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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mai 2017, n° 15-16638

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Leloup (ès qual.), Cambronne Autos (Sté)

Défendeur :

Honda Motor Europe Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Boursier, Poupet, Ingold, Landault

TGI Paris, du 18 juin 2015

18 juin 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Honda Motor Europe (ci-après Honda) importe et distribue en France les véhicules automobiles et les motocycles de la marque Honda, par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs.

La société Cambronne Autos était l'un des concessionnaires de la société Honda.

Le 1er octobre 1994, la société Honda a signé un contrat de concession exclusive, pour la branche automobile de la société Honda, avec la société Cambronne Autos sur plusieurs quartiers du 7e et 15e arrondissements de Paris. À la suite de la disparition d'un autre concessionnaire à Montrouge, il a été ajouté dans le périmètre de la société Cambronne Autos, le 14e arrondissement de Paris et une partie du département des Hauts de Seine jouxtant la ville de Cachan.

Le 2 janvier 1996, un nouveau contrat a été conclu, suite à l'entrée en vigueur du règlement d'exemption automobile n° 1475/95.

En 2000, un concessionnaire de la région parisienne (Legendre Autos Sport) a proposé l'achat du fonds de commerce de la société Cambrone Autos et la reprise du contrat de concession pour un prix global de 3 000 000 euros. La négociation a abouti à un accord mais la société Honda a refusé de donner son agrément au repreneur.

La société Cambronne Autos a alors arrêté l'exploitation du site de Montrouge.

Par la suite, la société Cambronne Autos a sollicité l'autorisation de la société Honda pour adjoindre une activité motos à son activité autos. Ainsi, avec l'accord de la société Honda, la société Cambronne Auto a racheté la société Studio 15, propriétaire d'un fonds de commerce de motocycles dans le 15e arrondissement de Paris.

Par lettre du 19 avril 2000, la société Cambronne Autos a manifesté son souhait à Honda de vendre l'activité automobile.

Le 23 mars 2001, un contrat de concession a été signé entre la société Honda et la société Studio 15.

À partir de 2002, l'activité motos de la société Studio 15 a été transférée au sein du local loué par la société Cambronne Autos dans le 15e arrondissement de Paris. Par courrier du 23 juillet 2002 et du 12 février 2003, la société Honda a signalé à la société Cambronne Autos l'insuffisance de ses résultats au regard des objectifs.

Le 7 août 2003, un nouveau contrat de concession automobile a été signé entre la société Honda et la société Cambronne Autos, à la suite de l'entrée en vigueur du règlement d'exemption automobile n° 1400/2002.

Courant 2004, des discussions ont eu lieu entre la société Cambronne Autos et le groupe Bernier, présenté par la société Honda, aux fins de reprise des activités de la société Cambronne Autos. Le 9 juin 2005, un compromis de vente a été signé entre la société Cambronne Autos et la société All Cars, détenue par Monsieur Bernier. Toutefois, la transaction n'a pas abouti, Monsieur Bernier ayant fait jouer l'une des conditions suspensives du compromis.

En janvier 2006, la société Honda a fait l'acquisition d'un bail, rue Falguière, à Paris. L'exploitation des locaux a été confiée en location-gérance le 20 août 2007 à la société DWA, avec laquelle un contrat de concession a été signé le 3 septembre 2007. De nouvelles discussions ont eu lieu, au mois d'octobre 2006, entre la société Cambronne Autos et la société Sogecor. Toutefois, la société Honda a refusé d'agréer la société Sogecor pour l'activité autos.

Parallèlement, par courrier du 19 décembre 2006, la société HSBC a informé la société Honda qu'elle dénonçait la caution bancaire consentie à la société Cambronne Autos en garantie de ses engagements vis-à-vis de la société Honda. La société Honda a alors demandé à la société Cambronne Autos de fournir une nouvelle caution avant le 22 mars 2007. En l'absence d'une telle caution, la société Honda a suspendu les commandes à compter du 23 mars 2007. La société Cambronne Autos a proposé des garanties en substitution de la caution bancaire, refusées par la société Honda.

