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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 mai 2017, n° 14-22435

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Univeg Katope France (SAS)

Défendeur :

Cabannes Stockage Conditionnement (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Serra, Lestournelle, Fromantin, Ribière, Vaillant

T. com. Marseille, du 29 sept. 2014

29 septembre 2014

Faits et procédure

La société Univeg Katope France (ci-après " UK "), dont la nouvelle dénomination est société Greenyard Fresh France, est spécialisée dans le commerce de gros de fruits et légumes.

La société Cabannes Stockage Conditionnement (ou " CSC ") est active dans le même secteur.

La société CSC fournit des fruits à la société UK et réalise pour elle des prestations de stockage et de reconditionnement de fruits achetés par la société Univeg, qu'il s'agisse de fruits achetés auprès de CSC ou auprès de fournisseurs tiers.

Les relations entre les parties ont débuté à compter de l'année 2002, selon la société CSC, et en 2004, selon la société UK, sans qu'elles aient conclu de convention écrite.

En septembre 2009, les relations commerciales entre les parties ont pris fin. Selon les dires de la société CSC, la société UK aurait mis fin aux relations commerciales sans préavis. Le 10 septembre 2009, Monsieur Catherine, représentant la société UK, aurait téléphoné à Monsieur Ferretti représentant de la société CSC et afin de lui annoncer l'arrêt définitif des relations entre les deux sociétés, précisant que dorénavant les prestations pour la société UK seraient effectuées par la société Transco Satal.

Par courrier du 17 novembre 2009 adressé à la société UK, le conseil de la société CSC, se référant à un accord passé au début de l'année 2004, rappelait qu'elle avait accepté de procéder à de lourds investissements dans le cadre de leur partenariat et consenti à des rapports d'exclusivité lui interdisant de travailler avec les centrales d'achat françaises. Elle exposait dans ce courrier qu'elle avait procédé au cours de l'été, comme chaque année, aux achats des produits locaux destinés à l'approvisionnement d'UK, soit plus de 100 tonnes de pommes et poires et que les commandes d'UK n'avaient jamais été passées, l'exposant à des pertes, puisque les marchandises ne pouvaient plus être écoulées à la fin de la saison. Dans ce courrier, était également mentionné l'appel de Monsieur Catherine, par lequel la société UK informait la société CSC qu'elle entendait mettre fin de manière immédiate aux prestations de stockage et conditionnement qu'elle lui confiait jusqu'alors. Elle sollicitait donc, pour rupture brutale sans préavis de leurs relations commerciales, la réparation de ses préjudices.

Le 4 janvier 2010, la société Cabannes Stockage Conditionnement a saisi le président du Tribunal de commerce de Tarascon, statuant en référé, pour obtenir par jugement avant-dire la désignation d'un expert, afin d'établir la nature des relations commerciales et de déterminer le préjudice subi en raison de leur rupture.

Par ordonnance du 12 février 2010, le Tribunal de commerce de Tarascon a désigné un expert, qui a établi et signé son rapport le 12 décembre 2012.

Le 15 mars 2013, la société CSC a assigné la société UK devant le Tribunal de commerce de Tarascon aux fins d'obtenir la somme de 836 633,36 euros de dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par jugement du 17 juin 2013, le Tribunal de commerce de Tarascon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 29 septembre 2014, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- condamné la société Univeg Katope France à payer à la société Cabannes Stockage Conditionnement la somme de 201 126 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère brutal de la rupture des relations, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2013, ainsi que celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Univeg Katope France aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

Le Tribunal a évalué la durée des relations commerciales à 5 ans, estimé que la société CSC réalisait 40 % de son chiffre d'affaires avec la société UK et condamné cette société à lui payer l'équivalent de la perte de marge pendant six mois de préavis, soit la somme de 201 126 euros.

