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Décisions

ADLC, 15 mai 2017, n° 17-D-07

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement de particuliers et du transfert d'entreprises

ADLC n° 17-D-07

15 mai 2017

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 9 mai 2014 sous le numéro 14/0043 F, par laquelle les sociétés Organidem et BDF Holding ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre e dans le secteur du déménagement par les sociétés Groupe Nasse Demeco et Demeco

SAS ; Vu la lettre, enregistrée le 18 août 2015 sous le numéro 15/0072 M, par laquelle les sociétés saisissantes ont demandé, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, l'octroi de mesures conservatoires ; Vu les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le Code de commerce ; Vu la décision n° 15-C-08 du 24 septembre 2015 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a donné acte aux parties saisissantes du désistement de leur demande de mesures conservatoires et a classé le dossier 15/0072 M; Vu les décisions de secret d'affaires n° 16-DSA-58 du 19 avril 2016, n° 16-DSA-279 du 06 septembre 2016, n° 16-DSA-284 du 14 septembre 2016, n° 16-DSA-309 du 30 septembre 2016, n° 16-DSA-319 du 05 octobre 2016 et n° 16-DECR-353 du 19 octobre 2016 ; Vu les observations présentées par les sociétés Organidem et BDF Holding et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint et les représentants des sociétés Organidem et BDF Holding entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 19 avril 2017, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

Dans la décision ci-après, l'Autorité de la concurrence décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'instruction en ce qui concerne des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement de particuliers et du transfert d'entreprises.

S'agissant de la pratique d'entente, l'Autorité a considéré que les éléments présents au dossier ne démontrent pas que les clauses du contrat de partenariat Demeco SAS, contestées par les saisissantes, constituent des restrictions de concurrence.

S'agissant de l'abus de position dominante, l'Autorité a considéré que les parts de marché détenues par la partie mise en cause ne permettaient pas d'établir l'existence d'une position dominante.

I. Rappel de la procédure

2. Les sociétés Organidem et BDF Holding (ci-après " les saisissantes ") ont, par lettre enregistrée le 9 mai 2014 sous le numéro 14/0043 F, saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques qui auraient été mises en œuvre à leur encontre par les sociétés Groupe Nasse Demeco et Demeco SAS dans le secteur du déménagement des particuliers et du transfert d'entreprises.

3. Par saisine enregistrée le 25 août 2015 sous le numéro 15/0072 M, les saisissantes ont demandé l'octroi de mesures conservatoires à l'encontre des sociétés Groupe Nasse Demeco et Demeco SAS puis se sont désistées de cette saisine le 17 septembre 2015. Ce désistement a été acté par la décision n° 15-C-08 du 24 septembre 2015.

4. L'instruction au fond a conduit à l'établissement d'une proposition de non-lieu, notifiée aux saisissantes le 1er décembre 2016.

II. Constatations

A. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. LES SEGMENTS D'ACTIVITÉ

5. Le marché du déménagement est composé de trois grands segments d'activité : le déménagement des particuliers, le transfert d'entreprises ou d'administrations et le déménagement international. Les services concernés par la présente affaire sont principalement ceux du déménagement de particuliers et du transfert d'entreprises ou d'administrations.

a) Le déménagement de particuliers

6. Le déménagement de particuliers correspond aux opérations de déménagement d'effets personnels et domestiques de personnes. Cette catégorie englobe également certains déménagements spécifiques. Il en va ainsi du déménagement de salariés et du déménagement de militaires. En effet, le salarié peut voir les frais de son déménagement pris en charge par la société qui l'emploie ; le fonctionnaire militaire est, quant à lui, indemnisé des frais induits par sa mutation. Dans ces cas, trois agents interviennent : l'offreur (entreprise de déménagement), le demandeur (salarié muté ou militaire) et le payeur qui prend en charge cette prestation (société employeur ou ministère de la défense).

7. S'agissant plus précisément du déménagement de salariés pour raisons professionnelles, il existe plusieurs modalités d'organisation de ces déménagements : certaines sociétés procèdent à des appels d'offres, à l'issue desquels un contrat assorti d'une grille de prix est conclu avec plusieurs sociétés de déménagement, le salarié étant ensuite chargé de faire établir un ou plusieurs devis par les sociétés signataires des contrats. D'autres sociétés établissent une liste de prestataires de services à partir de laquelle le salarié doit solliciter plusieurs devis. Enfin, certaines sociétés font appel, au cas par cas, à telle ou telle entreprise de déménagement.

b) Le déménagement d'entreprises ou d'administrations

8. Le déménagement d'entreprises ou d'administrations, dit transfert, concerne tous les types de locaux professionnels ou publics et correspond aux opérations de déménagement d'une société qui souhaite changer de locaux professionnels ou simplement l'implantation de ses bureaux en interne.

