ses prétentions à son encontre, l'a condamnée à payer à la société Sygma Banque la somme de 25 900 euros, outre les intérêts au taux contractuel, à compter de la date de déblocage des fonds entre les mains du vendeur, l'a également condamnée à lui payer la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, a débouté la société Sygma Banque du surplus de ses prétentions et condamné Madame Cécilia Beaufils aux dépens.
Par déclaration du 25 février 2015, Madame Beaufils a interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions notifiées le 4 février 2017, l'appelante demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats de vente et de crédit et le réformer pour le surplus.
Elle demande donc à la cour de déclarer qu'elle n'est pas tenue de restituer la somme de 25 900 euros, et d'ordonner, si elle le juge nécessaire, une expertise graphologique des signatures figurant sur le contrat de crédit.
Elle demande également, en tout état de cause, de déclarer que Madame Beaufils laissera à la disposition de Maître Yannick Mandin, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Syn Energy, l'ensemble des matériels vendus durant un délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision, et que, passé ce délai, Madame Beaufils sera autorisée à disposer comme bon lui semblera desdits matériels, et notamment à les porter dans un centre de tri et de condamner la société Sygma Banque au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
A l'appui de son appel, elle fait valoir, d'une part, que le contrat de vente est nul ainsi que l'a jugé le tribunal d'instance. Il violerait en effet l'article R. 121-3 du Code de la consommation à défaut d'un formulaire de rétractation facilement détachable, l'article L. 111-1 du Code de la consommation à défaut de précisions sur les caractéristiques des biens et l'article L. 121-23 du même code régissant les contrats conclus dans le cadre d'un démarchage à domicile. Elle soutient qu'elle s'est ainsi engagée sur la base d'une offre de vente imprécise sans marque ni modèle ou descriptif technique, sans indication du coût total du crédit ou de renseignements sur les modalités de livraison et que le fait d'avoir laissé le contrat de vente s'exécuter ne signifie pas qu'elle a entendu purger ses vices de forme.
D'autre part, pour s'exonérer de la restitution du capital, elle fait valoir que le contrat de crédit est un faux, sa signature ayant été imitée pour qu'il soit antidaté, que la société de crédit n'a pas apporté la preuve qu'elle avait réglé la somme dont elle demande le remboursement, que le certificat de livraison est illisible, que la société intimée a commis des fautes en ne lui signalant pas la nullité du contrat principal relevant de son obligation, d'ordre public, d'information et de conseil puisque les contrats sont indivisibles.
Dans ses conclusions notifiées le 3 février 2017, l'intimée demande à la cour de dire et juger qu'elle vient aux droits de la société Laser, venant elle-même aux droits de la société Laser Cofinoga, laquelle venait elle-même aux droits de la société Sygma Banque, d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de vente et, en conséquence, de débouter l'appelante de ses demandes.
Subsidiairement, dans le cas où la cour prononcerait la nullité des contrats, elle lui demande de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande d'exonération de restitution et en ce qu'il a condamné l'appelante à verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, de dire et juger qu'elle a bien signé le contrat de crédit et de la débouter de ses demandes en vérification d'écriture et d'expertise graphologique mais, le cas échéant, de dire et juger que les frais d'expertise seront à sa charge.
En outre, elle lui demande de dire et juger qu'il n'y a lieu à restitution, qu'elle n'a commis aucune faute et condamner en conséquence l'appelante à lui verser les sommes de 25 900 euros correspondant au montant du capital, 10 897,76 euros à titre de dommages-intérêts du fait de la perte des intérêts en ce qu'elle n'a pas permis de déclarer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Syn Energy.
Par ailleurs, à titre infiniment subsidiaire, si la cour retenait qu'elle a commis une faute dans le déblocage des fonds, elle lui demande de dire et juger que l'appelante a agi avec déloyauté en signant un certificat qui ne refléterait pas la réalité et en ne lui permettant pas de déclarer sa créance et la condamner en conséquence à lui verser la somme de 36 797,76 euros à titre de dommages-intérêts.
