CA Orléans, ch. civ., 24 avril 2017, n° 15-03295
ORLÉANS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louis Blanc
Conseillers :
Mmes Guyon-Nerot, Renault-Malignac
Désireuse de procéder au remplacement de sa chaudière, Madame Jeannine L. s'est adressée à la société D. S. Manuel qui lui a fourni, posé, installé et mis en service une chaudière de marque De Dietrich, établissant une facture au montant de 4 947,10 euros acquittée le 21 novembre 2012, jour de la pose.
Estimant que cet appareil ne répondait pas à ses besoins et cumulait de graves inconvénients, elle a fait procéder à une mesure de constat, le 6 janvier 2013, et vainement tenté, de février à avril 2013, de se rapprocher de la société D. S. Manuel, par l'intermédiaire d'une association de consommateurs puis par son conseil avant de l'assigner en nullité de cette vente et en remboursement des frais avancés, ceci selon acte du 18 décembre 2013.
Par jugement contradictoire rendu le 7 août 2015, le Tribunal d'instance de Tours a, en substance et sans assortir sa décision de l'exécution provisoire, prononcé la nullité du contrat de fourniture et de pose de ladite chaudière, condamné la société D. S. Manuel à restituer à Madame L. la somme de 4 917,10 euros à compter du 21 novembre 2012, ordonné la reprise de cette chaudière par cette société et la remise des lieux en leur état antérieur à son intervention en la condamnant à verser à la requérante la somme indemnitaire de 1 000 euros, celle de 900 euros au titre de ses frais non répétibles et à supporter les dépens dont sera exclu le coût de l'article 10 du décret du 12 décembre 2012.
Par dernières conclusions notifiées le 18 décembre 2015 la société à responsabilité limitée D. S. Manuel, appelante, demande à la cour, au visa des articles 1108, 1110, 1115, 1134, 1147 du Code civil et L. 110-1 du Code de la consommation, d'infirmer le jugement, de débouter Madame L. de l'intégralité de ses prétentions en la condamnant à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 10 février 2016, Madame Jeannine L. prie la cour, au visa des articles 1110, 1116 et suivants, 1134 du Code civil, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société appelante de l'ensemble de ses prétentions en la condamnant à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Sur ce,
Attendu, s'agissant du périmètre de la saisine de la cour, que pour prononcer l'annulation du contrat le tribunal a retenu que le dol par réticence était constitué ; que l'intimée poursuit la confirmation du jugement en invoquant le seul fondement de l'article 1116 du Code civil, ajoutant simplement que la jurisprudence considère également que si le manquement à l'obligation précontractuelle d'information est intentionnel et qu'il a provoqué une erreur, cela caractérise le dol par réticence ;
Que c'est par conséquent vainement que l'appelante, visant l'article 1110 alinéa 1 du même Code, consacre des développements à cet autre vice du consentement que constitue l'erreur sur les qualités substantielles ;
Sur la validité du contrat
Attendu que pour voir infirmer le jugement, la société D. S. Manuel soutient que les conditions requises pour retenir le dol ne sont pas satisfaites ; qu'elle n'a pas méconnu son obligation d'information et bien précisé les fonctions de la chaudière litigieuse, en particulier sa capacité de 24 kw et l'existence d'un chauffe-eau qu'elle n'a ni installé ni relié puisqu'elle en disposait déjà ; que n'est que prétendue l'erreur provoquée tenant à sa taille (laquelle n'est supérieure que de " quelques millimètres " à l'installation précédente) puisque Madame L. était présente, comme sa fille et son gendre, lors d'une installation qu'elle n'a contestée que passés trois mois et qu'il est mensonger de soutenir que le matériel est inadapté à ses besoins ; qu'en outre, le modèle de chaudière sur pieds voulu par la cliente n'existait qu'avec une puissance de 24 kw, ce qui correspondait au demeurant à la surface et à la qualité d'isolement des lieux à chauffer, et qu'un modèle mural d'une puissance de 12 kw, qui se serait mis en route plus souvent en augmentant sa consommation d'énergie, aurait de plus nécessairement conduit à changer l'actuelle tuyauterie en générant un coût qu'elle lui a évité ; qu'enfin, faisant état d'interventions antérieures au domicile de Madame L. ou de sa fille et de son " grand professionnalisme ", elle estime que pour établir la volonté de tromper de son cocontractant, Madame L. se borne à se prévaloir du fait que le professionnel a vendu un matériel inadapté à un consommateur profane ;