9. En raison des volumes concernés et du caractère complexe de ces opérations, seules certaines sociétés de déménagement exercent effectivement ces activités. Les administrations ou les entreprises procèdent le plus souvent par voie d'appels d'offres pour désigner le prestataire à qui elles vont confier leur déménagement.

c) Le déménagement international

10. Les déménagements internationaux correspondent aux déménagements en partance ou en provenance de l'étranger (outre-mer inclus) pour les particuliers et les entreprises.

11. L'activité de déménagement international nécessite des compétences spécifiques et notamment une bonne connaissance des procédures de dédouanement. Elle impose aussi, en cas de transport aérien et maritime, de disposer d'un réseau de correspondants internationaux qui prendront en charge toutes les prestations que la société de déménagement doit rendre en dehors de son pays d'implantation.

12. Les compétences humaines et les moyens matériels spécifiques à chacun des segments de ces activités conduisent à une spécialisation des offreurs.

2. LES OFFREURS

13. Le secteur du déménagement est caractérisé par la présence d'un nombre important de petites entreprises. Selon la chambre syndicale du déménagement, en 2013, le secteur représentait 11 500 salariés pour environ 1 300 entreprises, dont près de 80 % étaient de très petites entreprises de moins de 10 salariés. Ces petites structures ont tendance à se regrouper dans des réseaux commerciaux afin d'accroitre leur visibilité grâce à la notoriété de l'enseigne.

14. Selon l'étude Xerfi de novembre 2015 concernant le secteur du déménagement, le chiffre d'affaires en 2013 du secteur était d'environ 1,5 milliard d'euros, dont environ la moitié correspondait aux transferts d'entreprises, 36 % au déménagement des particuliers et 13 % aux déménagements internationaux.

15. Les principaux acteurs intervenant en France dans ce secteur sont les sociétés Groupe Nasse Demeco, Mobilitas et Bovis.

16. Le Groupe Nasse Demeco est un acteur majeur des services de déménagement en France, notamment grâce à une politique active de croissance externe et l'essor de son réseau Demeco qui comptait près de 200 points de vente en 2014. Nasse Demeco aurait réalisé en 2014, selon l'étude Xerfi précitée, un chiffre d'affaires de 90 millions d'euros et de 265 millions d'euros en incluant le chiffre d'affaires de ses partenaires (cotes n° 1028 et 1029).

17. Mobilitas, l'autre acteur majeur présent sur tous les segments d'activités du secteur, comptait, en 2014, près de 300 agences, dont 145 sous l'enseigne " les Déménageurs Bretons ", 80 sous l'enseigne "Demepol " et 69 sous l'enseigne "Déménagerseul.com". Mobilitas a réalisé un chiffre d'affaires de 290 millions d'euros en 2014, selon l'étude Xerfi précitée.

18. Le groupe Bovis est spécialisé dans le transfert d'entreprises sur le territoire métropolitain et à l'international. Bovis a réalisé un chiffre d'affaires de 114 millions d'euros en 2014, selon l'étude Xerfi précitée.

19. Aux côtés de ces groupes, de nombreux indépendants se sont réunis en groupement. Parmi les principaux, figure le groupement " les Gentlemen du Déménagement " qui rassemble une centaine de membres en France.

B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. ORGANIDEM ET BDF HOLDING

20. La société Organidem, créée en 1999, est spécialisée dans le déménagement des professionnels, publics ou privés. Elle est détenue à 100 % par la société BDF Holding et a réalisé un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros en 2014.

2. LE GROUPE NASSE DEMECO

21. La société Groupe Nasse Demeco (ci-après " le Groupe Nasse ") est une société par actions simplifiée spécialisée dans le déménagement de particuliers et d'entreprises. Le Groupe Nasse fait état d'un chiffre d'affaires consolidé de 74,5 millions d'euros en 2014. Il regroupe deux réseaux de déménagements : le réseau Demeco et le réseau Dem.

22. Le réseau Demeco, créé en 1965 est géré par la société Demeco SAS, filiale de la société Groupe Nasse. Le réseau Demeco était constitué, en 2014, de la société Demeco SAS et de 80 partenaires ayant signé un contrat de partenariat avec Demeco SAS. Ces partenaires comprenaient 12 filiales du Groupe Nasse et 68 partenaires indépendants.

