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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 mai 2017, n° 14-13330

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Nespresso France (SAS), Nestle Nespresso (SA), Nestle (SA)

Défendeur :

Ethical Coffee Company (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Guizard, Martineau, Guerre, Christol

CA Paris n° 14-13330

10 mai 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Le groupe Nestlé est l'un des leaders mondiaux de l'industrie alimentaire et de l'industrie du café. Il détient les sociétés SA Nestlé, SAS Nespresso France et SA Nestlé Nespresso.

La SA Nestlé (ci-après " la société Nestlé ") est la société mère qui détient des participations au sein de ses filiales. La SA Nestlé Nespresso (ci-après " la société Nestlé Nespresso "), dont le siège est situé à Lausanne, fabrique et vend en Suisse et à l'étranger " des produits alimentaires et diététiques, notamment du café, et d'appareils permettant la distribution de tels produits et d'accessoires " ; elle participe à la conception et au développement des machines et des capsules Nespresso. La SAS Nespresso France (ci-après " la société Nespresso France "), dont le siège est situé à Paris, a pour activité " la fabrication et la vente en France et à l'étranger de produits alimentaires et diététiques appareils permettant la distribution de tels produits " ; elle distribue les capsules Nespresso sur le territoire français.

Le groupe Ethical Coffee Company (ci-après ECC), fondé en 2008 par Mr Gaillard, ex-CEO de Nespresso, détient les sociétés SA Ethical Coffee Company et SA Ethical Coffee Company (Suisse). Le groupe ECC commercialise sur le marché français et européen des capsules de café biodégradables brevetées et compatibles avec les machines Nespresso.

La société Ethical Coffee Company (Suisse) SA (ci-après " la société Ethical Coffee Company (Suisse) "), dont le siège est situé à Fribourg, fabrique et commercialise " des produits alimentaires notamment dérivés du café, dans un conditionnement recyclable " ; elle a développé des capsules à café compatibles avec les machines Nespresso. La société Ethical Coffee Company (ci-après " la société Ethical Coffee Company "), dont le siège est également situé à Fribourg, est une société de recherche et développement qui détient les droits de propriété intellectuelle sur les capsules de café biodégradables.

Depuis 1986, le groupe Nestlé commercialise les machines, ainsi que les capsules à café Nespresso. Si les machines Nespresso sont commercialisées auprès du grand public par les magasins ou les sites Internet marchands de la grande distribution ainsi que par Nespresso, dans ses boutiques, par téléphone et par Internet, les capsules Nespresso ne peuvent être acquises par le consommateur que par l'intermédiaire du club Nespresso, soit en se rendant dans les boutiques Nespresso, soit par téléphone, soit par Internet. Le prix des capsules, vendues par paquets de 10 unités, variait à l'époque des faits entre 0,35 et 0,42 euros.

A partir du 27 mai 2010, les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) et Ethical Coffee Company (ci-après dénommées " les sociétés ECC ") ont commercialisé des capsules de café biodégradables compatibles avec les machines Nespresso. Ces capsules sont fabriquées à base de fibres de plantes (amidon de maïs) et sont présentées comme biodégradables. Elles sont distribuées en GMS et ont été proposées, lors de leur lancement, à un prix inférieur à celui des capsules nespresso, soit 26,5 centimes d'euros. Entre mai 2010 et avril 2012, les sociétés ECC ont vendu leurs capsules au groupe Casino sous marque de distributeur. À partir d'avril 2012 le réseau de distribution des capsules ECC s'est étendu aux enseignes du groupe Auchan. Elles sont aujourd'hui commercialisées en grandes et moyennes surfaces dans une multitude d'autres enseignes.

Selon les dires des sociétés ECC, les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France auraient, dès le mois d'avril 2010, dénigré les capsules ECC, directement par le biais du club Nespresso et indirectement par l'intermédiaire de faux avis de consommateurs diffusés sur Internet.

Selon les dires des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France, les sociétés ECC auraient, quant à elles, dès le mois d'avril 2011, tenté de jeté le discrédit sur les produits de la marque Nespresso.

Par exploit du 4 décembre 2012, les sociétés ECC ont saisi le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles 1382 (ancien) du Code civil et L. 121-1-1, 21° (ancien) du Code de la consommation aux fins de voir constater que les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale à leur encontre, en dénigrant leur capsules ECC à travers le club Nespresso ainsi que par le biais de faux avis de consommateurs, et d'obtenir la cessation ainsi que la réparation de ces pratiques.