Par courrier en date du 7 mai 2007, la société Honda a notifié à la société Cambronne Autos sa décision de mettre fin au contrat de concession du fait de l'absence de fourniture, par la société Cambronne Autos, d'une caution bancaire.

La société Studio 15 continuait quant à elle son activité de concessionnaire motos dans les locaux de la société Cambronne Autos jusqu'au 31 décembre 2007, date du terme contractuel.

Le 2 juillet 2009, la société Cambronne Autos a été placée en liquidation judiciaire, tout comme la société Studio 15.

Le 2 avril 2012, la Selafa MJA, ès qualités de mandataire de la société Cambronne Autos, a assigné la société Honda devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir celle-ci condamner à lui payer, à titre principal, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et subsidiairement des articles 1134 et 1147 :

- une somme de 800 000 euros au titre de la perte de chance subie par la société Cambronne Autos de vendre son fonds de commerce,

- une somme de 50 000 euros au titre d'une pratique de concurrence déloyale, postérieure à la rupture du contrat.

La société concessionnaire exposait que Honda l'avait empêchée de vendre son fonds de commerce en refusant d'agréer la société Sogecor. Elle exposait également que la résiliation du contrat était abusive et, à titre subsidiaire, brutale. Sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, il était sollicité la condamnation de la société Honda à payer la somme de 749 500 euros au titre de la perte de marge subie pendant 12 mois, correspondant à la durée du préavis qui aurait dû être respectée. Il était également soutenu l'impossibilité pour elle d'exercer une activité de réparation auto après la résiliation du contrat.

Par jugement du 18 juin 2015, le Tribunal grande instance de Paris a :

- débouté la Selafa MJA agissant ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cambronne Autos de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Honda Motor Europe,

- condamné la Selafa MJA agissant ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cambronne Autos à verser à la société Honda Motor Europe la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la Selafa MJA agissant ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cambronne Autos aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la Selafa MJA, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Cambronne Autos, du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 juin 2014.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Cambronne Autos, et ses dernières conclusions notifiées le 6 mars 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer l'appel formé par la Selafa MJA, ès qualités, recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

À titre principal,

a) sur la faute résultant de l'impossibilité de présenter un successeur pour l'activité Honda,

- dire que la société Honda Motor Europe a refusé abusivement d'agréer le cessionnaire présenté par la société Cambronne Autos et de contracter avec lui,

- de manière générale, dire que la société Honda a clairement manqué à son devoir de loyauté dans l'exécution du contrat de concession avec la société Cambronne Autos en finançant notamment directement le site d'un nouvel opérateur concurrent de la société Cambronne Autos,

- dire que cette situation ainsi créée par Honda, a placé la société Cambronne Autos dans l'impossibilité de présenter un successeur,

- dire que la société Honda Motor Europe a commis des actes de concurrence déloyale vis-à-vis de la société Cambronne Autos,

b) sur la rupture du contrat,

- dire que la société Honda Motor Europe a rompu abusivement le contrat de concession signé avec la société d'exploitation Cambronne Autos,

À titre subsidiaire,

Vu l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce,

Subsidiairement, les articles 1134 et 1147 du Code civil,

- dire que la société Honda Motor Europe a rompu dans les faits le contrat dès le mois de mars 2007 et s'est rendue coupable d'une rupture brutale de la relation commerciale,

- dire que la société Honda Motor Europe a commis une faute en refusant d'approvisionner la société Cambronne Autos en véhicules neufs et pièces détachées pendant la période de préavis accordée alors que la société Cambronne Autos présentait des garanties de paiement,

- dire que la société Honda Motor Europe a commis une faute en indiquant aux utilisateurs de véhicules Honda qu'ils perdraient leur garantie en cas de réparation au sein d'un garage indépendant,

- dire que cette faute est constitutive d'un acte de concurrence déloyale préjudiciable à la société d'exploitation Cambronne Autos, en conséquence,

À titre principal,

- condamner la société Honda Motor Europe à payer une somme de 800 000 euros à la Selafa MJA ès qualités au titre de la perte de chance de vendre son fonds de commerce,

- condamner la société Honda Motor Europe à payer une somme de 50 000 euros à la Selafa MJA, ès qualités, au titre de ses agissements anticoncurrentiels postérieurs à la rupture du contrat,