LA COUR,

Vu l'appel de la société Univeg Katope France, du 10 novembre 2014 et ses dernières conclusions déposées et notifiées le 8 juin 2015, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société Univeg Katope France,

- infirmer purement et simplement le jugement entrepris,

et statuant à nouveau :

- dire que l'assignation délivrée par la société Cabannes Stockage Conditionnement est dépourvue de fondement juridique,

- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- dire qu'il convient d'annuler purement et simplement le rapport d'expertise déposé par Mme Polanski,

- donner acte à la société Univeg Katope France de ce qu'elle se rapporte à la justice pour une éventuelle désignation d'un nouvel expert,

- débouter purement et simplement la société Cabannes Stockage Conditionnement de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Univeg Katope France, y compris en son appel incident,

- condamner la société Cabannes Stockage Conditionnement à payer à la société Univeg Katope France une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de 1ère instance, et 15 000 pour les frais irrépétibles d'appel,

- la condamner aux entiers dépens, dont le recouvrement pourra être poursuivi par Me Serra, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 27 mars 2017 par la société Cabannes Stockage Conditionnement, intimée, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- recevoir l'appel incident de la société Cabannes Stockage Conditionnement,

- débouter la société Greenyard Fresh France, anciennement Katope France, de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la société Univeg Katope France, devenue Greenyard Fresh France, en raison du caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies,

- l'infirmer en ce qu'il a condamné la société Univeg Katope France devenue Greenyard Fresh France à payer à la société Cabannes Stockage Conditionnement la somme de 201 126 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère brutal de la rupture des relations, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2013,

en conséquence :

- condamner la société Greenyard Fresh France anciennement Univeg Katope France à payer à la société Cabannes Stockage Conditionnement la somme de 836 633,36 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi avec intérêts de droit à compter de la réclamation jusqu'à parfait règlement,

- la condamner à payer la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

la condamner aux entiers dépens de l'instance ;

SUR CE,

Sur l'absence de fondement juridique du jugement entrepris

La société UK soutient que la société CSC ne peut prétendre engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce, car cet article n'existe pas. Elle expose que le jugement du Tribunal de commerce de Marseille, qui s'appuie sur un texte inexistant, doit être annulé, mais ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions.

Ce moyen ne sera donc pas examiné.

Sur l'exception de nullité du rapport de l'expert Polanski

La société UK soutient que le rapport établi par Madame Polanski est nul puisqu'il n'a pas été établi de manière contradictoire. Elle prétend également que l'expert a produit un rapport lacunaire qui ne permet pas d'établir la réalité des conditions de la rupture des relations commerciales. En effet, elle n'aurait pas procédé à la vérification de la qualité d'une partie qui se présentait comme le représentant de la société CSC, n'aurait pas cherché à identifier précisément les prétendus partenaires de la société CSC et n'aurait pas procédé aux vérifications nécessaires des documents comptables qui étaient produits devant le Tribunal de commerce. Elle demande en conséquence l'annulation de ce rapport.

La société CSC soutient que l'appelante ne rapporte la preuve d'aucune irrégularité affectant les opérations d'expertise sur le fondement des articles 145, 237 et 276 du Code de procédure civile.

Selon les dispositions de l'article 237 du Code de procédure civile, "Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité".

En vertu de l'article 276 du même Code : "L'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. (...). L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées".

Les missions confiées à l'expert par l'ordonnance de référé du 12 février 2010 étaient les suivantes :

- prendre connaissance des conventions liant les parties,

- rechercher dans quelles conditions est intervenue la rupture des relations entre les parties,

- rechercher si la société Cabannes Stockage Conditionnement se trouvait placée sous la dépendance économique de la société UK,

- apprécier si la rupture des relations était de nature à constituer un comportement fautif de la part de la société Univeg Katope,

- dans l'affirmative, fixer le préjudice subi par la société Cabannes Stockage Conditionnement,

- rechercher si la société Cabannes Stockage Conditionnement avait procédé à des investissements destinés aux seules prestations effectuées au bénéfice d'UK.

Le moyen, selon lequel la mission d'expertise demandée par la société Cabannes Stockage Conditionnement correspondrait à une mesure d'investigation générale excédant l'article 145 du Code de procédure civile, a déjà été rejeté par arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 janvier 2011. Il ne sera donc pas statué à nouveau sur ce point.

L'appelante ne démontre, par ailleurs, pas en quoi l'expert n'aurait pas accompli sa mission avec objectivité et impartialité ni qu'il n'aurait pas respecté l'article 276 du Code de procédure civile.