Les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France ont conclu au débouté des demandes des sociétés ECC, estimant qu'aucun élément probant ne permettait de caractériser ces actes de dénigrement. A titre reconventionnel, les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France demandaient au tribunal de constater les actes manifestes de dénigrement commis par les sociétés ECC, dont elles sollicitaient réparation à hauteur de 1 euro symbolique.

Le 17 avril 2013, les sociétés ECC ont parallèlement saisi le juge des référés d'une procédure d'heure à heure aux fins d'enjoindre les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France de cesser sous astreinte tout acte de dénigrement à leur encontre. Par ordonnance du 16 mai 2013, le juge des référés a débouté les sociétés ECC de l'ensemble de leurs demandes.

Par jugement du 6 juin 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso au titre d'actes de concurrence déloyale effectués en dénigrant les capsules ECC à travers le Club Nespresso et les a condamnées à verser la somme de 500 000 euros aux sociétés Ethical Coffee Company à ce titre, - enjoint aux sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France de cesser tout acte de dénigrement à l'égard des sociétés Ethical Company par l'intermédiaire du club Nespresso sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à l'issue d'un délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement, - débouté les parties de toutes les autres demandes et notamment celles demandant une expertise et reconventionnelles, - condamné solidairement les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France à verser aux sociétés Ethical Coffee Company la somme globale de 40 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, - ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, - condamné solidairement les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 152,64 euros dont 25,22 euros de TVA.

La Cour,

Vu l'appel interjeté par les sociétés Nespresso France SAS, Nestle SA et Nestle Nespresso SA et leurs conclusions du 9 février 2017 dans lesquelles elles demandent à la Cour de :

à titre liminaire, sur l'intérêt à agir de la société Ethical Coffee Company SA,

-déclarer irrecevables les demandes formées par la société Ethical Coffee Company SA à l'encontre des sociétés Nestle SA, Nespresso France SASet Nestle Nespresso SA pour défaut d'intérêt à agir,

-dire et juger que les sociétés Nestle SA et Nestle Nespresso SA sont hors de cause,

en conséquence,

-déclarer irrecevables les demandes formées par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA à l'encontre des sociétés Nestle SA et Nestle Nespresso SA,

en toutes hypothèses,

-débouter les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company de l'ensemble leurs demandes,

en tout état de cause,

-dire et juger que le procès-verbal de constat d'huissier produit par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA ne respecte ni les dispositions de l'ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 ni le principe de loyauté dans l'administration de la preuve et doit donc être écarté des débats, est irrecevable comme mode de preuve et en toutes hypothèses insusceptible de constituer un quelconque élément de preuve contre les sociétés Nestle SA, Nestle

Nespresso SA et Nespresso France SAS,

-dire et juger que les attestations, reportages, et autres documents produits par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA au soutien de leurs demandes sont insusceptibles de constituer un quelconque élément de preuve contre les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS,

-dire et juger que les sociétés Ethical Coffee Company (SUISSE) SA et Ethical Coffee Company SA ne sollicitent plus d'indemnisation au titre d'un prétendu préjudice commercial devant la Cour de céans,

en toutes hypothèses,

-dire et juger que les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS n'ont commis aucun acte de dénigrement à l'égard des sociétés Ethical Coffee Company (SUISSE) SA et Ethical Coffee Company SA,

-dire et juger que les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA ne justifient d'aucun préjudice qui aurait été causé par les actes de dénigrement qu'elles imputent aux sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS,

en conséquence,

-infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 6 juin 2014, en ce qu'il a déclaré les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS responsables d'actes de

dénigrement à l'égard des sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA et en ce qu'il a condamné les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS à verser la somme de 500 000 euros aux sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA, au titre de leur prétendu préjudice d'image, en ce qu'il a enjoint aux sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS de cesser tout acte de dénigrement par l'intermédiaire du Club Nespresso sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à l'issue d'un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, en ce qu'il a condamné les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SASà verser 40 000 euros aux sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

et, statuant à nouveau,

-débouter les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA de l'ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,

-dire et juger que les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA se sont rendues responsables d'actes de dénigrement à l'encontre des sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS, par l'intermédiaire d'articles publiés sur Internet, de communiqués de presse, de tracts, et d'interview visant tous à jeter le discrédit sur la marque Nespresso,

en conséquence,

-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS de leurs demandes formées à titre reconventionnel,

et statuant à nouveau,

-condamner in solidum les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA à verser aux sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS, la somme de 1 euro à titre de réparation du préjudice causé,

-enjoindre aux sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA de retirer du site http://ethicalcoffeecompany.com/ toute mention directe ou indirecte des sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS et/ou du Club Nespresso, sous astreinte de 10 000 euros par jour à compter de l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de l'arrêt d'appel à intervenir,