Que, rappelant à cet égard que la charge de la preuve des manouvres dolosives pèse sur la demanderesse à l'action et estimant que celle-ci n'est ici motivée que par les difficultés de compréhension du fonctionnement de cette chaudière, elle porte une appréciation critique sur le contenu des diverses pièces étayant la demande, qu'il s'agisse du constat d'huissier duquel il ne ressort qu'une simple restriction d'accessibilité, de l'avis d'un autre professionnel, la société P., qui ne s'est pas déplacée sur les lieux pour évaluer les besoins factuels et émet des réserves quant au bâti, ou des observations figurant sur la facture d'entretien de la société Gedef relatif à l'absence de dispositif facilitant le démontage du conduit dès lors qu'il n'est qu'optionnel et générateur, lui aussi, d'un coût supplémentaire ;
Qu'elle en conclut qu'aucun élément objectif ne vient démontrer qu'elle a commis un dol ou manqué à une obligation contractuelle ;
Attendu, ceci rappelé, qu'il est constant qu'une simple réticence peut être constitutive de dol lorsque, comme en l'espèce, un professionnel contracte avec un consommateur profane et manque à son obligation de renseignement ou de bonne foi lors de la conclusion du contrat en omettant de fournir à son cocontractant des informations de nature à influer sur son consentement ;
Qu'il ressort de la procédure et des pièces versées aux débats que, contrairement aux affirmations de la société D. S. Manuel selon lesquelles le seul inconvénient dont Madame L. a pu se plaindre, mais auquel elle a remédié en lui fournissant des explications supplémentaires, tient à la difficulté que, personne âgée, elle rencontre dans le maniement de cet appareil, les éléments dont se prévaut Madame L. pour voir juger que si elle en avait eu connaissance, elle n'aurait pas contracté comme elle l'a fait ne peuvent être tenus pour négligeables ou inopérants ;
Que par les pièces qu'elle produit l'intimée démontre, en effet, que la chaudière installée n'est pas, comme le fait valoir la société appelante, d'une emprise au sol supérieure de quelques millimètres à celle qui a été remplacée mais de plus du double de la précédente, l'huissier le constatant à partir des découpes antérieurement pratiquées dans le linoéum ; qu'il constate également que pour accéder à la face avant de la chaudière, il doit " se glisser entre le ballon électrique et la chaudière " et qu'en aplomb, il existe un passage de 21,50 centimètres (pièce 9), étant de plus observé que les photographies montrent que seul ce passage permet d'accéder à une fenêtre en fond de pièce ;
Que la complexité d'accès au conduit d'évacuation par ailleurs constatée par l'huissier se trouve confortée par les observations de la société Gedef SARL ayant réalisé une prestation portant sur l'entretien de cette chaudière De Dietrich et qui figurent sur sa facture datée du 28 décembre 2014, à savoir : " lors de notre intervention nous avons constaté que le démontage du conduit de raccordement et de la buse des fumées est compliqué, il n'a pas été prévu de dispositif permettant le démontage. Nous avons donc été obligés de démonter la collerette située sur la boîte à fumée pour réussir à glisser le conduit de raccordement et procéder à l'entretien de la chaudière " (pièce 10) ;