A titre très infiniment subsidiaire, elle lui demande de condamner l'appelante à lui verser la somme de 25 900 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause et, en tout état de cause, de la débouter de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par Maitre Coralie Goutail, avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Sygma Banque, fait tout d'abord valoir que le contrat de vente n'est pas nul puisque le bon de commande était suffisamment précis sur les caractéristiques et les délais de livraison et conforme aux articles L. 111-1 et L. 121-23 du Code de la consommation. Elle ajoute que l'appelante s'est engagée en pleine connaissance de cause et a renoncé à invoquer la nullité du contrat de crédit en confirmant l'acte par l'acceptation de la livraison, installation et mise en service.
Ensuite, subsidiairement, elle soutient que si la cour retenait la nullité, elle devrait prononcer la remise en l'état initial dans lequel se trouvaient les parties en vertu de l'article L. 311-31 du Code de la consommation. Elle ajoute n'avoir pas commis de faute dans le déblocage des fonds, que le consentement de l'acheteuse était libre et éclairé quant au contrat de prêt. Elle soutient, en effet, qu'elle n'a pas à vérifier les éventuelles irrégularités du bon de commande sauf si elles sont manifestes; qu'en l'espèce, le certificat de livraison était régularisé sans réserve, ce qui a permis le déblocage qu'en outre, elle fait valoir que les signatures sont concordantes et que l'appelante ne démontre pas l'imitation, que le certificat n'est pas illisible et que l'expertise ne présente aucun intérêt.
Enfin, elle se prévaut de fautes commises par l'appelante consistant en une imprudence fautive en signant le certificat alors même qu'elle ne signait pas le contrat de crédit, en déclarant sa créance au passif de la liquidation sans l'assigner ainsi que le liquidateur afin de produire leurs créances. Sur les préjudices, elle soutient que la faute commune de la venderesse et de l'appelante a entraîné l'anéantissement du contrat de crédit, ce qui a empêché la banque de se voir régler le montant des intérêts qu'elle aurait dû percevoir si le contrat avait été mené à son terme.
Elle se prévaut subsidiairement de l'enrichissement sans cause pour la restitution d'une somme égale au montant du capital.
Maître Yannick Mandin, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Syn Energy, assigné en intervention forcée devant la cour par acte délivré les 3 et 10 avril 2015, à la requête de Madame Beaufils, n'a pas constitué avocat mais a écrit à la cour pour expliquer que la trésorerie de la société Syn Energy ne le lui permettait pas.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 février 2017.
A l'audience du 8 mars 2017, Madame Beaufils était présente et, compte tenu de la contestation de sa signature sur le contrat produit par la société prêteuse, a réalisé devant la cour plusieurs exemplaires de sa signature.
SUR CE,
Sur la nullité du contrat de vente
Considérant que la société BNP Paribas Personal Finance conteste la décision du tribunal d'instance qui, en application des dispositions de l'article L. 121-13 du Code de la consommation, a prononcé la nullité du contrat de vente conclu entre Madame Beaufils et la société Syn Energy, faute pour ce contrat de comporter une quelconque précision quant à la dimension, le poids, la composition, la performance, la désignation des panneaux et de l'ondulateur non plus qu'une quelconque information relative aux modalités d'exécution de la prestation de service;
Que la société BNP Paribas Personal Finance ne peut sérieusement soutenir que le consommateur sollicité à son domicile par des vendeurs est tenu "d'un devoir de vigilance, sinon de curiosité", sauf à priver de tout effet, les nécessaires dispositions protectrices de la partie faible d'un tel contrat; qu'il en va d'autant plus ainsi que la société Sygma Banque aux droits de qui elle vient, est un professionnel familier de ce type de contrat de crédit destiné à financer des installation de panneaux photovoltaïques;
Qu'en outre, cette nullité ne saurait être couverte dès lors qu'aucun élément ne permet de supposer que Madame Beaufils pouvait avoir conscience des vices affectant ce contrat;
Que le jugement ne peut qu'être confirmé sur ce point;
Qu'il doit l'être également en ce qu'il a jugé que le contrat de prêt affecté s'en trouvait, en application de l'article L. 331-32 du Code de la consommation, annulé de plein droit;
