CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mai 2017, n° 16-17988
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cogedim Vente (SNC), Cogedim Savoies-Leman (SNC), Cogedim Grand Lyon (SNC), Cogedim Grenoble (SNC)
Défendeur :
Nevada (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Chretiennot, Fisselier, Augagneur
Faits et procédure
Les sociétés Cogedim Savoies-Leman, Cogedim Grand Lyon et Cogedim Grenoble sont les filiales du groupe Cogedim, dites "de promotion", qui ont, chacune, la responsabilité de la commercialisation des programmes immobiliers du ressort de leur périmètre géographique. La sociétés Cogedim Vente a en charge la commercialisation de programmes immobiliers sur son secteur et regroupe également les services centraux, basés à Paris.
La société Nevada est une agence de communication, en relation d'affaires avec le groupe Cogedim. La durée de ces relations commerciales est discutée par les parties.
Estimant que les sociétés Cogedim avaient partiellement et brutalement rompu leurs relations commerciales, notamment en imposant une grille tarifaire intervenue à la mi 2013, en multipliant les retards de règlement et en baissant drastiquement l'activité confiée, la société Nevada les a assignées en août 2014 devant le Tribunal de commerce de Lyon. Par jugement du 17 mars 2015, ce dernier n'a pas fait droit à cette demande, soulignant notamment que les fluctuations du volume de chiffre d'affaires en cause ne suffisaient pas à caractériser une rupture.
Le 14 octobre 2014, les sociétés Cogedim ont annoncé la rupture totale des relations commerciales, considérant que leur poursuite était devenue impossible, en raison des manquements de la société Nevada à son obligation de loyauté : "Nous nous permettons de vous écrire pour vous faire part des conséquences que nous sommes contraints de tirer de l'action judiciaire que vous avez estimée devoir engager à l'encontre de nos sociétés. (') il est constant qu'en estimant (au mépris de toute réalité) que nous nous serions rendus coupables d'une brusque rupture de nos relations commerciales depuis la mi année 2013, vous avez adopté un comportement totalement incompatible avec l'intuitu personae induit par la nature de notre relation et, par évidence, incompatible avec la nécessaire relation de confiance qui doit présider à la nature des prestations que nous vous confions. Il est en effet constant qu'en nous imputant, au surplus dans les termes qui ont été les vôtres, d'avoir été un partenaire fautif et d'une particulière mauvaise foi et ce, dans le seul but de tenter d'obtenir plus de 2 millions d'euros de dommages et intérêts, vous avez porté à l'encontre de nos sociétés des accusations totalement inacceptables et réduisant à néant la confiance nécessaire à toute relation commerciale. De plus, les dernières prestations comme nous avons pu vous confier n'ont pas été réalisées selon la qualité que nous pouvions attendre. Vous comprendrez donc qu'il nous est, à l'évidence impossible, de continuer à vous confier de nouvelles prestations de communication liées à nos programmes immobiliers".
Le 18 novembre 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Lyon pour ce qui est de la rupture brutale partielle et a dit irrecevables, car nouvelles au sens du Code de procédure civile, les demandes de la société Nevada fondées sur la rupture totale des relations commerciales. La cour a jugé dans un arrêt définitif que "la relation commerciale devant être prise en compte est celle qui s'est développée depuis l'année 2007, qui présente jusqu'en 2014 un caractère continu". La Cour a également écarté les griefs, faits par la société Nevada aux sociétés Cogedim, de rupture partielle des relations commerciales en 2013, de pratiques restrictives de concurrence ou de pratiques dolosives. Elle a constaté que le chiffre d'affaires entre les partenaires avait sans cesse varié sur la période 2007-2014, de sorte que la période des six premiers mois 2013 n'était pas probante. Elle a relevé que la nouvelle grille tarifaire adoptée par la société Cogedim n'avait pas été imposée à la société Nevada et qu'en toute hypothèse elle n'avait pas subi de perte de chiffre d'affaires à la suite de l'application de cette grille, que n'existait pas d'exclusivité historique entre les parties, le poids d'activité de Cogedim dans les activités de Nevada étant en moyenne de 59 % entre 2007 et 2010 et de 83 % de 2011 à fin juin 2014. Elle a également écarté la mauvaise foi de la société Cogedim, dans le paiement de factures de la société Nevada, avec retard.
