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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 mai 2017, n° 14-22580

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lacteos Goshua SL (Sté)

Défendeur :

Danone Produits Frais France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Guizard, Vampouille, d'Armagnac, Boccon Gibod, Koelher Magne

T. com. Paris, du 27 oct. 2014

27 octobre 2014

Faits et procédure

La société Lacteos Goshua (ci-après "Goshua"), de droit espagnol, a pour activité la fabrication et la fourniture de produits laitiers frais, ainsi que de desserts.

La société Danone Produits Frais France (ci-après " Danone France ") est spécialisée dans le domaine de la fabrication de lait liquide et de produits frais.

La société Goshua a conclu divers contrats de fabrication avec des sociétés du groupe Danone entre 2003 et 2009.

La société Danone Espagne a résilié les contrats conclus avec la société Goshua les 1er décembre 2008 et 18 mai 2009, à effet respectivement de la fin mai 2010 et du début juin 2011.

Par une "proposition commerciale" signée le 2 mai 2006, la société Danone France a annoncé qu'elle confiait la fabrication d'un produit d'une nouvelle gamme de yaourts pots en verre en "restauration hors domicile" (CHD) à la société Goshua. Cette proposition prévoyait la signature d'un contrat dont l'objet était de définir les conditions dans lesquelles la société Goshua fabriquerait, conditionnerait, emballerait et mettrait à disposition pour Danone, les produits de la gamme "Danone 1919 pot grés CHD" et de la gamme "Danone 1919 pot verre CHD". Il était prévu que ce contrat pourrait être résilié de plein droit à tout moment et pour quelque raison que ce soit par chacune des parties, la résiliation étant notifiée par lettre recommandée et devenant effective six mois après la réception de cette notification. Le contrat prévoyait la mise à disposition, par la société Goshua, des capacités de production nécessaires, à savoir pour 2006, 1300 tonnes, dont 500 tonnes pour les pots en grés et 800 tonnes pour les pots en verre, Gosuha s'engageant à satisfaire en priorité la capacité de production demandée par Danone sur celle demandée par des concurrents. Il était également prévu au chapitre "investissement" que " Danone n'est redevable d'aucun engagement financier relatif aux investissements de Goshua. Tout nouvel investissement de Goshua qui engagerait Danone France devra faire l'objet d'un accord écrit de la part de Danone France ".

Le 15 octobre 2009, la société Danone France a signé un autre contrat avec la société Goshua pour le développement d'une nouvelle gamme de produits, à destination de la restauration hors domicile, sous la marque "Danone les gourmandises".

Le 18 janvier 2012, la société Danone France a résilié, avec effet au 31 mars 2012, le contrat conclu le 15 octobre 2009.

Le 26 juillet 2013, la société Danone France a notifié à la société Goshua la fin de leurs relations commerciales au titre du contrat signé le 2 mai 2006. Par courriers du 9 septembre 2013, la société Goshua soulignait que la durée du préavis de six mois, suggéré lors d'un entretien téléphonique, serait insuffisante au regard des investissements non encore amortis en totalité effectués en 2008 et 2009 dans l'intérêt exclusif de Danone France et Danone Espagne, de la nécessité de réduire ses effectifs à la suite de la réduction de production destinée à Danone, et de son préjudice découlant de la résiliation unilatérale et anticipée, par Danone Espagne, des deux contrats conclus avec Goshua les 1er décembre 2008 et 18 mai 2009.

Par courrier du 20 septembre 2013, la société Danone France a notifié à la société Goshua un délai de préavis de 12 mois, expirant le 2 août 2014. Dans ce courrier, elle évoquait la baisse de demande des produits pots en verre pour le réseau CHD et la réception régulière de réclamations de consommateurs sur ces produits. Elle expliquait que les investissements effectués relevaient de la seule responsabilité de la société Goshua et qu'aucune des lignes de fabrication n'était dédiée à la fabrication de ses produits. Elle écartait par ailleurs toute discussion s'agissant des résiliations effectuées par la société Danone Espagne, écartant formellement " l'existence d'une quelconque concertation entre les sociétés Danone Espagne et Danone Produits Frais France ".

Par la suite, la société Goshua a assigné le 25 février 2014 la société Danone SA et Danone Produits Frais France devant le Tribunal de commerce de Paris, contestant la durée du préavis et demandant réparation de son préjudice.