À titre subsidiaire,

- condamner la société Honda Motor Europe à payer une somme de 749 500 euros à la Selafa MJA, ès qualités, au titre de la perte de marge pendant douze mois, correspondant à la durée du préavis qui aurait dû être respecté, cette somme comprenant à hauteur de 20 000 euros la marge perdue au titre du défaut d'approvisionnement préalable à la notification officielle de la rupture,

En tout état de cause,

- condamner la société Honda Motor Europe à payer une somme de 10 000 euros à la Selafa MJA, ès-qualités, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Honda Motor Europe aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 2 mars 2017 par la société Honda

Motor Europe, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- rejeter les demandes de la Selafa MJA ès qualités,

- condamner la Selafa MJA ès qualités à payer à la société Honda Motor Europe Ltd, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce,

Sur les fautes reprochées à la société Honda

La société Cambronne Autos soutient que la société Honda l'a placée dans l'impossibilité de présenter un successeur pour son activité en refusant d'agréer les candidats repreneurs successifs (a), et en finançant directement le site d'un nouvel opérateur à proximité immédiate de la concession (la société DWA), ce qui serait par ailleurs constitutif d'actes de concurrence déloyale (b). Dès lors, la société Cambronne Autos estime que la société Honda engage sa responsabilité sur le fondement des articles 1134, 1147 et suivants du Code civil, et subsidiairement, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, dans leur version alors en vigueur.

La société Honda estime que c'est à bon droit que le tribunal a dit et jugé que ces griefs n'étaient pas fondés et sollicite la confirmation du jugement.

a) les refus successifs d'agrément

La société Cambronne Autos soutient que le refus d'agrément de la société Legendre Autos Sport en 2000 n'a jamais été motivé, que l'échec de la reprise par le Groupe Bernier ne saurait lui être imputé et enfin que le refus d'agrément de la société Sogecor est abusif. À cet égard, la société Cambronne fait valoir que le refus opposé à ce dernier candidat repreneur ne mentionnait nullement qu'il était limité à l'activité de vente de véhicules neufs, et que dans tous les cas, l'agrément ne pouvait être refusé à un candidat repreneur qui était déjà concessionnaire, au regard de l'article 3.3 du règlement d'exemption automobile n° 1400/2002.

La société Honda estime que le refus d'agréer la société Legendre Autos Sport était justifié au regard de l'état du marché et de la situation financière du cédant et du repreneur. Concernant l'échec de la reprise par le groupe Bernier, elle estime qu'elle est étrangère à l'échec des négociations. Enfin, la société Honda explique que le refus d'agrément de la société Sogecor était limité à la seule activité de vente automobile et ne concernait pas l'activité après-vente. La société Honda estime également que son refus était juridiquement licite, en dépit du fait que le repreneur était membre du réseau, dans la mesure où la société Honda est couverte par le de minimis au regard du règlement d'exemption automobile n° 1400/2002 pour l'activité vente de véhicules neufs, au regard de sa faible part de marché pour cette activité.

L'article 8.1 du contrat de concession automobile prévoit : " le présent contrat et les droits et obligations octroyés dans ce cas au concessionnaire sont incessibles et intransmissibles, directement ou indirectement ". Le 8.2 dispose : " nonobstant l'interdiction visée à l'article 8.1, le concédant ne refusera pas son consentement au transfert des droits et obligations contractuels relatifs à la réparation et à l'entretien des véhicules Honda à un membre autorisé du système de distribution de véhicules automobiles ".

Il en ressort que l'agrément du concédant n'était requis que pour la cession de la branche vente autos, et non pour le service après-vente autos.