Le 18 décembre 2015, la société Nevada a assigné à bref délai le groupe Cogedim devant le Tribunal de commerce de Lyon, demandant indemnisation de cette rupture totale signifiée le 14 octobre 2014.
Par jugement du 8 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de la société Nevada, Maître Y et Maître Z ayant été respectivement désignés comme mandataire et administrateur judiciaire.
Par jugement du 17 août 2016, le Tribunal de commerce de Lyon a, sous le régime de l'exécution provisoire :
-dit irrecevable la demande relative au préjudice d'image,
-condamné solidairement les sociétés Cogedim Savoies Leman, Cogedim Grand Lyon, Cogedim Vente et Cogedim Grenoble à payer la somme de 828 000 euros à la société Nevada à titre d'indemnité de préavis,
-condamné la société Cogedim Grand Lyon à payer la somme de 7 200 euros à la société Nevada au titre de la facture 14-0697,
-condamné solidairement les sociétés Cogedim Savoies Leman, Cogedim Grand Lyon, Cogedim Vente et Cogedim Grenoble à payer la somme de 22 000 euros à la société Nevada au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
-rejeté comme inutiles ou non fondés tous autres demandes, moyens, fins et conclusions contraires des parties,
-condamné solidairement les sociétés Cogedim Savoies Leman, Cogedim Grand Lyon, Cogedim Vente et Cogedim Grenoble aux dépens de l'instance.
Le Tribunal a estimé que la société Nevada n'avait pas enfreint son obligation de loyauté et qu'une simple perte de confiance entre les parties ne pouvait suffire à autoriser la résiliation sans préavis d'un contrat. Il a estimé que la résiliation intervenue avait été brutale et a alloué à la société Nevada la somme de 828 000 euros, sur une durée de 16 mois de préavis, avec un taux de marge de 45,4 %.
La Cour est saisie de l'appel interjeté par le groupe Cogedim, du jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 17 août 2017.
La Cour,
Vu l'appel interjeté par les sociétés du groupe Cogedim, et leurs conclusions, déposées et notifiées le 24 février 2017, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
in limine litis:
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé la demande de la société Nevada au titre d'un préjudice d'image irrecevable,
à titre principal:
-débouter la société Nevada, Maîtres Z et Y, ès-qualités, de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions et, en conséquence,
-réformer le jugement entrepris au titre de l'ensemble des condamnations qu'il a prononcées à l'encontre des sociétés Cogedim Vente, Cogedim Grand Lyon, Cogedim Savoies Leman et Cogedim Grenoble,
à titre subsidiaire:
-débouter la société' Nevada, Maîtres Z et Y, ès-qualités, de l'intégralité de leurs demandes, notamment sur le fondement de l'article 9 du Code de procédure civile, et, à défaut :
-fixer tout délai de préavis à une durée maximale de 3 mois,
-fixer la marge éventuellement applicable à un taux de 28 % maximum,
-dire que, dans cette occurrence, la marge doit s'appliquer sur un chiffre d'affaire moyen de la relation antérieure, soit de 2007 à octobre 2014,
à titre reconventionnel:
-condamner la société Nevada et Maîtres Z et Y, ès-qualités, à payer à chacune des sociétés Cogedim, la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil,
-condamner la société Nevada et Maîtres Z et Y, ès-qualités, à payer à chacune des sociétés Cogedim la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles représentée par Maître Matthieu Boccon-Gibod ;
Vu les dernières conclusions de la société Nevada, intimée, déposées et notifiées le 15 février 2017 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
-confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a limité la condamnation solidaire des sociétés Cogedim au paiement de la somme de 827 000 euros correspondant à 16 mois de marge brute,
-revoir le quantum de la condamnation prononcée à l'encontre des sociétés Cogedim pour le porter à 24 mois de marge brute, soit la somme de 1 834 743 euros ou subsidiairement à 1 387 524 euros ; outre 50 000 euros au titre du préjudice d'image,