-dire et juger que les sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS pourront publier l'arrêt d'appel à intervenir dans six journaux économiques de leur choix, dont trois en France et trois en Suisse, aux frais des sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company,

en tout état de cause,

-débouter les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA de l'ensemble de leurs demandes, moyens, fins, et conclusions,

-condamner solidairement les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA à verser la somme de 50 000 euros aux sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit du Cabinet Guizard et Associés ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 20 février 2017 par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) et Ethical Coffee Company, intimées, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

-juger que la prétention des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France de voir déclarer irrecevable en son action la société Ethical Coffee Company (formulée pour la première fois par écritures adverses du 17 février 2017) est infondée, et, partant, la rejeter,

-juger que les demandes de mise hors de cause des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso (formulées pour la première fois par écritures adverses du 13 octobre 2016) sont infondées, et partant les rejeter

-confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

-admis que les différentes pièces versées par les sociétés Ethical Coffee Company. et Ethical Coffee Company (Suisse) étaient recevables, en ce compris le constat d'huissier du 20 décembre 2012,

-jugé que les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France s'étaient rendues coupables d'actes de concurrence déloyale par dénigrement des sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse),

-admis l'existence d'un dommage subi par les sociétés Ethical Coffee Company. et Ethical Coffee Company (Suisse), du fait des actes de concurrence déloyale par dénigrement commis par les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France, et l'existence d'un lien de causalité entre lesdits actes et le préjudice,

-admis, sur le principe, l'existence d'un préjudice d'image subi par les sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse),

-enjoint aux sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France, sous astreinte, de cesser tout acte de dénigrement des capsules ECC via le club Nespresso,

-jugé que les sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) ne s'étaient rendues coupables d'aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France, et a rejeté en conséquence leurs demandes reconventionnelles,

-condamné les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France à verser aux sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) un montant de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

-infirmer le jugement de première instance pour le surplus, et en conséquence :

-juger que les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France ont commis des actes de -concurrence déloyale en dénigrant les capsules ECC par l'usage de faux avis de consommateurs,

-condamner solidairement les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso Franc à verser aux sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) la somme de 1 000 000 euros de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à l'image et à la valeur de la marque ECC,

-ordonner aux sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France de cesser la publication via Internet de tout message de dénigrement faussement présenté comme émanant d'un consommateur en relation avec les capsules ECC,

-assortir cette injonction d'une astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à l'issue d'un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

-ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux ou revues au choix des sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse), et aux frais avancés des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France, dans la limite de 5 000 euros HT par insertion,

-ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil des sites Internet www.Nestlé.com, www.Nespresso.com, www.Nespresso.com/fr et www.Nespresso.fr, en caractères au moins aussi apparents que les autres mentions figurant sur cette page d'accueil, et, ce, pendant une durée de trois mois,

-ordonner la lecture du dispositif de l'arrêt à intervenir dans un message d'accueil diffusé lors de tout appel au club Nespresso, et, ce, pendant une durée de trois mois,

-ordonner l'affichage du dispositif de l'arrêt à intervenir dans tout point de vente à enseigne Nespresso situé sur le territoire français, et, ce, pendant une durée de trois mois,

-assortir ces injonctions de diffusion et d'affichage d'une astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et par jour de retard, à l'issue d'un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

-condamner solidairement les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France à verser aux sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

-les condamner solidairement aux entiers dépens,

-donner acte aux sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) de ce qu'elles estiment avoir subi un préjudice commercial du fait du dénigrement commis par les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France à leur égard, et que ce préjudice fait partie du préjudice commercial global subi par les sociétés Ethical Coffee Company et Ethical Coffee Company (Suisse) en raison de la stratégie d'éviction mise en œuvre par les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France à leur égard, dont l'indemnisation sera sollicitée dans le cadre d'une prochaine instance distincte ;

SUR CE,

Sur l'irrecevabilité de l'action en concurrence déloyale de la société Ethical Coffee Company SA

Les sociétés appelantes exposent que, cette société ne justifiant d'aucune activité en France, elle ne peut se plaindre de pratiques de concurrence déloyale en France.

Les sociétés ECC soutiennent que la société Ethical Coffee Company est recevable à agir, même si elle ne commercialise pas les capsules de café ECC en France, dès lors qu'elle est la holding d'un groupe ayant une activité commerciale en France et qu'elle est donc personnellement victime des agissements des sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France.

En vertu de l'article 31 du Code de procédure civile : " l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ". L'intérêt est une condition d'existence de toute action en justice. Cet intérêt doit être direct et personnel, ce qui implique que, pour agir en concurrence déloyale, il faut être directement victime des agissements déloyaux.