Par jugement du 27 octobre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Danone SA et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, concernant les demandes dirigées contre la société Danone SA (Espagne),

- débouté la société de droit espagnol Lacteos Goshua de l'ensemble de ses demandes au titre de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce,

- débouté la société de droit espagnol Danone SA et la société Danone Produits Frais France de leurs demandes de dommages et intérêts,

- condamné la société Lacteos Goshua à payer à la société Danone SA la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Goshua à payer à la société Danone Produits Frais France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou autres, et les en déboute,

- condamné la société Goshua, qui succombe, aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 euros dont 17,42 euros de TVA.

La Cour d'appel de Paris (chambre 1-1) a, par arrêt du 10 mars 2015, rejeté le contredit formé contre ce jugement par la société Goshua le 13 novembre 2014.

Statuant sur la faculté d'attraire, en cas de pluralité de défendeurs, une personne domicilié sur ce territoire d'un État membre devant le domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger ensemble, prévue par l'article 6.1 du règlement n°44/2201 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, faculté que la société Goshua revendiquait pour assigner en France non seulement la société de droit français Danone Produits Frais France, mais également la société espagnole Danone SA, la cour a estimé que ce rapport étroit entre les demandes dirigées à l'encontre des deux sociétés n'était pas établi. La cour a jugé que l'existence d'une réunion téléphonique commune avec Goshua en février 2009, et les demandes de condamnation solidaire à leur encontre n'étaient pas de nature à établir la renonciation de ces deux sociétés à leur autonomie et leur accord pour une solidarité qui ne se présume pas, alors que ces deux sociétés n'intervenaient pas sur le même marché, fabriquaient des produits différenciés et étaient liées à la société Goshua par des contrats distincts. Elle a relevé également qu'au moment de la rupture de juillet 2013, les relations commerciales entre Goshua et Danone SA, qui avaient commencé en 2008, avaient expiré depuis plus de 2 ans (juin 2011) sans que la société Goshua ne puisse justifier de reprise du flux commercial entre les parties. Enfin, elle a jugé que l'échange d'e-mails entre le 9 et le 24 juin 2011 entre Danone et Goshua, portant sur les prix, un courrier du 20 août 2003 de Danone France ou encore l'existence de contrats conçus sur le même modèle de part et d'autre étaient insuffisants pour établir l'existence d'un centre de décision unique. Elle a donc confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Danone SA et renvoyé les parties à mieux se pourvoir, s'agissant des demandes dirigées contre elle.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la société Goshua et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 juillet 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

à titre principal:

- infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Danone Produits Frais France et Danone SA de leurs demandes pour procédure abusive,

- constater que la société Goshua a réalisé en 2008 et 2009 des investissements d'un montant total de 2 600 136 euros à la demande des sociétés Danone Produits Frais France et Danone SA,

- constater que la société Goshua s'est trouvée dans une situation de dépendance économique vis à vis des sociétés Danone Produits Frais France et Danone SA,

- constater que les sociétés Danone Produits Frais France et Danone SA représentaient un seul et même partenaire pour la société Goshua,

- constater l'insuffisance du préavis de 12 mois sous conditions,

en conséquence,

- dire que la rupture de la relation commerciale à l'initiative de la société Danone Produits Frais France est brutale et abusive,

- dire qu'un préavis de 24 mois aurait dû être respecté par la société Danone Produits Frais France,

- condamner la société Danone Produits Frais France à payer à la société Goshua la somme de 1 577 488 euros au titre de la perte de marge brute d'exploitation,

- condamner la société Danone Produits Frais France à payer à la société Goshua, au titre des investissements non amortis, la somme de 1 021 624 euros, sauf à revoir cette somme en fonction du délai de préavis suffisant retenu par la cour,

- condamner la société Danone Produits Frais France à payer à la société Goshua la somme de 100 073 euros au titre du coût des licenciements causés par la brutalité de la rupture,

- condamner la société Danone Produits Frais France à payer à la société Goshua la somme de 80 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société Danone Produits Frais France aux dépens, débouter la société Danone Produits Frais France de ses demandes, fins et conclusions ;

Vu les dernières conclusions de la société Danone Produits Frais France, déposées et notifiées le 23 février 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris dans l'ensemble de ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société Danone Produits Frais France sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

- juger que le préavis de douze mois accordé était suffisant, qu'il a été respecté et que la société Goshua ne justifie d'aucune faute de la société Danone Produits Frais France,