L'appelant soulève la non-conformité de cet article avec l'article 3.3 du règlement n° 1400/2002 du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, qui dispose que l'exemption, au regard du droit des ententes anticoncurrentielles des accords verticaux conclus entre un distributeur ou un réparateur et un fournisseur automobile " s'applique à condition que l'accord vertical conclu (...) prévoie que le fournisseur accepte la cession des droits et des obligations découlant de l'accord vertical à un autre distributeur ou réparateur à l'intérieur du système de distribution et choisi par l'ancien distributeur ou réparateur ". Si cet article prévoit que le concédant automobile ne peut s'opposer à la cession de la concession automobile par son concessionnaire à un autre concessionnaire du même réseau, et, par voie de conséquence, ne peut lui refuser son agrément, il y a lieu de souligner qu'il n'est pas contesté que la société Honda dispose d'une part de marché inférieure au seuil de minimis de 5 %, concernant la vente d'automobiles et qu'ainsi cette interdiction ne lui pas applicable, sauf clauses " noires ", non démontrées en l'espèce, celles-ci visant, selon l'article 4 du règlement, des clauses d'imposition de prix ou de protection territoriale absolue. La communication de minimis n° 2001/C 368/07 concernant les accords d'importance mineure, qui ne lie pas les juridictions nationales, constitue cependant un guide d'analyse utile car elle synthétise la pratique des juridictions de l'Union qui prévaut en matière d'application du droit européen de la concurrence. Cette interdiction ne s'applique donc pas à l'activité de vente d'automobiles de la société Honda. En revanche, elle lui est applicable pour l'activité de service après-vente automobile, qui dépasse le seuil de minimis, de sorte que les articles 8.1 et 8.2 du contrat de concession ne sont pas contraires au règlement communautaire susvisé.

L'article 27-1 du contrat de concession moto prévoyait quant à lui un intuitu personae qui conduisait à soumettre la vente de la branche motos et de la branche après-vente motos à un agrément préalable du concédant.

La société Sogecor, concessionnaire de la société Honda à la Réunion, s'était rapprochée de la société Cambronne Autos pour acheter le service de vente motos et le service après-vente motos ainsi que le service après-vente automobiles de la société Cambronne Autos. La division motos de Honda a donné son agrément pour la vente et l'après-vente motos, tandis que par lettre du 18 décembre 2006 adressée à la société Sogecor, la société Honda a refusé son agrément en ces termes : " nous avons récemment eu connaissance que vous étiez actuellement en cours de négociation avec notre concessionnaire Cambronne Automobile (...). Il semble que cette transaction consisterait dans le rachat des fonds de commerce automobiles et motocycles et qu'un accord soit imminent. Concernant la partie automobile, nous tenons à vous informer que le contrat de concession n'est pas cessible et que nous n'entendons pas donner notre agrément pour la reprise de la concession auto à votre société ".

A réception de ce courrier, la société Sogecor a adressé le 5 janvier 2007 à la société Honda une lettre prenant acte de sa " décision de refuser d'agréer notre société pour la poursuite du SAV Automobile sans lequel le projet n'est pas viable ". Par courrier du 17 janvier 2007 (daté par erreur 2006), la société Honda a appelé l'attention de la société Sogecor sur le fait qu'elle s'était méprise sur le sens du courrier du 18 décembre 2006 : " il nous apparaît que vous n'avez pas saisi tout à fait le sens de notre courrier du 18 décembre dans lequel nous avons mentionné l'activité automobile, qui est à distinguer, conformément à la réglementation européenne, de l'activité après-vente ".

Dès lors, si la société Sogecor a pu se méprendre sur la portée du courrier du 18 décembre 2006 et croire que l'activité de services après-vente autos était incessible, elle a été informée de la véritable portée du courrier de la société Honda dès le 17 janvier 2007 ; à compter de cette date, plus rien ne s'opposait à la reprise des pourparlers avec la société Cambronne Autos. En outre, les sociétés Sogecor et Cambronne Autos, tous deux concessionnaires de la société Honda, ne pouvaient ignorer la portée de l'article 8.2 du contrat concession autos qui permettait à tout concessionnaire d'acquérir le service après-vente automobile d'un autre concessionnaire, sans autorisation préalable.

Si la société Cambronne Autos conteste avoir reçu le courrier du 17 janvier 2007, en l'absence d'accusé de réception versé aux débats par la société Honda, il convient de souligner que la société Honda produit la preuve du dépôt à la Poste, le 18 janvier 2007, de l'envoi recommandé n° 72 789 242, qui est le numéro figurant sur le courrier du 17 janvier 2007. Elle démontre donc que le concessionnaire a reçu le courrier.