23. Le réseauDem est également géré par la société Demeco SAS. Il était constitué, en 2014, de la société Demeco SAS et de 13 partenaires. Ces partenaires comprenaient 5 filiales du Groupe Nasse et 8 partenaires indépendants.

24. La société Groupe Nasse gère également le réseau Emobilia Grenoble qui compte 13 entreprises dont 12 entreprises partenaires indépendantes.

25. À cela s'ajoutent des filiales du Groupe Nasse, qui ne sont rattachées à aucun de ces trois réseaux de déménagement et sont exploitées sous une marque différente. Enfin, le Groupe Nasse a une activité de garde-meubles, archivage, stockage qui s'inscrit dans le prolongement des activités de déménagement de particuliers. Il exerce également une activité de transport de décors, via une filiale TransDeco.

3. LIENS COMMERCIAUX ENTRE LES SOCIÉTÉS CONCERNÉES

26. L'ancien dirigeant de la société Corvisier-Cogam (ci-après "Corvisier "), une entreprise active dans le secteur du déménagement, principalement à destination des particuliers, a signé en 2003 puis en 2008 un contrat de partenariat avec Demeco SAS permettant ainsi à son entreprise l'utilisation de la marque "Demeco " pour les clients particuliers et "Demeco Transfert " pour les clients entreprises. Ce contrat était conclu pour une durée initiale de cinq années, renouvelable par tacite reconduction, et comportait une clause intuitu personae, en la considération de son dirigeant.

27. À partir de 2012, la société BDF Holding, société-mère d'Organidem, désireuse de développer son activité de déménagement de particuliers et intéressée par la notoriété du réseau Demeco, a progressivement pris le contrôle capitalistique de la société Corvisier puis en a assuré l'entier contrôle à partir du 31 octobre 2014. Cette prise de contrôle est intervenue malgré le refus d'agrément décidé par le conseil d'administration de Demeco SAS.

28. Le 25 août 2015, le conseil d'administration de la société Demeco SAS a estimé que la prise de contrôle de la société Corvisier par la société BDF Holding constituait une violation de l'intuitu personae du contrat de partenariat. Toutefois, le conseil d'administration de Demeco SAS a pris acte de la poursuite du contrat, sous réserve du respect d'une clause de confidentialité vis-à-vis de BDF Holding. Aucun nouveau contrat n'ayant été signé, les relations entre les sociétés Corvisier et Demeco se sont poursuivies selon les termes du contrat initial.

29. Le contrat de partenariat conclu entre Corvisier et Demeco SAS a finalement été dénoncé en 2016 par le président de Demeco SAS et prendra fin en 2018.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

30. Les saisissantes dénoncent des pratiques d'entente (1) et d'abus de position dominante (2) de la part du Groupe Nasse.

1. LES PRATIQUES D'ENTENTE

31. Les saisissantes estiment que le contrat de partenariat Demeco serait le support d'une entente verticale contraire aux articles 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après "TFUE") et L. 420-1 du Code de commerce.

32. Cette entente ne pourrait bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (ci-après " le règlement n° 330/2010 ") : d'une part, parce que le Groupe Nasse aurait une part de marché supérieure à 30 % et, d'autre part, parce que le contrat de partenariat comporterait des clauses restrictives qui ne peuvent bénéficier de l'exemption.

33. En premier lieu, les saisissantes soutiennent que le réseau constitué par Demeco SAS avec ses partenaires relève de la distribution sélective et qu'en l'absence de critères de sélection objectifs des membres du réseau, le contrat de partenariat ne pourrait pas bénéficier de l'exemption du règlement n° 330/2010.

34. En deuxième lieu, les saisissantes mettent également en avant l'existence d'une exclusivité territoriale implicite au sein du réseau Demeco. En effet, si le contrat ne prévoit pas explicitement d'exclusivité territoriale, celle-ci serait déguisée à travers une procédure d'admission qu'Organidem et BDF Holding jugent opaque.

35. En troisième lieu, les saisissantes considèrent que l'article 6 du contrat, qui impose au partenaire Demeco de n'appartenir à aucun autre réseau de déménagement durant la durée du contrat, empêcherait le fonctionnement normal de la concurrence de s'exercer et que la clause prévoyant un renouvellement du contrat par tacite reconduction par périodes successives de 5 ans ne pourrait bénéficier du régime d'exemption.