- débouter la société Goshua de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- réformer le jugement rendu le 27 octobre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris, et statuant à nouveau,

- condamner la société Goshua au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

à titre subsidiaire:

- juger que la société Goshua ne justifie d'aucun préjudice découlant de la prétendue brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie ou d'un prétendu non-respect du préavis par la société Danone Produits Frais France,

-débouter la société Goshua de l'ensemble de ses demandes en paiement de dommages-intérêts,

en tout état de cause :

-condamner, avec exécution provisoire, la société Goshua à verser à la société Danone Produits Frais France la somme de 60 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance,

- dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Sur le moyen de la société Goshua tendant à voir juger que les sociétés Danone SA et Danone Produits Frais France constituaient un interlocuteur unique

La société Goshua expose que la relation commerciale doit être prise en compte d'un point de vue économique. Ainsi, elle estime qu'il existait une relation commerciale entre elle et le groupe Danone. L'appelante soutient que les sociétés Danone France et Danone Espagne ont toujours agi de concert à son égard, par la mise en œuvre d'une politique juridique et économique commune et négociée conjointement. Dès lors, elle estime que son partenaire était le groupe Danone, constitué des deux sociétés Danone et, que, par voie de conséquence, son degré de dépendance doit être mesuré par rapport aux deux sociétés prises ensemble.

La société Danone Produits Frais France réplique que l'appelante entretenait des relations commerciales distinctes avec chacune des sociétés Danone (Danone SA et Danone Produits Frais France). A ce titre, elle relève l'absence de centre de décision unique pour les sociétés du groupe Danone ainsi qu'une absence de solidarité et de renonciation à leur autonomie.

La cour d'appel a déjà observé, dans son arrêt du 10 mars 2015, que la société Goshua ne pouvait prétendre avoir entretenu une seule et même relation commerciale avec les deux sociétés Danone agissant ensemble et conjointement pour tous les aspects de la relation commerciale. Aucun élément du dossier ne vient en effet établir l'existence d'un centre de décision unique entre les deux sociétés. L'existence d'une réunion téléphonique commune avec Goshua en février 2009, l'échange d'e-mails entre le 9 et le 24 juin 2011 entre Danone et Goshua, portant sur les prix ou un courrier du 20 août 2003 de Danone France ou encore l'existence de contrats de même modèle constituent des éléments insuffisants pour attester d'une telle coordination. Au contraire, les deux sociétés Danone n'interviennent pas sur le même marché, ont des produits différenciés et sont liées à la société Goshua par des contrats distincts. De plus, la cour relève également qu'au moment de la rupture de juillet 2013 avec la société Danone Produits Frais, les relations commerciales entre Goshua et Danone SA, qui avaient commencé en 2008, avaient expiré depuis plus de 2 ans (juin 2011) sans que soit justifiée une quelconque reprise du flux commercial entre les parties.

Seront donc seulement prises en compte les relations entretenues entre la société Goshua et la société Danone Produit Frais France.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", cet article précise également que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Seul un comportement suffisamment grave est de nature à dispenser du respect d'un préavis.

Si l'appelante soutient liminairement qu'elle n'a commis aucune faute durant l'exécution des relations commerciales et que le courrier de la société Danone Produits Frais France justifiant la rupture brutale des relations commerciales par le défaut de qualité de ses produits attesterait de sa mauvaise foi, il y a lieu de rappeler que la société Danone Produits Frais France n'était pas tenue de justifier la rupture, sous réserve de respecter un préavis suffisant.

Les parties s'opposent sur la durée de ce préavis.

L'appelante estime qu'un préavis de 24 mois aurait dû être respecté.