et statuant à nouveau:
-déclarer la société Nevada parfaitement recevable en sa demande tendant à faire constater par la Cour que les sociétés Cogedim ont rompu brutalement et sans aucun préavis la relation commerciale établie avec la société Nevada,
-confirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'une relation commerciale établie et non contestée à compter de 2007, soit d'une durée de 7,75 ans,
-constater qu'il n'est pas contesté que la relation avait été rompue par Cogedim le 14 octobre 2014,
-constater que cette rupture n'avait pas fait l'objet d'un préavis,
-dire que la procédure judiciaire engagée par Nevada n'était pas fautive, le droit au recours juridictionnel étant d'ordre constitutionnel,
-dire qu'en l'absence de faute la procédure judiciaire intentée par la société Nevada n'était pas un manquement grave à l'obligation de loyauté qui aurait pu justifier une rupture, et que la perte de confiance alléguée par Cogedim ne suffisait pas en elle-même à caractériser l'inexécution requise par l'article L. 442-6 du Code de commerce,
-constater que la relation commerciale était particulièrement significative pour la société Nevada, représentant l'essentiel de son activité, et que cette situation était connue de Cogedim lors de la rupture,
-constater que la rupture de la relation commerciale établie aurait dû donner lieu à un préavis de deux ans au regard de la dépendance économique de la société Nevada vis-à-vis des sociétés du groupe Cogedim,
-condamner les sociétés du groupe Cogedim à payer la somme de 1 834 743 euros au titre de la perte de marge calculée sur une assiette de 18 mois (CA 2012 + 1er semestre 2013) répartie de façon suivante entre les différentes sociétés du groupe au regard de leur poids dans l'activité de Nevada, soit :
à tout le moins, si la perte de marge devait être calculée sur une assiette moyenne relative au quatre dernières années de chiffre d'affaires :
-condamner les sociétés du groupe Cogedim à payer la somme de 1 387 524 euros au titre de la perte de marge, répartie de façon suivante entre les différentes sociétés du groupe au regard de leur poids dans l'activité de Nevada, soit :
-condamner la société Cogedim Lyon à payer la somme de 13 290 euros TTC à la société Nevada suivant factures 14-0697 et 15-0042, outre intérêts de 10,05 % à compter de la date d'échéance de chacune des factures,
-constater enfin que les agissements des sociétés du groupe Cogedim ont porté atteinte à l'image et à la crédibilité commerciale de l'agence Nevada,
-infirmer sur ce point le jugement entrepris,
-déclarer recevable la demande de Nevada au titre de l'atteinte à l'image et à la crédibilité commerciale,
-condamner en conséquence les sociétés du groupe Cogedim à payer in solidum la somme de 50 000 euros à la société Nevada au titre de la réparation de ce préjudice d'image,
en tout état de cause,
-débouter Cogedim de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
-condamner solidairement les sociétés du groupe Cogedim à payer à la société Nevada la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
-condamner solidairement les sociétés du groupe Cogedim aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP AFG conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Les quatre sociétés du groupe Cogedim rappellent que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce exclut l'application du préavis en cas de manquement, par l'une des parties, à ses obligations. En outre, elles soutiennent que l'obligation de loyauté est une obligation essentielle régissant le contrat, dont toute violation constitue une faute d'une importance telle qu'elle justifierait, par elle-même, la rupture immédiate du contrat, sans préavis. Elles soulignent que les prestations qu'elles confiaient à la société Nevada, induisaient, du fait de leur importance stratégique, "un intuitu personae particulièrement fort et une loyauté et une confiance sans faille".
