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Décisions

Cass. 1re civ., 26 avril 2017, n° 16-14.036

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Conseil National de l'Ordre des Chirurgiens-Dentistes

Défendeur :

Association pour le Developpement de l'Accès aux Soins Dentaires Addentis, Confédération Nationale des Syndicats Dentaires, Fédération Nationale des Centres de Santé, Syndicat des Chirurgiens-Dentistes de Seine-Saint-Denis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Duval-Arnould

Avocat général :

M. Drouet

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano

Paris, pole 4, ch. 9, du 18 févr. 2016

18 février 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'Association pour le développement de l'accès aux soins dentaires Addentis (l'association), dont l'objet est la création et la gestion de centres de santé dentaires, a ouvert, en Seine-Saint-Denis, le centre du Moulin, à Bondy dont le journal Le Parisien, la revue Reflets et d'autres médias, n°tamment l'émission Capital, diffusée sur la chaîne de télévision M6, ont fait l'écho, puis le centre des Quatre Chemins à Aubervilliers et le centre Pablo Picasso à Bobigny ; que l'association a également créé un site internet et des plaquettes de présentation ; que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (le conseil national) et la Confédération nationale des syndicats dentaires (la confédération), estimant que l'association avait recouru à des procédés publicitaires pour promouvoir son activité au détriment des cabinets dentaires situés à proximité et ainsi commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre des chirurgiens-dentistes exerçant à titre libéral, l'ont assignée afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêts, la publication de la décision et une injonction de cesser immédiatement tout acte publicitaire et tout acte de concurrence déloyale ; que la Fédération nationale des centres de santé (la fédération) et le Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis (le syndicat) sont intervenus volontairement à l'instance ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° N 16-14.036, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième, septième et huitième branches, et sur le moyen unique du pourvoi n° N 16-15.278, pris en ses première et deuxième branches, réunis : - Attendu que le conseil national, le syndicat et la confédération font grief à l'arrêt de juger que l'association n'est pas soumise aux dispositions issues du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes, alors selon le moyen : 1°) que lorsqu'une personne morale exerce une activité réglementée par l'intermédiaire de collaborateurs qu'elle rémunère, elle est tenue de respecter les règles déontologiques applicables aux professionnels qu'elle emploie, si bien qu'en retenant que le Code des chirurgiens-dentistes n'était pas opposable à l'association après avoir constaté que son seul objet est la fourniture de soins dentaires par des chirurgiens-dentistes salariés, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que, selon l'article R. 4127-215 du Code de la santé publique, la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce ; que sont notamment interdits tous procédés directs ou indirects de publicité ; que cette interdiction s'applique à tout procédé publicitaire ayant pour objet de promouvoir une offre de soins dentaires ne pouvant être réalisée que par des chirurgiens-dentistes quelle que soit la personne physique ou morale donneur d'ordre, si bien qu'en retenant que les dispositions précitées du Code de déontologie ne s'appliquaient pas à la promotion par l'association de l'offre de soins dentaires réalisée par les chirurgiens-dentistes qu'elle emploie, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 3°) que les contrats conclus entre l'association et les chirurgiens-dentistes disposaient, comme condition déterminante de leur convention, que chacune des parties doit respecter les obligations légales ou réglementaires qui lui sont imposées et notamment : en ce qui concerne le chirurgien-dentiste, les dispositions du Code de la santé publique et du Code de déontologie en ce qui concerne l'association, les dispositions impératives résultant de ses agréments étant précisé que les obligations de l'une des parties s'imposent de plein droit à l'autre partie, si bien qu'en retenant que cette clause ne peut signifier, contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, que l'association a entendu se soumettre elle-même au Code de déontologie des praticiens qu'elle emploie, la cour d'appel a méconnu la volonté claire des parties, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 4°) qu'en retenant que l'interdiction de la publicité pour l'offre de soins d'un centre dentaire serait impossible à mettre en œuvre puisqu'un centre de santé peut avoir vocation à proposer une offre de soins multidisciplinaire en embauchant des praticiens de spécialités différentes soumis à une réglementation et des règles déontologiques propres à chaque spécialité médicale et qui pourraient même être contradictoires entre elles et qu'une structure unique ne pourrait donc respecter à son niveau, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs hypothétiques, violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) qu'en retenant que les centres de santé doivent se soumettre en outre, aux dispositions des articles du Code de la santé publique issus de la loi HPST du 21 juillet 2009 et du décret du 30 juillet 2010 et que ces textes peuvent être en contradiction avec les règles déontologiques des professions médicales qu'ils emploient, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs hypothétiques, violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile ; 6°) qu'il résulte de l'article R. 4127-218 du Code de la santé publique que les seules indications qu'un chirurgien-dentiste est autorisé à faire figurer sur une plaque professionnelle à la porte de son immeuble ou de son cabinet sont ses nom, prénoms, sa qualité, sa spécialité et les diplômes, titres ou fonctions reconnus par le conseil national avec la possibilité d'y ajouter l'origine de son diplôme, les jours et heures de consultation ainsi que l'étage et le numéro de téléphone, et des articles R. 1111-21 et suivants du même Code que tous les professionnels de santé sont également tenus à une obligation d'affichage des tarifs qu'ils pratiquent, si bien qu'en retenant que les obligations d'affichage résultant des dispositions de l'article D. 6323-5 du Code de la santé publique seraient incompatibles avec celles applicables aux chirurgiens-dentistes, la cour d'appel a violé les textes précités ; 7°) qu'en vertu de l'article R. 4127-201 du Code de la santé publique, le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes s'applique à tout chirurgien-dentiste inscrit au tableau de l'ordre, à tout chirurgien-dentiste exécutant un acte professionnel dans les conditions prévues à l'article L. 4112-7 ou par une convention internationale, quelles que soient sa forme ou sa structure d'exercice professionnel ; qu'il résulte de ces dispositions que les prescriptions du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes s'appliquent non seulement aux praticiens eux-mêmes mais aussi aux personnes morales constituant les structures d'exercice des praticiens ; que, par suite, en jugeant que le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes ne s'appliquait qu'aux praticiens eux-mêmes et non à l'association, aux motifs que les textes relatifs aux centres de santé ne prévoyaient pas expressément que ceux-ci étaient tenus de respecter les règles déontologiques des praticiens qu'ils emploient, la cour d'appel a violé l'article R. 4127-201 du Code de la santé publique ; 8°) qu'en tout état de cause, les contrats de travail conclus entre l'association et les chirurgiens-dentistes travaillant en son sein stipulaient, comme une condition déterminante de leur convention, que chacune des parties devait respecter les obligations légales ou réglementaires qui lui sont imposées et notamment : en ce qui concerne le chirurgien-dentiste, les dispositions du Code de la santé publique et du Code de déontologie ; en ce qui concerne l'association, les dispositions impératives résultant de ces agréments, puis précisaient que les obligations de l'une des parties s'imposent de plein droit à l'autre partie ; qu'il s'évinçait des termes clairs de ces stipulations que l'association s'était contractuellement engagée à respecter elle-même les règles déontologiques s'imposant aux chirurgiens-dentistes, de sorte qu'en jugeant que ces stipulations ne pouvaient signifier que l'association avait entendu se soumettre au Code de déontologie des praticiens qu'elle emploie, la cour d'appel a dénaturé les contrats de travail produits devant elle, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que, selon l'article R. 4127-201 du Code de la santé publique, les dispositions du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes s'imposent à tout chirurgien-dentiste inscrit au tableau de l'ordre et à tout chirurgien-dentiste exécutant un acte professionnel dans les conditions prévues à l'article L. 4112-7 du même Code ou par une convention internationale, quelle que soit la forme d'exercice de la profession, et s'appliquent également aux étudiants en chirurgie dentaire ; que ces dispositions ne régissent que ces professionnels et ne peuvent être opposées aux personnes morales qui les emploient ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel en a, à bon droit, écarté l'application à l'égard de l'association ;