Or, les pratiques de dénigrement dénoncées sont relatives à des propos tenus par les téléopérateurs du Club Nespresso et à la publication sur Internet de faux avis de consommateurs. Ces pratiques sont commises sur le territoire français et ont pour effet de nuire à la vente, en France, des capsules ECC concurrentes. Seule la société Ethical Coffee Company (Suisse) SA, qui fabrique et commercialise les capsules ECC, est donc victime directe de ces pratiques, au vu des éléments versés au dossier.

En effet, il est également précisé dans l'extrait du Registre du Commerce de la société Ethical Coffee Company SA, que son objet social réside dans " l'acquisition, la gestion, la détention et l'exploitation de prises de participations dans tous types de sociétés ou entreprises, et pour tous domaines d'activités liés à la fabrication et commercialisation de produits alimentaires, notamment dérivés du café (') ", et dans " l'acquisition, la gestion, la détention et l'exploitation de droits de propriété intellectuelle et autres droits immatériels, notamment de brevets ". Il n'entre donc pas dans son objet de commercialiser ou d'exploiter en France les capsules compatibles. Elle revendique d'ailleurs elle-même dans ses conclusions en date du 12 janvier 2017, qu'elle " ne se livre à aucune exploitation en France " (page 7 des conclusions du 12 janvier 2017 des sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA).

La société Ethical Coffee Company SA n'ayant, de son propre aveu, aucune activité de vente de capsules ECC en France, elle n'a pas d'intérêt à agir en responsabilité pour dénigrement portant sur ces capsules.

Sur la mise hors de cause des sociétés Nestle SA et Nestle Nespresso SA

Les sociétés intimées soutiennent que les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical

Coffee Company SA n'ont produit à ce jour aucun élément permettant de mettre en cause les sociétés Nestle Nespresso SA et Nestle SA, personnes morales indépendantes juridiquement. Il est demandé à la Cour de prononcer leur mise hors de cause. Seule la société Nespresso France SAS, qui organise le " Club Nespresso " pour la France, serait intéressée à la présente affaire.

Les sociétés ECC soutiennent que les sociétés Nestlé et Nestlé Nespresso sont responsables à titre personnel, avec la société Nespresso France, des pratiques de dénigrement à l'encontre des sociétés ECC, indépendamment de leur nationalité ou de leur siège social. En effet, elles prétendent que :

-les téléopérateurs du club Nespresso agissent au nom et pour le compte de la société Nestlé, qui est responsable de la communication pour l'ensemble du groupe Nestlé,

-la société Nestlé Nespresso est responsable au niveau mondial de la gestion de la division Nespresso, et donc du club Nespresso, dont elle rédige les scripts des téléopérateurs.

-la démonstration d'une faute personnelle au sens strict n'est pas nécessaire dans un groupe de société.

Mais si la responsabilité d'une société mère peut être engagée au titre de pratiques anticoncurrentielles commises par ses filiales lorsqu'elles constituent, ensemble, une entreprise au sens du droit la concurrence, tel ne peut être le cas de sa responsabilité en matière de concurrence déloyale, qui ne peut être engagée que si est démontrée l'immixtion de la société mère dans la gestion de ses filiales ou encore, en vertu de la théorie de l'apparence, pour protéger les cocontractants qui ont pu croire qu'ils contractaient avec la société mère. En dehors de ces cas limitatifs, la responsabilité d'une société mère ne peut être engagée qu'en raison de ses fautes personnelles.

Or, les sociétés intimées n'apportent aucun élément au dossier permettant de vérifier leurs assertions selon lesquelles la société Nestlé SA sera responsable de la communication pour l'ensemble du groupe Nestlé et aurait donc une part de responsabilité dans le fonctionnement du Club Nespresso et selon lesquelles la société Nestlé Nespresso aurait rédigé les scripts des téléopérateurs du Club Nespresso. Dès lors, leur implication dans les pratiques dénoncées par les sociétés intimées n'étant pas établie, il y a lieu de les mettre hors de la cause.

Sur la recevabilité des éléments versés aux débats par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA au soutien de leurs demandes

Si les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France soutiennent que les personnes physiques dont les propos prétendument rapportés démontreraient le dénigrement ne sont pas identifiées et ne permettent donc pas de mettre en cause les personnes morales commettantes en cause, la cour approuve les sociétés ECC, en ce qu'elles soulignent que leur absence d'identification importe peu puisque ces personnes sont bien téléopérateurs du club Nespresso, ainsi qu'elles l'indiquent au début de chaque appel et que leurs propos sont dès lors de nature à engager leur employeur.

