CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 mai 2017, n° 16-23278
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ferrari South West Europe (SARL) , Ferrari SpA (Sté)
Défendeur :
Stradale Automobile (SAS) , Bertholet (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Thomas, Mme Schaller
Avocats :
Mes Claude, Billard, Etevenard, Assouline, Bertholet
Exposé des faits
Par jugement du 8 février 2012, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit que le contrat de concession entre la SARL Ferrari South West Europe, la société Ferrari SpA et la SAS Stradale Automobile a été valablement rompu le 1er octobre 2010,
- dit que le contrat de service après-vente entre la SARL Ferrari South West Europe, la société Ferrari SpA et la SAS Stradale Automobile a été valablement résilié au 31 juillet 2010,
- débouté la SAS Stradale Automobile de toutes ses demandes,
- condamné la SAS Stradale Automobile à payer à la SARL Ferrari South West Europe et à la société Ferrari SpA la somme de 50 000 euros au titre de dommages et intérêts,
- ordonné à la SAS Stradale Automobile de cesser d'utiliser toute référence à la marque Ferrari dans ses documents et publicité de toute nature, et de retirer toute signalétique la concernant sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 30e jour suivant la signification du présent jugement, et se réserve la liquidation de l'astreinte,
- condamne la SAS Stradale Automobile à payer à la SARL Ferrari South West Europe et à la société Ferrari SpA la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie,
- condamné la SAS Stradale Automobile aux dépens.
Par arrêt du 6 octobre 2015, saisie sur appel de la société Stradale Automobile, la Cour d'appel de Versailles a déclaré irrecevable l'appel de cette société et l'a condamnée aux dépens d'appel.
Vu la déclaration d'appel de Maître Y, ès qualités de mandataire judiciaire de la SAS Stradale Automobile, la SAS Stradale Automobile et la Selarl de Saint Rapt-Bertholet prise en la personne de Maître Bertholet, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS Stradale Automobile,
Vu l'ordonnance d'incident du conseiller de la mise en état du 8 novembre 2016
- déclarant recevable l'appel interjeté le 15 octobre 2015 par la société Stradale Automobile, Maître Y, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Stradale Automobile et le Selarl de Saint Rapt et Bertholet prise en la personne de Maître Bertholet, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS Stradale Automobile, devant la Cour d'appel de paris et enrôlé sous le numéro RG 15/20373,
- réservant les dépens et les demandes présentées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu la procédure de déféré introduite par les sociétés Ferrari South West Europe et Ferrari SpA,
Vu les conclusions du 13 mars 2017 par lesquelles les sociétés Ferrari South West Europe et Ferrari SpA demandent à la cour de :
Vu les articles 49, 480, 914 et 916 du Code de procédure civile,
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu les articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce,
Vu les articles D. 311-1 et R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire,
- déclarer recevable le présent déféré contre l'ordonnance prononcée le 8 novembre 2016 par le conseiller de la mise en état du pôle 5 - chambre 4 de la cour dans l'instance pendante sous le numéro de RG 15/20373,
- déclarer les sociétés Ferrari SpA et Ferrari South West Europe recevables et bien-fondées en leur déféré contre l'ordonnance prononcée le 8 novembre 2016 par le conseiller de la mise en état du pôle 5 - chambre 4 de la cour dans l'instance pendante sous le numéro de RG 15/20373,
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance susvisée en toutes ses dispositions,
Par conséquent,
- déclarer irrecevable l'appel interjeté par Stradale Automobile, Maître Y et la SELARL de Saint-Rapt-Bertholet le 19 octobre 2015 à l'encontre du jugement rendu le 8 février 2012 par le Tribunal de commerce de Nanterre,
- déclarer irrecevables l'ensemble des demandes de Stradale Automobile issues de ses conclusions en réponse sur incident signifiées le 9 juin 2016 en vertu du principe de l'estoppel,
et en toute hypothèse :
- condamner Stradale Automobile à payer à Ferrari South West Europe et Ferrari SpA la somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Automobile aux entiers dépens conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de la Selas Claude et Sarkozy en application de l'article 699 dudit Code.