A ce titre, la fin des relations commerciales avec la société Nevada serait la conséquence du comportement fautif de la société Nevada, qui, au cours de son action en justice, aurait fait preuve d'un comportement gravement déloyal, révélateur du fait "qu'elle était prête à tout pour obtenir gain de cause". Les appelantes soutiennent que la société Nevada a proféré des contrevérités et des mensonges en toute connaissance de cause, a utilisé des procédés déloyaux pour convaincre, concernant l'accusation d'imposition d'une grille tarifaire en juillet 2013, a proféré à son encontre des accusations particulièrement graves, accusant le groupe de " duplicité et de déloyauté", accusations qui seraient incompatibles avec l'existence d'une relation de confiance entre partenaires, et, enfin, a utilisé de façon illégitime des échanges liés à la relation encore en cours. Dès lors, le groupe Cogedim estime que la rupture immédiate de la relation commerciale du 14 octobre 2014 était parfaitement fondée, selon les termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
La société Nevada estime qu'elle entretenait avec le groupe Cogedim des relations commerciales établies, initiées en 2000 et intensifiées à partir de 2007. Selon elle, son chiffre d'affaires avec la société Cogedim aurait atteint environ 2 millions d'euros, soit 85% de son chiffre d'affaires. Elle soutient que les appelantes ne précisent pas la nature du prétendu comportement grave qui lui serait imputable, le seul reproche qui lui est fait étant relatif à son action en justice. D'autre part, l'intimée estime qu'elle n'a pas violé son obligation de loyauté, indépendamment de ce seul exercice de l'action en justice. Elle rappelle que la perte de confiance n'est pas constitutive d'un manquement grave permettant de s'exonérer des dispositions de l'article L.442-6 du Code de commerce.
Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", cet article précise également que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Toutefois, seul un comportement suffisamment grave est de nature à dispenser le respect d'un préavis.
Si les sociétés Cogedim prétendent que la société Nevada aurait enfreint son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, les seuls éléments qu'elles avancent dans la lettre de résiliation sont relatifs à l'action en justice engagée contre elles par la société Nevada sur le fondement de la rupture brutale partielle des relations commerciales.
Or, il n'est pas établi que cette action aurait dégénéré en abus de droit, seul étant répréhensible une action engagée sans aucun fondement, dans le seul but de nuire à un partenaire commercial.
Si, en premier lieu, les sociétés Cogedim prétendent que la société Nevada aurait développé des mensonges et contrevérités flagrantes au titre de la première procédure, qui auraient été mises en évidence par l'arrêt de la cour de céans, il convient de souligner que les arguments avancés par la société Nevada, relatifs à la durée de la relation d'affaires ou à l'existence prétendue d'une exclusivité qui lui aurait été imposée par Cogedim, ne constituent pas des procédés déloyaux, mais des arguments juridiques, qui ont été rejetés par le Tribunal et la Cour d'appel.
Si elles soutiennent que la société Nevada aurait annexé à tort des messages électroniques émanant de Cogedim pour faire croire que Cogedim leur avait imposé une grille tarifaire préremplie, elles ne démontrent pas que le dessein de la société Nevada était de tromper la religion du tribunal, cet incident ayant été corrigé avant le délibéré et corrigé par la société Nevada, qui a reconnu son erreur.
Enfin, elles ne peuvent reprocher à la société Nevada d'avoir utilisé des échanges intervenus début octobre 2014 liés à la relation en cours entre le responsable marketing de Cogedim et le responsable maintenance chez Nevada pour justifier ses thèses, cet usage étant habituel dans les conclusions à l'appui d'une demande en justice.