Il résulte de ce qui précède que la société Cambronne Autos ne peut imputer l'échec des négociations menées avec la société Sogepare au courrier de la société Honda, qui a été immédiatement corrigé.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont refusé d'imputer l'échec des pourparlers de vente à la société Honda.

S'agissant des autres projets de cession envisagés antérieurement (Legendre Autos Sport, Groupe Bernier), la société appelante ne verse aux débats aucun élément permettant d'imputer l'échec des négociations à la société Honda. Si elle soutient que la société Honda aurait imposé ses conditions, ce qui aurait empêché la conclusion des accords, elle n'en apporte aucun commencement de preuves.

b) Sur l'ouverture du site d'un nouvel opérateur à proximité de la concession de Cambronne Autos

La société Cambronne Autos ajoute que le refus d'agrément est d'autant plus critiquable que, parallèlement, la société Honda a pris des dispositions pour ouvrir un site à un kilomètre de sa propre concession et pour le mettre en location-gérance dans des conditions très avantageuses, ce qui la privait de la possibilité de demander tout agrément ultérieur pour la vente de son activité autos et était constitutif d'actes de concurrence déloyale ainsi que d'un manquement au devoir de loyauté.

La société Cambronne Autos estime que cette implantation n'était pas permise par les dispositions contractuelles qui ne prévoyaient que la possibilité d'implanter une concession et non une succursale.

La société Honda soutient que sa décision d'implanter un nouvel opérateur était motivée par la médiocrité des résultats commerciaux de la société Cambronne Autos. Elle estime qu'elle était en droit d'ouvrir une nouvelle concession au regard des dispositions contractuelles, qu'il ne s'agit pas d'une succursale et que l'opérateur n'a été installé que le 1er septembre 2007, soit postérieurement à la résiliation du contrat de concession avec la société Cambronne Autos. Dès lors, la société Honda n'aurait commis aucun acte de concurrence déloyale.

L'article 2.4 du contrat de concession prévoit : " (...) les parties reconnaissent que la Zone de Responsabilité requiert 10 concessionnaires et conviennent que 4 concessionnaires seront nommés à l'intérieur de la zone de responsabilité au plus tard le 31/05/2010. Sous réserve de ce qui est prévu au présent article, le concédant ne nommera pas d'autres concessionnaires à l'intérieur de la Zone de Responsabilité pour les produits sauf convention contraire écrite entre les parties ".

Il résulte de cet article que la société Honda pouvait parfaitement installer un nouveau concessionnaire dans la zone de chalandise de la société Cambronne Autos. Cette installation était d'ailleurs motivée par les mauvais résultats commerciaux de la société Cambronne Autos, attestés par une série de courriers versés aux débats par la société Honda (courrier du 23 juillet 2002 stigmatisant les mauvais résultats de l'activité automobile de la société Cambronne Autos et lui demandant de mettre en place tous les plans d'actions nécessaires pour améliorer ses performances (pièce Honda n° 15) ; courrier du 12 février 2003 lui signalant que ses ventes étaient en chute continuelle sur 2001 et 2002, mais lui laissant une chance pour l'année 2003 afin de tenir compte du regroupement de ses activités auto et moto (pièce Honda n° 16) ; courriers du 2 juin 2004, du 10 août 2005, du 16 novembre 2005, du 5 janvier 2006). Il y a donc lieu d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont retenu qu'aucune faute contractuelle ne pouvait être imputée à la société Honda.