Vu les conclusions du 10 mars 2017 de la SAS Stradale Automobile, la Selarl de Saint-Rapt Bertholet, Maître Y et Monsieur Nicolas Z, demandant à la cour de :
vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce
Vu les articles 528, 538, 680 et 692 du Code de procédure civile
Vu l'article 916 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée
Vu les pièces communiquées
A titre principal
- déclarer les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE irrecevables en leur déféré contre l'ordonnance prononcée le 8 novembre 2016
A titre subsidiaire
Sur le pouvoir juridictionnel de la Cour d'appel de Paris
- constater que la Cour d'appel de Versailles a jugé dans son arrêt du 6 octobre 2015 (i) que le litige opposant la société Stradale Automobile aux sociétés Ferrari portait sur la rupture brutale par les sociétés Ferrari des contrats de distribution automobile et de service après-vente conclus au profit de la société Stradale Automobile, et (ii) que de ce fait, l'article L. 442-6 du Code de commerce s'appliquait au litige ; ses dispositions étant d'ordre public
- constater que par note en date du 24 février 2016, Madame la présidente de la Cour d'appel de Paris a indiqué que la juridiction dont le jugement est critiqué (Tribunal de commerce de Nanterre) ne fait pas partie des juridictions spécialisées prévues aux articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, et que par conséquent, le jugement est susceptible d'annulation,
- juger qu'il résulte des dispositions d'ordre public des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel de Paris est seule compétente pour l'ensemble du territoire pour statuer sur les litiges relevant de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- juger que la Cour d'appel de Paris est dotée du pouvoir juridictionnel de statuer sur le litige opposant les sociétés Ferrari SpA et Ferrari South West Europe à la société Stradale Automobile, compte tenu
(i) de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce à la rupture par la société Ferrari du contrat de distribution automobile et de celle du contrat de service après-vente conclus au profit de la société Stradale Automobile, suite à la requalification des faits et actes litigieux par la Cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 6 octobre 2015, (ii) et du pouvoir juridictionnel exclusif de la Cour d'appel de Paris pour connaître en appel des litiges mettant en œuvre l'article L. 442-6 du Code de commerce,
Sur l'estoppel
- juger qu'en soutenant subsidiairement une indemnisation sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales, la société Stradale Automobile et les organes de la procédure ne font que tirer les conséquences légales de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles qui a jugé que les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 s'appliquaient au litige qui oppose les sociétés Ferrari à la société Stradale Automobile,
Par conséquent,
- confirmer l'ordonnance du 8 novembre 2016 par le conseiller de la mise en état du pôle 5 - chambre 4 de la cour de céans dans l'instance pendante sous le numéro de RG 15/20373 qui a déclaré recevable l'appel interjeté le 19 octobre 2015,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Ferrai SpA et Ferrari South West Europe,
- condamner solidairement les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE à payer à Maître Dominique Y, ès qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Stradale Automobile, la somme 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de Maître Frédérique Etevenard, aux offres de droits.
Par ordonnance du 15 mars 2017, les procédures enregistrées sous les numéros 16/23278 et 16/23279 ont été jointes, et se sont poursuivies sous le numéro 16/23278.
MOTIVATION
Sur la recevabilité du déféré
Les défendeurs au déféré soutiennent que les ordonnances du conseiller de la mise en état pouvant être déférées à la cour sont celles mettant fin à l'instance ou statuant sur une exception de procédure, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. L'ordonnance querellée n'ayant pas mis fin à l'instance, elle est insusceptible de déféré.
Pour leur part, les sociétés Ferrari affirment que les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur une irrecevabilité de l'appel, dès lors qu'elles ne mettent pas fin à l'instance, peuvent être déférées immédiatement devant la cour.
Sur ce
Vu l'article 916 al. 2 du Code de procédure civile,
Si l'ordonnance querellée, statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, n'a pas mis fin à l'instance, elle est néanmoins susceptible d'être déférée immédiatement, et est immédiatement susceptible de ce recours indépendamment de l'arrêt sur le fond.
Par conséquent, le déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 8 novembre 2016 par les sociétés Ferrari est recevable.
Sur le déféré
Les sociétés Ferrari soutiennent que seule la Cour d'appel de Versailles est compétente pour statuer sur l'appel d'un jugement du Tribunal de commerce de Nanterre, laquelle n'est pas une juridiction spécialisée au sens de l'article D. 442-3 du Code de procédure civile ; aussi la Cour d'appel de Paris, qui ne peut connaître que des appels des décisions des juridictions spécialisées au sens de l'article précité, ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour juger de cette affaire.
Elles relèvent que la société Stradale n'invoquait pas l'article L. 442-6 du Code de commerce devant le Tribunal de commerce de Nanterre, qu'elles-mêmes ne l'ont évoqué que comme moyen de défense, et que le tribunal de commerce n'a statué que sur le droit commun.