Il ne saurait lui être fait grief d'avoir accepté la présence de Monsieur Ferretti, ancien dirigeant de la société Cabannes Stockage Conditionnement, pour représenter cette société, dès lors que celui-ci avait été désigné en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance du président du Tribunal de commerce de Tarascon du 15 octobre 2010, avec mission de prendre toutes mesures utiles et de nature à préserver les intérêts de la société CSC dans le cadre de la procédure de sauvegarde. Cette ordonnance était d'ailleurs motivée par la qualité de caution solidaire de la société CSC de M. Ferretti.

S'agissant des autres reproches formulés par la société appelante à l'encontre des conclusions de l'expert, ils seront examinés avec le fond des pratiques, sans pouvoir en eux-mêmes fonder la nullité du rapport d'expertise.

L'exception de nullité de la société UK sera donc rejetée.

Il n'y a pas lieu à désignation d'un autre expert, la cour s'estimant suffisamment informée par le présent rapport.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société UK soutient que c'est la société CSC qui a rendu impossible la poursuite des relations commerciales, et qu'elle ne peut donc se voir reprocher la rupture. Elle prétend également que le préavis accordé à la société CSC est excessif, compte tenu de la durée de ces relations.

La société CSC avance au contraire que le jugement entrepris est parfaitement fondé, sauf en ce qu'il a conclu à l'absence de surinvestissements liés à sa relation avec la société UK et en ce qu'il a fixé le préavis à 6 mois.

En effet, le rapport d'expertise aurait permis d'établir valablement :

- l'existence de relations commerciales établies entre les parties,

- le caractère brutal de la rupture des relations commerciales,

- l'état de dépendance économique de la société CSC envers la société UK,

- le comportement fautif de la société UK qui a rompu sans préavis écrit les relations commerciales établies.

La société CSC expose que le jugement doit être infirmé et retenir un préavis de 12 mois s'agissant d'une activité de négoce de fruits et légumes. De même, il doit être réformé en ce qu'il a considéré que ni les rapports de gestion, ni les attestations des fournisseurs de prestations informatiques ni les volumes d'investissements ne permettaient de conclure à des surinvestissements liés à la relation de la société CSC avec la société UK.

Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

Les deux parties s'opposent sur la nature de leurs relations, leur point de départ, l'imputabilité de la rupture et son caractère brutal.

Sur la nature des relations entre les parties et leur point de départ

Bien que non formalisées par écrit, les relations entre les deux sociétés se sont traduites par un volume d'affaires important et régulier, consistant, d'une part, dans la vente de fruits par la société CSC à la société UK (poires, pommes, raisins, kiwis) et d'autre part, l'exécution par la société CSC de prestations d'emballage, de stockage et de reconditionnement de fruits pour la société UK, que ces fruits aient été achetés auprès de la société CSC ou non.

La circonstance que les relations s'organisent année par année, sans contrat et sans obligation d'achat, comme l'évoque la société UK, ne permet pas d'écarter l'application de l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, car une succession de contrats ponctuels caractérise une relation commerciale établie, lorsqu'il en résulte une relation commerciale suffisamment prolongée, régulière, significative et stable, pouvant laisser augurer de la poursuite des relations commerciales. La société UK ne justifie pas de la remise en concurrence, pour chaque campagne, de fournisseurs. Le fait que le volume ait changé selon les années considérées ne peut davantage permettre d'écarter la caractérisation de relations établies, dès lors que le volume d'affaires est important et régulier.

S'il est soutenu par l'expert judiciaire que les relations commerciales auraient été engagées dès 2002 entre la société Bocchi Fruit Trade (aux droits de laquelle vient UK) et la société CSC, aucun élément ne vient attester cette assertion, mise à part une unique facture versée aux débats par la société Cabannes.

Il y a donc lieu de retenir l'année 2004 comme le point de départ des relations commerciales, ainsi que le confirme d'ailleurs la lettre adressée par le conseil de la société CSC à la société UK le 17 novembre 2009.