36. En quatrième lieu, les saisissantes font valoir que l'article 12 du contrat, qui prévoit que Demeco SAS souscrit, pour le compte de tous les agents du réseau, une ou plusieurs polices d'assurances marchandises transportées couvrant les risques liés aux déménagements des particuliers et que cette police est obligatoire pour l'agent, constitue une obligation d'approvisionnement qui a pour effet de limiter la liberté commerciale des franchisés au-delà de ce qui est nécessaire.

37. En cinquième lieu, les saisissantes estiment que l'article 15 du contrat qui empêche le partenaire Demeco de démarcher les "clients nationaux " de la société Demeco SAS mais laisse toutefois à cette dernière la possibilité de proposer à l'agent de réaliser, par voie de sous-traitance, des prestations de déménagement pour un client national dont les contours et le prix sont fixés librement par elle, permet à Demeco SAS de pratiquer une politique de fixation des prix concernant cette catégorie de clientèle.

2. L'ABUS DE POSITION DOMINANTE

38. Les saisissantes considèrent que le Groupe Nasse a commis à leur égard des pratiques abusives lors du rachat de la société Corvisier, partenaire Demeco, par la société Organidem et du transfert du contrat de partenariat au profit de cette dernière. Ces pratiques, qui auraient eu pour effet de les évincer du marché des déménagements des particuliers, seraient constitutives d'un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

III. Discussion

39. L'article L. 464-6 du Code de commerce dispose que " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, l'Autorité de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

A. SUR LA PROCÉDURE

40. En séance, le conseil des sociétés Organidem et BDF Holding a fait valoir que Demeco aurait tenu des propos dénigrants à l'encontre des saisissantes, et notamment du président de BDF Holding, dans ses réponses au questionnaire du 26 février 2016 (paragraphe 5 de la cote n° 565). Mais ces réponses, dont les auteurs portent seuls la responsabilité, n'engagent pas l'Autorité qui les a écartées des débats.

B. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT EUROPÉEN

41. Le réseau Demeco étant présent sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine, qui représente une partie substantielle du marché de l'Union, et étant également actif sur le segment du déménagement européen et international, les pratiques examinées sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres et doivent être analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l'Union.

42. L'application du droit de l'Union n'est pas contestée par les parties saisissantes.

C. SUR L'ENTENTE

1. SUR LES PARTS DE MARCHÉ DE NASSE DEMECO

43. Il ressort des éléments transmis par le Groupe Nasse et des données recueillies dans l'étude Xerfi précitée, qu'en toute hypothèse, y compris en tenant compte du chiffre d'affaires du groupe Guiguard racheté en 2014, le Groupe Nasse a des parts de marché inférieures à 30 % sur le marché du déménagement de particuliers, le marché du transfert d'entreprises et d'administration et le marché du déménagement international. Plus précisément, les parts de marché maximales du Groupe Nasse sur chacun des trois marchés considérés ne dépassent pas 11 % et les parts de marché cumulées maximales du Groupe Nasse et de ses partenaires ne dépassent pas 28 % sur chacun des marchés considérés.

44. C'est donc à tort que les saisissantes estiment que les parts de marché du Groupe Nasse et/ou des partenaires dépassent le seuil de 30 % prévu par le règlement n° 330/2010 pour bénéficier de l'exemption par catégorie.

2. SUR LES CLAUSES DU CONTRAT DE PARTENARIAT

45. En tout état de cause, il ressort des éléments du dossier que les clauses du contrat de partenariat contestées par Organidem et BDF Holding ne constituent pas des restrictions de concurrence.

a) Sur les critères d'adhésion

46. Les saisissantes considèrent que le contrat de partenariat Demeco serait en réalité un contrat de distribution sélective et devrait ainsi prévoir des critères de sélection objectifs et non discriminatoires pour sélectionner les candidats potentiels. Elles estiment également que l'accès au réseau Demeco constitue " une condition importante d'accès au marché du déménagement des particuliers ", et qu'ainsi, l'absence de conditions transparentes de sélection serait de nature à porter atteinte à la libre concurrence.

47. Toutefois, un contrat de distribution sélective est défini comme un système de distribution dans lequel " le fournisseur s'engage à approvisionner dans un secteur déterminé un ou plusieurs commerçants " (Cour de cassation, Chambre criminelle, 3 novembre 1982, n° 82-90.522). En l'espèce, et contrairement au contrat de distribution sélective, le contrat de partenariat Demeco implique l'exploitation d'une enseigne commune et d'une marque par l'ensemble du réseau.