Sur les conséquences de l'annulation du contrat de prêt
Considérant qu'en principe, l'annulation d'un contrat remet les parties dans l'état antérieur à cette convention, de sorte que l'annulation du contrat litigieux devrait se traduire par la restitution par l'emprunteur du capital prêté déduction faite des sommes versées à l'organisme prêteur;
Que Madame Beaufils invoque plusieurs moyens pour s'opposer à cette restitution; qu'elle fait valoir que l'instrumentum produit par la prêteuse à l'appui de sa demande n'a pas été signé par elle et a été antidaté, que la société prêteuse ne justifie pas du versement des fonds et que la copie du document attestant de l'exécution du contrat principal est illisible;
Considérant que la société BNP Paribas Personal Finance n'oppose aucune contestation ni argumentation et ne produit aucun élément justifiant du versement de ces fonds dont elle sollicite le remboursement;
Qu'il appartient pourtant à la BNP Paribas Personal Finance de démontrer, en application de l'article 1315 du Code civil, le versement du montant du crédit entre les mains de la société Syn Energy, étant observé qu'à supposer que la copie produite du certificat de livraison du matériel soit considérée comme suffisamment lisible, ce certificat qui intervient nécessairement avant le déblocage des fonds puisque c'est ce document qui autorise l'établissement de crédit à financer l'opération, ne saurait faire la preuve de ce que le prix a bien été versé au profit du vendeur;
Que la société Syn Energy, placée en liquidation judiciaire quelques mois après la réalisation de ces travaux, et dont le liquidateur a été appelé en la cause tant en première instance qu'en appel mais n'a pas comparu, n'a pas été en mesure de confirmer ou d'infirmer la perception du prix de vente dans le cadre de la procédure et il n'est produit aucun document émanant du vendeur pouvant attester de la perception des fonds;
Considérant, en conséquence, que faute de rapporter la preuve de la remise des fonds à la société Syn Energy et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la contestation de la signature opposée par Madame Beaufils, ni sur la validité de la copie du certificat de livraison versé au débats par la société BNP Paribas Personal Finance, il ne peut être fait droit à la demande de cette société tendant à la restitution de ces fonds;
Que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef;
Que les demandes de dommages-intérêts formées par la société BNP Paribas Personal Finance, tant à titre principal que subsidiaire, ainsi que celle fondée sur l'enrichissement sans cause, ne peuvent, en l'absence de preuve du versement des fonds par elle, qu'être rejetées;
Considérant qu'il sera précisé, comme le demande Madame Beaufils, qu'elle tiendra à la disposition du liquidateur de la société Syn Energy, l'ensemble des matériels vendus durant 2 mois à compter de la signification du présent arrêt et pourra en disposer comme elle l'entend passé ce délai;
Considérant que, compte tenu de la solution adoptée, le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné Madame Beaufils aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Que la société BNP Paribas Personal Finance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'en équité, à verser à Madame Beaufils la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs : Constate que la société BNP Paribas Personal Finance vient aux droits de la société Sygma Banque; Confirme le jugement rendu le 2 février 2015 par le Tribunal d'instance du 9e arrondissement de Paris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de vente et constaté que le contrat de prêt était annulé de plein droit; L'infirme pour le surplus; Statuant à nouveau, Déboute la société BNP Paribas Personal Finance de sa demande de condamnation de Madame Cécilia Beaufils à restituer la somme de 25 900 euros; Déboute la société BNP Paribas Personal Finance de ses autres demandes; Dit que Madame Beaufils tiendra à la disposition de Maître Yannick Mandin, ès qualité de liquidateur de la société Syn Energy, l'ensemble des matériels vendus durant un délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt et pourra en disposer comme elle l'entend passé ce délai; Condamne la société BNP Paribas Personal Finance à payer à Madame Cécilia Beaufils la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens de première instance et d'appel.