Livv
Décisions

Cass. com., 11 mai 2017, n° 16-13.464

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Jean Leroy (Sté)

Défendeur :

AGCO distribution (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Orsini

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, SCP Piwnica, Molinié

T. com. Rennes, du 23 mai 2013

23 mai 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2016), que la société Etablissements Jean Leroy (la société Leroy) a conclu, en 1971, un contrat de concession avec la société Massey Ferguson puis, après le rachat de cette société par le groupe américain AGCO, plusieurs autres contrats de concession avec la société AGCO distribution, filiale française de ce groupe, distributeur en France des matériels de la marque ; que le dernier contrat, conclu le 30 novembre 2005 pour une durée indéterminée, prévoyait qu'en contrepartie d'un engagement de non-concurrence et d'exclusivité de marque, la société Leroy disposerait de l'exclusivité de la distribution des produits sur un territoire donné ; que, par lettre du 28 janvier 2010, la société AGCO a notifié à la société Leroy sa décision de mettre fin à leur relation commerciale au 31 janvier 2012 et de lever l'exclusivité territoriale au 1er août 2010 ; que la société Leroy a assigné la société AGCO en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Leroy fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie alors, selon le moyen : 1°) que le contrat de concession conclu le 1er novembre 1971 par la société Leroy avec la société Massey-Ferguson SA stipulait, dans son article 11, que " le contrat conclu avec M. Jean Leroy fils - Avranches le 1er novembre 1968, et reconduit tacitement par période annuelle depuis cette date, se poursuit avec les Etablissements Jean Leroy (...) " ; qu'en relevant que la société AGCO aurait manifesté sa volonté de poursuivre " les relations engagées en 1968 avec M. Leroy ", là où ces disposition claires et précises faisaient état de la poursuite du " contrat " conclu en 1968, et n'excluaient nullement que les parties aient pu, ce faisant, poursuivre une relation commerciale préexistante, dont le point de départ demeurait à préciser et échappait à toute emprise de la volonté des parties, la cour d'appel en a dénaturé la portée et violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que la durée raisonnable du préavis s'appréciant au regard de l'ancienneté des relations commerciales, la reprise d'une relation antérieure avec un partenaire qui, initialement, n'y était pas partie, si elle exige que ce dernier ait exprimé son intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée, n'est pas subordonnée à la volonté du partenaire initial, avec lequel cette relation est poursuivie ; qu'en refusant de tenir compte des contrats de distribution conclus successivement, avant 1968, par M. Jean Leroy avec la SA Massey-Ferguson, pour apprécier la durée des relations poursuivies, à partir de 1971, avec la société Leroy, sous prétexte que " lors de la signature du contrat du 1er novembre 1971 ", la société AGCO (anciennement la SA Massey-Ferguson), tout en " substituant la société Etablissements Leroy " à M. Jean Leroy, avait seulement manifesté " sa volonté de poursuivre les relations engagées en 1968 " avec ce dernier, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine des termes du contrat conclu le 1er novembre 1971 entre la société Leroy et la société Massey-Ferguson que la cour d'appel, ayant constaté, par motifs propres et adoptés, qu'il contenait une clause précisant que le contrat conclu le 1er novembre 1968 avec M. Leroy se poursuivait avec la société Leroy, a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la volonté commune des parties, que celles-ci avaient ainsi entendu poursuivre la relation commerciale nouée, en 1968, entre M. Leroy et la société Massey Ferguson et non celle qui avait pu exister, entre eux, antérieurement ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Leroy fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation ; qu'en l'espèce, pour retenir que la société Leroy n'était pas fondée à invoquer l'état de dépendance économique, par ailleurs non contesté, dans laquelle elle se trouvait à l'égard de la société AGCO au 28 janvier 2010, date de la notification de la rupture, la cour d'appel a relevé que les parties avaient entendu " aménager le préavis pour en tenir compte ", par une clause prévoyant qu'" à l'expiration des six premiers mois de préavis, et en dérogation aux dispositions de l'article 2 du présent contrat, le concessionnaire ne sera plus tenu, vis-à-vis d'AGCO, à son obligation d'exclusivité de marque, et AGCO aura en contrepartie la faculté de nommer un ou plusieurs distributeurs ou autre futurs concessionnaires AGCO sur le territoire défini à l'annexe I du présent contrat pour tout ou partie de la durée du préavis restant à courir ", ce qui constituait un " aménagement contractuel de l'exécution du préavis en cas de rupture du contrat " ; qu'en se déterminant par ces motifs, là où la société Leroy ne pouvait renoncer, par avance, aux dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et au bénéfice d'un préavis apprécié en fonction de la durée de la relation et de sa situation de dépendance économique, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ; 2°) qu'en relevant que les parties avaient entendu " aménager le préavis " par une clause prévoyant qu'" à l'expiration des six premiers mois de préavis, et en dérogation aux dispositions de l'article 2 du présent contrat, le concessionnaire ne sera plus tenu, vis-à-vis d'AGCO, à son obligation d'exclusivité de marque, et AGCO aura en contrepartie la faculté de nommer un ou plusieurs distributeurs ou autre futurs concessionnaires AGCO sur le territoire défini à l'annexe I du présent contrat pour tout ou partie de la durée du préavis restant à courir ", ce qui constituait un " aménagement contractuel de l'exécution du préavis en cas de rupture du contrat ", cependant que cette clause, si elle autorisait le concédant à lever l'exclusivité au bout de 6 mois, ne préjugeait nullement le caractère suffisant du préavis de rupture totale et ne dispensait pas la cour d'appel de rechercher si, eu égard à son état de dépendance économique, la société Leroy avait disposé d'un délai suffisant pour se réorganiser, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) que la durée du préavis à respecter pour rompre une relation commerciale établie s'apprécie en se plaçant à la date de notification de la rupture ; qu'en estimant suffisant le délai de 24 mois dont la société Leroy avait bénéficié, nonobstant les investissements immobiliers réalisés très peu de temps avant la rupture, motifs pris de ce que la société Leroy n'avait " pas perdu le bénéfice de ces investissements pour ses autres activités et ses éventuelles activités futures ", la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que, dans ses conclusions d'appel, la société Leroy faisait valoir, sans être d'ailleurs contredite sur ce point par la société AGCO, que la saison de vente des matériels agricoles ne débute qu'en fin d'été, et en déduisait que le préavis de 24 mois ouvert par le courrier du 24 janvier 2010 ne lui avait permis de ne bénéficier, pour se réorganiser, que d'une seule et unique saison complète, celle allant de l'été 2010 à l'été 2011 ; qu'en affirmant, sans apporter la moindre réponse à ce moyen péremptoire, que la société Leroy ne pouvait se " plaindre de ce que le cycle des ventes n'avait pas été pris en compte par le délai octroyé, bénéficiant de deux saisons pleines ", la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société AGCO avait, lors de la notification de la rupture par lettre du 28 janvier 2010, informé la société Leroy de sa volonté, conformément aux stipulations contractuelles, de lever les clauses d'exclusivité au 1er août 2010 afin de permettre aux parties de réorganiser leurs affaires avant la rupture qui interviendrait 18 mois plus tard, l'arrêt retient que l'état de dépendance économique de la société Leroy, résultant des clauses d'exclusivité territoriale et d'approvisionnement stipulées au contrat, a ainsi été pris en compte ; qu'il relève que le bénéfice des investissements immobiliers réalisés par la société Leroy, peu de temps avant la rupture, n'était pas perdu pour ses autres activités et ses éventuelles activités futures ; qu'en cet état, c'est souverainement que la cour d'appel, qui s'est placée à la date de la notification de la rupture pour apprécier la durée du préavis suffisant et qui a effectué la recherche invoquée à la deuxième branche, a retenu que, compte tenu de la durée de la relation commerciale et des circonstances entourant la rupture, le délai de préavis de 24 mois dont avait bénéficié la société Leroy était suffisant ;

