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Décisions

Cass. 1re civ., 26 avril 2017, n° 14-21.298

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Chasseloup

Défendeur :

Dell (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Truchot

Avocat général :

M. Drouet

Avocats :

Me Rémy-Corlay, SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer

Poitiers, 1re ch. civ., du 12 juill. 201…

12 juillet 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 18 octobre 2009, Mme Chasseloup a acheté, sur le site Internet rueducommerce.com, un ordinateur de marque Dell équipé de logiciels préinstallés ; qu'ayant vainement demandé à la société Dell le remboursement de la partie du prix de l'ordinateur correspondant au coût des logiciels, Mme Chasseloup a assigné celle-ci en paiement ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et troisième branches : - Attendu que Mme Chasseloup fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes présentées sur le fondement des dispositions de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 et du Code de la consommation, et de limiter la condamnation de la société Dell à lui payer la somme de 250 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'une pratique commerciale d'une entreprise vis-à-vis de consommateurs s'entend, au sens de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative " aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ", de toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs ; qu'en écartant l'application de cette directive et les dispositions résultant de sa transposition au seul motif qu'aucun contrat n'avait été conclu directement entre Mme Chasseloup et la société Dell, la cour d'appel a violé l'article 3 de ladite directive ensemble les articles L. 121-1 et L. 121-1-1, et L. 122-1 du Code de la consommation ; 2°) que constitue une pratique commerciale déloyale le fait de subordonner la vente d'un bien à l'achat concomitant d'un autre bien ; que le fait pour un fabricant d'ordinateur de ne permettre l'achat d'un ordinateur spécifique qu'à la condition que le consommateur achète de façon concomitante des logiciels préinstallés sans lui permettre d'acquérir ce même ordinateur " nu " constitue une telle pratique déloyale ; qu'il est constant que la société Dell intègre dans la fabrication du modèle d'ordinateur Inspiron 1545 tel que celui acquis par Mme Chasseloup différents logiciels ; qu'en décidant de débouter Mme Chasseloup de sa demande tendant à voir qualifier ladite vente de pratique commerciale déloyale et sa demande de dommages-intérêts tout en limitant la condamnation de la société Dell au paiement de la somme de 250 euros en remboursement des logiciels préinstallés sans rechercher si Mme Chasseloup avait la possibilité de se procurer un ordinateur " nu " identique, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles L. 120-1 et L. 122-1 du Code de la consommation, interprété à la lumière de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 ; 3°) que constitue une pratique déloyale la pratique qui " repose sur des indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur " qui portent notamment sur les " caractéristiques essentielles " des biens et des services, à savoir " ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation ", " le prix ou le mode de calcul du prix " ; qu'il est constant, en l'espèce, que la société Dell intègre dans la fabrication du modèle d'ordinateur Inspiron 1545 tel que celui acquis par Mme Chasseloup différents logiciels ; que la société Dell n'informant pas de la possibilité d'achat séparé ne fournit pas le prix des logiciels ; qu'une telle pratique est constitutive d'une pratique commerciale déloyale en ce qu'elle repose sur une présentation fausse des caractéristiques essentielles du bien et des services vendus comme de leur prix et de leur mode de calcul ; qu'en refusant de dire que la pratique en cause constituait une pratique déloyale et d'accorder, en conséquence, à Mme Chasseloup des dommages-intérêts, la cour d'appel a violé les articles L. 111-1, L. 113-3, L. 120-1 et L. 122-3 du Code de la consommation interprété à la lumière de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 ;

Mais attendu, d'une part, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 7 septembre 2016, Deroo-Blanquart C-310/15) qu'une pratique commerciale consistant en la vente d'un ordinateur équipé de logiciels préinstallés sans possibilité pour le consommateur de se procurer le même modèle d'ordinateur non équipé de logiciels préinstallés ne constitue pas, en tant que telle, une pratique commerciale déloyale au sens de l'article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, à moins qu'une telle pratique ne soit contraire aux exigences de la diligence professionnelle et n'altère ou ne soit susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport à ce produit ;

Qu'après avoir énoncé qu'en l'absence de tout lien contractuel entre la société Dell et Mme Chasseloup, celle-ci ne pouvait invoquer l'existence d'une vente subordonnée de la part de cette société, la cour d'appel a examiné, en tout état de cause, par motifs propres et adoptés, si la pratique commerciale en cause était déloyale en ce qu'elle était contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altérait ou était susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service, au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction alors en vigueur, devenu L. 121-1 du même Code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;