Attendu, d'autre part, que c'est par une interprétation nécessaire des dispositions ambiguës des contrats de travail conclus avec les chirurgiens-dentistes salariés, qu'elle a estimé que l'association n'avait pas entendu se soumettre elle-même aux dispositions du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes ; d'où il suit que le moyen, inopérant en ses autres griefs qui critiquent des motifs surabondants de l'arrêt, n'est pas fondé ;

Mais sur les cinquième et sixième branches du moyen unique du pourvoi n° N 16-15.278 : - Vu l'article 1382, devenu 1240 du Code civil, ensemble les articles L. 6323-1 et R. 4127-215 du Code de la santé publique ; - Attendu que, s'il incombe à un centre de santé, régi par les dispositions de l'article L. 6323-1 du Code susvisé et soumis pour son activité aux conditions de fonctionnement prévues aux articles D. 6323-2 et suivants du même Code, de délivrer des informations objectives relatives, notamment, aux prestations de soins dentaires qu'il propose au public, il ne peut, sans exercer de concurrence déloyale, recourir à des procédés publicitaires concernant ces prestations, de nature à favoriser le développement de l'activité des chirurgiens-dentistes qu'il emploie, dès lors que les chirurgiens-dentistes sont soumis, en vertu de l'article R. 4127-215 du Code précité, à l'interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité ;

Attendu que, pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'association, l'arrêt retient que, n'étant pas soumise aux dispositions du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes, celle-ci n'a pas d'interdiction de faire de la publicité, que les actes de promotion ne profitent pas aux praticiens salariés exerçant leur activité au sein de ses centres de santé et ne mentionnent pas leur nom, qu'ils ne consistent pas en une publicité comparative et/ou trompeuse pouvant caractériser une faute à l'origine d'une concurrence déloyale, que l'association s'est bornée à relayer l'existence d'une offre de soins dentaires de qualité et que les actes de promotion sont destinés à une population ciblée par les statuts de l'association et les objectifs assignés par la loi aux centres de santé ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que l'association avait procédé à des actes de promotion de l'activité de ses centres et que ces actes dépassaient le cadre de la simple information objective sur les prestations offertes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, sauf en ce qu'il déclare recevables les interventions volontaires de la Fédération nationale des centres de santé et du Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis ainsi que l'action de celui-ci, l'arrêt rendu le 18 février 2016, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne l'association Addentis aux dépens.