Sur le constat d'huissier du 20 décembre 2012

Les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France avancent ensuite que le procès-verbal de constat d'huissier, qui retranscrit des conversations téléphoniques prétendument tenues entre les téléopérateurs du club Nespresso et de faux consommateurs, produit par les sociétés ECC, est irrecevable à titre de preuve, les enregistrements retranscrits par l'huissier ayant été réalisés à l'insu de la personne enregistrée et à l'issue de manœuvres (procès-verbal de constat d'huissier du 25 décembre 2012 - pièce n° des intimées).

Les sociétés ECC soutiennent que le procès-verbal de constat d'huissier dénoncé par les appelantes est recevable car les conversations enregistrées relèvent de la sphère professionnelle, et les téléopérateurs du Club Nespresso savaient que leurs conversations étaient enregistrées par leur employeur dans ce cadre. Elles avancent que le procès-verbal a été dressé par l'huissier conformément aux règles applicables, et que l'huissier n'aurait pas pu constater les faits personnellement sans dévoiler son identité.

Mais le constat réalisé le 20 décembre 2012 par Maître Renassia, huissier de justice à Paris, a pour objet de retranscrire par écrit le contenu de quatre fichiers audio à lui transmis par la société Ethical Coffee Company (Suisse). Ces quatre enregistrements correspondent, pour trois d'entre eux, à des appels effectués par Mme Catherine Monnier les 22 juin, 4 juillet et 11 novembre 2012, et pour le dernier, à l'appel d'un individu ne déclinant pas son identité, le 22 novembre 2012. Dans ces quatre appels adressés au Club Nespresso, la personne qui appelle le club fait état de problèmes de compatibilité des capsules concurrentes de Nespresso avec la machine Nespresso et notamment de la situation de blocage consécutif à l'insertion de certaines capsules. Ainsi interrogés, les différents interlocuteurs du club Nespresso exposent que les capsules concurrentes sont difficilement compatibles avec la machine Nespresso et expliquent ainsi les difficultés rencontrées, se référant également aux clauses de garantie de l'appareil, qui excluent la garantie en cas d'usage de capsules concurrentes.

Il résulte de l'article 9 du Code de procédure civile qu'" Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ". Le principe de loyauté dans le recueil des preuves constitue un principe fondamental qui s'applique aussi en matière commerciale. L'enregistrement d'une communication téléphonique réalisée à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve.

La circonstance que les téléopérateurs et les consommateurs soient enregistrés dans le cadre du suivi effectué en interne par la société Nespresso France SAS et que les protagonistes en soient informés n'enlève pas aux enregistrements leur caractère déloyal. En effet, bien qu'ayant été avertis qu'ils étaient enregistrés par leurs employeurs dans des conditions que les intimées ne précisent d'ailleurs pas, les téléopérateurs ne pouvaient deviner qu'ils étaient enregistrés par des consommateurs fictifs pour se préconstituer des preuves. Les propos considérés comme dénigrants par les sociétés intimées sont constituées des réponses des téléopérateurs aux questions orientées posées par les consommateurs fictifs, qui les ont donc provoqués et conduits à tenir des propos susceptibles d'incriminer leur commettant.

Il y a donc lieu de dire ces enregistrements et leur retranscription par voie d'huissier irrecevables à titre de preuves.

Sur les attestations

Parmi les quatre attestations versées aux débats qui témoigneraient du dénigrement, trois seraient dépourvues de valeur probante, selon les sociétés appelantes, car deux d'entre elles émaneraient d'un salarié de la société de communication de la société Ethical Coffee Company, Mr Franchini, et de sa compagne, Madame Cariou, et la troisième serait irrégulière. Les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France soutiennent que les attestations de consommateurs qui se seraient manifestés pour dénoncer les pratiques des téléopérateurs du club Nespresso produites par les sociétés ECC ne sont pas crédibles et doivent être écartées des débats, car elles ont, en réalité, été obtenues par des personnes liées aux sociétés Ethical Coffee Company.

Les sociétés ECC soutiennent que les attestations de consommateurs sont sérieuses et conformes au Code de procédure civile, les consommateurs s'étant spontanément adressés aux sociétés ECC, et aucun élément ne permet de remettre en cause leur impartialité ou leur indépendance.

Si les quatre attestations sont régulières en la forme, il convient de tenir compte de la proximité de deux de ses rédacteurs aux sociétés intimées pour en apprécier la valeur probante. Il n'y a donc pas lieu de les écarter ab initio, mais d'en évaluer la portée pour démontrer le grief de dénigrement.