Et attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a retenu que le préavis octroyé avait permis à la société Leroy de bénéficier de deux saisons de vente ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Leroy fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que si elle n'est pas assimilable à une rupture partielle de la relation lorsqu'elle intervient conformément aux stipulations contractuelles qui la régissaient initialement, la cessation de l'exclusivité consentie à un distributeur le devient, nécessairement, dès lors qu'elle résulte de la mise en œuvre d'une clause imposée, unilatéralement, en cours de relation, à un partenaire placé en situation de dépendance économique ; qu'en se bornant à relever que la société Leroy, faute de les avoir contestées avant de signer le contrat du 30 novembre 2005, ne justifiait pas que la société AGCO ait pu lui imposer les dispositions de l'article 10, alinéa 2, dudit contrat, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la situation de dépendance économique de la société Leroy et l'injonction qui lui avait été faite de signer, sans pouvoir les négocier, " l'ensemble des articles et mentions " du contrat du 30 novembre 2005, sous peine de résiliation immédiate, n'établissaient pas que cette dernière avait été contrainte de les accepter, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) que s'il n'interdit pas aux parties de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation ; qu'en retenant que la société Leroy n'était pas fondée à prétendre que la levée de l'exclusivité dont elle bénéficiait avec un préavis de 6 mois constituait une rupture partielle et brutale de la relation commerciale, aux motifs que l'article 10, alinéa 2, du contrat de concession, qui prévoyait " à l'expiration des six premiers mois du préavis (...) un abandon réciproque et concomitant par les parties de leurs obligations d'exclusivité territoriale et d'approvisionnement exclusif ", constituait un " aménagement contractuel de l'exécution du préavis en cas de rupture du contrat ", cependant que cette clause ne la dispensait pas de rechercher si la levée de l'exclusivité territoriale, 6 mois après la décision de rupture, n'avait pas placé la société Leroy dans l'impossibilité de mettre à profit le préavis pour se réorganiser, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que sous le couvert du grief infondé de défaut de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, des éléments de fait qui lui étaient soumis et dont elle a déduit que la société Leroy ne justifiait pas que la clause litigieuse lui avait été imposée par la société AGCO ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que la société AGCO avait exprimé, lors de la notification de la rupture, sa volonté de faire application de l'article 10, alinéa 2, du contrat, afin de permettre aux parties de réorganiser leurs affaires avant la rupture, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que cette disposition permet, d'un côté, au concédant de vendre ses produits par l'intermédiaire d'autres revendeurs et, de l'autre, au concessionnaire, de rompre le plus tôt possible l'interdiction de vendre d'autres marques et de se limiter à un territoire donné, afin de faciliter sa reconversion commerciale et, par motifs propres, que cette clause, qui prévoit un abandon réciproque et concomitant, par les parties, de leurs obligations d'exclusivité territoriale et d'approvisionnement exclusif et constitue l'aménagement contractuel de l'exécution du préavis, n'a pas pour effet de déroger aux dispositions impératives de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; qu'il retient encore que cet aménagement du préavis a permis de tenir compte de l'état de dépendance économique de la société Leroy et qu'eu égard à la durée de la relation commerciale et aux circonstances entourant la rupture, la société Leroy a bénéficié d'un délai de préavis qui apparaît suffisant ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir qu'elle a apprécié le caractère suffisant du préavis dont avait bénéficié la société Leroy en tenant compte du délai nécessaire à la reconversion ou à la réorientation commerciale de son activité, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la seconde branche, a pu statuer comme elle a fait ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.