Aucun des comportements de la société Nevada ne caractérise une violation de l'obligation de loyauté dans l'exécution des relations contractuelles et ne revêt un niveau de gravité tel qu'il justifierait une résiliation sans préavis des relations commerciales, une simple perte de confiance ne pouvant suffire à constituer une tel niveau de gravité.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la relation commerciale entre les parties avait été brutalement rompue le 14 octobre 2014.
Sur le préjudice subi par la société Nevada du fait de la rupture
Les appelantes indiquent à titre préliminaire que si l'intimée s'est prévalue d'une rupture partielle mi 2013, dans la première instance, elle aurait alors, au 14 octobre 2014, bénéficié de l'équivalent de 14 mois de préavis pour se reconvertir. Concernant le préavis applicable, les appelantes estiment que les relations commerciales n'ont commencé qu'en 2007 et qu'aucune exclusivité n'avait été consentie par la société Nevada, ce qui aurait été définitivement tranché par la cour d'appel, lors de la première procédure. Concernant la prétendue dépendance économique, les appelantes estiment qu'elle n'est invoquée que dans le seul but d'obtenir un "allongement" du délai de préavis. Concernant le taux de marge allégué, les appelantes estiment tout d'abord que le rapport du commissaire aux comptes versé au débats est truffé d'erreur, de telle sorte qu'il n'a aucune valeur probatoire et que le taux de marge, au vu des bilans de 2010, 2011 et 2012 de la société Nevada, était de respectivement 31,1%, 30,8% et 25,1%. Par ailleurs, les appelantes soutiennent que la société Nevada ne justifie pas d'un préjudice indemnisable, ne faisant pas état des mesures qu'elle aurait prises pour réorienter son activité et trouver de nouveaux clients.
L'intimée estime qu'il résulte de la jurisprudence constante que l'indemnisation de la victime de la rupture se fait à hauteur de la perte de marge brute subie au cours de la période du préjudice qui aurait dû être observé. Par ailleurs, elle rappelle que l'état de dépendance économique d'un partenaire justifie l'octroi d'un délai de préavis plus important. Or, elle estime que les relations commerciales entre les deux sociétés étaient marquées d'une dépendance économique de plus de 80%. Elle indique que les relations commerciales étaient établies depuis plus de 15 ans et que le volume d'affaires réalisé avec les sociétés Cogedim représentait 82,2% de son chiffre d'affaires. Enfin, il ne pourrait être considéré qu'elle a bénéficié d'un préavis à compter de la mi 2013, car elle était alors entretenue dans la croyance légitime de la poursuite des relations commerciales. Dès lors, elle estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 24 mois.
Concernant le calcul du préjudice, elle évalue le taux de marge moyen constaté sur la période de 2011 à 2014 à 45,4%. Par conséquent, elle sollicite la confirmation du jugement du Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a retenu le principe d'un préjudice indemnisable mais sollicite son infirmation en ce qu'il a évalué ce préjudice à la somme de 1 387 524 euros.
La durée du préavis est fixée comme le temps nécessaire pour se réorganiser au regard de l'ancienneté des relations, la nature des produits, l'importance financière des relations commerciales et les investissements réalisés au profit de l'auteur de la rupture, le temps nécessaire au cocontractant pour réorienter ses activités et rechercher de nouveaux clients ou fournisseurs et l'état de dépendance économique.
La Cour a jugé dans un arrêt définitif que "la relation commerciale devant être pris en compte est celle qui s'est développée depuis l'année 2007, qui présente jusqu'en 2014 un caractère continu".
Bien que non liée aux sociétés Cogedim par des relations d'exclusivité, la société Nevada réalisait de facto plus de 80 % de son chiffre d'affaires avec celles-ci, sans que puisse lui être reproché de s'être placée volontairement en situation de dépendance pour diminuer le préavis auquel elle a droit pour se reconvertir.