Le simple fait d'autoriser un concessionnaire à s'installer à proximité immédiate d'un autre concessionnaire pour commercialiser des automobiles de même marque n'est pas en soi constitutif de concurrence déloyale. En premier lieu, le nouveau concessionnaire, la société DWA n'a signé son contrat de concession avec la société Honda que le 3 septembre 2007, soit postérieurement à la résiliation du contrat de la société Cambronne Autos, le 7 mai 2007 et n'a donc pas pu concurrencer directement la société Cambronne Autos. En deuxième lieu, la circonstance que le concessionnaire soit également locataire-gérant du fonds de commerce de la société Honda ne constitue pas en soi une pratique de concurrence déloyale dès lors que la société Cambronne Autos ne démontre pas que ce statut lui aurait conféré un avantage exorbitant dans la concurrence ni que ce statut lui aurait été interdit par le contrat de concession, le concessionnaire n'étant pas un " succursaliste ", mais un opérateur pleinement indépendant du concédant. La subvention d'exploitation qui aurait été versée lors du lancement de la société DWA selon l'appelante, utilisée postérieurement à la résiliation du contrat de la société Cambronne Autos, ne saurait constituer une discrimination dont cette société aurait été victime. En troisième lieu, la société Cambronne Autos ne peut soutenir que la présentation de son successeur était vouée à l'échec par la décision d'Honda de nommer un nouveau concessionnaire à proximité immédiate, dans la mesure où l'activité cédée n'incluait pas, comme cela a été vu plus haut, l'activité de vente automobile.

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a retenu qu'aucun manquement à la loyauté ou actes de concurrence déloyale ne pouvait être retenu à l'encontre de la société Honda.

Sur la résiliation abusive du contrat de concession automobile du 7 mai 2007

La société Cambronne Autos fait valoir que la rupture du contrat de concession est abusive dans la mesure où la relation commerciale a été entamée depuis plus de 13 ans, où aucun incident de paiement n'avait eu lieu depuis l'origine, où la société Honda connaissait la volonté de la société Cambronne Autos de retrouver une situation saine et sereine par la vente de son fonds de commerce et a refusé toute garantie alternative à une caution bancaire, à titre temporaire, alors que celle proposée présentait pourtant la sécurité nécessaire.

La société Honda Motor Europe oppose que la rupture du contrat est intervenue dans le cadre d'une résiliation extraordinaire pour manquement à une obligation essentielle du contrat qui était de fournir une caution bancaire et que la garantie proposée en substitution était complexe, aléatoire et d'un montant inférieur.

Selon l'article 29 du contrat de concession : " A la demande du concédant, le concessionnaire lui remettra une caution bancaire dont le montant sera déterminé par le concédant en fonction de l'engagement de vente souscrit par le concessionnaire. La remise de cette caution bancaire par le concessionnaire est une condition essentielle du présent contrat, laquelle, si elle n'est pas remplie, pourrait entraîner la résiliation de plein droit du présent contrat sans que le concessionnaire puisse prétendre à une quelconque indemnité ".

L'article 34 du contrat de concession, intitulé " résiliation ", dispose : " sans préjudice des termes de l'article 33.1, le concédant pourra résilier le présent contrat par anticipation à tout moment par l'envoi d'une simple lettre recommandée avec avis de réception, sans aucune formalité judiciaire et sans indemnité pour le concessionnaire, dans les cas suivants : 34.1.1 Trente (30) jours après une mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, restée sans effet, si le concessionnaire n'exécute pas l'une quelconque de ses obligations essentielles aux termes du présent contrat. Constituent des obligations essentielles au sens du présent article, celles visées aux articles 3,6, 8, 11, 17, 18, 20.1, 22, 25, 27, 29, 31 et 32 ".

Il résulte de cette disposition, dénuée de toute ambiguïté, que la remise d'une caution bancaire par le concessionnaire constituait une obligation estimée " essentielle " du contrat, dont la violation était susceptible d'entraîner la résiliation du contrat par anticipation.

Il résulte des pièces du dossier que la caution de la société HSBC d'un montant de 153 000 € pour l'activité automobile a été dénoncée le 19 décembre 2006 et est venue à expiration le 21 mars 2007. Par courrier du 27 décembre 2006 (pièce Honda n° 39), la société Honda a mis en demeure la société Cambronne Autos de lui fournir une nouvelle caution pour le 22 mars 2007 au plus tard. Le 21 mars 2007, la société Cambronne Autos a adressé à la société Honda un " acte de délégation avec transfert du droit au règlement anticipé et désignation du bénéficiaire " se rapportant à un contrat d'assurance-vie de Monsieur Cassam Chenaï et d'une valeur de rachat de 74 981 € au 16 mars 2007. La société Honda, refusant cette garantie, a adressé une nouvelle lettre de mise en demeure d'avoir à fournir sous 30 jours la caution bancaire réclamée, d'un montant de 153 000 €, sous peine de résiliation du contrat. C'est dans ces conditions que le contrat a été résilié, la deuxième mise en demeure étant restée sans effet.