48. En outre, il ressort de la jurisprudence que, pour caractériser une atteinte à la concurrence en matière d'accès au marché, il est nécessaire de prouver qu'il n'est pas possible d'accéder au marché en cause sans adhérer au groupement ou avoir accès à une marque (voir notamment la décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Les Indépendants dans le secteur de la publicité radiophonique ; CA de Paris du27 mai 2003, Chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde-meubles de France). En l'espèce, eu égard aux éléments du dossier, la marque "Demeco " ne peut être considérée comme une marque incontournable pour opérer sur le marché du déménagement, ce que les saisissantes ont d'ailleurs reconnu lors de la séance.

b) Sur l'existence d'exclusivités territoriales

49. Les saisissantes considèrent que la procédure d'admission discrétionnaire de nouveaux partenaires permettrait au conseil d'administration de Demeco SAS d'organiser un maillage territorial du réseau afin de réserver le bénéfice de la marque à des agents situés sur des territoires qui leur sont, dans les faits, réservés.

50. Toutefois, une jurisprudence constante consacre la liberté d'organisation et de réorganisation des réseaux de distribution ou des réseaux de marque (voir notamment Cour de cassation, Chambre commerciale, 2 décembre 2008, n° 07-18.775), lorsque les modalités de mise en œuvre de cette liberté n'affectent pas le marché (décision n° 04-D-55 du 10 novembre 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur des images de collection pour enfants ; voir aussi l'avis n° 04-A-14du 23 juillet 2004, Syndicat national de l'équipement de bureau et de l'informatique, SEBI). En l'espèce, aucun élément du dossier ne met en évidence un effet anticoncurrentiel résultant du maillage territorial mis en place par le réseau Demeco.

c) Sur la clause d'exclusivité et l'obligation d'approvisionnement

51. Les saisissantes assimilent l'article 6 du contrat de partenariat, qui impose à tout membre du réseau Demeco de ne pas appartenir à un autre réseau durant la durée du contrat, à une clause de non-concurrence à durée indéterminée au sens du règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010. Or, le d du 1 de l'article 1 de ce règlement définit une obligation de non-concurrence comme " toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur l'obligation d'acquérir auprès du fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels (...) ".

52. En l'espèce, la seule obligation de ne pas appartenir à un autre réseau pendant la durée du contrat ne saurait être regardée comme comportant ou impliquant un risque d'exclusion du marché.

53. En outre, la société Demeco SAS n'impose aucune obligation d'approvisionnement hormis celle, prévue à l'article 12, qui prévoit que Demeco SAS souscrit les polices d'assurance marchandises transportées. Mais le coût lié au contrat d'assurance, qui couvre seulement les risques de transport des marchandises pour les déménagements de particuliers, ne porte que sur 1,3 % du poste d'approvisionnement des partenaires Demeco, bien loin du seuil de 80 % visé par le règlement n° 330/2010.

d) Sur la politique tarifaire

54. Selon les saisissantes, l'article 15 du contrat de partenariat organise une " réservation " des clients nationaux au profit de Demeco SAS, tout en prévoyant une possibilité de sous-traiter à ses partenaires l'exécution des prestations.

55. Mais aucun élément du dossier ne permet d'établir que cette sous-traitance conduirait à une pratique de prix imposés. En effet, les partenaires du réseau restent libres d'accepter ou non la prestation proposée par Demeco SAS, au prix fixé et payé par cette dernière. Le dispositif même de la sous-traitance écarte donc, en l'espèce, tout risque de prix imposés puisque le partenaire est directement rémunéré par Demeco et non par le client final. Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de supposer que les prix des prestations ainsi fournies aux clients nationaux et facturées directement par Demeco SAS, seraient en réalité fixés en commun avec les entreprises du réseau. Enfin, le contrat de partenariat n'interdit pas aux partenaires Demeco de répondre à la demande d'un client national qui s'adresserait directement à eux en fixant eux-mêmes leurs prix.

D. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE

56. Il ressort des pièces du dossier que le Groupe Nasse détient, quelles que soient les hypothèses envisagées, moins de 30 % de part de marché sur les marchés considérés (voir paragraphe 43). Ces parts de marché et la présence d'autres groupements puissants sur le marché ne permettent pas de caractériser l'existence d'une position dominante du Groupe Nasse sur les différents marchés en cause. Par suite, en l'absence de position dominante, les pratiques dénoncées ne peuvent pas constituer un abus de celle-ci.

DÉCISION

Article unique : Sur la base des informations dont l'Autorité de la concurrence dispose, il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Laure Meyssonnier, rapporteure et l’intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, vice-président, président de séance, Mme Claire Favre et M. Emmanuel Combe, vice-présidents.

NOTE

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.