Contrairement à ce qui est allégué par les appelantes, la circonstance que la société Nevada ait soutenu devant le Tribunal de commerce, dans une première instance, que les sociétés Cogedim avaient partiellement rompu des relations commerciales à compter du second semestre 2013, ne permet pas de considérer qu'elle aurait pu, dès cette époque, anticiper la rupture totale des relations commerciales et, ainsi, commencer à s'y préparer. En effet, il n'est pas démontré qu'à cette époque les sociétés Cogedim lui aient fait part de leur volonté d'arrêter totalement les relations commerciales.
Compte tenu de tous ces éléments, il y a lieu de fixer à 10 mois la durée du préavis à octroyer à la société Nevada.
La société Nevada sera indemnisée au vu de de la perte de marge qu'elle a subie au cours de la période du préavis qui aurait dû être observé pendant ces 10 mois, cette marge étant évaluée à partir de la moyenne des trois derniers exercices précédant la rupture. Compte tenu des chiffres figurant au rapport du cabinet d'expertise comptable Crenin Tallon et Associés, qui n'est pas utilement contesté par les sociétés appelantes, il y a lieu de retenir la moyenne des chiffres d'affaires de 2011 à 2013, soit 1 652 878 euros par an et d'y appliquer le taux de marge évalué à 44,3 % pondéré sur 10 mois, soit la somme de 610 187 euros.
Si les sociétés Cogedim prétendent que le véritable taux de marge serait de 28 % maximum, au vu des bilans 2010, 2011 et 2012 de la société Nevada, leur calcul est réalisé à partir du chiffre d'affaires dont sont déduits les autres achats et charges externes, à savoir les locations immobilières, les locations parking, les charges locatives, les entretiens locaux, les entretiens réparation matériels, dont il n'est pas démontré qu'ils constitueraient des coûts variables déductibles. La société Nevada justifie quant à elle n'avoir imputé sur son chiffre d'affaires que les seuls coûts directs liés à son activité, soit les achats d'espace et la sous-traitance qu'elle revend. Le taux calculé par la société Nevada sera donc retenu.
Les sociétés Cogedim ne peuvent opposer à la société Nevada qu'elle n'a pas pris de mesures de réorientation depuis la rupture du 14 octobre 2014, le dommage devant être évalué à la date de la résiliation sans prendre en compte les événements postérieurs.
Sur l'atteinte à l'image de la société Nevada
Concernant le préjudice au titre d'une atteinte à l'image et à la crédibilité de la société Nevada, les appelantes estiment que cette demande est irrecevable car elle a déjà été jugée par l'effet d'une décision ayant autorité de la chose jugée.
La société Nevada estime avoir subi un préjudice du fait d'une atteinte à son image et à sa crédibilité. Elle estime que la dégradation rapide du niveau de ses liquidités l'a contrainte à solliciter du tribunal une procédure de sauvegarde.
Le préjudice moral que la société Nevada évoque est relatif à la rupture brutale de 2014, et non à celle évoquée dans le premier jugement, partielle, de 2013. Par conséquent, il ne peut être soutenu qu'il a été déjà statué sur ce préjudice. Toutefois la société Nevada ne verse aux débats aucun élément de nature à établir l'existence de ce préjudice. Cette demande sera donc rejetée.
Sur le paiement de la prestation de réalisation de la plaquette de documentation Tourville
Les sociétés du groupe Cogedim soutiennent qu'elles ne sont pas redevables du paiement des factures dont la société Nevada demande le paiement. En effet, concernant la plaquette de présentation, la société Nevada n'aurait pas réalisé cette prestation de manière conforme. S'agissant des prestations d'impression et de livraison, la société Nevada ne les aurait jamais réalisées. Enfin, concernant les prestations de recherche de nom pour le programme "Tourville", les appelantes estiment que celles-ci avaient déjà fait l'objet d'un bon de commande dûment réglé, lequel visait expressément cette prestation.