Sur l'imputabilité de la rupture

Si la société UK prétend que c'est la société CSC qui a mis un terme relations commerciales par la lettre du 17 novembre 2009, dans laquelle elle demandait réparation pour la rupture, il résulte des pièces du dossier que le 10 septembre 2009, la société UK a signifié par téléphone, par l'intermédiaire de M. Catherine, à la société CSC, sa volonté de rompre leurs relations concernant d'une part, les prestations de stockage et conditionnement, et d'autre part, l'achat des fruits, pour deux raisons, la perte d'un de ses clients les plus importants, le groupe Casino, et la mauvaise qualité des fruits proposés.

La société UK conteste que M. Catherine, qui n'est pas un de ses salariés, ait pu l'engager et prétend qu'elle n'a jamais arrêté de passer commandes à la société CSC, même si les volumes de commandes ont décru. Mais, d'autres preuves viennent démontrer que la société UK est à l'initiative de la rupture. En effet, Monsieur Perrin de la société UK avait lui-même indiqué lors de l'accedit du 16 novembre 2010 devant l'expert que la société UK était à l'origine de la rupture. Cette rupture s'est d'ailleurs matérialisée par l'absence de commandes de la société UK au cours de l'été 2009. Cette baisse considérable, les achats étant descendus à 116 563 euros en 2009 au lieu de 894 152,13 euros en 2008, n'est pas justifiée par la société UK, qui se borne à alléguer la perte de son client Casino, sans en verser la moindre preuve aux débats.

La rupture des relations commerciales a donc été à l'initiative de la société UK. Effectuée sans préavis, cette rupture revêt un caractère brutal.

Sur la durée du préavis

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

Il résulte du rapport de l'expert, non sérieusement contesté, que la société CSC réalisait en moyenne 50 % de son chiffre d'affaires avec la société UK.

Selon l'attestation de Mr Da Nazare, ancien salarié d'UK, et de Madame Decour, de la société CSC, la société CSC ne pouvait réaliser des prestations de logistique ou de stockage sans l'autorisation préalable de la société UK.

D'autres attestations de salariés de la société CSC (Mme Bilski, Mme Bertrand) ou de prestataires de services de la société CSC (M. Adouch) corroborent l'existence d'un lien de subordination entre les deux sociétés, n'hésitant pas à parler d'immixtion dans la gestion de l'entrepôt.

Ainsi, Mme Dacour déclarait : " les relations étaient si étroites que nous avions interdiction de travailler en direct avec certains clients que le groupe (Univeg Katope) servait déjà. Nous ne pouvions pas prendre d'autres clients en stockage sans leur aval car il nous était demandé de ne pas mélanger la marchandise avec d'autres. De plus, aucune prévision de tonnage et de produits n'était effectuée, nous découvrions les quantités à stocker au jour le jour quand les camions se présentaient. Jamais personne ne nous demandait si nous avions de la place. Nous étions censés nous débrouiller". Monsieur Da Nazare déclarait lui-même : " CSC étant prestataire de services et expéditeur, je leur avais demandé l'exclusivité pour leur capacité de stockage, la prestation et le conditionnement en accord avec ma direction de l'époque (M. Nino Bocchi). CSC Les Vergers de Cabannes devaient avoir l'autorisation du groupe Bocchi/Univeg, pour faire de la prestation ou de la logistique pour d'autres clients. Il m'est arrivé de mettre mon veto pour certains clients potentiels. Nous, Bocchi/Univeg étant fournisseur de quasiment toutes les enseignes de la grande distribution française, il était interdit à CSC de leur faire des propositions commerciales. Il devait le faire à travers Bocchi/Univeg.". La société UK qui conteste l'impartialité de ces déclarations, dont le sens général est confirmé par des attestations de tiers, n'apporte aucun élément qui viendrait les contredire.

Il résulte de l'importance de la société UK sur le marché français de l'approvisionnement de la grande distribution en fruits et légumes, de la part prise par ce client dans le chiffre d'affaires de CSC, de l'interdiction imposée par elle à CSC de vendre directement à la grande distribution ou d'avoir d'autres clients sans son autorisation préalable, et de l'immixtion dans la gestion quotidienne de cette société, un état de dépendance économique de la société CSC à l'égard de la société UK, subi, et non choisi.