La société Cambronne Autos ne peut prétendre que la société Honda aurait fait preuve de mauvaise foi en refusant sa garantie. En effet, la société Honda pouvait légitimement refuser une garantie qui n'était pas constituée par une caution bancaire, comme prévue au contrat de concession, mais d'un instrument financier aux conditions de mise en œuvre complexes et pour un montant inférieur à la moitié de celui réclamé. La société Cambronne Autos ne peut davantage exciper d'un virement supplémentaire de 75 000 € effectué à la société Honda fin avril 2007, qui ne correspondait pas davantage ni au montant réclamé ni au type de garanties exigées par la société Honda, et que la société Honda a restitué le 3 mai 2007. Ces différentes garanties n'étaient nullement équivalentes à la caution bancaire prévue au contrat. La société Honda était d'autant plus incitée à la prudence que la société Cambronne Autos connaissait depuis 2001 une baisse des ventes indiscutable, et donc une situation de plus en plus précaire. Par ailleurs la société Cambronne Autos ne lui fournissait aucune assurance agissant de la souscription d'une nouvelle caution bancaire pour l'avenir.

Enfin, si la société Cambronne Autos prétend que la société Honda n'était pas fondée à exiger une caution supérieure à 115 000 € (500 € multipliés par 230 véhicules), elle s'appuie pour ce faire sur une pièce qui concernait essentiellement la concession moto. S'agissant de l'activité automobile, le montant de la caution était normalement de 2 200 € par véhicule calculés en fonction de l'objectif annuel de vente (pièce Honda n° 52), ce qui aurait donné, avec un objectif de 230 véhicules, un montant de 276 000 €. La caution exigée, de 153 000 € pour l'activité automobile était donc minorée par rapport à ce qu'elle aurait pu être.

La société Honda a respecté les formes prévues par le contrat pour la résiliation immédiate de celui-ci, envoyant successivement deux mises en demeure. S'agissant du fond, elle a appliqué la clause dépourvue de toute ambiguïté de l'article 29 du contrat. Il y a donc lieu d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont estimé que la résiliation du contrat de concession du 7 mai 2007 n'était pas abusive regard du contrat, ni contraire à la bonne foi contractuelle.

En effet, si la société Cambronne Autos prétend que la résiliation du contrat de concession était commandée par la volonté d'Honda d'installer une nouvelle concession à proximité, il résulte des développements ci-dessus que la société Honda pouvait installer un nouveau distributeur en vertu de l'article 2.4 du contrat, avant même d'avoir résilié le contrat de la société Cambronne Autos. Par ailleurs, elle n'avait aucun intérêt à faire échec à la cession projetée à la société Sogecor, qui concernait non seulement l'activité après-vente auto mais également l'activité vente et après-vente motos.

Sur l'impossibilité pour la société Cambronne Autos d'exploiter normalement son activité de réparation de vente de véhicules automobiles après la rupture du contrat

La société Cambronne Autos estime que la société Honda engage également sa responsabilité pour concurrence déloyale dès lors qu'elle a indiqué aux utilisateurs de véhicules Honda qu'une intervention de maintenance ou de réparation effectuée par un garage indépendant aurait pour effet de supprimer la garantie constructeur et l'a placée dans l'impossibilité de continuer à effectuer des prestations de réparation de véhicules Honda.

La société Honda conteste avoir pu donner un tel renseignement et oppose qu'aucun acte de concurrence déloyale n'est démontré. Elle précise qu'une telle information irait à l'encontre des lignes directrices du Règlement d'exemption automobile n° 1400/2002 et que seuls les dommages consécutifs à une intervention hors réseau se trouvent exclus de la garantie, le consommateur restant libre de faire réaliser l'entretien du véhicule à l'intérieur ou à l'extérieur du réseau.