En premier lieu, la société Goshua indique que la relation commerciale a duré plus de 10 ans. Elle soutient que le groupe Danone était en position de force durant toute la relation commerciale et affirme qu'elle lui était liée par une clause "d'exclusivité et de non-concurrence". Elle souligne qu'il s'agissait d'un véritable contrat d'adhésion qui ne lui laissait qu'un espace limité pour diversifier sa clientèle. En deuxième lieu, la société Goshua expose qu'elle a dû réaliser des investissements pour répondre aux cahiers des charges du groupe Danone. Le premier investissement correspond à l'achat de matériel permettant la stérilisation des produits pour un montant de 436 800 euros, sans lequel le groupe Danone n'aurait pas investi en 2009. Elle aurait également acquis une troisième ligne de production. De plus, des salariés auraient été embauchés et formés en conséquence de ces investissements. L'appelante estime qu'elle a effectué des investissements pour un montant total de 2 600 136 euros. Par ailleurs, elle affirme que la rupture des relations commerciales était inattendue, le groupe Danone n'ayant jamais laissé présumer de la fin des relations commerciales. L'appelante soutient qu'elle rencontre des difficultés pour trouver de nouveaux débouchés à court terme, le secteur des produits laitiers étant dominé par quelques grandes marques, dont Danone, qui détient une part de marché mondiale de 27 %. En outre, l'appelante estime qu'elle se trouvait dans un état de dépendance économique vis à vis du groupe Danone, réalisant, en 2009, 40 % de ses ventes auprès de l'intimée.

L'intimée soutient qu'elle a mis fin à ces relations établies avec un préavis de douze mois suffisant au regard de la durée de la relation, et correspondant au double de celui convenu dans la proposition commerciale de 2006 et dans le contrat de 2009. La société Danone indique que le chiffre d'affaires de la société Goshua généré par Danone Produits Frais France était de 10 % pour les exercices 2012 et 2013, ce pourcentage ne permettant pas de caractériser une situation de dépendance économique. Elle soutient, en outre, que la société Goshua n'était liée par aucune clause d'exclusivité ou de non-concurrence et a réorienté ses activités, en collaborant dès 2009 avec le groupe Triballat, qui l'a rachetée. Concernant les investissements effectués par l'appelante, la société Danone estime qu'elle ne les a jamais demandés à la société Goshua, qu'ils ne lui étaient pas dédiés et qu'ils ne sont pas définitivement perdus à l'issue du préavis. En sus, l'intimée prétend qu'elle n'a jamais agi de façon à ce que la société Goshua puisse légitimement croire à la pérennité des relations. Elle soutient enfin que les ventes du produit étaient en décroissance et qu'elle était préoccupée par certaines insuffisances de "qualité".

La durée du préavis doit être fixée à une durée suffisante pour permettre à l'entreprise de se réorienter, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

Il y a lieu de considérer que la société Goshua a réalisé en 2009 15 % de son chiffre d'affaires avec la société Danone Produit Frais France, 19 % en 2010, 21 % en 2011 et 15 % en 2012, selon l'attestation de la société AuditAbe, auditeur des comptes de la société Lacteos Goshua (pièce 31 de la société Goshua). Le chiffre d'affaires réalisé avec la société Danone SA ne peut en effet être pris en considération et ajouté à celui de Danone Produits Frais France, pour les raisons exposées plus haut. Le chiffre de 41 % avancé par la société Goshua et qui représente le pourcentage global représenté par les sociétés Danone dans le chiffre d'affaires de la société Goshua en 2009 ne peut donc être retenu.

Contrairement à ce que prétend la société Goshua, elle n'était soumise à aucune obligation de non-concurrence envers la société Danone Produits Frais France. En effet, la proposition commerciale du 2 mai 2006 qui fondait les relations avec cette société et qui a été interrompue en juillet 2013, ne prévoyait sous le chapitre "exclusivité et clause de non-concurrence" que des obligations à la charge de la société Danone. Il était notamment prévu que Danone s'engageait à confier exclusivement à Goshua la fabrication des produits objets du contrat, sous peine d'être redevable de pénalités de 600 000 euros hors-taxes pendant les trois premières années de durée du contrat. Par ailleurs, le contrat conclu entre les mêmes sociétés le 15 octobre 2009 concernant la marque "Danone Gourmandises", résilié par la société Danone pour arrêt de commercialisation de ce produit, prévoyait au point 2.1 c) une obligation de non-concurrence à la charge de Goshua deux ans après la cessation du contrat, mais seulement si le contrat avait été résilié de façon anticipée par Goshua. Cette clause n'était donc pas applicable en juillet 2013. La société Goshua pouvait donc se reconvertir pendant le préavis sans encourir le grief de violation d'une obligation de non-concurrence.

Enfin, si la société Goshua ne démontre pas que la réalisation d'une troisième ligne de production lui aurait été imposée par la société Danone Produits Frais France, il résulte des messages électroniques échangés en février 2009 que ses capacités de production étaient inférieures aux prévisions de la demande cumulée des sociétés Danone Produits Frais France et Danone SA au titre des divers contrats conclus et que c'est donc à la demande du groupe Danone au sens large qu'elle a décidé de créer sa troisième ligne de production.