Le négoce de fruits et légumes présente, comme le rappelle l'Association de gestion et de comptabilité AFGA Provence dans un courrier adressé à l'expert le 18 avril 2012, des spécificités qui sont de nature à aggraver les difficultés de reconversion : "en effet, la perte d'un débouché commercial expose, dans ce secteur, une société à avoir des difficultés en terme d'approvisionnement. Les fournisseurs de CSC qui ont vu leurs commandes baisser significativement ont retrouvé de nouveaux partenaires commerciaux (avec lesquels ils se sont peut-être engagés contractuellement pour plusieurs saisons), ou ont fait le choix de ne pas produire pour ne pas engager inutilement des frais. Dans le secteur des fruits et légumes les acteurs ne sont pas si nombreux et les liens brutalement rompus ont des conséquences de moyen terme liées aux processus de production et au rythme des saisons. C'est donc également par manque de marchandises que parfois les ventes sont absentes".

En revanche, aucun élément du dossier ne vient démontrer que la société CSC aurait réalisé des investissements entièrement dédiés à la société UK, ainsi qu'en attestent les rapports de gestion de la société Cabannes pour les exercices 2004 à 2009 qui ne font état d'aucun investissement particulier, à l'exception de l'exercice 2009 où est signalé un montant total d'investissement de 25 244 euros, sans que la cour puisse évaluer la part représentée par les investissements relatifs à la seule société UK.

Compte tenu de ces éléments et de la durée des relations commerciales de cinq ans il y a lieu de fixer à douze mois la durée du préavis qui aurait dû être octroyée.

Sur le calcul du préjudice

Le préjudice ne résulte pas de la rupture, mais du caractère brutal et sans préavis de cette rupture qui ne permet pas à la partie qui la subit de prendre les dispositions nécessaires en temps utile pour réorienter ses activités. N'est donc réparable que le préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non le préjudice découlant de la rupture elle-même.

La victime de la rupture brutale peut, sur le fondement des dispositions de l'article 1149 du Code civil alors en vigueur, réclamer à son cocontractant une indemnisation au titre du gain manqué et de la perte subie.

Le gain manqué correspond à la marge que la victime de la rupture pouvait escompter percevoir pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté. Il correspond au chiffre d'affaires perdu pendant cette période dont il faut déduire les charges variables qui auraient dû être engagées pour réaliser ce chiffre d'affaires et que l'entreprise a pu économiser.

Il y a lieu d'allouer à la société CSC la marge perdue sur la durée du préavis de douze mois. Selon le rapport d'expertise (page 36), reprenant en ce sens les chiffres de l'Association de gestion et de comptabilité AFGA Provence, non sérieusement contredits par les parties, il y a lieu d'évaluer à 946 270,75 euros le chiffre d'affaires moyen réalisé de 2007 à 2009 par la société Cabannes avec la société UK et à 204 962,24 euros la perte de marge correspondante (taux de marge de 21,66 %).

Sur les prestations de service, la marge d'exploitation s'élève à 45 132,74 euros.

Il y a donc lieu de condamner la société UK à payer à la société CSC la somme de 250 094 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2013.

Faute de démonstration de la réalisation d'investissements spécialement dédiés à la relation commerciale avec ce partenaire, il y a lieu de rejeter la demande de la société CSC en remboursement des investissements effectués.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf sur la durée du préavis et sur le quantum alloué.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Succombant, la société UK sera condamnée à supporter les dépens et à payer à la société CSC la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf sur la durée du préavis et sur le quantum alloué en réparation de la rupture brutale, l'infirme sur ces points, et, statuant à nouveau, fixe à 12 mois le préavis qui aurait dû être consenti à la société Cabannes Stockage Conditionnement, condamne la société Greenyard Fresh France, venant aux droits de la société Univeg Katope France, à payer à la société Cabannes Stockage Conditionnement la somme de 250 094 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2013, y ajoutant, rejette la demande d'expertise, condamne la société Greenyard Fresh France, venant aux droits de la société Univeg Katope France, aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne la société Greenyard Fresh France, venant aux droits de la société Univeg Katope France, à payer à la société Cabannes Stockage Conditionnement la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.