La société Nevada rappelle que la société Cogedim Lyon a passé commande d'une plaquette de documentation "Tourville" le 9 juillet 2014. Or, l'intimée soutient que malgré la parfaite exécution de cette prestation de sa part, la société Cogedim Lyon n'a pas procédé au paiement de la somme de 13 290 euros TTC. Elle affirme que sa créance est incontestable, certaine liquide et exigible. Concernant la recherche de noms, elle précise qu'elle n'a jamais été réglée.
En ce qui concerne la réalisation de la plaquette de présentation, la société Nevada produit une attestation d'une ancienne employée de Cogedim indiquant que l'intimée a réalisé la plaquette demandée, un travail de réécriture et une recherche poussée de noms, lesquels ont été retenus par la société Cogedim.
La société Nevada produit aux débats deux bons de commande de Cogedim, l'un n° 5 du 27 juin 2014 pour "honoraires, recherche de nom." et l'autre portant le n° 6 du 8 juillet 2014 portant sur une "plaquette six pages, conception mise en page recherche impression". Elle produit deux factures dont elle prétend qu'elles correspondent à ces deux bons de commande : n°14-0 66 697 du 3 novembre 2014 et n°15-0042 du 30 mars 2015 et dont elle réclame le paiement.
Mais les sociétés Cogedim versent aux débats un devis que leur avait adressé la société Nevada le 8 juillet 2014, qui détaille les prix des différentes prestations en cause. Elle démontre avoir payé les prestations relatives au bon de commande n°5 (pièce n° 32) par chèque du 12 septembre 2014.
Enfin, le devis du 8 juillet 2014, relatif à la plaquette six pages, prévoyait l'exécution d'un bon à graver. Or, la société Nevada ne produit pas ce bon à graver, mais verse aux débats une attestation de Madame Wallonne, ancienne assistante marketing de Cogedim, qui atteste que la plaquette a été corrigée à la suite des observations de la société Cogedim, cette dernière s'en étant désintéressée après la rupture des relations commerciales. Cette attestation est corroborée par des échanges de courriers dans lesquels Cogedim fait part de ses observations à la société Nevada qui en retour verse aux débats une version corrigée de la plaquette en fonction des observations qui lui avaient été faites par Cogedim.
La société Nevada démontre donc avoir réalisé les prestations relatives à la plaquette dont elle demande le paiement. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés Cogedim à payer à la société Nevada la somme de 7200 euros.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Cogedim
Le groupe Cogedim soutient que la société Nevada a fait preuve de mauvaise foi et demande la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La société Nevada soutient qu'elle est parfaitement fondée en son action du fait de la brutalité de la rupture et des conséquences de celle-ci sur l'entreprise.
La société Cogedim fonde sa demande reconventionnelle sur les mêmes griefs que ceux qu'elle impute à la société Nevada pour justifier la rupture sans préavis. Pour les mêmes motifs, cette demande sera donc rejetée, faute de toute preuve d'une quelconque faute de la société Nevada.
Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit irrecevable la demande de la société Nevada relative au préjudice d'image, sur le quantum de la somme allouée à titre de dommages-intérêts pour la rupture brutale à la société Nevada, L'Infirme sur ces points, Et statuant à nouveau, Dit recevable la demande relative au préjudice d'image, mais déboute la société Nevada de cette demande, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Cogedim Savoies Leman, Cogedim Grand Lyon Cogedim Vente et Cogedim Grenoble à payer les intérêts prévus à l'article L. 441-6 du Code de commerce sur la somme de 7 200 euros, soit le taux de la BCE majoré de 10 points à compter du 18 décembre 2015, Condamne in solidum les sociétés Cogedim Savoies Leman, Cogedim Grand Lyon Cogedim Vente et Cogedim Grenoble à payer la somme de 610 187 euros à la société Nevada à titre d'indemnité de préavis, Les Condamne in solidum aux dépens de l'instance d'appel, Les Condamne in solidum à payer à la société Nevada la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.