Elles affirment que l'argument en défense reposant sur l'article L. 442-6 n'empêchait pas le tribunal de statuer sur l'application de l'article 1134 du Code civil.
Elles ajoutent que la société Stradale ayant présenté ses demandes sur le seul fondement des dispositions de droit commun, et soutenu devant la Cour d'appel de Versailles que son appel y était alors recevable, elle ne peut au nom de l'estoppel soutenir une position inverse devant la Cour d'appel de Paris.
La société Stradale, les organes représentant la procédure et Monsieur Z soutiennent que la Cour d'appel de Paris a le pouvoir de statuer en appel sur la rupture brutale. Ils rappellent que les sociétés Ferrari ont fait état devant la Cour d'appel de Versailles de l'article L. 442-6, au vu duquel la Cour d'appel de Versailles a jugé qu'il s'appliquait au litige qui lui était soumis.
Ils affirment que la Cour d'appel de Paris étant seule compétente pour statuer en appel sur les litiges reposant sur l'article L. 442-6, article invoqué en défense de sorte que la disjonction d'instance n'était pas possible.
Ils déduisent du caractère d'ordre public de cette disposition que la Cour d'appel de Paris est seule compétente, et peut statuer sur le fond en vertu de l'effet dévolutif de l'appel.
Ils contestent tout estoppel, leur appel devant la Cour d'appel de Paris étant la conséquence de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles.
Sur ce
L'article D. 442-3 du Code de commerce prévoit que
" Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. La Cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ".
Le Tribunal de commerce de Nanterre, qui ne figure pas dans le tableau de l'annexe en question, a été saisi par la société Stradale sur le fondement des articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil, et les sociétés Ferrari ont conclu au vu du même article 1134, mais en visant également l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Ainsi, l'application de l'article L. 442-6 était soulevée devant le Tribunal de commerce de Nanterre, et les sociétés Ferrari l'ont à nouveau invoquée devant la Cour d'appel de Versailles.
La Cour d'appel de Versailles a alors, par arrêt du 6 octobre 2015, déclaré irrecevable l'appel interjeté par la société Stradale.
Il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6.
Même si les sociétés Ferrari relèvent que le Tribunal de commerce de Nanterre n'a pas fondé sa décision sur l'application de l'article L. 442-6, ce texte était dans les débats tant devant cette juridiction que devant la Cour d'appel de Versailles, de sorte que celle-ci n'avait pas le pouvoir de connaître de cet appel, s'agissant d'un texte dérogatoire au droit commun prévoyant une règle de compétence spécifique au profit de la Cour d'appel de Paris.
Il sera au surplus relevé qu'aucune des parties n'a soutenu avoir demandé à la Cour d'appel de Versailles de procéder à une disjonction de l'instance dont elle était saisie, l'article L. 442-6 étant invoqué en moyen de défense par les sociétés Ferrari.
Par ailleurs, les sociétés Ferrari ne peuvent soutenir que la position de la société Stradale, qui a invoqué au soutien de ses demandes devant le Tribunal de commerce de Nanterre et la Cour d'appel de Versailles les articles de droit commun en excluant expressément l'article L. 442-6 et qui vise désormais cet article devant la Cour d'appel de Paris, révèle un estoppel, alors que ce sont les sociétés Ferrari elles-mêmes qui l'ont invoqué devant le Tribunal de commerce de Nanterre et la Cour d'appel de Versailles, et que c'est au vu de cet article que cette cour d'appel a constaté l'irrecevabilité de l'appel.
Ainsi, les sociétés Ferrari ne peuvent avoir été induites en erreur par l'argumentaire de la société Stradale devant la Cour d'appel de Paris quant à l'article L. 442-6, qui tire les conclusions de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles en visant désormais cet article.
L'ordonnance du conseiller de la mise en état du 8 novembre 2016 sera confirmée.
Les sociétés Ferrari seront condamnées aux dépens du déféré, ainsi qu'au paiement des frais irrépétibles.
Par ces motifs, déclare les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE recevables en leur déféré contre l'ordonnance prononcée le 8 novembre 2016, confirme l'ordonnance du 8 novembre 2016 par le conseiller de la mise en état dans l'instance pendante sous le numéro de RG 15/20373, rejette l'ensemble des demandes des sociétés Ferrari SpA et Ferrari South West Europe, condamne in solidum les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE à payer à Maître Dominique Y, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Stradale Automobile, la somme 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Ferrari SpA et Ferrari SWE au paiement des entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Frédérique Etevenard, aux offres de droits.