Sur les reportages radiophoniques

Les sociétés Nestlé, Nestlé Nespresso et Nespresso France soutiennent que les reportages radiophoniques et télévisés produits par les sociétés ECC doivent être écartés des débats, car en plus de ne pas être fiables, ils seraient contraires au principe de loyauté de la preuve puisqu'ils ont également enregistrés des propos de téléopérateurs du Club Nespresso à l'insu de leurs auteurs. Pas plus que les enregistrements ou les attestations précédemment évoquées, ces reportages versés aux débats par les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA ne permettraient d'assurer l'authenticité des conversations prétendument rapportées, ni l'impartialité et l'indépendance des journalistes, réalisateurs, et producteurs impliqués dans leur réalisation. Ils seraient donc également irrecevables.

Les sociétés ECC soutiennent que leurs prétentions sont corroborées par deux reportages, l'un radiophonique, l'autre télévisé (pièces n°17 et 25 des intimées) et que ceux-ci sont recevables et ont force probante. En effet, ils n'ont pas été effectués à l'initiative des sociétés ECC et relèvent du droit à l'information du public.

Or, ces deux reportages relatent des appels téléphoniques réalisés par des journalistes auprès du Club Nespresso et la réponse qui a été apportée par les téléopérateurs du Club, faisant état de l'absence de compatibilité des capsules concurrentes avec les machines Nespresso. Pour les mêmes raisons que celles évoquées à propos des enregistrements retranscrits par le constat d'huissier du 20 décembre 2012, ces enregistrements, réalisés à l'insu des personnes enregistrées, sont irrecevables à titre de preuves.

Sur le dénigrement

Les sociétés appelantes rappellent que, pour être établi, le dénigrement suppose : un message malveillant de nature à jeter le discrédit sur un concurrent ; la diffusion de ce message à l'initiative de celui à qui le dénigrement est imputé ; un message délivré en dehors de tout devoir de conseil. Elles prétendent qu'aucune instruction n'a été donnée aux employés pour dénigrer la société Ethical Coffee ou ses produits et que les messages ont été délivrés en réponse à des questions et ne constituent que des informations ou des conseils.

Les sociétés ECC soutiennent que les téléopérateurs du club Nespresso ont tenu des propos dénigrants sur les capsules de café ECC afin de jeter le discrédit sur la qualité de ces capsules, remettre en cause leur compatibilité avec les machines Nespresso et alerter sur leur dangerosité potentielle pour la santé.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. Cette définition limite la qualification de dénigrement aux propos ou écrits publics et dont le contenu vise à jeter le discrédit sur des produits ou services. Il doit viser une personne donnée ou aisément identifiable. Enfin, il importe peu que l'information, dont la divulgation est de nature à jeter le discrédit sur un concurrent, soit exacte.

En l'espèce, pour démontrer la pratique de dénigrement, seules peuvent être retenues les quatre attestations versées aux débats.

Il résulte d'une attestation de Madame Oller en date du 10 septembre 2012 relatant un appel téléphonique au Club Nespresso le même jour, pour obtenir des informations sur les capsules autres que Nespresso ( pièce 9.1 des intimées), les propos suivants : " La conseillère Nespresso a confirmé que les capsules étaient compatibles avec la machine Nespresso mais qu'il a été constaté qu'une utilisation prolongée de ces capsules pouvait endommager la machine car elles sont en plastique et le plastique peut fondre dans la machine. Le plastique en fondant peut aussi se retrouver dans le café et des études sanitaires ont montré que c'est dangereux pour la santé. On peut donc utiliser ces capsules, elles sont compatibles mais sur le long terme elles peuvent endommager la machine Nespresso qui par conséquent ne peut plus garantir la réparation de la machine ".

Monsieur Franchini, consultant en communication travaillant pour la société Ethical Coffee a attesté le 30 juillet 2012 avoir appelé le 27 juillet 2012 le service Club Nespresso (pièce 9.2 des intimées) : " Il m'a d'abord été spécifié qu'utiliser d'autres capsules pouvait risquer d'endommager la machine. D'autre part, le conseiller m'a expliqué que seule la capsule Nespresso, du fait de sa conception spécifique, permet d'exploiter la pression maximale de la machine (19 bars) et de délivrer un vrai expresso. ['] Mon interlocuteur me précise que le conseil de ne pas acheter d'autres capsules n'est pas qu'un argument commercial, mais une recommandation spécifiée par le fabricant des machines, lequel ne garantit plus ses machines en cas d'utilisation de capsules autres que Nespresso. Il ajoute que ne pas suivre cette recommandation, deux risques de détérioration peuvent se produire : soit la capsule fond à l'intérieur, soit elle casse la grille d'extraction ".