Mais la société Goshua, qui affirme que cette ligne était entièrement dédiée aux produits Danone, ne l'établit pas. En outre, ne pourraient être pris en compte en l'espèce que les produits de la société Danone Produit Frais France. Il résulte des pièces versées par la société Goshua et, notamment, du mémoire explicatif figurant en pièce 27 de la société appelante, que si la ligne de production 3 devait permettre la production de 999 tonnes de yaourts, la moyenne produite pour la société Danone sur cette ligne s'établissait à 400 tonnes. Il peut en être déduit que cette nouvelle ligne était utilisée jusqu'à 60 % par d'autres clients que la société Danone pour la fabrication d'autres produits. En outre, la société Goshua ne justifie pas que celle-ci ne serait pas réutilisable après la fin des relations commerciales avec Danone, le descriptif qui en est fourni en pièce 27, à savoir la fabrication des yaourts en pots en verre, étant suffisamment large pour autoriser la fabrication de tout yaourt concurrent. Enfin, si la société Goshua fait état d'un investissement en stérilisateur en 2008, elle ne démontre pas davantage l'avoir fait à la demande de la société Danone ni que cet investissement aurait été dédié à cette société et non réutilisable à la suite de la rupture.

Au regard de ce qui précède, le préavis octroyé de 12 mois est d'une durée suffisante. Il y a donc lieu de juger que la rupture des relations commerciales n'a pas été brutale.

Sur l'effectivité du préavis

La société Goshua indique avoir subi une importante perte de marge brute d'exploitation au cours du préavis, la société Danone n'ayant que partiellement exécuté le préavis de douze mois, le taux de baisse des commandes s'élevant en moyenne à 17 %.

La société Danone soutient que le préavis de 12 mois a bien été respecté, la baisse des commandes étant générale et régulière depuis des années du fait des circonstances économiques. De plus, elle indique avoir normalement exécuté le préavis, puisque plus de 83% du volume moyen de la période antérieure au préavis a été atteint.

L'effectivité du préavis suppose que celui-ci ait été exécuté dans les conditions antérieures, sous réserve que les conditions économiques le permettent.

À cet égard, la société Danone Produits Frais France justifie que les circonstances économiques ne lui permettaient pas de maintenir rigoureusement les mêmes montants de commandes, compte tenu de la baisse tendancielle d'activité. Il ressort en effet des pièces versées aux débats par la société Goshua (pièce 37) que les ventes en tonnes de la société Goshua ont connu une baisse continue depuis août 2011, compte tenu de "la situation économique globale et plus concrètement la régression et la chute que souffre le secteur de l'industrie laitière". Certains clients (Aviludo, Coviran) ont arrêté de travailler avec Goshua. Par ailleurs cette baisse de commandes ne s'est pas traduite par une augmentation concomitante de commandes auprès de tiers.

Globalement, et pour les raisons évoquées ci-dessus, le maintien de plus de 80 % du volume moyen de la période antérieure garantit l'effectivité du préavis. La demande de la société Goshua sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

Sur le préjudice de la société Goshua

La rupture n'ayant pas été brutale, les demandes de la société Goshua relatives aux dommages résultant de la brutalité de la rupture, soit la perte de marge au cours de la période de préavis supplémentaire de 12 mois qui aurait dû lui être accordée, les investissements non amortis, pour un montant de 2 600 136 euros et le coût des licenciements, soit 95 266,18 euros, seront donc rejetées.

Sur la demande reconventionnelle de la société Danone Produits Frais France

L'intimée estime que la procédure engagée par la société Goshua revêt un caractère abusif et sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Mais la société intimée ne démontre pas que l'action intentée par la société Goshua aurait manifesté un acharnement dolosif à son encontre ou aurait été dépourvue de tout fondement. Dès lors, il n'est pas établi que cette action ait dégénéré en abus de droit et la demande de la société Danone Produits Frais France sera rejetée.

Sur les frais irrépétibles

La société Goshua succombant, elle devra supporter les dépens de l'instance d'appel et sera condamnée à payer à la société Danone Produits Frais France la somme de 12'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, déboute la société Danone Produits Frais France de sa demande pour procédure abusive, condamne la société Goshua aux dépens d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne la société Goshua à payer à la société Danone Produits Frais France la somme de 12 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.