Qu'elle a, d'abord, constaté, s'agissant de la conformité de la pratique en cause aux exigences de la diligence professionnelle, que, même si un ordinateur est doté de composants qui, à l'instar de nombreux produits manufacturés, peuvent être acquis séparément, la vente d'un tel produit équipé de tous les éléments qui permettent de le faire fonctionner selon les dernières avancées techniques recherchées par le consommateur moyen ne peut être considérée comme une vente subordonnée, dès lors que le consommateur est, comme Mme Chasseloup au moment de son achat, parfaitement avisé de l'existence de cette caractéristique ; qu'elle a relevé qu'en s'adressant à un site de vente destiné au grand public, Mme Chasseloup ne pouvait s'attendre à y trouver des appareils nus, lesquels sont généralement destinés à des consommateurs avertis et que la société Dell justifiait, au demeurant, qu'elle vendait directement des ordinateurs nus relevant de différentes gammes et susceptibles d'être équipés, par les consommateurs, de logiciels libres de leur choix, sans que ces produits soient réservés aux professionnels ; qu'elle a ajouté que Mme Chasseloup disposait de la faculté de renvoyer le produit si elle refusait, après la vente, les licences qui lui étaient proposées pour l'utilisation des logiciels dont il était équipé ;

Que la cour d'appel a, ensuite, s'agissant de l'existence ou du risque d'existence d'une altération substantielle du comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard du bien considéré, estimé que l'ordinateur litigieux avait été acheté en toute connaissance de cause par Mme Chasseloup, dès lors que le site de vente en ligne en faisait une description précise, y compris en ce qui concernait les logiciels préinstallés ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la pratique commerciale litigieuse, qui n'est pas contraire aux exigences de la diligence professionnelle et n'altère pas ou n'est pas susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen à l'égard de ce produit, ne présente pas de caractère déloyal, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte de l'article L. 121-1, II, du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable en la cause, devenu L. 121-3 du même Code, en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, qu'une pratique commerciale est trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet une information substantielle ; qu'il ressort du 3°) du même article que sont considérées comme substantielles les informations relatives au prix toutes taxes comprises et aux frais de livraison à la charge du consommateur, ou à leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance ;

Attendu que, par le même arrêt du 7 septembre 2016, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il ressort du libellé de l'article 7, paragraphe 4, sous c), de la directive 2005/29, dont l'article L. 121-1, II, 3°), du Code précité, devenu L. 121-3, 3°), en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, est la transposition en droit interne, qu'est considéré comme une information substantielle le prix d'un produit proposé à la vente, c'est-à-dire le prix global du produit, et non le prix de chacun de ses éléments, et qu'il en découle que cette disposition fait obligation au professionnel d'indiquer au consommateur le seul prix global du produit concerné ; qu'elle ajoute que, conformément au considérant 14 de la directive 2005/29, constitue une information substantielle une information clé dont le consommateur a besoin pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause ; que, selon la Cour de justice, il résulte de l'article 7, paragraphe 1, de la même directive que le caractère substantiel d'une information doit être apprécié en fonction du contexte dans lequel s'inscrit la pratique commerciale en cause et compte tenu de toutes ses caractéristiques ; qu'eu égard au contexte d'une offre conjointe consistant en la vente d'un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, l'absence d'indication du prix de chacun de ces logiciels n'est ni de nature à empêcher le consommateur de prendre une décision commerciale en connaissance de cause ni susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; que, par suite, le prix de chacun des logiciels ne constitue pas une information substantielle au sens de l'article 7, paragraphe 4, de la directive 2005/29 ; que la Cour de justice en a déduit que, lors d'une offre conjointe consistant en la vente d'un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, l'absence d'indication du prix de chacun de ces logiciels ne constitue pas une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article 5, paragraphe 4, sous a), et de l'article 7 de la directive 2005/29 ; qu'il en résulte que la pratique commerciale en cause, en ce qu'elle n'était assortie d'aucune information du consommateur sur le prix des logiciels préinstallés, n'était pas trompeuse ; d'où il suit qu'abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, le moyen n'est pas fondé en ses deuxième et troisième branches ;

Sur les quatrième et cinquième branches du même moyen, ci-après annexé : - Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 16 du Code de procédure civile ; - Attendu que, pour condamner la société Dell à payer à Mme Chasseloup la somme de 250 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que constitue une faute délictuelle autonome relevant de l'article 1382 du Code civil, le fait pour la société Dell de donner une information fausse à l'utilisateur légitime en préinstallant des logiciels dont le contrat de licence d'utilisateur final (CLUF) renvoie le cocontractant du vendeur vers ses propres services pour que soient tirées les conséquences de la non-acceptation du CLUF, sans prévoir de manière spécifique les modalités de retour de l'ordinateur, de remboursement ou d'avoir et, dès lors, sans assumer le moindre engagement professionnel à l'égard de l'utilisateur légitime lorsque l'ordinateur est vendu à ce dernier par une société tierce ayant contracté avec elle, le CLUF n'a pas été préalablement accepté par le revendeur et le consommateur refuse le CLUF proposé ;

Qu'en statuant ainsi, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur le moyen, qu'elle relevait d'office, pris de l'existence d'une faute de la société Dell, qui aurait été caractérisée par l'absence d'organisation par celle-ci de modalités de retour de l'ordinateur, de remboursement de son prix ou d'octroi d'un avoir, lorsque le contrat de licence d'utilisateur final des logiciels préinstallés n'a pas été préalablement accepté par le revendeur et en cas de refus par le consommateur de ce contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident : Rejette le pourvoi principal ; Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Dell à payer à Mme Chasseloup la somme de 250 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts légaux, l'arrêt rendu le 12 juillet 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Poitiers, autrement composée.