Sa compagne, Madame Cariou (pièce 9.3 des intimées), a exposé, le 24 juillet 2012, avoir entendu les propos suivants, tenus point de vente par un vendeur Nespresso : " À cette occasion, le vendeur m'a spécifié que si j'achetais des capsules autres que celles de Nespresso je risquais d'endommager ma machine ".

Enfin, Madame Sayad a attesté le 31 juillet 2012 (pèce 9.4 des intimées) : " j'ai appelé le service client Nespresso (service technique) le 31 juillet 2012 suite à l'achat de capsules compatibles Nespresso dans un magasin Casino, afin d'avoir des informations sur la compatibilité des capsules. Il m'a répondu que ces capsules détérioraient systématiquement les machines, dans 8 cas sur 10. Les capsules concurrentes chauffent et se bloquent dans les machines. J'ai demandé en quoi cela affecte la garantie de ma machine Nespresso. On m'a répondu qu'en cas de blocage par capsule concurrente, la garantie ne fonctionnait pas et les frais de réparation seraient à notre charge. J'ai demandé comment le service Nespresso ferait pour identifier l'origine du blocage et on m'a répondu que les capsules Casino restaient bloquées dans la machine et détruisaient 2 petits éléments dans la machine Pixie. À ma question : pourquoi alors est ce que c'est marqué " capsules compatibles " sur les packs Casino, on m'a dit que des démarches légales étaient en cours pour rectifier cette situation ".

Il convient tout d'abord de replacer les propos ci-dessus dans leur contexte général. À cet égard les sociétés Ethical Coffee versent aux débats la décision n°14-D-09 du 4 septembre 2014 de l'Autorité la concurrence dans laquelle celle-ci a mis fin à la procédure intentée contre les sociétés Nespresso par les sociétés Ethical Coffee et la société Sara Lee, autre producteur de capsules concurrentes de Nespresso, en acceptant les engagements pris par Nespresso. Si cette décision d'engagement qui se ne prononce pas sur l'existence d'une infraction ne saurait lier le juge, les constatations qui y figurent peuvent permettre d'éclairer le cadre factuel des pratiques alléguées.

L'Autorité a constaté dans cette décision que la société Nespresso avait procédé à des modifications techniques sur les machines Nespresso afin de rendre les capsules produites par les concurrents incompatibles avec ses machines. Elle en a conclu que ces modifications répétées apportées aux spécifications techniques des machines étaient susceptibles de constituer un moyen technique de mettre en œuvre une vente liée, qualifiable d'abus de position dominante de la part de la société Nespresso. Elle a relevé que les mentions restrictives d'usage, de qualité ou de garantie en cas d'utilisation d'autres capsules que les capsules Nespresso, apposées sur les machines à café ou leur emballage, relayées auprès des consommateurs par des déclarations du directeur général de Nespresso France et par le discours de certains employés du Club Nespresso, avaient incité les consommateurs à considérer que leur machine Nespresso ne fonctionnerait pas ou fonctionnerait moins bien avec les capsules concurrentes. L'Autorité n'a pas qualifié ces pratiques de dénigrement mais a souligné qu'elles s'articulaient avec les modifications techniques précédemment décrites et les renforçaient.

Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu d'examiner si les propos ci-dessus rapportés dans les attestations subsistant dans les débats permettent de caractériser, dans le chef de la société Nespresso, une pratique de dénigrement.

En premier lieu, les attestations de Mr Franchini et de Mme Cariou sont à considérer avec circonspection, compte tenu des liens plus ou moins directs avec les sociétés ECC.

En deuxième lieu, les téléopérateurs dont les propos sont rapportés dans les attestations, n'ont fait que relater un fait objectif, selon lequel l'usage de capsules concurrentes a pour effet potentiel d'endommager la machine Nespresso et exclut la garantie. Il est exact que du fait des modifications techniques opérées sur les machines Nespresso, l'usage de capsules concurrentes était rendu à chaque fois plus difficile et nécessitait de la part des fabricants concurrents de réadapter leur modèle de capsules pour qu'elles soient compatibles. Les propos tenus ne sont nullement dénigrants.

En troisième lieu, la société Ethical Coffee n'est pas expressément visée dans les quatre messages, seules étant visées, dans un message unique, les capsules sous MDD Casino, dont le grand public ignore qu'elles sont fabriquées par ECC. La référence aux capsules en plastique, qui risquent de fondre dans la machine Nespresso, concerne les seules capsules de Sara Lee.

Au total, la société Ethical Coffee ne démontre pas avoir été victime d'une pratique de dénigrement.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris et de la débouter de sa demande.