Le grief avancé par la société Cambronne Autos repose sur un unique courrier de Monsieur Puech, simple particulier, du 10 juillet 2007, ainsi que sur le carnet d'entretien des véhicules Honda.

Ce carnet n'est pas versé aux débats. Par ailleurs la lettre de Monsieur Puech informe la société Cambronne Autos de l'annulation d'un rendez-vous qu'il avait pris pour l'entretien de son véhicule : " après m'être renseigné par téléphone auprès de Honda, cette intervention romprait la couverture de la garantie en cas de nécessité si elle était effectuée par un garage indépendant ".

Ce seul document, non circonstancié, faisant état indirectement de propos rapportés, ne saurait suffire pour démontrer la pratique déloyale dénoncée. Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point.

À titre subsidiaire, sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

La société Cambronne Autos soutient que le fait de ne pas avoir pu obtenir une nouvelle caution bancaire n'est pas une inexécution suffisante pour justifier l'absence de préavis compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales et des propositions de garanties alternatives.

La société Cambronne Autos estime que la rupture est d'autant plus brutale qu'elle est intervenue dans les faits avant le 23 mars 2007 (date d'effet de la dénonciation de la caution par la société HSBC) puisque la société Honda a bloqué son système informatique permettant de commander des pièces de rechange et que le refus d'honorer les commandes de véhicules neufs à compter du mois de mars 2007 a concrétisé la volonté de la société Honda de résilier le contrat dès cette date alors que des acomptes avaient été versés et que la caution restait valable pour tous les engagements antérieurs à la prise d'effet de la résiliation.

La société Honda Motor Europe soutient que la gravité du manquement de la société Cambronne Autos à fournir une caution bancaire justifiait la rupture sans préavis et qu'à compter de l'expiration de la caution, elle était en droit de refuser les livraisons, ces dernières étant insuffisamment garanties. Elle soutient également que la société Cambronne Autos ne justifie pas de l'impossibilité de commander des pièces de rechange et qu'elle pouvait, en tout état de cause, s'approvisionner auprès de n'importe quel membre du réseau.

Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", cet article précis également que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Seul un comportement suffisamment grave est de nature à dispenser du respect d'un préavis.

Il résulte des pièces du dossier que la société Cambronne Autos n'a pas fourni de caution bancaire, ce qui constitue une obligation essentielle du contrat, cette garantie étant d'autant plus importante que la société Cambronne Autos connaissait une baisse continue de ses ventes d'automobiles. Il résulte par ailleurs des pièces du dossier versées par la société Honda que le concessionnaire a toujours été en deçà de ses objectifs de vente, ce qui constituait en soi un motif de résiliation du contrat. En définitive, la société Cambronne Autos est donc responsable d'inexécutions de ses obligations d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation sans préavis du contrat le 7 mai 2007.

Si la société Cambronne Autos prétend que la résiliation serait intervenue dans les faits dès le mois de mars 2007, compte tenu du refus d'approvisionnement en pièces détachées et du refus de livraison de plusieurs véhicules qui lui auraient été opposés, il y a lieu d'approuver la motivation adoptée par les premiers juges selon laquelle " le refus d'approvisionnement en pièces détachées invoqué n'est pas avéré au regard des pièces présentées ", et " le refus de la société Honda de procéder à la livraison de plusieurs véhicules en l'absence de caution, litige qui s'est finalement soldé par une livraison auprès d'un autre concessionnaire, ne peut être considéré comme valant résiliation du contrat ". Il y a donc lieu d'approuver les premiers juges en ce qu'ils ont dit que la résiliation du contrat était intervenue le 7 mai 2007, que la société Cambronne Autos avait disposé d'un délai de plus de quatre mois pour se mettre en conformité et qu' " au regard de l'inexécution relevée qui était de nature à justifier la résiliation du contrat de concession auto sans préavis et du délai laissé aux concessionnaires pour se mettre en conformité à ses engagements, la rupture ne peut être considérée comme brutale en dépit de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties ".

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la Selafa MJA, ès qualités de mandataire de la société Cambronne Autos aux entiers dépens d'appel, La Condamne à verser à la société Honda Motor Europe la somme de 10 000 €, qui sera inscrite au passif de la société Cambronne Autos, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.