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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mai 2017, n° 14-21349

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Klingbeil

Défendeur :

RLG Europe BV Swiss Branch (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Sylberg, Petit Guilloteau, Guilloteau

T. com. Paris, 13e ch., du 6 oct. 2014

6 octobre 2014

Exposé des faits

Madame Klingbeil, commerçante, exploitait un fonds de commerce situé au Palais des Congrès à Paris, Porte Maillot, de 1998 à 2012, avant de transférer son activité au 9 rue Saint Florentin 75008 Paris.

La société RLG Europe BV, qui fait partie du groupe de luxe Richemont, commercialise en France, à travers un réseau de distributeurs agréés, les produits d'horlogerie de la marque Cartier. Madame Klingbeil, distribue, par contrats de distribution sélective successifs, des produits de la marque Cartier depuis 1998.

En décembre 2011, Madame Klingbeil a été autorisée à vendre des accessoires de la marque Cartier par l'intermédiaire d'un site de vente en ligne, www.grainedeluxe.com.

Le 22 mars 2012, la société RLG Europe BV et Madame Klingbeil ont régularisé un nouveau contrat de distribution sélective.

Durant l'été 2012, Madame Klingbeil a transféré son fonds de commerce rue Saint Florentin dans le 8e arrondissement de Paris.

En septembre 2012, la société RLG Europe BV aurait cessé d'honorer les commandes de Madame Klingbeil, qui indique qu'à compter de cette date, elle n'a plus reçu aucune livraison des produits de la marque Cartier tant pour sa boutique " Aux Marches du Palais " que pour son site Internet www.grainedeluxe.com.

Le 13 novembre 2012, Madame Klingbeil a adressé un courriel à Monsieur Thevenin, son interlocuteur de la société RLG Europe BV en France, afin d'obtenir la poursuite des livraisons et la reprise de son service après-vente.

Le 23 novembre 2012, la société RLG Europe BV a adressé à Madame Klingbeil une mise en demeure de respecter les obligations issues du contrat de distribution sélective, et plus particulièrement l'article 1-2 qui exige un accord écrit préalable de la société avant tout déménagement du point de vente.

Par courrier en recommandé du 25 février 2013, Madame Klingbeil a dénoncé à la société RLG Europe BV une rupture brutale des relations commerciales.

Par courrier du 28 mars 2013, la société RLG Europe BV a résilié le contrat de distribution sélective du 22 mars 2012.

C'est dans ces conditions que Madame Klingbeil a, par acte du 1er juillet 2013, assigné la société RLG Europe BV devant le Tribunal de commerce de Paris pour solliciter sa condamnation pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement en date du 6 octobre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté Madame Danielle Simon épouse Klingbeil de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Madame Danielle Simon épouse Klingbeil à payer à payer à la société RLG Europe BV Swiss Branch la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en a déboutées,

- condamné Madame Danielle Simon épouse Klingbeil aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par Madame Klingbeil de ce jugement.

Par conclusions du 16 janvier 2015, Madame Klingbeil demande à la cour de :

vu l'article L. 442-6, I du Code de commerce,

- infirmer le jugement de la 13e chambre du Tribunal de commerce de Paris du 6 octobre 2014 RGn°2013062177,

- constater le caractère établi des relations commerciales entre Madame Klingbeil et la société RLG Europe BV depuis 1998 par les points de vente du site Internet www.grainedeluxe.com et du 9 rue Saint-Florentin à Paris 8e,

- constater que la société RLG Europe BV a cessé sans préavis d'honorer ses commandes auprès de Madame Klingbeil, dès le mois de juin 2012,

- dire que la société RLG Europe BV a suspendu brutalement son obligation de livraisons auprès de Madame Klingbeil,

- dire que le comportement de la société RLG Europe BV est constitutif d'une rupture brutale et fautive des relations commerciales établies,

En conséquence,

- condamner la société RLG Europe BV à verser à Madame Danielle Klingbeil la somme de 11 238,48 euros de dommages intérêts au titre de la perte d'investissements réalisés pour le site www.grainedeluxe.com,

- condamner la société RLG Europe BV à verser à Madame Danielle Klingbeil la somme de 10 000 euros de dommages intérêts au titre du préjudice d'image,

- condamner la société RLG Europe BV à verser à Madame Danielle Klingbeil la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société RLG Europe BV aux entiers dépens.

Par conclusions du 6 mars 2015, la société RLG Europe BV Swiss Branch demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 6 octobre 2014,

y ajoutant,

- condamner Madame Klingbeil à payer à la société RLGE la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens qui seront recouvrés en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Motivation

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies Madame Klingbeil sollicite de la cour qu'elle constate qu'il existe des relations commerciales établies depuis 1998 entre elle et la société RLG Europe BV matérialisées par le point de vente " Aux Marches du Palais " et le site Internet www.grainedeluxe.com.

Elle soutient que depuis le mois de septembre 2012, sans aucun préavis ni information préalable, la société RLG Europe BV a cessé de lui livrer ses produits Cartier, aussi bien pour son point de vente physique que pour son site Internet, sans l'informer ni lui notifier la suspension des livraisons, ce qui constitue une rupture soudaine et imprévisible des relations commerciales.

Elle avance que la société RLG Europe BV était parfaitement au courant du transfert de son point de vente et y avait consenti, ajoute que cette société a suspendu brutalement et sans préavis depuis septembre 2012 l'approvisionnement des produits Cartier de son site Internet, dont le fonctionnement est parfaitement indifférent à tout déménagement.

La société RLG Europe BV estime que la résiliation sans préavis du contrat de distribution sélective est justifiée par la violation des stipulations du contrat qui prévoit qu'un accord préalable de la société RLG Europe BV est nécessaire pour tout transfert de point de vente.