Sur la publication de faux avis de consommateurs en ligne par les appelantes

Les sociétés ECC soutiennent que la publication de faux avis de consommateurs en ligne par les appelantes constitue également un dénigrement.

Mais les sociétés intimées ne justifient pas comment et à quel titre ces personnes physiques, qui font part de leur avis sur les capsules d'ECC, seraient rattachées aux sociétés appelantes.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés intimées de leurs demandes au titre de pratiques commerciales trompeuses constitutives de dénigrement, fondée sur les faux avis de consommateurs.

Sur les demandes reconventionnelles des appelantes

Les appelantes soutiennent que les sociétés Ethical Coffee Company (Suisse) SA et Ethical Coffee Company SA ont dénigré les produits et services des sociétés Nestle SA, Nestle Nespresso SA et Nespresso France SAS par la publication de multiples articles sur internet depuis mai 2011 et jusqu'à ce jour, par la diffusion de communiqués de presse, la distribution de tracts, ainsi que par la publication d'interview télévisées et dans la presse écrite, postérieurement à leur assignation. Il est demandé à la Cour de constater que l'ensemble de ces propos revêt un caractère malveillant, et caractérise le dénigrement pour chacun des supports de communication utilisés.

Les sociétés ECC soutiennent que les appelantes ont " détourné " les pièces du dossier, notamment les reportages France 5 et Europe 1, pour prouver que les intimées auraient commis des actes de dénigrement. Elles prétendent que les propos qui leur sont reprochés ne sont pas constitutifs de dénigrement. En effet, ce sont des propos informatifs qui constituent la légitime défense des sociétés ECC dans le cadre d'une procédure en cours ; en outre, les campagnes de communication et débats d'idée par un concurrent ne constituent pas un dénigrement ; enfin, l'usage de propos humoristiques ne constitue pas un dénigrement.

Il y a lieu de rappeler que les pratiques de concurrence déloyale, et, notamment, de dénigrement, supposent la démonstration d'une faute, la preuve par faisceau d'indices étant insuffisante.

Le communiqué de presse du 5 décembre 2012 des sociétés ECC n'a eu pour but que d'annoncer l'action engagée par elles devant le Tribunal de commerce, sans présager de l'issue de cette procédure, et sans par ailleurs comporter le moindre discrédit sur les capsules Nespresso (pièce de Nespresso n° 5). L'article de la revue " Coffee and Cocoa international ", de mars 2016 (pièce 43 de Nespresso), relate les propos de Mr Jean-Paul Gaillard, qui souligne la supériorité des capsules EEC par rapport à celles de Nespresso, s'agissant de la pollution et du réchauffement climatique, compte tenu de leur caractère biodégradable et rappelle les instances passées et en cours entre les parties, sans véritablement jeter le discrédit sur les capsules Nespresso.

Les seuls messages dévalorisants invoqués figurent soit dans le blog personnel de Mr Jean-Paul Gaillard, qui ne saurait en soi engager les sociétés ECC, soit dans une vidéo mise en ligne le 1er avril 2016 sur la page YouTube de la chaîne " 8 Mont Blanc ", dont la cour ignore les circonstances de mise en ligne, dans laquelle Mr Gaillard qualifie de " ridicule " l'emballage en aluminium des capsules Nespresso. De plus, ce propos ne peut être en soi constitutif de dénigrement.

Par ailleurs, les deux reportages écartés des débats à la demande des appelantes ne peuvent servir à étayer des griefs contre les sociétés ECC.

Il convient, enfin, de prendre en compte, pour apprécier le caractère dénigrant des propos attribués aux sociétés ECC, le contexte particulier des pratiques commises par Nespresso, visant à freiner l'entrée sur le marché des capsules concurrentes, qui explique en partie la nécessité, pour les sociétés ECC, de défendre la qualité de leurs propres produits, sans pour autant dépasser les limites de la communication commerciale autorisée.

Cette demande sera donc rejetée, ainsi que les demandes d'injonction et de publication.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Par ces motifs : Dit que la société Ethical Coffee Company SA n'a pas d'intérêt à agir, Rejette en conséquence ses demandes, met les sociétés Nestle SA et Nestle Nespresso SA hors de cause, Rejette des débats le constat d'huissier du 22 décembre 2002 et les deux reportages radiophoniques, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés Nespresso au titre de pratiques de dénigrement, Et, statuant à nouveau, Déboute la société Ethical Coffee Company (Suisse) de ses demandes pour dénigrement, Déboute la société Ethical Coffee Company (Suisse) du surplus de ses demandes, Fait masse des dépens et condamne chacune des sociétés Nespresso France et Ethical Coffee Company (Suisse) à en supporter la moitié, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.