Que la volonté d'épargner à sa cliente des surcoûts ne résulte que des assertions de la société appelante ; que force est de considérer que pour justifier de la puissance du modèle de chaudière qu'elle a installé, elle se prévaut, sans en rapporter la preuve, du refus opposé par sa cocontractante à l'installation d'une chaudière murale dont des modèles, de moindre puissance, auraient été disponibles sur le marché ; qu'elle tire également argument de la modification de la tuyauterie qu'aurait requis une telle installation sans pour autant justifier de son coût ; qu'affirmant qu'un modèle de moindre puissance aurait généré une consommation plus importante du fait d'une intensification de ses mises en route, l'appelante ne peut valablement contester la pertinence de l'avis fourni par l'entreprise P. (qu'elle ne cite que partiellement) au motif qu'elle ne s'est pas rendue sur les lieux et n'a pu en constater le manque d'isolation dès lors que celle-ci prend en compte cette donnée, écrivant le 30 août 2013 : "pour un volume de 267 m3 cela doit correspondre à une habitation de plus ou moins 100 m2 au sol - avec une isolation nulle ou négligeable, une puissance de 12kw suffit ou avec une bonne isolation, 8kw. Cela dépend du bâti" (pièce 5 de l'appelante) ;
Qu'enfin, s'agissant de la capacité de l'appareil installé à produire de l'eau chaude, le document commercial relatif à une chaudière référencée Elitec DTG 130 Eco.Nox "pour chauffage seul" de 18 à 48 kw que verse l'appelante (pièce 1) ne peut se rapporter à la chaudière telle que référencée dans la facture en cause, soit : " Elitel DTG 130 Eco'24 kw" ni à la référence semblablement précisée tant par l'huissier que par la société Gedef en charge de l'entretien, à savoir': "DTG 135 Econox" ; que dans ce contexte incertain quant au modèle précisément vendu, la société D. S. Manuel ne saurait, sans se contredire, se prévaloir d'un tel document attestant de l'existence de chaudières "chauffage seul" et dire, pour se défendre d'avoir vendu un appareil aux fonctionnalités inutiles, que "la chaudière en question (...) est, il vrai, livrée comme toutes les chaudières avec des départs d'eau froide et d'eau chaude, un pour le chauffage et l'autre pour un éventuel ballon d'eau chaude" ;
Que le professionnel qu'est la société D. S. Manuel, sur qui pèse une obligation de renseignement et à qui il est reproché une réticence dolosive sur des éléments dont elle conteste sans pertinence le caractère déterminant, ne prouve pas l'exécution loyale de son obligation à l'égard de cette personne âgée qui lui faisait toute confiance si ce n'est par ses assertions selon lesquelles elle a "préféré conseiller à Madame L. cette chaudière" ; qu'en dépit de la référence à un devis du 5/11/2012 figurant en première ligne de sa facture, elle ne le produit pas plus devant la cour qu'en première instance ni ne justifie de propositions alternatives que, dans les circonstances de l'espèce, il lui appartenait de porter à la connaissance de sa cliente profane lors de la formation du contrat ;
Qu'il en résulte que Madame L. est fondée à se prévaloir d'un vice de son consentement tenant à une erreur provoquée et à poursuivre la nullité du contrat ; que doit être confirmé le jugement qui en décide ainsi et fait produire ses pleins effets à cette nullité ;
Sur la demande indemnitaire de Madame L.
Attendu que faculté est ouverte à la victime d'un vice du consentement d'agir en responsabilité délictuelle si elle a subi un préjudice causé par ce vice ;
Que si la société D. S. Manuel poursuit l'infirmation du jugement qui l'a notamment condamnée à verser à Madame L. une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en retenant l'existence d'un préjudice de jouissance, il y a lieu de relever que l'appelante ne débat, dans le corps de ses conclusions, que de l'absence de dol et d'erreur sur les qualités substantielles ainsi que de son respect des devoirs d'information et de conseil pesant sur le professionnel alors qu'aux termes de l'article 954 du Code de procédure civile "la partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance" ;
Qu'en l'absence de moyens de fait et de droit venant étayer cette demande d'infirmation, il y a lieu de considérer que la cour n'est pas saisie de ce chef de prétentions ;
Sur les autres demandes
Attendu que l'équité conduit à allouer à Madame L. une somme complémentaire de 1 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que l'appelante qui succombe sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux dépens d'appel ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement et, y ajoutant ; Condamne la société D. S. Manuel SARL à verser à Madame Jeannine L. une somme complémentaire de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.