Sur ce

L'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce prévoit que " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

En l'occurrence, il ressort des pièces versées que Madame Klingbeil a signé avec la société Cartier les 6 novembre 1998 et 28 août 2006, puis avec la société RLG Europe BV le 22 mars 2012, des contrats de distribution sélective successifs, lesquels étaient d'une durée d'une année avec clause de reconduction tacite.

Le contrat de distribution sélective conclu le 22 mars 2012 entre Madame Klingbeil et la société RLG Europe BV prévoit en son article 1.2

" Le droit ... (de distribuer et de vendre les produits) pourra être exercé par le Détaillant Agréé exclusivement dans le point de vente à l'enseigne Aux Marches du Palais sis à l'adresse suivante : 2 places de la Porte Maillot 75017 Paris 17 - France (ci-après le " Point de Vente ").

Tout déménagement du Point de Vente requerra l'accord écrit préalable de la Société. Il en ira de même si le Détaillant Agrée souhaite aussi vendre les Produits dans tout autre point de vente que le Point de Vente ".

Si, par courriel du 1er novembre 2012, Madame Klingbeil a informé la société RLG Europe BV de son changement d'adresse pour le 9, rue Saint Florentin dans le 8e arrondissement de Paris, elle ne justifie pas avoir obtenu préalablement l'accord écrit de la société RLG Europe BV pour un tel déménagement de son point de vente.

En effet, le courriel du 27 juin 2012 du fils de Madame Klingbeil adressé à leur correspondant de la société RLG Europe BV, lui présentant " une suggestion de compte-rendu de réunion " qui évoque que Madame Klingbeil et son fils " envisagent d'ouvrir un nouveau point de vente de plus de 100 m² rue du Faubourg-Saint Honoré... " ne saurait valoir accord préalable écrit de la société RLG Europe BV pour un tel transfert au sens de l'article 1.2 du contrat, un tel courriel n'engageant pas la société RLG Europe BV, évoquant un projet d'ouverture et non un déménagement, et concernant un point de vente rue du faubourg Saint Honoré et non rue Saint Florentin.

Le tribunal a justement relevé que si le courriel de Madame Klingbeil du 13 novembre 2012 annonçait qu'une demande " en bonne et due forme " allait parvenir à la société RLG Europe BV, celle-ci n'a pas été rendue destinataire d'une telle demande.

Par conséquent, il est établi que Madame Klingbeil a déplacé son point de vente en violation des dispositions de l'article 1.2 du contrat applicable entre les sociétés.

Au surplus, il ne ressort pas des pièces versées par Madame Klingbeil que la société RLG Europe BV aurait cessé d'honorer ses commandes à compter de septembre 2012, antérieurement à son courriel du 1er novembre 2012 annonçant le transfert de son point de vente.

Au regard de cette violation du contrat de distribution, la société RLG Europe BV était fondée à adresser une lettre de mise en demeure visant l'article 8.2 du contrat, qui prévoit la faculté de résiliation ouverte à chacune des parties avec effet immédiat en cas de violation par son contractant d'une disposition du contrat, ayant fait l'objet d'une mise en demeure par lettre recommandée restée infructueuse dans un délai de trente jours.

Elle apparaît légitime à avoir, dans ce cadre, suspendu l'exécution de ses obligations contractuelles, s'agissant de la demande de livraison contenue dans le courrier du 13 novembre 2012 de Madame Klingbeil.

Un tel déplacement du point de vente est de nature à justifier la résiliation sans préavis, par la société RLG Europe BV, des relations commerciales qu'elle entretenait avec Madame Klingbeil, s'agissant d'une inexécution de ses obligations contractuelles par l'une des parties au sens de l'article L. 442-6 I 5e précité.

Madame Klingbeil est mal fondée à distinguer la commercialisation des produits dans son point de vente et sur son site Internet, alors que la distribution par ce site n'a fait l'objet d'aucun avenant au contrat de distribution comme le prévoyait la lettre de la société RLG Europe BV du 12 décembre 2011 qui avait autorisé " dans l'immédiat " la poursuite de la vente sur ce site en précisant que ces ventes étaient autorisées " à titre tout à fait exceptionnel et temporaire ", de sorte que la vente par ce site apparaissait accessoire et dépendant du contrat de distribution sélective applicable entre Madame Klingbeil pour son point de vente de la porte Maillot et la société RLG Europe BV.

Il sera relevé que l'attitude d'autres sociétés du même groupe que la société RLG Europe BV ne saurait avoir de conséquence sur l'appréciation de la violation par Madame Klingbeil de ses obligations contractuelles à l'égard de cette société.

De même, l'envoi le 25 février 2013 par la société RLG Europe BV d'un avenant au contrat de distribution paraît s'inscrire dans l'expédition d'une lettre-type à tous les distributeurs aux fins de mise en conformité de la loi n° 2008-387 du 22 mars 2012 transposant la directive européenne n° 2011/7/UE, de sorte que Madame Klingbeil ne peut en tirer de conséquence.

Au vu de ce qui précède, la société RLG Europe BV était fondée à résilier, par courrier du 25 mars 2013, le contrat de distribution la liant à Madame Klingbeil, et cette rupture n'apparaît pas brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce au vu de l'inexécution par Madame Klingbeil de ses obligations.

Madame Klingbeil sera donc déboutée de sa demande en ce sens.

Sur les autres demandes Madame Klingbeil succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.

Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 3000 euros à la société RLG Europe BV au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 octobre 2014 en toutes ses dispositions, y ajoutant, condamne Madame Klingbeil au paiement de la somme de 3000 euros à la société RLG Europe BV au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne Madame Klingbeil au paiement des dépens.